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Ruberto Malatesta avait mis près de cinquante ans à comprendre que l'âme humaine ressemble à ces délicats petits bureaux marquetés qui, sous une apparente simplicité, dissimulent en fait une multitude de tiroirs cachés. S'il paraissait imperméable à toute forme de tourment intérieur, le mercenaire voyait son inébranlable force de caractère s'effriter chaque jour davantage sous les assauts des douloureuses résurgences de son passé guerrier.

Malatesta avait tué pour la première fois à quinze ans, presque par hasard. Affamé, un traînard de l'armée milanaise était entré dans la ferme où il vivait seul avec sa mère. Après avoir tué la plus grosse des oies, le soldat avait demandé à sa mère de la cuire. Une fois rassasié, il l'avait assommée, contrarié par son refus catégorique de lui accorder ses faveurs. L'adolescent était intervenu au moment précis où il s'apprêtait à profiter de l'inconscience de sa mère.

Avec un sang-froid dont il ne serait pas cru capable, il avait planté son couteau de chasse dans les reins de l'agresseur. Il l'avait ensuite achevé en lui enfonçant la lame dans le cœur, comme son père lui avait appris à le faire avec les chiens enragés. Le soudard l'avait contemplé avec effarement, surpris que la main d'un gamin ait pu trancher aussi aisément le fil de sa vie, lui qui avait survécu à tant de combats.

Curieusement, la lame avait causé des blessures presque invisibles. Seule une petite tache de sang maculait sa tunique. Malatesta avait contemplé sa brève agonie d'un œil détaché, sans ressentir plus d'émotion que s'il avait tué un animal.

Après cette incursion précoce dans son existence, la mort ne l'avait plus quitté. À vingt ans, il était entré dans la compagnie du mercenaire Bartolomeo Colleoni, aux côtés duquel il avait combattu dans toute l'Italie. Trente ans de cette vie féroce avaient forgé son esprit tout autant que son corps.

Témoin privilégié de la cruauté de son temps, Malatesta savait que seule une stricte éthique personnelle lui permettrait de ne pas se laisser dominer par ses instincts meurtriers. Certains de ses compagnons avaient choisi le secours de la religion pour oublier le sang et la violence. Malatesta, lui, avait opté pour celui de l'honneur.

Tuer ne le dérangeait pas, à la seule condition que soient respectées certaines règles de base. La plus importante était de ne jamais donner la mort pour des raisons personnelles. Il combattait pour l'argent, et rien d'autre. Les causes ou les idéaux n'avaient aucune place dans son univers.

La seconde règle lui intimait d'épargner les populations civiles. Lorsque cela n'était pas possible, il laissait faire ses compagnons et s'éloignait assez pour ne pas entendre les hurlements.

La guerre était donc devenue pour lui une sorte de rite, qu'il accomplissait presque machinalement, appliquant les consignes à la lettre et évitant toute initiative personnelle. Cela ne lui permettait pas d'éluder sa responsabilité directe dans la mort de ses adversaires, mais c'était la manière le plus efficace de repousser à plus tard les problèmes de conscience.

Las de l'odeur de sang et de poudre qui flottait sans cesse autour de lui, il avait quitté ce monde de fureur sans regret, ni fortune, avec pour seul capital quelques miettes de gloire et un corps endolori.

Il s'était alors résigné à devenir l'homme de main de quelques nobliaux de province. Après plusieurs années passées à pourchasser les voleurs de poules et à intimider mollement les paysans qui rechignaient à payer leurs impôts, il était revenu à Florence juste à temps pour assister à l'instauration de la république.

Il avait offert ses services à Soderini, éliminant l'un après l'autre tous les obstacles qui s'étaient dressés devant celui-ci. Malatesta était ainsi entré dans le dernier cercle du pouvoir, celui où, pour la première fois de sa vie, il pouvait laisser à d'autres le soin d'exercer la violence à sa place.

Les fantômes de ceux qui avaient eu le malheur de croiser son épée avaient attendu ce moment précis pour venir le tourmenter. Tous les remords qu'il avait pris soin de repousser dans le tréfonds de son esprit, du temps de sa vie guerrière, avaient brutalement resurgi et ne cessaient plus de le hanter.

Lorsque les souvenirs macabres affluaient en masse, Malatesta se réfugiait dans ce qu'il faisait le mieux: le combat. Seul dans la salle d'armes du Palazzo Comunale, il s'épuisait des heures durant sur des mannequins d'exercice, jusqu'à ce que la douleur envahisse son corps et son cerveau et l'empêche de penser.

Il n'avait aucune idée du temps passé à répéter inlassablement ses assauts. Le mannequin de cuir gardait les traces de ses coups sauvages. Ses muscles luisaient d'une sueur brûlante et poisseuse, mais il était presque parvenu à repousser ses adversaires invisibles.

Il entendit la porte de la salle d'armes s'ouvrir et se retourna, prêt à sermonner le soldat qui venait le déranger en dépit de ses ordres. Sa surprise fut telle que les mots s'étranglèrent dans sa gorge. Devant lui, couvert de son ample chapeau rouge, se tenait le cardinal de Saint-Malo.

Un sourire aux lèvres, l'ambassadeur s'approcha du mercenaire et lui tendit sa main potelée. Malatesta refusa d'embrasser la bague qu'on lui présentait. Guère troublé par cette hostilité, le prélat retira son avant-bras et le laissa pendre le long de sa bedaine.

Les deux hommes se toisèrent durant une longue minute, avant que Saint-Malo ne finisse par justifier sa présence:

- Je vous ai longtemps cherché, Malatesta. J'ai eu bien du mal à vous trouver.

Une lueur d'ironie se refléta dans les yeux du mercenaire.

- Il est vrai que ce n'est pas un lieu fréquenté d'ordinaire par un homme d'Église. Pourquoi vouliez-vous me voir, Éminence?

- Je suis venu vous proposer un accord, pour notre bien commun.

Avant d'avoir pu esquisser le moindre mouvement, il sentit la pointe de l'épée de Malatesta se poser sur sa carotide. Le mercenaire accentua sa pression et la lame griffa l'épiderme du cardinal, dont le visage s'empourpra légèrement.

Malatesta plongea ses yeux glacés dans ceux de l'ecclésiastique.

- J'ai bien du mal à croire que nous puissions avoir quelque chose en commun, Éminence. Je vous écoute néanmoins. Et n'oubliez pas que, pour le moment, votre destin est entre mes mains.

- Tâchez donc de voir plus loin que le bout de votre épée, Malatesta! Je ne suis pas venu jusque dans cette pièce puante vous parler de mon destin, mais de celui de votre cité. Répondez plutôt à cette simple question: quand cette mascarade aura enfin cessé, quand la ville aura regagné son éclat, voudrez-vous y jouer un rôle digne de vos qualités?

La perplexité s'installa dans les pupilles du soldat. Un instant, il parut décontenancé par l'assurance du prélat. D'un geste à peine perceptible, il relâcha la pression de son arme.

- Qu'est-ce que ça signifie?

- Soyez un peu réaliste! Sans armée, vous n'êtes rien. N'importe qui peut s'emparer de la place en moins d'une semaine. Le pape et l'empereur le feront sans doute très vite, s'ils en ont la possibilité. Pour sa part, mon souverain préfère la négociation à la conquête. J'ai bien essayé de lui dire que vous ne méritiez pas tant de mansuétude, mais il ne veut rien entendre...

Rompu à l'exercice oratoire, le cardinal s'interrompit un moment, puis poursuivit sa démonstration:

- Vous avez besoin de notre protection si vous ne voulez pas perdre votre indépendance. Bien entendu, il vous faudra renvoyer dans leurs foyers tous ceux qui se sont opposés à nous...

- Le gonfalonier...

- Et ses principaux partisans, bien sûr. Sans parler de Savonarole, sur lequel le pape aimerait bien mettre la main. Je me suis laissé dire qu'il a pour ce maudit moine des projets fort cruels. Voir rôtir cet agitateur sur le bûcher ne lui déplairait pas, semble-t-il.

- En lui permettant d'assouvir ce fantasme, vous verrez votre position à la curie s'améliorer de manière notable, j'imagine...

- Voyons, mon fils, comment un homme d'Église pourrait-il nourrir tant d'ambitions terrestres? Rassurez-vous, les miennes ne sont que spirituelles. Savonarole dénigre la hiérarchie catholique et lui reproche de ne pas accorder ses actes à ses discours. Sa naïveté serait presque touchante si elle n'était pas dangereuse! Nous ne sommes pas là pour appliquer la bonne parole, mais pour l'instituer. Au fond, que nous soyons de mauvaises brebis n'a guère d'importance aux yeux du Seigneur! Une seule chose compte vraiment: que Sa voix s'étende de par le monde. Pour cela, les gens doivent avoir une confiance aveugle en ce que leur dit l'Église romaine.

Les lèvres de Malatesta dessinèrent un sourire triste. Le mercenaire abaissa la lame de son épée.

- En réalité, l'Église a besoin du statu quo politique pour perpétuer sa mainmise sur le peuple. Savonarole prône un changement trop brutal pour vous. Il menace de déstabiliser votre belle stratégie de pouvoir.

- Je vois que, sous vos abords brutaux, vous avez appris à faire fonctionner votre cervelle, Malatesta! Je connais peu d'individus capables d'exceller dans le domaine militaire et de comprendre les raisons cachées des ordres qu'on leur donne.

Malatesta eut un geste d'agacement.

- Je n'ai nul besoin que vous me flattiez, Éminence! Les compliments n'ont plus aucun effet sur moi depuis bien longtemps. Que voulez-vous vraiment?

Le ton de sa voix était suffisamment impérieux pour que le cardinal cessât aussitôt ses minauderies.

- Quand cette infâme république sera tombée, les Médicis reprendront le contrôle et tout redeviendra comme avant. Nous n'aurons plus à traiter avec des marchands ou des boulangers. L'Église de Rome retrouvera alors le contrôle des âmes. Le gouvernement tarde à s'écrouler. Il suffirait pourtant que quelqu'un détache quelques pierres à la base de l'édifice pour qu'il s'affaisse de lui-même. Cette personne serait bien sûr grassement récompensée. Nous avons déjà des alliés dans la place, mais votre collaboration nous permettrait de gagner un temps précieux.

Le cardinal scruta le visage de son interlocuteur dans l'attente d'une réaction. Il ne put y lire que du dégoût.

- Comment avez-vous pu imaginer une seule seconde que j'accepterais une telle proposition? J'ai toujours respecté mes engagements. C'est l'unique raison pour laquelle j'ai survécu durant toutes ces années.

Teintée d'amertume, sa voix se fit presque inaudible:

- J'ignorais que les mercenaires avaient un sens moral plus développé que les hommes d'Église! Quelle ironie!

- Je vous trouve mal placé pour me donner des leçons! hurla Saint-Malo en retour. Combien d'hommes avez-vous tués durant votre brillante carrière de boucher? Cinquante? Cent? Sans même parler des femmes et des bambins que, par la même occasion, vous avez passés au fil de votre épée! Et encore, je suis certain de minimiser vos exploits!

Malatesta réagit instantanément. Du revers de la main, il frappa son adversaire juste au-dessus de la pommette gauche. Surpris par la violence du coup, le prélat s'écroula lourdement sur le sol.

- Jamais je n'ai tué par plaisir. Vous serez la première exception à cette règle.

Sonné, l'ecclésiastique se releva à grand-peine. Il se servit de la manche de son manteau pour essuyer le sang qui coulait de sa paupière.

- Décidément, vous êtes un homme comme je les aime, Malatesta. Votre absurde sens de l'honneur force mon respect. Je doute cependant que vos adversaires réagiront ainsi lorsqu'ils reprendront le pouvoir. Je vous offre votre dernière chance de dissocier votre destin de celui de Soderini. Que décidez-vous?

Les mâchoires de Malatesta se contractèrent sous l'effet de la colère, tandis que sa main se resserrait autour du pommeau de son épée.

- Sortez d'ici avant que je ne puisse plus résister à l'envie de vous étriper. Allez proposer votre sale marché à quelqu'un d'autre.

Le cardinal se contenta de hausser les épaules. La démarche raide, il se dirigea vers la porte. Au moment où sa main se posait sur le loquet, la voix du mercenaire s'éleva à nouveau:

- Un dernier conseil, Éminence. Évitez de croiser mon chemin. Je ne suis pas certain de pouvoir retenir mon épée à l'avenir.

Lorsque la robe pourpre disparut tout à fait derrière la porte, Ruberto Malatesta se mit à frapper le mannequin de cuir avec une rage incontrôlable.

Machiavel observa la sortie du cardinal depuis la fenêtre de la pièce où ser Antonio l'avait confiné pour relire et classer une pile d'épais rapports diplomatiques.

L'ambassadeur français semblait d'humeur exécrable. Il tâta le coin de sa paupière et, d'un geste rageur, essuya ses doigts maculés de sang sur sa longue capeline. Sans prêter la moindre attention à la silhouette qui se faufilait à sa suite, il s'éloigna d'un pas rapide du Palazzo Comunale.

Francesco Vettori passa la porte quelques secondes à peine après le gros prélat et s'engagea à son tour sur la Piazza della Signoria. Deux heures plus tard, Machiavel terminait enfin son travail et s'enfuyait du palais à l'insu du chancelier. Guicciardini l'attendait chez lui, vautré sur le fauteuil de sa salle d'étude. Il régnait dans la pièce le même désordre désespérant que lors de sa précédente visite. Toujours appuyé contre la bibliothèque, le tableau de Del Garbo donnait à l'ensemble un aspect discordant.

- La surveillance s'est bien passée, Ciccio?

Avant de répondre, Guicciardini prit le temps de s'étirer et bâilla à s'arracher les mâchoires.

- Parfaitement. Francesco a fait la matinée, je l'ai remplacé à midi et il m'a relevé il y a environ deux heures.

- Qu'a fait Saint-Malo?

- Rien de bien intéressant... Ah, si! Ce matin, il a passé quelques minutes dans la salle d'armes du Palazzo Comunale. Il en est ressorti avec une blessure au visage.

- Je sais, je l'ai vu moi aussi. Malatesta a fait irruption peu de temps après lui. Je ne sais pas ce que Saint-Malo lui a dit, mais il avait l'air furieux. Et après?

- Il est allé directement déjeuner à l'auberge de Tanai de' Nerli. Je me suis installé à quelques tables de lui. Il a mangé un cuissot de chevreuil, un pâté de volaille et quelques fruits, le tout accompagné d'une bouteille de vin. Je n'avais pas très faim, ce midi, alors j'ai juste commandé une assiette de fegatini.

Machiavel esquissa un geste de découragement. Il poursuivit ses questions en s'efforçant de garder son calme:

- Je me moque de vos menus respectifs, Ciccio. Où est-il allé ensuite?

- Il a rendu visite à plusieurs marchands français, dont voici la liste.

Il tendit à son ami une feuille graisseuse sur laquelle étaient griffonnés quelques noms. Machiavel y jeta un rapide coup d'œil avant de la lui rendre.

- Rien de bien intéressant.

- Je savais que tu dirais ça. La suite est encore moins passionnante. Il est rentré chez lui et n'en a plus bougé. Francesco s'ennuie ferme; tu devrais aller le remplacer.

- Parfait, allons-y tout de suite.

Les deux garçons parvinrent très vite devant la demeure de l'ambassadeur français. C'était une large bâtisse construite près d'un siècle plus tôt par un négociant en grain dont la fortune s'était effilochée au fur et à mesure que s'éternisait la guerre. Le cardinal de Saint-Malo l'avait acquise l'année précédente pour une somme dérisoire, citant cet achat comme un exemple prémonitoire de ce qui se produirait à plus grande échelle si les Florentins refusaient les propositions d'alliance de son souverain.

Confortablement assis à l'ombre d'un muret, Vettori les accueillit avec soulagement.

- Enfin! Je n'ai jamais été aussi content de vous voir! Je n'en peux plus de rester là à ne rien faire. Personne n'est entré ni sorti.

- Tu peux partir, je te remplace.

- Merci, Niccolò, mais ma conscience m'interdit de rentrer chez moi pendant que tu restes là à te morfondre devant la maison de cet infâme curé! On va boire un coup chez Teresa, Ciccio?

- Tu as raison, nous devons être solidaires de notre ami. Va pour la taverne!

- Filez vite avant que votre humour nauséabond ne me donne envie de vous faire taire définitivement. Je me demande à quoi sert l'éponge qui vous tient lieu de cervelle!

- Les voies du Seigneur sont impénétrables, jeune homme! lui souffla Guicciardini en s'éloignant.

La nuit était déjà tombée lorsque le cardinal de Saint-Malo sortit de chez lui. Il marchait à grandes enjambées, à la manière d'un conquérant, sans jamais hésiter dans le dédale des rues.

Ignorant superbement le cul-de-jatte qui lui tendait sa sébile, il se dirigea vers l'Ospedale della Carità et dépassa le baptistère, puis obliqua vers l'extrémité septentrionale de la ville. Le seul bâtiment d'importance dans ce secteur était le monastère dominicain de San Marco.

Autrefois connu pour avoir été le refuge terrestre de Fra Angelico, qui avait perfectionné son art de la fresque en recouvrant de scènes bibliques les murs de chaque cellule, le lieu saint abritait depuis trois ans les affres spirituelles de Savonarole. Le moine y menait une existence consacrée à la méditation, à la prière et à l'étude des textes sacrés.

Pour ses partisans, l'austérité de sa vie monacale témoignait de la sincérité parfaitement désintéressée de son engagement en faveur de la cité. Pour les autres, elle n'était qu'un leurre destiné à masquer la démesure de ses ambitions politiques.

Le cardinal passa devant l'église Santo Spirito, puis, sans ralentir l'allure, s'engagea dans une ruelle obscure. Lorsqu'il y pénétra, Machiavel constata que l'ecclésiastique avait disparu. Il courut jusqu'à l'extrémité opposée, qui s'ouvrait sur une vaste place balayée par le vent. Quelques femmes passèrent au loin en discutant du prix du pain et du sort à réserver à tous les incompétents qui gouvernaient la ville. Derrière elles, deux religieux refermaient pour la nuit le portail de San Marco.

Intrigué, le jeune homme rebroussa chemin. Le passage semblait avoir été vidé de ses occupants habituels. Aucun bruit ne venait troubler le silence de la nuit. Nul poivrot ne cuvait son vin, affalé contre une porte. Même les rats paraissaient avoir déserté les innombrables tas de détritus qui jonchaient la rue.

Il avait fait une grossière erreur en présumant que Saint-Malo le mènerait droit au traître. Non seulement le cardinal s'était aperçu de sa surveillance, mais de surcroît il l'avait entraîné dans un piège.

Machiavel gardait encore en mémoire l'humidité glacée de la boue et le goût du sang qui avait ruisselé sur ses lèvres lorsque le colosse l'avait assommé quelques jours plus tôt. Attentif au moindre signe suspect, il scruta l'obscurité, sans rien discerner.

Un rapide frôlement l'avertit de l'imminence du danger. Sans réfléchir, il se blottit dans le renfoncement le plus proche et sentit un objet frôler son visage. Dans un bruit sec, un poignard vint se ficher dans la porte contre laquelle il était appuyé.

Devant lui, à dix pas à peine, noyé dans la pénombre, se tenait l'un des assassins de Corsoli. Une lueur de jouissance brilla dans les yeux clairs du nain lorsqu'il reconnut Machiavel.

- J'ai l'impression que nous nous connaissons déjà, mon garçon... Quel bonheur de te retrouver! Mon maître m'a ordonné de t'épargner quand tu avais le nez dans la boue, l'autre jour. Cette fois, tu vas voir comment on traite les fouineurs de ton espèce!

Avec la lenteur mesurée du chasseur qui sait sa proie prise au piège, le tueur s'avança en bloquant le passage. Seul et désarmé, Machiavel n'avait pas la moindre chance. Il fit volte-face et s'élança vers l'esplanade dans l'espoir d'y trouver du secours. Le parvis de l'église était désert.

L'heure n'était plus à la réflexion. S'il voulait sauver sa vie, il devait courir. Il se précipita dans la rue la plus proche. Derrière lui, le bruit des pas du tueur se faisait de plus en plus distinct. La perspective d'une mort solitaire lui fit oublier le feu qui dévorait ses poumons. Il parvint à accélérer assez pour conserver une courte avance sur son poursuivant.

La rue fit un brusque coude. Machiavel se retrouva brutalement plongé au beau milieu d'une marée humaine. Tout autour de lui, des milliers d'hommes et de femmes de tous âges marchaient en chantant un hymne à la gloire de la Vierge. Entraîné par la foule, il ne fut pas en mesure de se retourner. Quand il parvint enfin à le faire, il vit le nain jaillir à toute allure de la rue qu'il venait de quitter.

Emporté par sa course, celui-ci ne réussit pas à s'arrêter à temps et vint heurter une femme d'une quarantaine d'années. Elle fit tomber sa bougie sur le visage du tueur. Rendu fou furieux par la cire brûlante, il tira un mince stylet de sous sa chemise et l'enfonça d'un coup sec dans la poitrine de la femme. Ne résistant pas au plaisir de contempler le masque de stupéfaction et de souffrance qui se dessinait d'ordinaire sur le visage de ses victimes, il se recula un peu.

La femme ne ressentit pas immédiatement la douleur. Au bout de plusieurs secondes, elle tâta son sein gauche et retira l'étrange objet métallique planté dans sa poitrine. Un flot de sang jaillit de sa blessure, éclaboussant tous ceux qui se trouvaient autour d'elle.

Le visage ruisselant du sang de la victime, une jeune fille se mit à hurler. Couvert par les centaines de voix qui chantaient leur amour pour Dieu, son cri se perdit dans l'air humide.

Dans un sursaut désespéré, Machiavel tentait de se frayer un chemin vers la tête du cortège. Seul un dernier rideau de fidèles le séparait désormais du salut. Devant lui, quatre moines portaient une statue de la Vierge sur un palanquin. Un cierge à la main, Savonarole ouvrait la marche.

Le tueur ne disposait plus que de quelques secondes pour frapper. La multitude de corps en mouvement l'empêchait de distinguer sa cible avec précision. Il sortit une dague de sa ceinture et la plongea sans hésiter en direction des reins du secrétaire. La lame pénétra profondément dans les chairs.

Le palanquin s'affaissa d'un coup. Touché au bas du dos, l'un des porteurs s'effondra en se tordant de douleur. Les autres moines tentèrent de redresser l'effigie sacrée, mais celle-ci tomba violemment sur le sol.

Un frisson parcourut la foule. À proximité du nain, un notaire aux traits secs et décharnés le désigna du doigt:

- C'est lui, je l'ai vu! Il lui a planté sa dague dans le dos!

Des cris menaçants fusèrent de toutes parts, tandis qu'il continuait de le vilipender:

- Je t'ai bien vu, assassin! On va te faire payer ça!

Sans se départir de son flegme, le nain jeta un regard plein de morgue à son accusateur. Il sembla soudain se souvenir qu'il tenait toujours à la main son arme ensanglantée. En un éclair, il bondit sur l'homme et lui sectionna la carotide. Incapable d'arrêter le flux qui s'écoulait de sa gorge, le malheureux rendit l'âme dans un halètement sinistre.

Satisfait d'avoir fait taire le dénonciateur, le nain s'extirpa tranquillement du cortège. Sa proie avait disparu. Il savait pourtant qu'il la retrouverait, tôt ou tard, et qu'il lui ferait alors chèrement payer sa résistance.

De toute manière, il avait rempli sa mission principale. Son maître serait satisfait.

- Tu peux sortir, mon fils. Il est parti.

Savonarole était parvenu à garder son calme, mais un sentiment de consternation se lisait sur son visage. Avant de se relever, Machiavel vérifia que le tueur avait bien disparu. À court d'idées, il avait profité de la confusion pour se jeter derrière le palanquin renversé, en priant pour que l'assassin ne songe pas à vérifier une si piètre cachette.

Malgré le départ du nain, la tension restait extrême. Des centaines d'yeux scrutaient le secrétaire, essayant de mesurer sa part de responsabilité dans le drame.

Savonarole parut hésiter, puis susurra quelques phrases à l'oreille de Tommaso Valori. Son second fit signe aux moines de ramasser la statue et de la remettre sur son socle. Les religieux obéirent prestement, tandis qu'on évacuait les trois corps.

Savonarole se retourna alors vers la foule:

- Dans sa grande miséricorde, Dieu nous a envoyé une nouvelle épreuve. Seule la force de notre foi peut vaincre les innombrables fléaux qui s'abattent sans répit sur nos têtes! Je vous le dis une nouvelle fois, mes frères: priez et adorez notre Sauveur, car Lui seul peut extirper les germes malins qui infectent notre cité!

Il fit une courte pause, le temps que la foule reprenne en chœur un "amen" tonitruant, et poursuivit:

- Nos trois frères et sœur ont rejoint le paradis. Nous allons désormais prier pour le repos de leurs âmes.

Sa voix vibrait d'un accent prophétique. Happés par la force de ses paroles, certains spectateurs s'étaient jetés à genoux.

- Honorons la mémoire de nos morts! Que la Vierge Marie, mère de notre Seigneur, nous montre le chemin de la délivrance et du salut éternel! Relevez-vous, mes frères, et reprenons en chœur la prière que nous connaissons tous!

Au son de l'Ave Maria, la procession se remit en marche. Délaissant ses partisans, le dominicain attendit encore quelque peu, puis se tourna vers Machiavel.

- Que dirais-tu de discuter un peu, mon fils? Il me semble que nous avons beaucoup de choses à nous dire, tous les deux.

Valori s'interposa entre les deux hommes:

- Maître, votre place est aux côtés de vos fidèles.

- Allons, Tommaso, je sais parfaitement où je dois être. Pour le moment, ce jeune homme a sans doute besoin d'un réconfort moral. Quant à moi, j'ai envie d'explications. Je rejoindrai la procession plus tard.

- Je me permets d'insister. Tous ces gens croient en votre parole, vous devez les guider. Vous ne pouvez pas leur laisser penser que vous accordez à d'autres la primauté de vos attentions.

Les traits du moine se durcirent subitement.

- Mon unique priorité est le salut de Florence. Mes fidèles doivent accepter les sinuosités du chemin qu'il me faut suivre pour mener à bien ma mission.

Voyant Valori près de répondre, Savonarole lui intima le silence d'un geste de la main. Il articula d'une voix sèche:

- Je rejoindrai la procession plus tard, Tommaso. Si tu n'es pas capable de comprendre mes décisions, abstiens-toi de les commenter. Rattrape les autres maintenant.

La décision du dominicain ne souffrait aucune contestation. Une moue exaspérée tordit les traits de son second lorsqu'il se résigna enfin à quitter les lieux.

- J'ai l'impression de ne pas m'être fait que des amis aujourd'hui, dit Machiavel.

- Valori est aussi têtu qu'un vieil anachorète, mais sa foi est sincère. Il ne faut pas lui tenir rigueur de ses sautes d'humeur. Il croit vraiment à la réussite de notre croisade, sans doute plus encore que moi. Il a parfois tendance à se laisser dominer par ses impulsions.

Savonarole soupira en observant la silhouette de son conseiller s'éloigner au loin.

- Les temps sont durs. Notre mouvement croît inexorablement et, chaque matin, de nouvelles brebis rejoignent le troupeau. Le combat devient toutefois de plus en plus rude. Je ne suis pas certain que nos méthodes soient adaptées à celles de nos adversaires. Que peuvent nos prières face à leurs épées?

Machiavel désigna les larges flaques de sang qui maculaient le sol.

- Voici la preuve que le bouclier de la foi est bien impuissant contre le fer des assassins.

- À quoi bon poursuivre ce combat? Vois le résultat de tous ces efforts: un homme seul est parvenu à faire vaciller la foi de plusieurs milliers de fidèles. Heureusement, la pluie commence déjà à effacer les traces de son crime. Demain, il n'en restera plus rien et nous pourrons reprendre la lutte, si Dieu le veut.

Ses traits trahissaient une profonde lassitude. Le jeune homme avait déjà lu cette expression de découragement sur le visage du dominicain quand il avait surpris sa conversation avec Malatesta. Il fut tenté de lui demander ce qui le liait au mercenaire, mais n'en eu pas le courage.

- Crois-tu au diable, mon fils?

- Pas vraiment, répondit Machiavel après une courte hésitation. Je crois plutôt que l'homme l'a inventé pour justifier les imperfections du monde.

Savonarole lui adressa un sourire bienveillant.

- Comment un élève de Ficino pourrait-il croire en une entité supérieure? Un jour où l'autre, ce vieil hérétique finira sur un bûcher! Moi aussi, à ton âge, je pensais trouver dans les livres les réponses à mes questions. Rien n'égale cependant l'expérience de la vie. Le bien, le mal, la souffrance, la foi, la mort... Tu as sans doute appris davantage ce soir qu'au cours de toutes tes années d'études.

Machiavel se contenta d'acquiescer. Il ne parvenait pas à se détourner des lignes irrégulières du visage du moine. Il comprit subitement l'étrange fascination que ressentaient ceux qui l'approchaient.

Quelle que fût la personne à laquelle il s'adressait, le dominicain se considérait comme son égal. Il s'ouvrait totalement aux autres, sans rien dissimuler de ses doutes et de ses interrogations. Il ne se cachait pas derrière les certitudes de sa foi. Voilà pourquoi l'Église romaine le haïssait tant.

Machiavel se sentit apaisé, comme si les mots du moine avaient évacué d'un coup toute sa tension. En même temps, une immense fatigue l'envahit et il dut s'appuyer contre le mur le plus proche pour ne pas tomber.

Savonarole attendit qu'il se reprenne, avant de reprendre son questionnement.

- Sais-tu pourquoi je suis entré chez les dominicains?

- Non, mon père.

- Veritas. La vérité. La devise de mon ordre. Je pensais que mon engagement m'aiderait à comprendre les subtils rouages du monde. Je ne m'attendais pas à ce que l'accès à la lucidité fût si douloureux. Bienheureux les simples d'esprit!

Une fine pluie s'abattait désormais sur les deux hommes. Aucun d'eux ne songea à se mettre à l'abri. Ils espéraient sans doute que cette eau les purifierait, comme elle purgeait le sol des traces sanglantes laissées par le tueur.

- Tu ne m'as toujours pas dit pourquoi ce tueur t'en voulait à ce point.

- C'est une histoire un peu compliquée. Ce qui reste de vos illusions sur l'homme ne survivra pas à mon récit, j'en ai bien peur.

- Tu peux toujours essayer. Je pense avoir fait un tour assez large des turpitudes humaines.

Machiavel ressentit le besoin brutal de s'épancher. Avoir frôlé la mort d'aussi près lui avait fait comprendre qu'il lui fallait prendre des risques. S'il ne faisait rien, le tueur le retrouverait et aurait alors sans doute plus de réussite. Une seule incertitude l'empêchait encore de se livrer complètement.

- Le soir où cet usurier, Corsoli, a été tué, je vous ai vu parler avec lui, sur la Piazza délia Signoria. Que vous êtes-vous dit?

Le visage de Savonarole devint livide. Le moine semblait sincèrement stupéfait de la question du jeune homme.

- Tu dois te tromper, mon fils. Valori m'a raccompagné à San Marco dès que la réunion du conseil s'est achevée.

Ce fut au tour de Machiavel de se trouver décontenancé.

- Corsoli conversait avec un moine. Je n'ai pas pu apercevoir son visage, mais il portait une robe comme la vôtre. J'ai cru que c'était vous.

- Et tu en as déduit que je l'avais fait tuer, bien sûr... N'est-ce pas aller un peu vite en besogne? J'ai passé toute la nuit en prière. Plus de quarante témoins pourront te le confirmer.

- Si ce n'était pas vous, qui était-ce?

- Je l'ignore. Ce n'était pas un moine de San Marco, en tout cas... Personne n'a quitté la veillée avant l'aube. On s'est fait passer pour moi.

- Dans quel but?

- Pour me compromettre dans le meurtre de Corsoli, bien sûr! Le plan a bien fonctionné, puisqu'il y a au moins un témoin pouvant jurer m'avoir vu en grande discussion avec lui quelques minutes seulement avant sa mort.

Son ton était assuré. Machiavel sut qu'il ne mentait pas. Il prit sa décision en une fraction de seconde.

- Vous voulez vraiment savoir pourquoi le nain a essayé de me tuer?

Le dominicain acquiesça.

- Bon, suivez-moi alors, mais sans vos gardes. Je n'ai pas envie que toute la ville sache où nous allons.

Savonarole s'approcha des moines qui surveillaient la rue et leur dit quelques mots à voix basse. Les quatre serviteurs de Dieu obéirent à contrecœur lorsque, de la main, il leur fit signe de s'éloigner.

- Nous voilà débarrassés d'eux.

- Parfait.

Machiavel guida Savonarole sans prononcer un mot. Ils mirent une dizaine de minutes pour arriver devant la maison de Marsilio Ficino. Le dominicain avait reconnu l'endroit et ne paraissait guère surpris de s'y trouver.

Annalisa vint leur ouvrir. Elle se figea un instant, puis se reprit et les mena jusqu'à la bibliothèque, où le philosophe était plongé dans la lecture de Sénèque.

Non moins surpris que sa nièce, le vieillard accueillit pourtant le moine comme si sa présence était tout à fait naturelle.

- Votre visite nous honore, mon père.

- C'est moi, au contraire, qui suis flatté de me trouver devant un homme aussi docte.

- J'imagine que vous êtes là pour en savoir un peu plus sur tous ces assassinats. Que lui as-tu dit, Niccolò?

- Rien, j'ai préféré vous laisser le soin de faire la synthèse des événements.

Ficino montra un fauteuil à Savonarole. Annalisa et Machiavel s'installèrent un peu en retrait.

- La question qui nous préoccupe avant tout, commença Ficino, est de savoir dans quel camp vous vous situez. Nous avons cru comprendre que vous cherchiez quelque chose. Peut-être pourriez-vous nous dire ce dont il s'agit?

Savonarole ne s'attendait pas à une question aussi directe. Un embarras évident se lisait sur ses traits. Il réfléchit aux conséquences de sa réponse, puis opta pour la sincérité:

- Il y a environ deux mois, un homme de Malatesta a surpris par hasard une conversation de Saint-Malo. Le cardinal disait que mes prises de position contre la France et l'Église romaine embarrassaient beaucoup son souverain. Ce dernier pense que je suis un obstacle à l'implantation durable de la France en Italie. Il a donc chargé son ambassadeur de mettre un terme à mon action. À son tour, le cardinal a délégué cette tâche à son interlocuteur, mais l'espion n'a pas réussi à l'identifier. Il a juste entendu Saint-Malo l'appeler "Princeps".

- Princeps... Le prince?

- J'ignore ce que signifie ce surnom. J'imagine que le choix du latin doit être symbolique.

- Mais pourquoi Malatesta vous a-t-il averti? Vous n'avez jamais clamé votre soutien à Soderini, bien au contraire.

- Comme Soderini et Malatesta n'ont aucune envie de voir croître l'influence des Français dans la cité, ils ont décidé de m'aider malgré nos divergences politiques. Ils sont toutefois contraints d'agir dans les limites de ce qui est tolérable aux yeux de nos concitoyens, c'est-à-dire discrètement et à mots couverts.

- Pourquoi ne veulent-ils pas vous appuyer officiellement? l'interrogea Annalisa.

- Soderini est dans une situation délicate. Il est contesté de toutes parts. Pour conserver le pouvoir, il doit jouer la carte de la neutralité. Si les choses tournent mal pour moi, il pourra toujours affirmer qu'il ignorait tout de l'affaire. Voilà, je vous ai tout dit. À vous maintenant...

D'une voix feutrée, comme s'il voulait éviter que d'autres puissent entendre ses mots, le vieillard fit à son tour part de leurs découvertes.

- Si je comprends bien, il ne vous reste plus qu'à mettre la main sur cette prostituée pour dénouer les fils de l'écheveau?

- C'est également la conclusion à laquelle nous sommes arrivés. À condition qu'elle soit encore en vie.

- Si elle était morte, vos adversaires ne se donneraient pas tant de mal pour vous éliminer de la course. Ils sont eux aussi à sa recherche.

- Que devrons-nous faire lorsque nous aurons déniché Boccadoro? demanda Machiavel.

- Il faut absolument découvrir l'identité du traître à la solde de Saint-Malo, répondit le moine. Nous avons également besoin d'une preuve tangible de l'implication du cardinal dans l'affaire, sinon Soderini refusera d'intervenir.

- Savez-vous combien de temps il nous reste avant qu'ils ne referment leur piège sur vous?

- Non, mais il faut faire vite. Je sens leur étau se resserrer de plus en plus. C'est une question de semaines, voire de jours. On a déjà commencé à brûler mes livres à Rome. J'ai bien peur que mon destin ne suive de très peu celui de mes écrits. Je me moque de ce qui m'attend, mais je refuse que mon combat s'éteigne avec moi.

- Vous voyez peut-être votre situation de manière plus dramatique qu'elle ne l'est vraiment, déclara Annalisa. La cathédrale Santa Maria del Fiore est remplie de fidèles à chacun de vos sermons. Ils ne laisseront pas vos ennemis vous vaincre.

- Les Florentins sont un peuple versatile, ma fille. Sans parler de leur fâcheuse propension à toujours se placer du côté du vainqueur. Au premier signe de faiblesse de ma part, mes partisans se compteront sur les doigts d'une seule main.

Savonarole secoua tristement la tête et murmura d'une voix morose:

- Je n'ai plus guère le choix, je dois me fier à vous. Alors je vous en prie: trouvez cette preuve et amenez-la-moi.

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