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La porte s'ouvrit brutalement. Soderini et Malatesta firent irruption sur la terrasse, escortés par deux soldats.

- Que s'est-il passé? demanda le gonfalonier. Machiavel tenait toujours les mains du mort dans les

siennes. Des larmes coulaient sur ses joues maculées du sang de son ami.

- Il... il a tué Ciccio! articula-t-il en désignant Saint-Malo. Et puis il a poussé Malegonnelle. Je n'ai pas pu l'en empêcher. J'ai seulement réussi à l'assommer.

Malatesta observa le corps avachi du cardinal. Replié en position fœtale, le prélat gémissait faiblement. Le mercenaire lui donna un violent coup de pied dans les reins. Saint-Malo réagit à peine.

- Espèce de salaud! C'est ta faute, tout ça, hein? Il empoigna le cardinal par le col de son manteau et le redressa de force. Le prélat tenait à peine debout. Il tendit la main vers Soderini et essaya de se justifier. Sa mâchoire brisée l'en empêcha. Ses grognements furent emportés par le vent. Livide, il s'écroula à nouveau sur le sol.

- Il m'a tout avoué. Malegonnelle travaillait pour lui. Savonarole n'y était pour rien. Ce sont eux les seuls responsables!

Soderini se pencha sur le cadavre et retira la dague du ventre de l'adolescent.

- Tous ces morts, toutes ces horreurs... Était-ce vraiment nécessaire, Éminence? Y a-t-il une cause qui vaille cela? Pas celle de Dieu, en tout cas.

Sur un signe du gonfalonier, les gardes disparurent. Le cardinal jeta un regard apeuré autour de lui. Quelques sons maladroits s'échappèrent de sa bouche gonflée:

- Ambassadeur... impunité...

Soderini tendit l'arme à son homme de main.

- Il a raison, son statut le protège. Nous ne pouvons pas le condamner.

- Enfin, Excellence, ce chien mérite cent fois la mort!

- J'en suis bien convaincu, mais il est toujours notre hôte. Il ne nous incombe pas de lui infliger sa juste punition. J'imagine que son maître serait fort mécontent si nous tuions l'un de ses plus loyaux sujets.

Saint-Malo reprit quelques couleurs en entendant les mots du gonfalonier. Il se redressa avec difficulté et remit un peu d'ordre dans ses vêtements. D'un pas chancelant, il se dirigea vers la porte qui menait aux étages inférieurs.

Au moment où il posait la main sur le loquet, Soderini s'interposa:

- J'ai dit que nous ne pouvions pas vous tuer, non que vous deviez vivre.

- Mais...

- J'ai le regret de vous informer que ce traître de Malegonnelle vous a lâchement assassiné, Éminence. Il vous a frappé avec cette dague avant de se suicider. Le plus triste, dans l'histoire, c'est que vous avez survécu assez longtemps pour endurer d'atroces souffrances. C'est bien ce que tu as vu, Niccolò?

Machiavel hocha la tête. Ses yeux brillaient d'une lueur singulière.

- Et toi, Malatesta, ne le regrettes-tu pas déjà, ce prélat merveilleux qui a illuminé nos vies par son honnêteté et sa piété?

- Oh oui! Je l'ai malheureusement trop peu connu. Nous aurions pu si bien nous entendre, lui et moi! J'ai tellement de peine...

- Nous allons te laisser à ton recueillement. Viens avec moi, Niccolò, Malatesta a besoin d'être un peu seul.

Au moment de s'engager à son tour dans l'escalier, Machiavel se retourna une dernière fois. Il fixa le corps inerte de son ami, puis s'attarda sur celui du prélat qui gisait, prostré, aux pieds du mercenaire. Ses lèvres s'entrouvrirent, comme s'il voulait ajouter quelque chose. Il se contenta de pousser un long soupir et referma la porte.

Lorsqu'il se retrouva seul face à la mort, le cardinal de Saint-Malo poussa un terrible hurlement.

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