X

– Outre!


– Cornedieu!


– Tripes du pape!


Les trois jurons fusèrent en même temps et n’en firent qu’un. Les braves, cloués sur place par la fuite précipitée de leur chef, exhalaient ainsi leur dépit, leur regret, leur inquiétude. Car il y avait de tout cela dans leurs mines soucieuses.


Escargasse se secoua le premier et, levant ses grands bras au ciel, comme pour prendre les étoiles à témoin, il prononça énergiquement:


– Arrive qu’arrive, nous avons fait ce que nous avons pu et nous n’avons rien à nous reprocher!


Les autres approuvèrent en hochant gravement la tête. Mais il était visible qu’ils avaient un reste d’inquiétude.


– Zou! filons, décida brusquement Escargasse. Depuis le temps qu’il nous espère, le seigneur Concini doit se demander si nous ne l’avons pas abandonné.


Et ils partirent de leur pas souple et rapide, rasant les maisons, par habitude sans doute. Et tout en marchant, l’œil au guet, l’oreille attentive, ils se communiquaient leurs impressions à voix basse.


– J’ai dans l’idée que messire Jehan regrettera d’avoir refusé de nous entendre!


– Bah! tu vois toujours les choses en noir, toi Gringaille.


– Vé, il a raison le petit Carcagne! Voyons, Gringaille, réfléchis un peu, que diable! Il me semble que les donzelles ne manquent pas dans la rue de l’Arbre-Sec. Pour ma part j’en ai remarqué plus d’une qui, si elle voulait!…


– Je sais, Escargasse.


– Alors, tripes du pape! pourquoi serait-ce sur la donzelle de notre Jehan que le seigneur Concini aurait jeté les yeux? Pourquoi celle-là précisément et non une autre? Outre! ce serait un hasard tellement extraordinaire que, pour ma part, je ne peux y croire.


– C’est bien ce que je me dis aussi!… N’importe, je serais plus tranquille si on avait pu l’avertir.


– Puisqu’il n’a pas voulu nous écouter!…


– Au diable, après tout!… Nous verrons bien!…


– Avez-vous entendu notre Jehan? Une fille de roi, qu’il a dit.


– Tête et ventre! nous l’avons bien entendu! Nous ne sommes pas plus sourds que toi.


– Peste! il n’a pas peur de porter ses visées trop haut, notre Jehan!


– Que veux-tu insinuer par là, ribaud, mauvais garçon, bélître?


– Je veux…


– Une fille de roi, ce n’est pas trop pour messire Jehan! Le premier qui ose prétendre le contraire, je l’étripe, je lui arrache le cœur et le donne à manger aux pourceaux!


L’inévitable querelle allait éclater sans rime ni raison. Heureusement, ils revenaient dans la rue de l’Arbre-Sec, qu’ils avaient ordre de surveiller. Ce n’était plus le moment de plaisanter ni surtout de faire du tapage, et ils avaient cette honnêteté professionnelle qui consiste à accomplir consciencieusement la besogne payée.


En conséquence, les choses n’allèrent pas plus loin. Instantanément, ils se turent et furent tout à leur affaire.


Rapidement, glissant comme des ombres, ils explorèrent la rue d’un œil expert. Ils visitèrent de même le cul-de-sac Courbâton et s’arrêtèrent un bref instant devant la maison de Bertille.


L’impasse comme la rue avaient repris leur aspect paisible accoutumé. Tout paraissait tranquille, profondément endormi. Ils filèrent vers la rue Saint-Honoré et pénétrèrent dans la maison de Concini. Ils furent immédiatement introduits dans un cabinet de dimensions moyennes luxueusement meublé, et ils se trouvèrent en présence d’un homme, jeune, lequel, pour tromper son impatience, arpentait la pièce d’un pas nerveux.


*

* *

En sortant du petit retrait de la reine, Léonora Galigaï trouva son époux Concino Concini, qui attendait qu’on l’introduisît près de Marie de Médicis.


Concini était de taille moyenne, bien proportionnée. Il avait l’allure souple, dégagée, féline. Le front haut, les pommettes saillantes, la lèvre pourpre sous la moustache noire retroussée. Comme sa femme, ce qu’il avait de plus remarquable, c’était ses yeux: des yeux de braise, tour à tour fulgurants et doux, d’une douceur enveloppante, câline. La physionomie, extraordinairement mobile, prenait instantanément le masque qui lui convenait. L’orgueil éclatait dans sa manière de porter haut la tête, dans ses attitudes, dans ses gestes. Sous son costume d’une richesse inouïe, il était magnifique, réellement beau, d’une élégance suprême.


En le voyant, les yeux de Léonora prirent une expression de tendresse ardente et pendant tout le temps qu’il mit à traverser la vaste antichambre, elle le couva d’un long regard, toute vibrante de passion.


Lui, avait à peine jeté sur elle un regard distrait, et il s’approchait tortillant sa moustache d’un air préoccupé, dissimulant à peine une froide indifférence sous une politesse de parade.


Il s’inclina galamment devant elle, comme il eût fait devant une étrangère et, à voix basse:


– Léonora, dit-il, le jeune homme est arrivé au logis. Suivant la recommandation que vous m’avez faite, j’ai évité de me rencontrer avec lui et c’est moi qu’il attend…


Le sein de Léonora se souleva imperceptiblement, une rapide titillation des paupières, un soupir à peine ébauché trahirent seuls son émotion. Sa voix demeura très calme pour répondre:


– J’avais des raisons sérieuses pour qu’il en fût ainsi, Concino mio.


Dites-moi, comptez-vous me le garder longtemps ce bravo? J’avais justement besoin de lui aujourd’hui, moi.


Avec une froideur sinistre, accentuée par un sourire acéré, en appuyant ses paroles par un coup d’œil significatif, elle dit:


– Je crains fort que vous ne soyez obligé de vous passer désormais de ses services. Si vous ne le voyez pas demain, il est à présumer que vous ne le reverrez jamais plus! Vous serez débarrassé de ce bravo dont l’insolent orgueil vous pesait, je le sais!


La physionomie de Concini s’éclaira d’une sombre satisfaction, et avec un sourire qui découvrit des dents blanches qu’on eût dit prêtes à mordre:


Diavolo! fit-il, en baissant un peu plus la voix, quelle mission délicate lui avez-vous donc confiée, ma mère?


Léonora eut un furtif coup d’œil vers la porte du retrait, et du bout des lèvres, dans un murmure imperceptible:


– Elle s’est enfin décidée!… L’événement aura lieu ce soir!…


Concini devint très pâle. Machinalement, il passa sa main sur son front, où il sentait perler des gouttes glacées, et il jeta autour de lui un regard angoissé.


Ils étaient seuls dans l’antichambre. Caterina Salvagia, qui était dévouée corps et âme à sa maîtresse, Marie de Médicis, en vue précisément de ce rendez-vous de la reine et de son amant, veillait avec la vigilance d’un dragon à ce que nul n’approchât de la pièce qui précédait le retrait.


Léonora le savait. Mais elle savait aussi, par pratique personnelle, quel vaste réseau d’espionnage s’étendait sur le palais. Vivement, elle gronda:


– Tiens-toi, Concinetto!… Souris!… On nous observe peut-être. Déjà Concini s’était ressaisi, Il souriait, il prenait un air badin, comme s’il ne s’entretenait que de futilités, et cependant il murmurait:


– Et c’est ce Jehan le Brave qui est chargé?…


– Oui!… Et c’est en prévision de cet événement que je vous ai conseillé la patience quand, lassé des airs tranchants de cet aventurier, vous avez voulu vous séparer de lui.


– Je comprends!… Et vous ne craignez pas?…


– Je ne crains rien!… Mes mesures sont bien prises, croyez-le. Concini eut un geste qui signifiait qu’il s’en rapportait à elle. Léonora parut faire un effort pénible et enfin, douloureusement, comme à regret, d’une voix sèche, comme si les mots lui avaient écorché la langue en sortant:


– On vous attend!… Allez!… Faites en sorte de l’étourdir. Qu’elle ne revienne pas sur sa décision… qu’elle l’oublie, si c’est possible.


– Soyez tranquille! Je m’en charge!


Il avait dit cela sans fatuité, avec une naïve assurance. Et pourtant il y avait dans l’intonation comme une sorte de lassitude, d’ennui. On eût dit que cet entretien, que la reine attendait avec une impatience amoureuse, lui apparaissait, à lui, comme une corvée assommante.


Léonora le connaissait trop bien pour ne pas percevoir ces nuances, à peine perceptibles. Il semble que cette lassitude eût dû apaiser la jalousie qui la déchirait. Chose étrange, au contraire, elle l’inquiéta. Elle ne fit aucune observation cependant. Mais, tout en paraissant approuver doucement de la tête, elle le fouillait jusqu’à l’âme de son regard chaud et pénétrant. Elle dit simplement:


– Je couche au Louvre, ce soir. Je suis de service.


Une lueur de contentement passa comme un éclair dans la prunelle sombre de Concini. Elle la saisit au passage comme elle avait saisi l’intonation. Et cette fois encore, elle dissimula son impression avec une puissance de volonté remarquable. Très calme, elle continua:


– Peut-être serait-il bon que vous fussiez comme moi. Vous comprenez?


– Je ne suis pas de cet avis, fit-il vivement. Je pense, au contraire, qu’il est préférable qu’on sache que j’ai passé cette nuit chez moi… Et je m’arrangerai pour qu’on le sache.


Elle réfléchit une seconde, le sourcil froncé, et:


– Peut-être, en effet, avez-vous raison.


Concini laissa échapper un soupir de satisfaction.


Elle pensa:


– Il est content d’avoir sa nuit libre! Va, Concino, va!… Cours à ton rendez-vous galant!… Je saurai bien où tu es allé!…


Et tout haut:


– En tout cas, abstenez-vous de sortir ce soir…


Elle suspendit la phrase. Concini ne broncha pas. Elle acheva:


– Ou tout au moins, attendez jusqu’à… onze heures et demie, minuit… Oui, je pense que tout sera fini à minuit.


Et s’oubliant elle-même, avec une sollicitude inquiète qui eût touché tout autre que l’époux indifférent:


– Je crois avoir tout calculé, tout prévu… mais qui sait ce qu’un hasard malencontreux peut faire surgir?… Que nul ne puisse dire qu’il t’a vu par les rues de la ville entre… neuf heures et minuit. Crois-moi, Concinetto, reste chez toi… durant ces trois heures… Nous jouons nos têtes, Concino… Ne l’oublie pas!


Avec une docilité et une douceur inaccoutumées, il assura:


– Je ne bougerai pas du logis, de toute la nuit… je te le promets, Léonora.


Elle tressaillit. Elle sentit une bouffée de sang aviver le rouge qui fardait ses joues. En elle-même, elle songea, désespérée:


– Il ira… Il ira, mais pas avant minuit… J’ai le temps!… Et d’une voix qui tremblait un peu, elle dit doucement:


– Va, Concino… Ne la fais pas attendre plus longtemps.


Cette fois, une ride imperceptible passa comme une ombre fugitive sur le front de Concini. Sa main, qui caressait sa moustache d’un geste machinal, retomba mollement; une légère contraction de la bouche marqua sa contrariété. Ce fut d’ailleurs extrêmement rapide, insaisissable… pour tout autre que la femme jalouse qui l’épiait ardemment. Comédien consommé, il prit à l’instant le masque de la passion. Et pirouettant sur ses talons avec une grâce juvénile, après un geste d’adieu à sa compagne, il s’éloigna en fredonnant une chanson d’amour d’un air conquérant, le teint animé, l’œil noyé de langueur, vif, léger, merveilleusement jeune et débordant d’impatience amoureuse.


Léonora le suivit d’un long regard chargé de passion – bien sincère, celle-là, – et, maintenant qu’il n’était plus là pour le voir, elle montrait un visage ravagé par la douleur et les affres de la jalousie.


Quand la porte du petit retrait se fut fermée sur Concini, elle parut se réveiller. Elle secoua la tête d’un air sombre et reprenant, elle aussi, son masque d’indifférence, elle partit d’un pas ferme. Mais, sous son calme apparent, elle sanglotait dans son esprit révolté:


– Concino est amoureux!… Et je ne m’en étais pas aperçue!… Je n’ai rien vu, rien remarqué!… Ai-je donc été aveugle? Se peut-il qu’il m’ait jouée à ce point, moi?… Mais non, je m’affole… je le connais bien, voyons!… Ceci, c’est certain, est tout récent!… Caprice ou passion? Qui peut savoir avec une nature ardente comme la sienne. En tout cas, caprice ou passion, ceci peut être mortel… ceci est à enrayer coûte que coûte. N’est-ce pas une malédiction que Concino aille s’amouracher sottement à l’heure précisément où Maria va se trouver libre, à l’heure où, régente, elle sera la maîtresse absolue de ce magnifique royaume!… à l’heure, par conséquent, où nous avons besoin d’être entièrement à elle, pour la diriger dans des voies… propices à nos intérêts!… Et elle? Qui est-ce?… Qui?… Pas une femme de la cour assurément, j’aurais déjà éventé l’intrigue! Alors, qui?… Oh! celle-là, malheur! malheur à elle!… Cristo santo! il m’en coûte déjà trop de supporter Maria, je n’en tolérerai pas une autre!… Ce soir, Concinetto mio, va la voir, va!… Demain je saurai qui elle est, comment elle s’appelle, où elle demeure… et alors, nous réglerons nos comptes!


Laissons la Galigaï s’acheminer vers son logis et lancer Jehan le Brave sur Henri IV. On a vu, d’autre part, que si elle avait admirablement réussi à surexciter la fureur jalouse du jeune homme, elle avait lamentablement échoué dans la partie la plus essentielle du plan machiavélique qu’elle avait conçu: le meurtre du roi! Il est vrai qu’il n’avait tenu qu’à un geste accompli à temps par le chevalier de Pardaillan. Mais il n’en faut pas plus pour renverser les combinaisons les mieux échafaudées.


Laissons-la prendre ses dispositions pour découvrir la passion récente de son époux, laissons-la machiner des plans de vengeance atroce contre cette rivale inconnue, qui surgissait malencontreusement à une heure si critique, et revenons à Concini.


Il comprenait très bien combien la situation était tragique et que le moindre faux pas de sa part entraînerait inévitablement la mort dans les plus effroyables tortures.


Il comprenait que tant que l’irréparable, c’est-à-dire la mort du roi, ne serait pas accompli, tant que cet irréparable ne serait pas officiellement liquidé par l’arrestation, le jugement, la condamnation et l’exécution du meurtrier, c’est-à-dire celui qui avait assumé la terrible responsabilité du geste visible, sa tête, à lui Concini qui avait armé le bras du meurtrier, ne tiendrait qu’à un fil.


Il comprenait enfin qu’il était tout entier dans la main de cette femme, auprès de qui il allait jouer la comédie de la passion, qu’il allait enlacer de ses bras robustes et que, selon qu’il aurait réussi à la convaincre ou non, elle pouvait d’un mot, d’un geste, à son gré, l’élever jusqu’aux plus inaccessibles sommets ou le précipiter au fond de l’abîme béant devant lui.


Oui, fortune, honneurs, gloire, puissance et la vie même, tout cela dépendait de l’attitude qu’il aurait durant l’heure qui s’ouvrait. Une seconde de distraction et il était perdu.


Assez audacieux pour avoir osé engager la partie, il avait trop de souplesse et d’astuce pour ne pas chercher à la diriger à son avantage, trop d’ambition pour, la gagnant en trichant effrontément, ne pas s’efforcer d’en tirer tout le profit possible.


Il joua son rôle en comédien génial. Il n’eut pas une défaillance, pas un oubli. Il fut tour à tour tendre et fougueux, violent et timide, mélancolique et enjoué, avec un tact admirable.


Il eut même ce bonheur extravagant d’être servi par l’impatience et l’énervement qui le rongeaient. Il eut, en effet, quelques accès, pendant lesquels on eût pu assez justement croire qu’il cherchait à étouffer, à déchirer cette femme que, tout en balbutiant des mots d’amour, il maudissait au fond de son cœur, en l’envoyant à tous les diables. Et ces manifestations d’une rage impuissante, elle les prit pour les emportements furieux d’une passion poussée jusqu’au délire.


Le tête-à-tête amoureux dura un peu plus d’une heure. Une heure qui lui parut, à lui, longue comme une éternité, à elle, brève comme une minute de rêve, d’inoubliables délices. Il la laissa brisée, meurtrie, mais heureuse, charmée, conquise.


Et délivré de l’abominable contrainte, joyeux de se sentir libre de ses actes et de ses pensées, il s’en fut droit à son logis de la rue Saint-Honoré. Il jouait de bonheur: Léonora était retournée au Louvre; il avait les coudées franches. Il fit appeler nos trois braves, et s’enfermant avec eux dans son cabinet, il leur donna des instructions minutieuses et précises.


Que voulait-il au juste? Voici:


Henri IV, dans ses aventures galantes, ne savait pas se passer de confidents. En dehors de La Varenne, homme à tout faire qui ne comptait pas, il avait une demi-douzaine d’intimes à qui il fallait absolument qu’il racontât ses espoirs et ses déceptions, ses joies et ses tristesses. Naturellement, chacun de ces intimes avait de son côté quelques intimes à qui il confiait, sous le sceau du secret, tout ce qu’un intérêt direct ne lui commandait pas de tenir secret. Autour de ce noyau, déjà assez considérable, gravitait la foule des intrigants qui se faufilaient, cherchant à surprendre un renseignement utile. Ajoutez la multitude des espions, hommes et femmes, qui, pour le compte des uns et des autres, épiaient, écoutaient, voyaient, devinaient et rapportaient tout, ou à peu près. Brochant sur le tout, et dans des circonstances graves, les ministres eux-mêmes entraient en branle et discutaient aussi gravement que s’il s’était agi des affaires de l’État.


Lorsque le roi s’était épris de Bertille, l’inévitable s’était produit. C’est-à-dire qu’il avait raconté sa passion naissante à ses intimes.


Ceux-ci s’étaient précipités rue de l’Arbre-Sec, dans l’espoir d’entrer en contact avec la belle et de faire leur cour à celle qui pouvait devenir une favorite, dispensatrice de charges et de faveurs. Nous avons dit qu’ils en avaient été pour leurs frais. Ils avaient pu entrevoir la demoiselle Bertille, comme on l’appelait, mais non l’aborder. Quelques-uns cependant s’étaient enthousiasmés de cette beauté.


Concini n’était pas des privilégiés qui jouissaient de la confiance royale. Par contre, il était de ceux qui disposaient d’un service de renseignements parfaitement et aussi complètement renseigné que les mieux renseignés des premiers confidents.


Il fit ce qu’avaient fait les autres: il s’en alla rôder rue de l’Arbre-Sec. Il vit Bertille à sa fenêtre, et ce fut le coup de foudre. Tout de suite, il la désira fougueusement et se jura qu’elle serait à lui, quoi qu’il pût en résulter.


Sur ces entrefaites, Léonora était venue lui dire que, le soir même, le roi serait tué. Le roi mort, son règne, à lui Concini, commençait, sous le couvert de Marie de Médicis. Dès lors, il n’avait plus à se gêner. Et comme il était excessif en tout, comme sa passion nouvelle était probablement sensuelle et brutale, il résolut d’enlever la jeune fille le soir même.


Il envoya Escargasse, Carcagne et Gringaille rue de l’Arbre-Sec, avec ordre de préparer l’enlèvement et de surveiller la maison qu’il leur indiquait. Il n’oubliait pas que le roi devait être occis devant la maison, et il tenait à être renseigné au plus tôt sur ce qui se serait passé. C’est ce qui fait qu’il déclara à ses séides que l’enlèvement ne pouvait être tenté que passé minuit, mais que de dix heures à minuit, il ne fallait pas perdre la maison de vue un seul instant. Cette heure passée, ils devaient venir lui rendre compte au logis, où il les attendrait.


Il savait qu’il pouvait compter sur leur adresse. Il ne doutait pas qu’ils lui rapporteraient jusqu’aux plus petits détails de cette mémorable soirée dont ils ignoraient les dessous tragiques. Quant à lui, d’après ce qu’ils diraient, il verrait s’il devait donner suite à son projet d’enlèvement ou s’abstenir.

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