XI

Il était près d’une heure du matin lorsque les trois braves furent introduits dans le cabinet de Concini.


Il y avait plus d’une heure que celui-ci ne vivait plus, dévoré par l’angoisse et l’incertitude.


Les trois compères naturellement étaient à mille lieues de soupçonner les raisons capitales qu’il avait d’être inquiet. Pour eux, il s’agissait d’un enlèvement, chose très banale, en somme. Cet enlèvement, ils l’avaient préparé consciencieusement; ils pensaient que c’était l’essentiel et croyaient avoir accompli scrupuleusement leur mission.


Mais comme ils connaissaient le caractère violent de leur maître, ils s’étaient rapidement concertés et avaient décidé de passer la parole à Escargasse, dont ils connaissaient bien la faconde et la fertile imagination, les deux autres se contentant d’appuyer énergiquement tout ce que dirait le Provençal.


Il convient de dire ici qu’ils étaient arrivés aux environs du logis de Bertille au moment où le capitaine de Praslin s’expliquait avec Pardaillan et La Varenne.


De loin ils avaient reconnu tout de suite l’uniforme des gardes. Ils avaient immédiatement compris qu’il ne serait pas délicat d’écouter une conversation qui ne les regardait pas et ils s’étaient empressés de mettre discrètement le plus grand espace possible entre ces uniformes et eux. Ils avaient bien entendu un ou deux noms, surpris quelques paroles par-ci par-là, mais ils se promettaient de les oublier.


Nouvelle alerte. Les archers étaient apparus derrière eux. Obéissant au même sentiment de discrétion honorable, ils s’étaient terrés comme ils avaient pu. À la lueur des torches, ils avaient vu la rue envahie par les sergents, ils avaient reconnu le grand prévôt lui-même sur son cheval. À cette vue, ils avaient senti leur discrétion s’enfler encore, déborder de tous côtés, ils avaient compris qu’ils étaient trop exposés… à commettre le péché de curiosité et ils avaient filé, comme des flèches, jusqu’à la Croix-du -Trahoir.


En sorte que, des graves événements que leur patron Concini avait un intérêt capital à connaître à fond, ils ne savaient rien, si ce n’est quelques mots vagues surpris involontairement, des rumeurs assourdies par la distance et, leur avait-il semblé, comme un bruit de lutte. Et Concini les avait envoyés dans l’espoir d’être renseigné par eux.


La petite rue redevenue obscure, déserte, silencieuse, endormie, ils étaient sortis de leur trou et s’étaient approchés de la maison qu’ils devaient surveiller.


Nouvelle déconvenue. Trois ombres déambulaient en bavardant aussi paisiblement que si le soleil, là-haut, avait brillé dans tout son éclat, à la place de la lune qui, précisément en ce moment, cachait sa face bouffie sous le masque d’un nuage. C’était une outrecuidance impardonnable.


En outre, ces trois ombres passaient et repassaient devant cette maison qu’ils devaient surveiller. Est-ce que ces trois ombres, par hasard, avaient l’intention d’effectuer la même surveillance qu’eux? Ceci était une prétention intolérable. D’autant que la présence de ces indiscrets pouvait gêner l’expédition projetée par le seigneur Concini.


Ces trois ombres ne portaient pas le costume des gardes, ni celui des archers. Elles avaient tournure de gentilshommes. De plus, ces gentilshommes étaient en nombre égal au leur… chacun son homme. Ils avaient résolu de tomber à l’improviste sur les trois bavards nocturnes et de leur infliger une solide correction à seule fin de leur apprendre à ne pas troubler le sommeil des honnêtes bourgeois endormis.


En agissant ainsi, ils rentraient dans leur mission, passablement négligée jusque-là. Ils rendaient service à leur maître qui saurait la reconnaître par quelque largesse… ils l’espéraient du moins. Sans compter que les trois bavards avaient toute l’apparence de gens dont la bourse est convenablement garnie et qu’ils n’iraient pas, après les avoir mis à mal, faire la sottise de laisser sur eux bijoux et argent et autres bagatelles susceptibles d’exciter la cupidité de messieurs les tire-laine, détrousseurs de nuit et autres gens de sac et de corde.


On a vu que l’intervention de Jehan le Brave avait réduit à néant cet honnête projet.


En les voyant entrer, Concini avait poussé un soupir de soulagement. Enfin, il allait savoir! Il arrêta net sa promenade et vint se placer debout devant une grande table encombrée de paperasses, qui lui servait de bureau.


Les trois braves vinrent s’arrêter au bord de la table, devant lui, et ensemble ils se courbèrent dans une pose de respect outré, quelque peu ironique.


Concini les fouilla de son œil fulgurant, comme s’il avait voulu déchiffrer tout de suite sur leurs physionomies rusées les nouvelles qu’ils apportaient. Et la voix rude, l’air courroucé:


– Ah! ça! drôles, gronda-t-il, savez-vous que voilà une heure, bientôt, que je me morfonds à vous attendre!


– Ah! péchère, monseigneur, fit Escargasse, hypocritement apitoyé, nous nous en sommes fait du mauvais sang, allez! C’est bien ce que nous disions: ce pauvre monseigneur qui se morfond à nous attendre!… Pas vrai, Gringaille, que nous nous le sommes dit?… Mais voilà, il n’y avait pas moyen de passer… Nous avons bien cru un moment que nous ne pourrions jamais arriver jusqu’à vous.


De ce flux de paroles inutiles, Concini n’avait retenu que ces mots: il n’y avait pas moyen de passer. En les entendant, il n’avait pu réprimer un léger tressaillement. Et dans son esprit délirant de joie, il rugit:


– C’est fait! En effet, si ses hommes n’avaient pu passer, c’est qu’un événement considérable s’était produit. Et quel autre événement que celui préparé par Léonora? Mais le roi était-il mort ou simplement blessé? Il fallait maintenant arracher adroitement la vérité à ces brutes sans leur laisser soupçonner qu’il savait d’avance sinon le détail du moins le principal de ce qu’ils étaient censés lui apprendre. Pour un comédien de sa force, ce n’était là qu’un jeu.


D’un air las, il tira un fauteuil à lui, se laissa tomber nonchalamment, croisa la jambe, prit un petit poignard qui traînait sur la table, se mit à jouer machinalement avec et d’un air d’indifférence admirablement joué, d’une voix qui se fit sèche, tranchante:


– Notez bien ceci: dès maintenant vous ne faites plus partie de ma maison… si les explications que vous allez me donner ne me satisfont pas. Et maintenant, j’écoute. Que vous est-il donc arrivé de si extraordinaire?


La menace leur produisit l’effet d’un coup de trique sur la nuque. Ils plièrent les épaules et se regardèrent consternés. Au demeurant, la place était bonne, la besogne pas pénible, le maître généreux, c’était une place de cocagne comme ils n’en retrouveraient jamais. Escargasse, qui avait assumé la responsabilité des explications à fournir, se raidit et:


– Extraordinaire! monseigneur, vous avez dit le mot. Ce qui nous a retenus est extraordinaire; mieux, monseigneur, effrayant, terrible, épouvantable… On en parlera longtemps à la ville et à la cour.


Avez-vous remarqué, lecteur, que le menteur qui improvise une fable a absolument besoin d’être aidé pour venir à bout d’étayer son mensonge d’une manière plausible? Écoutez-le froidement, sans un mot, sans la plus petite interruption, il pataugera lamentablement. Il n’arrivera pas à persuader le plus naïf, le plus crédule des auditeurs.


Si, au contraire, vous discutez avec lui, si vous vous animez, si vous parlez, si vous posez des questions, vous lui tendez la perche secourable qui va le tirer d’embarras, les mots que vous prononcerez vont faire jaillir spontanément les idées de son cerveau. Une sorte d’instinct spécial lui fera deviner dans quel sens il doit s’orienter pour vous convaincre et c’est vous même qui lui aurez, sans le savoir, indiqué la bonne voie.


Nous ne voulons pas dire qu’Escargasse connaissait la particularité que nous signalons. Il subissait son influence sans s’en rendre compte. Concini ayant prononcé le mot: «extraordinaire», il l’avait ramassé et il l’amplifiait de son mieux. Mais on remarquera qu’il ne donnait aucune explication. Il étourdissait son interlocuteur par un débordement de mots sans signification. Et cependant, il le guignait du coin de l’œil, il tâchait de lire dans ses yeux, il espérait, il appelait de tous ses vœux l’interruption qui lui permettrait de souffler d’abord, qui lui indiquerait ensuite dans quelle direction Concini lui-même voulait le voir s’engager pour être persuadé. Et Concini lui tendit la perche en disant d’un air sceptique:


– Oh! pour émouvoir la ville et la cour au point que vous dites, il faudrait… une catastrophe effroyable. Et quant à vous, pour vous empêcher de passer alors que vous savez que j’attends et qu’il y va de votre place, je ne vois guère… ma foi oui, qu’un nombre suffisant d’archers ou de sergents à boulaies [6].


Concini avait daigné sourire en faisant cette plaisanterie. Les trois renchérirent en riant bruyamment et Escargasse, la bouche fendue jusqu’aux oreilles, flagorna bassement:


– Vé! il n’y a pas de charme à faire un rapport à monseigneur… il devine tout.


Mais ces mots: catastrophe, archers, sergents, avaient déclenché le ressort de l’imagination. Maintenant il tenait le canevas de son histoire et quant aux détails, ils lui viendraient naturellement en parlant. Il se hâta de conter:


– Au vrai, monseigneur, la rue a été envahie par une centaine d’archers avec monsieur de Neuvy à leur tête. Nous nous sommes trouvés pris au milieu avec impossibilité de passer, attendu que les archers barraient le passage du côté du Trahoir, d’autres le barraient du côté de la Seine, et qu’ils étaient si nombreux, en rangs si pressés, que je vous jure qu’une anguille n’aurait pu glisser entre eux. Sans compter qu’il y avait encore les gardes et M. de Praslin, et M. de La Varenne, et d’autres encore. Tout ce monde paraissait affolé, menait grand bruit, avec force trouble et confusion, si bien qu’on eût pu se croire revenu aux grands jours de la Ligue. Ce que nous avions de mieux à faire, ne pouvant nous faufiler à la douce, était de nous tenir cois, d’éviter d’être découverts, parce que le moins qui eût pu nous arriver était d’être immédiatement saisis et jetés dans quelque cachot d’où nous ne serions pas sortis vivants. Vous voyez que, si nous vous avons fait attendre, il n’y a vraiment pas de notre faute.


Dans ce récit, débité avec une grande volubilité, ponctué par une avalanche de gestes frénétiques, il avait utilisé la vérité en l’arrangeant à sa manière, pour les besoins de sa cause. Son unique préoccupation était de prouver que ce malheureux retard, pour lequel on les menaçait de les chasser, ne provenait pas de leur fait. Naïvement, il se figurait que c’était la seule chose qui intéressait Concini. Il espérait l’avoir convaincu et en avoir fini avec cette histoire.


Malheureusement, il se trompait. Concini n’y pensait même plus, à ce retard. Sous son apparente indifférence, il avait écouté avec une attention passionnée. Ce déploiement de forces, extraordinaire à pareille heure, qu’on lui signalait, lui paraissait la preuve certaine que l’attentat avait été commis… ou éventé. C’est ce qu’il fallait savoir en arrachant les détails par des questions détournées. Il accentua son air d’incrédulité pour dire:


– Quel conte me fais-tu là, coquin? Une centaine d’archers, dis-tu? Neuvy, Praslin et ses soldats!… Il y a donc eu émeute… bataille?


– S’il y a eu bataille!… Vé, dites, vous autres!… Monseigneur qui demande s’il y a eu bataille!… Mais, Monseigneur, nous avons vu emporter des… blessés (il allait dire des morts). Même que nous en avons compté… Combien en avons-nous compté, Gringaille? Dis-le, va… n’aie pas peur.


À tout hasard, Gringaille, laconiquement, lança:


– Six!


– Vous l’entendez, monseigneur? triompha Escargasse. Six blessés, qu’il a comptés, Gringaille.


Concini réfléchissait:


«Puisqu’il y a des blessés, il y a eu lutte… Donc le coup a été tenté. Je vois à peu près comment les choses ont dû se passer: le roi était accompagné, puisque ce drôle a cité La Varenne, Jehan le Brave a dû frapper et les autres lui sont tombés dessus. Mais c’est un rude sanglier, et il en a décousu plus d’un… Pour ce qui est des archers et des gardes, je pense que c’est Léonora qui s’est arrangée de manière à les faire intervenir… trop tard. Mais le roi a-t-il été frappé?… Est-il mort?… est-il blessé?… ou s’en est-il tiré comme les autres fois?»


Les trois braves respectaient sa méditation et ils se communiquaient leurs impressions par des clins d’yeux expressifs. L’importance exorbitante que leur maître paraissait attacher à un malheureux retard de rien les enrageait et les impatientait. Mais ils avaient mis dans leur tête qu’ils le «rouleraient», et, l’amour-propre s’en mêlant, ils tenaient bon. Ce n’était pas toutefois sans envoyer intérieurement le Concini à tous les diables.


Celui-ci cependant haussait les épaules d’un air de dédaigneuse pitié et reprenait:


– Je crois, mes braves, que la peur d’être arrêtés vous a troublé la vue et que vous exagérez l’importance des événements. S’il y avait eu émeute, j’en serais informé, que diable! Je crois que votre soi-disant bataille se réduit, plus simplement, à quelque bagarre, comme on en voit souvent… Peut-être quelque tentative de meurtre… quelque assassinat, que sais-je?


Sans s’en apercevoir, il avait baissé la voix. Escargasse, qui craignait de s’être trop avancé, fit instinctivement de même pour répondre d’un air évasif:


– Heu! vous savez, meurtre, bataille, assassinat, tout cela se tient… c’est tout un ou à peu près.


Il était quelque peu ahuri et cruellement embarrassé, le pauvre diable. Et pour dissimuler ses impressions, il se donnait des airs entendus, vaguement mystérieux et inquiets. Naturellement, ses deux compères modelaient leur physionomie sur la sienne. Si bien que Concini se disait:


«Les drôles en savent beaucoup plus qu’ils ne veulent dire. Peut-être craignent-ils d’être compromis. Corbacco! il faut pourtant que je sache!»


Et tout haut:


– Alors, c’est bien d’un assassinat qu’il s’agit?… Et la victime?… Voyons, parle sans crainte. La victime est-elle morte ou simplement blessée?


– Je ne peux pas vous dire au juste, monseigneur. Vous comprenez, dans des algarades de ce genre, de pauvres diables comme nous, entourés de soldats et d’archers, ont tout à perdre et rien à gagner. Nous nous sommes tapis prudemment pour qu’on ne nous vît pas, ce qui fait que nous-mêmes nous voyions très mal. D’autant que tout le monde allait, courait, criait, se démenait, que c’était merveille. Cependant…


– Cependant? haleta Concini.


– Je crois avoir entendu des gens crier: «Quel malheur! C’est un irréparable malheur!»


«Il est mort! hurla Concini dans son esprit. Ah! maintenant je suis le maître!… Enfin!…»


Cependant, pas un muscle de son visage ne bougea. Il souriait toujours d’un sourire un peu railleur, il jouait toujours distraitement avec le petit poignard. Et du même air indifférent:


Peccato!… dit-il. Mais j’y songe, pour soulever une telle émotion, il faut que le malheureux qui a été ainsi meurtri soit un personnage… un grand personnage même… Qui diable est-ce?… Vous ne l’avez pas vu un peu, si peu que ce soit?… Je vous demande cela parce que je réfléchis qu’après tout c’est peut-être un de mes amis.


Et il fixait sur eux un œil scrutateur.


Escargasse, excédé et d’ailleurs aux abois, songeait:


«Que la fièvre te mange, ruffian d’Italie!… Un nom!… Crois-tu que je vais te donner un nom? Et demain tu t’apercevras que j’ai menti et tu me chasseras… sans compter que tu serais bien capable… Eh vé! quelle idée!… Outre! je vais lui dire que c’est le roi qui a été meurtri!… On prétend qu’il est au mieux avec son épouse, madame la reine, ça lui fera plaisir au Concini. Seulement, minute, espère un peu, je vais lui arranger cela à une de ces sauces que le diable lui-même ne pourrait démêler de quels ingrédients elle se compose.»


Et prenant une mine lugubre, jetant autour de lui des regards inquiets, avec un tremblement dans la voix, toutes les apparences d’une douleur profonde et sincère:


– Monseigneur, dit-il, nous ne pouvions pas très bien voir… je vous l’ai dit. Cependant je pense comme vous: c’était un grand… un illustre personnage. Quelqu’un placé haut, très haut… plus haut encore…


– Bon! songea Concini, on ne peut pas être plus clair. Je pensais bien que les drôles en savaient plus qu’ils n’en disaient.


Et tout haut, prenant lui aussi une mine de circonstance:


– Peste!… Qui te fait supposer?


– Pour les raisons que vous avez données vous-même, d’abord. Ensuite parce que pour loger au Louvre il faut être, je pense, un grand personnage.


– La victime logeait donc au Louvre?


– Il faut croire, puisque on a donné l’ordre d’y transporter le corps. Ce n’est pas tout. Quelqu’un a dit sur un ton qui nous a fait passer le frisson de la petite mort dans le dos: «Silence sur tout ceci. Celui qui ne saura pas garder sa langue court le risque d’être roué vif». Vous comprenez que pour nous décider à parler, il a fallu l’insistance de monseigneur. La perspective d’être roués vifs ne nous sourit guère.


– Soyez tranquilles, assura Concini, nul ne saura. Et d’ailleurs, je vous couvre.


En lui-même, il songeait:


«Allons, le doute n’est plus possible. Il s’agit bien du roi dont on veut garder la mort secrète jusqu’à ce qu’on ait pris les mesures que comporte la situation. Maria elle-même ignore encore l’événement à l’heure actuelle. Sans quoi elle m’eût envoyé chercher. Demain matin, sans doute, on lui apprendra la triste nouvelle avec tous les ménagements d’usage. Je serai là. Jusque-là, je puis disposer de mon temps et de ma personne à mon gré.»


Escargasse, de son côté, se disait:


«Cherche maintenant quel est le personnage qu’on a transporté cette nuit au Louvre. Si tu trouves, c’est qu’il existe réellement, et alors, outre! je serai bien étonné. Si tu ne trouves pas, c’est qu’apparemment, nul ne se soucie d’être roué vif. Et à présent, j’espère que c’en est fini de cet interrogatoire assommant.»


Escargasse se trompait, il n’en avait pas encore fini. Brusquement, Concini s’exclama:


– Et lui?


– Qui, lui? sursauta Escargasse.


– Eh mais!… l’assassin!


– L’assassin? s’étrangla Escargasse. Oh! diable! l’assassin!… où avais-je la tête?… L’assassin, pauvre bougre, son compte est bon, à celui-là!


– Ne l’a-t-on pas arrêté? s’inquiéta Concini.


– Je comprends!… Arrêté, enchaîné, enfermé, promptement, sûrement, proprement, je vous en réponds.


Concini se rasséréna. Mais, alors, il s’étonna: au fait, l’assassin, ils le connaissaient bien, puisqu’il était leur chef direct! D’où venait l’indifférence qu’ils manifestaient à son égard? Ne l’avaient-ils pas vu et reconnu? Ou bien, jaloux, se réjouissaient-ils de son sort? La question n’avait pas grande importance. Il était curieux de l’élucider pourtant, attendu qu’il est utile de connaître le caractère et les sentiments de ceux qu’on emploie.


– Vous l’avez vu, l’assassin? demanda-t-il en les fixant attentivement.


– Vaguement, pendant qu’on l’emportait… Dans l’état où on l’avait mis, il eût été bien empêché de marcher.


– Ah! fit Concini avec une satisfaction féroce, on l’a quelque peu maltraité?


– Maltraité! péchère!… C’est-à-dire qu’on l’a déchiré, assommé, roué de coups… Ce n’était plus une créature humaine, c’était une loque sanglante.


Cette fois, Concini était fixé. Il ne posa plus de questions. Il demeura un moment silencieux, tourmentant d’un geste machinal le manche du mignon petit poignard avec lequel il n’avait cessé de jouer, réfléchissant profondément, sans que son visage impassible décelât la nature de ses réflexions.

Загрузка...