La cour est dans le marasme. Le roi ne dort plus… Le roi ne mange plus… Le roi, si débordant de vie, ne traite plus les affaires de l’État avec ses ministres. Il fuit la société de ses intimes, il s’enferme des heures durant dans sa petite chambre à coucher du premier…
Le roi est malade: de qui est-il donc amoureux?
Voilà ce que disent les courtisans ordinaires.
Voici maintenant ce que savent et gardent pour eux cinq ou six intimes de Sa Majesté:
Le roi a vu une jeune fille de seize ans à peine. Et il a éprouvé le coup de foudre.
Comme toujours, chez lui, ce nouvel amour a altéré son humeur et sa santé. D’autant plus profondément que, chose inouïe, et qui prouve combien cette fois-ci il est bien assassiné d’amour, lui, si entreprenant et si expéditif en pareille occurrence, devenu plus timide que le plus timide des jouvenceaux, il n’a pas osé «déclarer sa flamme».
Et tous les soirs, sous des déguisements divers, le roi s’en va rue de l’Arbre-Sec soupirer sous le balcon de sa belle…
Les confidents du roi se sont empressés d’aller rôder autour du logis de celle qui peut devenir la grande favorite…
Tout ce qu’ils ont appris, c’est que la jeune fille est couramment désignée sous le nom de «demoiselle Bertille». Demoiselle Bertille ne sort jamais, si ce n’est le dimanche, pour aller assister à la messe à la chapelle des Cinq-Plaies. Alors elle est accompagnée par sa propriétaire, respectable matrone qui répond au nom de dame Colline Colle. Quelques-uns cependant ont pu apercevoir demoiselle Bertille. Ceux-là sont revenus enthousiasmés de son idéale beauté.
L’après-midi de ce jour où se sont déroulés les différents incidents que nous venons de narrer, le roi était dans sa petite chambre. Il était assis sur sa chaise basse, et du bout des doigts il tambourinait machinalement sur l’étui de ces lunettes. De temps en temps, il poussait un soupir lamentable et gémissait:
– Que fait donc La Varenne?
Et il reprenait le cours de ses pensées:
– Jamais femme ne m’a produit l’effet que me produit cette jeune fille!… Bertille!… Le joli nom, si clair, si frétillant!… Bertille!… Jarnidieu! d’où vient donc que je suis troublé à ce point? Est-ce la candeur, l’innocence de cette jeune fille?… Je ne me reconnais plus!… Ce cuistre de La Varenne ne viendra donc pas!…
Brusquement Henri IV frappa ses deux cuisses et se leva en murmurant:
– J’ai beau chercher, je ne trouve pas… qui donc ce doux visage me rappelle-t-il? Qui donc?… Voyons, parmi les belles que j’ai eues autrefois, cherchons…
Il fit plusieurs fois le tour de la chambre, de ce pas accéléré qui faisait le désespoir du vieux Sully, obligé de le suivre quand il expédiait les affaires avec lui, et tout à coup:
– Ventre-saint-gris! J’ai trouvé!… Saugis!…
L’air rêveur, il revint s’asseoir sur sa chaise et poursuivit:
– C’est à la demoiselle de Saugis que ressemble mon doux cœur de Bertille… Saugis!… Heu! c’est bien loin cela!… Ma conduite ne fut peut-être pas très nette vis-à-vis de cette demoiselle… Dieu me pardonne, je crois que je l’ai quelque peu violentée… J’avais sans doute trop bien soupé ce jour-là!… Hé! mais, j’y songe… C’est curieux comme les souvenirs se lèvent nombreux et précis quand on fouille sérieusement le passé. Cette pauvre Saugis, je crois bien qu’elle est morte en donnant le jour à un enfant qui aurait bien, oui, ma foi, seize ans… l’âge de Bertille!…
Pour la première fois, un soupçon vint l’effleurer, car il répéta:
– L’âge de Bertille!…
Il rejeta la pensée qui se faisait obscurément jour dans son cerveau:
– Était-ce un garçon ou une fille?… Du diable si je le sais… Je n’aurais jamais pensé à cela sans cette vague ressemblance… Est-elle si vague?… Heu!…
Et pour se remonter soi-même:
– Par Dieu! je suis content d’être sorti de ce souci… Me voilà plus tranquille… Je veux, pour les beaux yeux de Bertille, faire rechercher cet enfant de la pauvre Saugis et, garçon ou fille, je lui ferai un sort raisonnable. C’est dit, et je ne m’en dédirai pas… Après tout, c’est un enfant à moi… Mais que fait donc ce bélître de La Varenne?…
Comme il se posait cette question pour la centième fois, La Varenne fut introduit. Le confident paraissait radieux et, tout de suite, avec cette familiarité qu’Henri IV encourageait dans son entourage et savait d’ailleurs royalement réprimer lorsqu’elle allait trop loin, il s’écria:
– Victoire! Sire, victoire!
Le roi devint très pâle, porta la main à son cœur et chancela en murmurant:
– La Varenne, mon ami, ne me donne pas de fausse joie… je me sens défaillir.
Et, en effet, il paraissait sur le point de s’évanouir.
– Victoire, vous dis-je!… Ce soir, vous entrez dans la place! Du coup, le roi fut debout et, radieux:
– Dis-tu vrai?… Ah! mon ami, tu me sauves!… Je me mourais… Ce rôle d’amoureux transi commençait à peser. Ce soir, dis-tu, qu’as-tu fait?… Tu l’as vue?… Tu lui as parlé?… M’aime-t-elle un peu, au moins?… Ne me cache rien, La Varenne… Ce soir, je la verrai, je lui parlerai, enfin!… Jarnidieu! qu’il fait bon vivre et quel radieux jour que ce jour!… Parle. Raconte-moi tout… Mais parle donc!…, Il faut t’arracher les paroles du ventre!
– Eh, mordieu! Vous ne me laissez pas placer un mot!… S’il faut vous dire les choses tout à trac: j’ai acheté la propriétaire, qui nous ouvrira la porte ce soir.
– Cette matrone qui paraissait incorruptible? La Varenne haussa les épaules:
– Le tout était d’y mettre le prix, dit-il. Il m’en a coûté vingt mille livres, pas moins.
Et en même temps, il étudiait du coin de l’œil l’effet produit par l’énoncé de la somme.
Henri IV savait se montrer généreux en amour. Il n’en était plus de même quand il s’agissait de lâcher la forte somme à ceux qui servaient ses amours:
– Tu m’as demandé la place de contrôleur général des postes, dit-il. Tu l’as.
La Varenne se cassa en deux et, avec une grimace de jubilation, il supputait à part lui:
– Allons, j’ai fait un bon placement! La place me remboursera au centuple les dix mille livres que j’ai dû donner à cette sorcière de Colline Colle, que le diable l’étrangle!
– Raconte-moi tout par le menu, fit joyeusement le roi, qui avait retrouvé toute sa vivacité.
Pendant que l’homme à tout faire du roi, l’ancien cuisinier créé marquis de La Varenne, expliquait à son maître comment il pourrait s’introduire subrepticement chez une innocente enfant qu’il s’agissait de déshonorer, il se passait dans une autre partie du Louvre une scène qui a sa place ici.
Une jeune femme était nonchalamment étendue sur une sorte de chaise longue appelée lit d’été. Une carnation de ce blanc laiteux particulier à certaines brunes, des cheveux naturellement ondulés et d’un beau noir, des traits réguliers, des lèvres pourpres, sensuelles, des yeux noirs mais froids, des formes imposantes, la splendeur d’une Junon en son plein épanouissement.
C’est Marie de Médicis, reine de France.
Sur un pliant de velours cramoisi, une autre jeune femme dont le corps est maigre et contrefait, le teint plombé, la bouche trop grande, une épaule plus haute que l’autre, une femme dont la laideur semble avoir été choisie pour servir de repoussoir à l’imposante beauté de l’autre. La seule supériorité de cette disgraciée de la nature résidait dans ses yeux: des yeux noirs, immenses, brillant d’un feu sombre, reflet d’une âme forte que consume une flamme dévorante.
C’était Léonora Doré, plus connue sous le nom de la Galigaï. Elle est dame d’atours de la reine… Elle est aussi la femme légitime du signor Concino Concini, qui n’est pas encore marquis, pas encore maréchal, pas encore Premier ministre, mais qu’elle «veut» voir devenir tout cela… et même plus, si possible… car il est dès maintenant – elle le sait – l’amant de la reine… Et c’est sur cet amour insensé qu’elle compte et qu’elle échafaude l’avenir.
Cette énigmatique créature n’a jamais eu qu’un sentiment réellement profond: son amour pour Concini; qu’une seule et unique ambition: la grandeur de Concini. Peut-être espère-t-elle qu’en le hissant, par la seule puissance de son mâle génie, jusqu’à ces sommets accessibles à ceux-là seuls qui sont nés sur les marches d’un trône, peut-être espère-t-elle ainsi l’éblouir et faire jaillir en lui l’étincelle qui embrasera ce cœur jusque-là fermé pour elle – car il ne l’aime pas, il ne l’a jamais aimée – peut-être!…
Quoi qu’il en soit, elle a résolu de pousser Concini jusqu’à la toute-puissance, et c’est dans ce but qu’elle a jeté l’homme qu’elle adore dans les bras de la reine… la reine, qui peut le faire grand. C’est dans ce but qu’elle a écarté ou supprimé tous les obstacles. De ces obstacles, il n’en reste plus qu’un: le plus terrible, le plus puissant… le roi! Et cet obstacle, Léonora a résolu de le supprimer comme tous les autres. Et ce qu’elle veut, de sa volonté implacablement tenace, c’est amener Marie de Médicis, caractère faible et indécis qu’elle pétrit lentement à sa guise, à accepter la complicité du meurtre de son royal époux. Ce qu’elle veut, c’est amener la reine qui ne «veut» pas se séparer de Concini, qui ne «peut» pas se passer de lui, à couvrir le régicide.
Ses yeux sombres, chargés d’effluves, se fixaient sur les yeux de la reine, qui clignotaient comme éblouis par l’insoutenable éclat de ce regard de feu, et, penchée sur le visage de sa maîtresse, pareille à quelque sombre génie du mal, elle parlait d’une voix basse, insinuante. Et ses paroles prudentes, mesurées, distillaient la mort!
– Pourquoi ces hésitations, ces scrupules? (Elle hausse les épaules.) Laissez les scrupules à la masse du vulgaire, pour qui ils ont été inventés. N’attendez pas pour vous décider que votre perte soit consommée.
Et comme Marie de Médicis demeurait muette et songeuse, la tentatrice reprit, d’une voix qui se fit plus âpre, où perçait une ironie menaçante:
– Quand vous serez répudiée, honteusement chassée et que votre fils sera déclaré bâtard, pour la grande gloire du fils de Mme d’Entraigues [2], alors, madame, vous verserez des larmes de sang, alors vous regretterez votre indigne faiblesse et de pas m’avoir laissé faire… Trop tard, madame, il sera trop tard!
La reine répondit par une question:
– Léonora, es-tu bien certaine qu’il ira ce soir rue de l’Arbre-Sec?
– Tout à fait certaine, madame…
Un silence. Marie de Médicis semble méditer profondément. La Galigaï l’observe avec une imperceptible moue de dédain.
– Et… ce jeune homme dont tu m’as parlé, reprit enfin la reine, qui paraissait chercher ses mots, es-tu bien sûre de lui?
Elle baissa davantage la voix, jeta un coup d’œil inquiet autour d’elle et acheva:
– Ne s’avisera-t-il pas de parler… après?
– Sur la tête de Concini, madame, je réponds de lui, je réponds de tout. Ce jeune homme frappera sans trembler… Il ne parlera pas après, parce que c’est pour son propre compte qu’il agira.
– Il hait donc bien le roi?
Léonora eut un insaisissable sourire: la reine paraissait accepter la complicité. Sans rien laisser paraître de ses sentiments, elle dit:
– Non!… Mais il est amoureux… et jaloux comme tous les amoureux. Or, la jalousie, madame, engendre facilement la haine.
– Pas pourtant jusqu’au point de se faire assassin.
– Si, madame, lorsqu’il s’agit d’une nature violente et passionnée comme celle de ce jeune homme. Ce matin même, pour l’avoir vu de sa fenêtre au moment où il soudoyait la propriétaire de la jeune fille en question, ce jeune homme s’est rué comme un fou à la recherche de M. de La Varenne. S ’il avait pu le joindre, la carrière du marquis était terminée du coup… Mais vous vous trompez étrangement quand vous parlez d’assassinat… Ce jeune homme est un bravo, c’est vrai. Mais un bravo extraordinaire… comme on n’en vit jamais de pareil… Ne croyez pas qu’il ira traîtreusement poignarder… celui dont nous parlons. C’est en face qu’il l’attaquera. C’est en un combat loyal qu’il le tuera.
– Enfin, comment t’y prendras-tu pour l’amener à accomplir… ce geste?…
– Je m’intéresse à lui, moi… C’est mon droit… D’ailleurs il est le fils d’adoption d’un de mes compatriotes… Pour lui témoigner cet intérêt, je glisse dans son oreille un renseignement… Est-ce ma faute, à moi, si ce renseignement déchaîne la haine en lui? Et si la haine, chez lui, se traduit par des gestes qui tuent, en suis-je responsable?…
Elle était effroyable de cynisme tranquille, et c’est ainsi qu’elle dut apparaître à Marie de Médicis, car elle murmura, vaguement épouvantée:
– Tu es terrible, sais-tu?
Léonora sourit dédaigneusement et ne répondit pas. Poussée par la curiosité, peut-être avec le secret espoir de faire dévier cette conversation qui l’épouvantait, la reine s’informa:
– Qui est ce malheureux?… Comment s’appelle-t-il?
– On le connaît sous le nom de Jehan le Brave. Où est-il né? Le nom de son père et de sa mère?… Mystère. Saêtta, qui l’a élevé et l’aime comme son fils, pourrait peut-être répondre à ces questions. Mais il est muet sur ces points… Ce que je sais, pour l’avoir vu à l’œuvre, c’est que c’est une force… Malheureusement pour lui, il a des idées à lui… des idées qui ne sont pas celles de tout le monde… C’est un fou.
À ce moment, la porte du cabinet s’ouvrit silencieusement et Caterina Salvagia, la femme de chambre de confiance de la reine, parut dans l’entrebâillement. Sans entrer plus avant, elle fit un signe à Léonora et se retira discrètement aussitôt.
Marie de Médicis, sans doute au courant, se redressa sur son lit d’été et s’écria joyeusement, une flamme subite aux yeux:
– C’est Concini!… Fais-le entrer, cara mia!…
Elle pensait que, du coup, la terrible conversation était terminée. Mais la Galigaï ne bougea pas. Et, avec une froideur effrayante, elle posa nettement la question:
– Madame, dois-je exciter la jalousie de Jehan le Brave? Et la reine répéta le mot qu’elle avait eu déjà:
– Tu es terrible!…
La Galigaï attend, muette, impassible comme la fatalité.
La reine Marie de Médicis s’est redressée. Son regard s’emplit d’une lointaine épouvante. Ses lèvres tremblantes retiennent le mot terrible qui veut s’échapper et tomber… tomber comme une condamnation, car ce mot, c’est la mort du roi de France!
Enfin, elle gémit:
– Que veux-tu que je te dise?… C’est terrible!… terrible!… Laisse-moi le temps de réfléchir… plus tard… attends… Tu peux bien attendre un peu, voyons!
Alors Léonora se leva et se courba dans une longue et savante révérence de cour. Elle exagéra la correction des attitudes imposées par l’étiquette et d’une voix tranchante qui contrastait avec cette humilité voulue:
– J’ai l’honneur de solliciter de Votre Majesté mon congé… et celui de Concino Concini, mon époux.
La reine pâlit affreusement. Elle bégaya:
– Tu veux me quitter?
– S’il plaît à Votre Majesté, oui, dit Léonora glaciale. Demain matin nous quitterons la France.
Affolée par la pensée de perdre Concini, Marie cria:
– Mais je ne le veux pas!
– Votre Majesté daignera excuser mon insistance… Notre décision est irrévocable… Nos préparatifs de départ sont faits. Nous voulons nous retirer.
À ces mots, prononcés à dessein, la souveraine chez Marie de Médicis se réveille enfin et se révolte. Elle se redresse de toute sa hauteur, et laissant tomber un regard courroucé sur la confidente toujours courbée:
– Vous voulez! répéta-t-elle en martelant chaque syllabe. Et moi, je ne veux pas!
– Madame…
– Assez!… Il ne me plaît pas d’accorder le congé que vous sollicitez… Allez!
Et comme la dame d’atours ébauchait un geste, elle reprit violemment:
– Allez-vous-en, dis-je, ou par la santa Maria, j’appelle et vous fais arrêter.
Léonora, comme écrasée, obéit, se retire à reculons. Et la reine, que cette feinte soumission apaise, se reproche déjà sa violence, soupire à la pensée qu’elle va être privée d’une visite de Concini.
Arrivée à la porte, la Galigaï se redressa et, respectueusement, sans bravade, mais d’une voix ferme:
– Votre Majesté, je pense, ne trouvera pas mauvais que j’aille de ce pas chez le roi.
Ces paroles jettent le trouble et l’effroi dans l’esprit de la reine, qui balbutie:
– Le roi!… Pour quoi faire?…
– Le supplier de nous accorder ce congé que Votre Majesté nous fait l’insigne honneur de nous refuser.
À demi rassurée, Marie gronda:
– Tu… vous oseriez!… Malgré ma volonté!
– Pour mon Concini, oui, madame, j’oserai tout… même encourir la colère et la disgrâce de ma reine…
– Ingrate!… Tu n’es qu’une ingrate!…
C’était le prélude de la capitulation. L’effort que Marie de Médicis avait fait pour résister était aux trois quarts brisé. C’est que la pensée de perdre Concini l’affolait. C’est que l’amour de Concini était devenu toute sa vie.
Et Léonora, qui ne comptait que sur ce sentiment, le comprit bien, car elle dit plus doucement:
– Le roi accordera avec joie ce congé qui le débarrassera de nous… Vous le savez, madame.
Eh oui! elle le savait. C’est pourquoi elle gémit:
– Mais enfin, pourquoi veux-tu t’en aller?
– Eh! madame, je vous vois disposée à tout pardonner au roi… à tout lui sacrifier… peut-être pousserez-vous l’abnégation jusqu’à vous effacer devant Mme de Verneuil… ou devant l’astre nouveau qui brillera demain sur la cour.
– Tu as peur que je t’abandonne?
– Oui, dit nettement la Galigaï. Si j’étais seule, je vous dirais: disposez de ma vie, elle vous appartient. Mais il y a Concini, madame… C’est lui qu’on frappera… et je ne veux pas qu’on me le tue, moi!
– Moi vivante, on ne touchera pas à un cheveu de Concini!
– Le roi est le maître, madame.
– Ainsi… si tu te sentais en sûreté…
– Pas moi, madame… Concini.
– C’est ce que j’ai voulu dire… Tu ne parlerais plus de me quitter?
– Eh, madame, vous savez bien que c’est la mort dans l’âme que nous vous quitterions… Concini surtout… Il vous est si dévoué, poveretto!
– Eh bien?…
Une dernière hésitation suspendit la phrase.
– Eh bien? interrogea Léonora, qui palpitait d’espoir.
La résolution de Marie de Médicis est prise: tout plutôt que perdre Concini.
– Eh bien, dit-elle d’une voix blanche, je crois, Léonora, que tu as raison… Il est temps de déchaîner la jalousie de ton protégé.
La reine venait de prononcer la condamnation de son époux, le roi Henri IV.
Léonora se courba pour dissimuler la joie puissante qui l’étreignait. En se relevant, elle dit simplement:
– Je vais vous envoyer Concini, madame.
Et elle sortit, froide, inexorable, emportant la mort dans les plis rigides de sa robe.
Cependant Marie de Médicis souriait à l’image évoquée de Concini. Et ses lèvres pourpres, entrouvertes, appelaient le baiser de l’amant qui allait venir, le baiser qui lui était dû… Car il était sa part à elle, sa part tacitement convenue dans le meurtre qui se préparait.