Jehan le Brave, depuis la disparition de Concini, n’avait pas cherché à reconquérir sa liberté. Il était resté à côté de la jeune fille, sans faire un geste, sans dire une parole, lui souriant doucement. Il se doutait probablement de ce qui attendait Concini.
Bertille, de son côté, le voyant si calme, si dédaigneusement indifférent, n’avait pas ajouté une parole, s’était tenue droite et ferme à son côté, se fiant entièrement à lui.
Jehan ne s’était même pas donné la peine d’approcher de la grande porte. Il savait que Concini avait dû la fermer. Il avait attendu sans bouger, confiant dans l’exécution d’ordres qu’il avait peut-être donnés lui-même. Seulement, maintenant qu’il était revenu au sens de la réalité, il trouvait que l’exécution de ses ordres se faisait un peu attendre. Il lui tardait de voir la jeune fille hors de ce lieu impur.
Lorsqu’il entendit tirer les verrous, avant même que la porte s’ouvrît, sûr de ce qui allait arriver, il se tourna vers Bertille, enleva son manteau et l’enveloppa toute, avec ces gestes tendres, doux, attentifs et pourtant vifs et légers, des mères emmaillotant les tout-petits. Expliquant doucement:
– Les nuits sont encore fraîches.
Et elle le laissait faire, souriant avec le même confiant abandon que ces petits anges aux mains maternelles.
Lorsque les trois pénétrèrent dans la chambre, elle était déjà enveloppée des pieds à la tête.
Gringaille ayant terminé son explication, Jehan remercia d’un signe de tête accompagné d’un sourire – il leur faisait bonne mesure, paraît-il, car les trois se mirent à glousser et à se bourrer de coups de coude – et il dit:
– Partons!
Avant de sortir cependant, il ne put résister à la tentation de jeter un coup d’œil sur Concini, immobile sur le lit. Et Bertille, qui surprit ce coup d’œil au passage, sentit un frisson la frôler à la nuque.
Jehan avait hâte d’arracher Bertille de ce lieu de débauche. Il lui semblait que l’air même qu’on y respirait était susceptible de souiller l’immaculée pureté de la jeune fille. Sans s’occuper de ses compagnons, il l’entraîna et ne s’arrêta que lorsqu’il fut dans la rue, sous la voûte d’un ciel resplendissant d’étoiles.
Pendant ce temps, Gringaille, Escargasse et Carcagne reprenaient leur dague et leur épée et ne quittaient chaque pièce qu’après l’avoir fermée à double tour et poussé tous les verrous.
Lorsqu’ils apparurent sur le seuil de la porte extérieure, Jehan demanda:
– Les deux laquais? les filles de service?
– Soigneusement ficelés et enfermés… comme le Concini. Soyez sans crainte, ils ne s’échapperont pas…
– Bien. Ferme la porte et donne-moi la clé… Merci.
Alors, il se tourna vers la jeune fille, et de cette voix extraordinairement douce qu’il trouvait pour elle et qui contrastait si violemment avec son accent rude, habituel:
– Vous ne pouvez pas retourner chez vous… Vous n’y seriez pas en sûreté.
Son gracieux visage eut une expression d’effroi. De la tête, elle dit vivement: Non!
– Où désirez-vous que j’aie l’honneur de vous conduire?
Il pensait qu’elle allait répondre: au Louvre. Il n’en fut pas ainsi.
– Je ne sais pas, dit-elle naïvement. Je ne connais personne à qui me confier dans cette grande ville.
S’il fut étonné de la réponse, il n’en laissa rien paraître. Il n’était pas besoin d’être doué d’une grande perspicacité pour deviner que sa naissance cachait un mystère. Si elle ne demandait pas à être conduite près de son père, c’est apparemment que la chose était impossible. Pour quelle raison? Il n’avait pas à le rechercher. C’était ainsi et voilà tout. Ce qu’il voyait de bien clair, dans cette aventure, c’est que cette fille de roi n’avait, pour le moment du moins, d’autre défenseur que lui, pauvre diable d’aventurier, d’autre appui que celui qu’il voudrait bien lui accorder. Il se sentit transporté d’orgueil, une joie puissante le souleva, et en même temps, un inexprimable attendrissement l’envahit.
Il demeura un moment à réfléchir, cherchant où il pourrait bien la conduire. Enfin, il crut avoir trouvé. Sa voix, si tendre, si douce, se fit plus douce et plus tendre, son attitude, si profondément respectueuse, se fit plus respectueuse encore. Et ce fut avec une sorte de timidité charmante qu’il dit:
– Si vous le voulez bien, je vous conduirai auprès d’une personne qui, elle, je l’espère, vous trouvera un gîte sûr. Mais je suis forcé de vous faire passer par… une hôtellerie… Excusez-moi, la personne sur qui je compte demeure là.
Ses grands yeux lumineux fixés sur les siens, elle exprima son entière confiance par ce seul mot:
– Allons.
Il se courba profondément. D’un geste, il appela près de lui les trois compagnons qui se tenaient à l’écart et, à voix basse, il donna ses ordres:
– Vous deux, Escargasse et Gringaille, marchez devant. Par le quai de Gloriette, le pont Saint-Michel et le pont au Change, nous allons rue Saint-Denis, à l’auberge du Grand-Passe-Partout. Toi, Carcagne, derrière. Si quelqu’un approche… Tuez d’abord… on s’expliquera ensuite. Attendez. Avez-vous de l’argent sur vous?… D’un même geste, les trois après s’être fouillés, tendirent leurs mains, pleines de pièces d’or. Jehan rafla tout ce que contenait la main la plus proche de lui. Et comme les deux autres pattes se tendaient vers lui avec insistance:
– Non! fit-il doucement. J’ai plus qu’il ne me faut pour le moment. Allez maintenant.
Le favorisé – c’est-à-dire celui qui avait donné tout ce qu’il avait sur lui – s’éloigna en se dandinant, en faisant entendre en sourdine un bruit à peu près pareil à celui d’une poulie rouillée, bruit qui avait la prétention d’être un rire. Les deux autres réempochèrent leurs pistoles avec un soupir et s’éloignèrent tristement, en tournant le dos. C’étaient ces mêmes hommes qui, quelques instants plus tôt, s’étaient acharnés à dépouiller le riche et puissant seigneur Concini. Lecteur, ne soyez pas trop sévère pour eux. Jehan se tourna vers la jeune fille et, se courbant:
– Je suis à vos ordres, mademoiselle, dit-il.
Jusqu’à la rue Saint-Denis, absorbés par leurs pensées, ils firent le trajet côte à côte, sans échanger une parole.
Il était près de trois heures du matin lorsque Jehan frappa d’une manière convenue, à la porte de l’auberge. Au bout de quelques minutes, une fenêtre s’entrouvrit; une tête de femme apparut et s’informa:
– Que voulez-vous?
– Voir monsieur le chevalier… Affaire urgente.
– Je descends…
Quelques instants plus tard, une jeune femme, à moitié endormie encore, les introduisit, d’un air plutôt maussade, dans un petit cabinet, dont la porte vitrée donnait sur la grande salle.
Jehan prit, sans compter, une poignée de pistoles et la mit dans la main de la servante, qui retrouva incontinent son sourire le plus empressé et plongea dans sa plus gracieuse révérence.
– Ma fille, dit-il, mettez-moi un fagot dans cette cheminée et faites-nous une bonne flambée.
Et pendant que la servante, qui semblait avoir des ailes, s’activait, il expliquait doucement à Bertille:
– Je vais vous quitter… quelques minutes seulement. Reposez-vous un peu et ne craignez rien. Ces trois-là veilleront sur vous pendant ma courte absence.
– Je ne crains plus rien, dit-elle avec calme.
Jehan, après s’être incliné, passa dans la grande salle avec Escargasse, Carcagne et Gringaille.
– Vous autres, dit-il, ne bougez pas d’ici et que nul, hormis la fille de service que vous avez vue, n’approche de cette porte. C’est compris?
Trois grognements furent la réponse brève et éloquente qu’ils donnèrent. Mais ils avaient des faces longues, piteuses; ils roulaient des yeux tout blancs, poussaient des soupirs qui ressemblaient assez à des beuglements de jeune veau réclamant le tétin de la génisse maternelle. Et ils tiraient des langues longues, longues… crachotaient péniblement, trépignaient comme si des milliers de fourmis s’étaient acharnées à leur piquer les mollets.
Cette mimique désordonnée avait, paraît-il, sa signification que Jehan comprit du premier coup, car il fronça le sourcil.
«Pauvres diables! pensa-t-il, on ne peut cependant pas leur demander l’impossible.» (Et tout haut.) Eh bien, soit! ivrognes, sacs à vin!… Mais je ne vous permets qu’une bouteille à chacun!
Les trognes s’épanouirent. Ils étendirent les mains en un geste solennel, comme pour dire: C’est juré!
– Et surtout, ajouta le jeune homme, veillez à vos paroles, hein!… C’est que je vous connais. Vous n’êtes pas qu’ivrognes fieffés, vous êtes encore débauchés et licencieux. N’oubliez pas que de ce cabinet on peut vous entendre. Si j’apprends que l’un de vous s’est permis la moindre inconvenance, je l’étripe.
Et sans s’occuper de leurs protestations, s’adressant à la servante:
– Veuillez me conduire, mon enfant, dit-il poliment.
À ce moment, une lumière parut au haut de l’escalier intérieur et une voix qu’il reconnut aussitôt prononça:
– Montez, montez… je vous attends.
– Ma fille, reprit Jehan, faites-moi le plaisir d’entrer dans ce cabinet et d’y tenir compagnie à la noble demoiselle qui s’y trouve, jusqu’à mon retour.
Et il gravit les marches quatre à quatre et pénétra dans la chambre du chevalier de Pardaillan, qui le précédait, sa lampe à la main.
Le chevalier, sommairement vêtu, approcha un fauteuil, prit une bouteille poudreuse et deux verres, et les remplit à ras bord. Et en même temps, il expliquait:
– J’ai entendu l’appel particulier que je vous avais indiqué. Et comme vous êtes le seul à le connaître jusqu’à maintenant, j’ai compris que c’était vous qui frappiez, et je me suis levé aussitôt, pensant qu’il n’y avait pas de temps à perdre. Pendant que j’achève de me vêtir, racontez-moi ce qui vous amène et en quoi je puis vous être utile.
Ayant dit, Pardaillan choqua son verre contre celui de son hôte, le vida d’un trait comme l’exigeait la politesse, et se mit paisiblement à sa toilette, sans hâte apparente, mais avec une célérité remarquable.
Cependant Jehan ne parlait pas. La simplicité de ces manières, la cordialité de cet accueil, l’empressement à se mettre à sa disposition, la promptitude insouciante à s’équiper avant même qu’il eût dit de quoi il s’agissait, tout cela l’étonnait et le bouleversait d’émotion.
Pardaillan qui, tout en s’habillant, ne le perdait pas de vue, remarqua cette émotion et doucement:
– Voyons, dit-il, est-ce si difficile, si délicat ce que vous avez à dire? Jehan s’approcha et lui prit la main qu’il garda entre les deux siennes et d’une voix qui tremblait:
– Quand je pense que j’ai été assez misérable pour vous injurier, quand je pense que ce poing a osé se lever menaçant sur vous!… Je mériterais qu’on m’arrachât cette langue maudite, qu’on tranchât ce poignet scélérat!
– Ah bah! s’exclama Pardaillan, en prenant son air le plus ébahi. Et c’est pour me dire cela que vous venez me tirer du lit à trois heures du matin?… Corbleu! mon jeune ami, savez-vous bien que je suis homme à ne vous pardonner jamais un crime pareil!… car c’est un crime que d’empêcher de dormir quelqu’un qui enrage de sommeil!
Jehan ne put s’empêcher de rire du ton sur lequel elles avaient été prononcées, plus que des paroles elles-mêmes.
– Allons, dit Pardaillan sérieusement, videz votre sac et me dites en quoi je puis être utile à celle que vous aimez.
– Comment, vous savez?… s’exclama Jehan stupéfait. Pardaillan haussa les épaules:
– Croyez-vous qu’il est besoin d’une dose de pénétration extraordinaire pour le deviner? fit-il de son air narquois. Êtes-vous homme à venir me réveiller au milieu de la nuit pour votre service personnel?… Non, n’est-ce pas?… Alors?…
– C’est encore une leçon que vous me donnez là!… Ah! monsieur, si j’avais eu un maître tel que vous!… Mais vous avez raison. Je perds un temps précieux.
Et le jeune homme fit un récit bref de la manière dont il avait délivré celle qu’il aimait et de l’embarras dans lequel il se trouvait, ajoutant pour terminer, avec un accent de mélancolie poignante:
– Je ne connais que truands et ribaudes… Que voulez-vous, je ne sais si j’y suis né, mais, en tout cas, j’ai grandi et vécu dans ce milieu, et mon propre père lui-même… Bref, je ne pouvais, sans rougir, conduire cette enfant si pure chez les personnes de ma connaissance… Encore moins pouvais-je la conduire chez moi. Alors, je me suis souvenu des offres obligeantes que vous me fîtes, au moment où je vous quittais à la porte de cette hôtellerie. J’ai pensé qu’un homme tel que vous, monsieur, trouverait facilement, dans ses hautes relations, une retraite honorable où celle que j’aime, en attendant qu’elle ait pris une décision, serait à l’abri de toute tentative criminelle, où nul ne pourrait l’approcher… pas plus moi que d’autres.
– En sorte que, fit Pardaillan qui avait écouté attentivement, en sorte que vous vous interdisez volontairement de voir celle que vous aimez?
– Oui, monsieur. C’est pénible, mais il me semble qu’il vaut mieux qu’il en soit ainsi… À moins qu’elle n’ait besoin de moi, à moins qu’elle ne me fasse appeler.
Et avec une inquiétude qui trahissait l’extraordinaire confiance que lui inspirait cet homme qu’il ne connaissait pas la vieille, et aussi l’importance qu’il attachait à ses avis:
– Ne pensez-vous pas comme moi, monsieur?
– Si, mon enfant, dit Pardaillan avec douceur, je pense tout à fait comme vous.
Et en lui-même il ajoutait: «Allons, je l’avais bien jugé. C’est une belle nature. Un roué n’eût pas manqué de mettre à profit une aussi favorable occasion; lui n’y a même pas pensé.»
Il ceignit son épée et dit simplement:
– Venez.
Dès qu’elle les vit entrer dans le cabinet, Bertille se leva. Elle reconnut immédiatement en Pardaillan ce cavalier aperçu sur son perron en une circonstance inoubliable. C’était un inconnu dont elle ignorait même le nom. (Le roi l’avait bien nommé à diverses reprises devant elle, mais elle était si émue, si agitée qu’elle n’y avait pas pris garde). Lorsqu’elle le reconnut, ses yeux brillèrent de plaisir. Elle fit vivement deux pas à sa rencontre et, spontanément, comme poussée par une force irrésistible, elle s’inclina devant lui et lui tendit chastement le front, dans un geste adorable en sa grâce juvénile. Et elle murmura dans un souffle harmonieux:
– Du fond du cœur, monsieur, soyez remercié!… Soyez béni, vous qui, suivant si noblement les traces des paladins de l’antique chevalerie, trop oubliés, hélas! allez, mettant au service du faible contre le fort l’appui de votre vaillante épée.
Dans sa longue carrière, Pardaillan avait reçu quelques compliments tombés de la bouche de personnages autrement considérables et plus compétents que cette toute jeune fille. Et il n’en avait pas été autrement touché. Mais cet hommage naïf et le geste filial qui l’accompagnait l’émurent doucement. Et pour cacher cette émotion, il se pencha, effleura du bout des lèvres les fins cheveux d’or et, avec un sourire narquois, il gouailla:
– Peste! ma chère enfant, comme vous y allez!… Si, pour être proclamé digne de l’antique chevalerie, il suffisait d’accorder l’hospitalité à une jeune fille momentanément sans abri, le royaume de France serait uniquement composé de paladins. Il n’est personne, je le crois, du moins, qui refuserait une chose si simple.
Elle secoua doucement la tête en manière de protestation et, gravement:
– Tout le monde n’aurait pas cette générosité, j’en suis sûre. Mais, puisque vous me l’affirmez, je veux bien l’admettre. Cependant, monsieur, quelle que soit votre modestie, oseriez-vous soutenir aussi que tout le monde, comme vous l’avez fait, oserait résister aux ordres du roi avec cet air de souveraine hauteur que vous aviez?… En sorte que le roi me paraissait bien petit près de vous. Tout le monde, comme vous l’avez fait encore, risquerait-il froidement l’échafaud en se mettant délibérément en état de rébellion armée? Et pourquoi? Pour prêter main-forte à un inconnu… simplement parce qu’il vous a paru que cet inconnu avait le bon droit pour lui. Vous le voyez, monsieur, vous n’osez pas soutenir cela. Moi, monsieur, je sens que, seul au monde, vous êtes capable de cette surhumaine magnanimité. Et c’est pourquoi je vous le dis, ma reconnaissance immuable, mon admiration sans bornes, mon respect attendri vont à vous, plus pour ce que vous avez fait là que pour ce que vous consentez à faire pour la pauvre fille que je suis.
Tandis qu’elle parlait doucement, de cette voix suave qui ressemblait à un chant d’oiseau, Jehan était en extase et les trois béaient d’admiration. Jamais ils n’avaient entendu voix si pénétrante. Peut-être n’avaient-ils pas très bien compris ce qu’elle disait – dame, elle exprimait des sentiments qui leur étaient totalement inconnus – mais le charme de la voix, joint à la beauté quasi irréelle de la jeune fille, leur faisait, de confiance, trouver admirable tout ce qu’elle disait.
Quant à Pardaillan, malgré l’âge, il était demeuré ce qu’il avait été toute sa vie: un homme de sentiment. Il ne pouvait pas ne pas être touché par des louanges qui avaient, à défaut d’autre, le mérite de la sincérité absolue. Il ne pouvait pas ne pas subir le charme ensorceleur qui émanait de toute la personne de Bertille. Mais il était demeuré aussi l’incorrigible gamin, toujours prêt à se moquer de lui-même. C’est ce qui fait qu’il prit son air figue et raisin et qu’il répondit, sans qu’il fût possible de savoir s’il plaisantait ou parlait sérieusement:
– Soit! Me voilà, une fois de plus, sacré paladin, preux, modèle de chevalerie… N’en parlons plus. Venons plutôt à votre affaire.
Et s’adressant particulièrement à Jehan, il continua:
– Je vais, si vous le voulez bien, partir seul devant. J’ai de bonnes jambes, j’arriverai un bon quart d’heure avant vous. Ce qui me permettra de réveiller mes amis et de leur expliquer ce que j’attends d’eux. De cette manière, cette enfant, qui doit tomber de fatigue, n’aura pas à attendre pour prendre le repos dont elle a besoin.
– Quel homme vous êtes!… Vous pensez à tout, fit Jehan attendri.
– Pendant ce temps, reprit Pardaillan en haussant les épaules, vous vous acheminerez doucement vers la rue du Four. Non loin de l’ancien hôtel de la reine qu’on appelle maintenant l’hôtel de Soissons, se trouve la maison de M. le duc d’Andilly, où nous allons. Elle est facilement reconnaissable en ce que vous verrez, un peu partout, sculptées dans la pierre ou ciselées dans le bronze, des têtes de taureaux.
– Je connais cette maison, dit Jehan. On l’appelle la maison des Taureaux et aussi le logis de l’Espagnol.
– C’est cela même. À tout à l’heure… Bonjour, mes braves!…
Pardaillan s’inclina avec une grâce altière devant la jeune fille, eut un geste amical à l’adresse de Jehan, un léger signe de tête pour les trois braves, glorieux et touchés de cette politesse à laquelle ils n’étaient pas accoutumés, et s’éloigna d’un pas rapide.
Jehan eût pu se dispenser d’emmener ses hommes avec lui… Dieu merci! il était de taille à défendre seul celle qu’il aimait. Mais, par une délicatesse dont elle le remercia d’un sourire, il ne voulut pas paraître rechercher un tête-à-tête avec elle. En conséquence, il commanda:
– En route!… Vous savez où nous allons.