ÉPILOGUE

Nous v’là réunis au bar Le Carré d’As, rue Couchetar, que Sauveur a rouvert à notre retour de l’enfer américain. Il y a du beaujolpif pour Béru, du muscadet pour Pinuche, un bloody-mary pour ma pomme et du pastaga pour Sauveur. Il a retiré le bec-de-cane afin que nous soyons entre nous. On évoque l’impossible équipée. Les Amerloques voulaient me cloquer la Croix de la Bannière Etoilée, ou je ne sais plus quelle connerie, pour services exceptionnels rendus à la nation américaine, mais j’ai refusé. Quand on n’a pas de rubans français à son revers, on ne peut s’amuser à faire le con avec des rubans yankees, ça aurait l’air de quoi ? Le Président Bush m’a fait cadeau de sa photo dédicacée et je l’ai donnée à Toinet, en rentrant, pour épater ses copains d’école (buissonnière).

— Comment va Maryse ? je demande.

— Je l’ai mise dans une clinique de Boulogne pour qu’elle soit soignée impec.

— T’as bien fait, faut pas lésiner, sinon elle garderait des séquelles.

Je dois t’avouer une chose : je n’y pense pratiquement plus à la môme Kajapoul. Faudra pourtant que j’aille lui porter des fleurs. Dans l’avion du retour, j’ai chambré une petite hôtesse avec qui la carburation se fait bien. Je suis porté sur les hôtesses, t’auras remarqué ? Celle-ci, une exquise petite blonde avec des yeux à la prends-moi-toute, me reçoit dans son studio de Péreire quand elle ne vole pas. Elle est à ce point friponne que, sitôt qu’elle m’ouvre sa porte, mon pantalon se déguise en socquettes et c’est plus son airbus, mais ma pomme qui l’emmène au septième ciel.

— Pourquoi tu mates sans arrêt du côté de la lourde ? demande le Gros à Kajapoul. Tu crains des représailles quéconques ?

— Non, j’attends Manolo de La Roca, le frelot du Gitano pour lui remettre sa part d’héritage ; je me l’étais promis et je vais le faire. Selon mon estimation, dollars et cailloux compris, ça devrait aller chercher dans les sept ou huit cents tuiles. J’en garde le double pour doter ma grande fille, ajoute-t-il en me guignant à la sournoise.

Mais moi, j’empresse de fourrer mon pif dans mon glass.

On cogne à la vitre. C’est Manolo. Sauveur va déponner.

— Dis donc, l’interpelle-je, ta donation, tu seras gentil de la faire hors de notre présence, je crois te l’avoir déjà dit, aux States.

Yes, flic ! Ton honneur de poulet restera clean !

Entrée du bouffeur de chattes. Présentations, serrements du jeu de paumes. Il lui reste un poil entre les dents. Un noir, frisé serré. Tu veux parier qu’il vient de groumer de l’Ibérique ? Voire de la Nord-Africaine, qui sait ?

— Ça marche, la dégustation, Manolo ?

— Pas mal, répond-il en souriant. D’autant que, doucement, je me constitue une clientèle d’habituées. Je démarche de moins en moins car j’ai du stock, commissaire.

Il ôte son blouson et, en parfait gentleman, le place sur le dossier de sa chaise.

— Qu’est-ce que je te sers, môme ? demande Sauveur.

— Une petite bibine ; je viens de bouffer une tarte aux poils vachement salée.

— Banco !

Mais voilà Kajapoul qui reste immobile, le regard agrandi, les lèvres vidées. Ma parole, il défaille ! J’avance un siège.

— Pose-toi là, truand. Qu’est-ce qu’il t’arrive ? T’as des vapes ? Tes coronaires qui déconnent ?

Il bégaie :

— Dis-lui qu’il remette son blouson ! Je peux plus voir ça ! Je pourrai plus jamais.

Et il désigne la chemise Lacoste de Manolo sur laquelle un crocodile vert a l’air de ricaner.

FIN
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