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Le plus chiatique, quand tu repeins un portail de fer, c’est pas de le recouvrir de nouvelle couleur, c’est le débarrasser de l’ancienne.

Je suis là, à m’escrimer avec de la toile émeri sur les barreaux rouillés, pestant contre cet élan qui m’a poussé à dire à Félicie, ce matin, en prenant le caoua :

« — Tiens, aujourd’hui, puisque je fais relâche, je vais repeindre le portail ! »

Tu l’aurais vu illuminer des lampions, ma mother ! C’est pas que le portail soit repeint qui la rend joyce, c’est qu’il le soit par moi, tu écoutes la différence ? J’aurais douillé une entreprise pour fignoler la chose, ça lui aurait fait à peine plaisir, ma Féloche. Mais que je mette la main à la pâte lui donnait un rare bonheur. Elle allait toucher le plus bioutifoul portail de Saint-Cloud, voire de tout le département des Hauts-de-Seine !

J’ai passé des fringues cradoches, de celles qu’on refile au Secours national quand il organise un ramassage : vieux futal de velours râpé, limouille craquée sous les manches, au col et poignets élimés, mocassins de cuir aux semelles bâillantes, tu vois la silhouette du julot ? C’est pas dans Adam que tu risques de la retapisser.

Et j’ai requis l’assistance de Maria, notre ancillaire espagote, Miss Poilauxpattes. Un temps que je l’ai pas tirée, la môme ! C’est triste à dire, mais elle me joue les bouche-trous, si tu veux bien me passer l’expression.

Quand je rentre, plus ou moins fourbu d’une épuipée sauvage (sans avoir eu le temps de pointer une frangine) et que mes glandes me tarabustent le sensoriel, je la grimpe, l’Andalouse. Elle pâme rien qu’en me voyant, et surtout crois pas que je me vante, c’est pas mon style.

Elle est toujours en attente de mon bon vouloir. Elle cherche sans cesse dans mon œil la petite lueur salace, avant-coureuse, cette bougresse. Oh ! je me gaffe bien qu’elle doit avoir un gredin ibérique qui la brosse ses jours de congé. Le cul, c’est incontournable, sentiments ou non ! Les gonzesses qui jouent « Back Street » sont devenues rarissimes ; Maria, elle raffole trop du radada pour négliger l’embroque tout-venante, mais son palpitant est branché sur la haute tension san-antoniaise.

Je lui ai donné à racler la partie pleine du portail, c’est-à-dire le boulot le plus coton. Seringuer les barreaux supérieurs, en comparaison, c’est de la dentelle. Elle y va au jus de coude, la mère. Si puissamment qu’elle ébranle le portail. Elle se tient accroupie sur ses talons, comme seules sont capables de le faire les filles du sud. Sa jupe large est remontée et pend entre ses jambes ouvertes.

Moi, je lorgne, en gros dégueu que je suis. Jamais laisser perdre un jeton de présence !

— Remontez votre jupe un peu plus haut, demandé-je.

Elle se fait pas répéter, pigeant illico qu’il y a comme qui dirait de la bite sur la rampe de lancement, et que ça va être le « quatorze juillet » du bicentenaire dans sa culotte avant lurette. Je visionne aigu en raclant le barreau : œil de lynx ! Elle porte un slip gris (ou alors c’est un blanc qui flanche sérieusement). Comme elle toisonne à mort, y a plein d’astrakan qui dépasse, part et d’autre.

Je m’interroge le pafoski. A-t-il faim de miches ou quoi ? J’évoque le gros dargif de Maria (elle est plutôt mince, mais se traîne un cul de lavandière). Réflexion faite, je préférerais me taper un porto de ma réserve personnelle (cinquante ans d’âge). Voilà que je trompe l’Espagne avec le Portugal !

— Jé reviens tout dé souite ! elle fait en fonçant vers la casa.

Je prends un peu de recul pour évaluer la progression du travail de « préparation » (c’est ainsi qu’on dit en langage plâtrieur). Me reste un barreau après celui qui est en cours, et Maria n’a plus que la face extérieure à gratter. D’ici pas longtemps je vais pouvoir tartiner du pinceau. J’avais déjà acheté la peinture, la semaine passée. Plusieurs pots de couleur « vert anglais », très chic. Séchage rapide. Ce soir on pourra « toucher » !

Maria revient, se remet au turbin. La garce ! Elle est allée ôter sa culotte. La cressonnière en délire, elle s’écarte à s’en déchirer le molusque ! Vue aérienne de la forêt noire ! Avec, en son milieu, la vallée des délices aux méandres roses. Là, ça me court-jute le sensoriel. Je suis trop sensible de la grosse veine bleue, ça me perdra !

— T’es une grande salope, je lui murmure en souriant.

Elle inonde de bonheur.

Si, señor.

Le señor commence à bandocher dans son vieux froc de velours. Où est-ce que je vais aller la calter, cette greluse ? Dans la maison, y a m’man, c’est guère possible. Bon, on dit l’appentis, au fond du garden. On y remisait les outils et meubles de jardin, puis un jour je l’ai fait agrandir et aménager, en loucedé, sans demander d’autorisation à la commune pour transformer ledit en chambre d’appoint. Oh ! c’est pas la Tour du Waldorf ! Ça fournit une pièce de quatre mètres sur trois, avec juste un lavabo. Pour les chiches, faut gagner la maison, mais, comme le dit Félicie, « ça dépanne ».

La preuve !

Je murmure :

— Va m’attendre dans la petite maison, salope !

Si, señor.

— Inutile de te déshabiller. Tu te mets à genoux sur le lit, la robe retroussée, et tu m’attends ! Tu verras, tu le regretteras pas.

Comment qu’elle s’active, la Maria ! Comme si, déjà, elle venait de dérouiller une fusée dans les meules ! Dès lors, ça me fouette le sang de l’imaginer en position d’attente. Parée pour la mise à feu ! Les jambes écartées, prenant appui sur ses genoux, et sa jupaille rabattue par-dessus la tronche. Tu ne sais plus s’il s’agit d’une femme ou d’un appareil photographique ancien.

A cette époque, notre tonnelle est fleurie et s’interpose entre la maison et le portail. M’man ne peut pas nous voir depuis sa cuistance où elle élabore des rognons au madère.

Juste comme je m’apprête à rejoindre mon Espanche pour une superbe bourrée auvergnate, une grosse Mercedes vert Nil s’arrête devant chez nous. Le conducteur en descend. Un mec trapu et un tantisoit claudiquant. Je reconnais Sauveur Kajapoul. Plus du tout en patron de troquet, mais saboulé cossu, à la notaire de province : costar gris à fines rayures blanches, chemise blanche, cravate noire. Je ne l’ai plus revu depuis ma visite à son rade. Il semble soucieux. On pige dès l’abord qu’il lui est arrivé un turbin.

— Salut, commissaire ! me fait-il. En plein travail, vous êtes de repos ?

Tiens, il connaît mon titre et, qui plus est, mon adresse !

— Faut bien occuper ses loisirs, réponds-je en serrant sa grosse pogne aux doigts courts. Y a du zef dans ta vie, Sauveur ?

— On vient d’enterrer ma pauvre femme.

Ah ! bon. C’est donc pour ça que Maryse ne me donne plus signe de vie depuis quelques jours alors qu’on carburait comme des fous, les deux. Une sacrée affaire, au niveau du matelas, la môme.

— Condoléances, mec.

Il hausse les épaules.

— Oh ! on s’y attendait, et pour elle c’est une délivrance. N’empêche qu’on prend ça dans la gueule quand ça se produit.

Il me regarde, les mains dans les poches de son veston.

— T’as quelque chose à me dire ? je demande.

Il hoche la tête.

— Une propose… Complètement barjo, je m’en rends compte en vous voyant…

Sans doute s’agit-il de sa grande fille. Sait-il qu’on vit une liaison fougueuse, elle et moi ?

— Viens boire un gorgeon à la maison, Sauveur.

Il me suit jusqu’au pavillon. Toinet a mobilisé le livinge pour construire une maquette d’hélico de l’armée U.S. Il a la passion des hélicoptères. Y a des pièces partout, des plans, des papiers, de la colle, des éléments de balsa, des outils…

— Tu peux nous laisser un moment, Antoine ? Va continuer dans ta chambre !

Il proteste :

— T’as vu ce cirque ! Je vais pas me coltiner tout ce fourbi dans ma piaule où j’ai pas mes aises pour travailler !

— Casse-toi, je te dis. On ne touchera à rien.

— Tu jures ? C’est délicat…

— Merde, dégage ! Pourquoi veux-tu qu’on foute la vérole dans ton chantier !

Il sort en maugréant. Regard sinistre à Sauveur, coupable de perturber ses travaux d’Hercule par sa visite.

— C’est votre fils, commissaire ?

— Adoptif ! Ses parents étaient des truands patentés qui sont morts au champ d’honneur. Dépose-toi. Qu’est-ce que je t’offre ? Si tu aimes le porto, je possède un vrai nectar.

— Trop délicat pour moi, commissaire. Un apéro courant me conviendra parfaitement.

Je lui trouve un fond de Cinzano dans la desserte où l’on remise les flacons. M’man qui ne nous a pas entendu arriver chante Roses de Picardie dans sa cuistance. C’est marrant, sa voix chantée ne ressemble pas à sa voix parlée : quand je l’entends, je crois toujours qu’il s’agit de quelqu’un d’autre.

— Je vais chercher un peu de glace, dis-je mollement.

Il me sauve de la corvée :

— Ne vous donnez pas cette peine, commissaire, je le prends tel quel.

On goûte chacun son breuvage. Les simagrées de la bienséance. Offrir à boire, quelle connerie ! Pourquoi pas offrir à baiser ? « Vous vous laisserez bien faire une pipe par mon épouse, cher ami ? » Ce serait plus convivial, après tout.

— Qu’est-ce que tu voulais me dire, Sauveur ?

Il regarde son verre, ses reflets ambrés.

— C’est rapport au Gitano, commissaire. Mais avant, faut que je vous prévienne d’une chose : Maryse n’a pas de secrets pour moi.

O.K. ! Enregistré ! Sa grande fille lui a appris que je la tirais et il m’informe qu’il est au courant de la chose ; probable que ça comporte une importance pour la suite de son exposé.

— C’est une fille bien, réponds-je sobrement.

Hermétique, l’Antonio. Prudent avec les « papas ».

Il opine :

— Elle est bien. La mort de sa mère lui cause un gros chagrin.

— Je m’en doute.

Je n’ose ajouter « que je me mets à sa place » parce que, même à l’état de formule de sympathie, je ne peux pas proférer de telles paroles. M’man est immortelle, point à la ligne. Je connais le Seigneur : Il ne me jouera jamais un sale tour de cette ampleur.

— Maintenant, je repasse à Miguel : vous avez du nouveau à son sujet ?

— Pratiquement pas. J’ai pris contact avec un copain à moi qui travaille au F.B.I. en lui fournissant les tuyaux que m’apportait ta carte postale. Il a refilé le bébé à un de ses correspondants du Mississippi, lequel lui a appris que de La Roca a effectivement séjourné chez un mec habitant Gulfport, un certain Irving Clay, à la réputation plus que douteuse, ayant trempé dans une tripotée d’affaires louches dont il a toujours su se sortir. Le correspondant de mon pote ricain n’a rien appris de particulier sur le comportement du Gitano à Gulfport. Il pense que ce dernier devait servir de garde du corps à Clay. Et puis Irving Clay est décédé, de sa bonne mort soit dit en passant : le crabe. Depuis lors Miguel de La Roca a disparu et personne, pas même les services d’Immigration, n’a jamais plus entendu parler de lui.

— C’est tout ?

— Hélas.

— Votre sentiment, commissaire ?

— Je n’ai pas de sentiment, Sauveur. Ton pote, après la mort de son « bienfaiteur », a dû se reconvertir dans une bande d’arnaqueurs de là-bas, je suppose.

— Et y a pas mèche de le retrouver ?

— Tu sais, les flics yankees ont d’autres chats à fouetter. Si ton aminche tombe à la suite d’une mauvaise affaire, il refera surface et il se peut que mon ami du F.B.I. me prévienne ; comme il se peut également que lui-même n’en soit pas informé !

— Donc, c’est râpé ?

— Je ne peux guère te laisser d’espoir.

Un temps. Je regarde par la fenêtre, tout au bout du jardin, il y a l’apprentis. Merde, j’ai oublié Maria qui doit m’attendre, le jupon rabattu sur la tête, le postère à dispose. Peut-être profite-t-elle de sa position pour prier ?

— Il vous arrive de prendre des vacances, commissaire ?

— Cette connerie, naturellement ! Pourquoi ?

— Parce qu’il m’est venu une idée que vous allez juger folle, probablement.

— Balance, je verrai.

— Supposons que vous preniez une quinzaine ; après tout on est en juillet, non ?

— Et alors ?

Il tousse.

— J’ai affuré pas mal de fraîche, pour tout vous dire, en me réveillant, ce matin, j’ai pensé : « Et si on allait voir là-bas avec le commissaire » ?

— Qui, on ?

— Ben, Maryse et moi ; avec vous. Je douille le voyage, les frais de séjour, tout. Ma gosse, ça lui change les idées, à moi aussi d’ailleurs. On vous regarde enquêter, au besoin on vous aide, commissaire. Voyez-vous, le Miguel j’ai une dette de reconnaissance envers lui, comme on dit. Quand on a braqué le fourgon qui transportait des fonds et qu’un des chiens de garde nous a balancé la purée, il lui a sauté sur le paltock et j’ai seulement écopé d’une bastos dans la cuisse ; s’il n’avait pas eu ce geste, le Gitano, je morflais un trou grand comme le cratère du Vésuve dans la poitrine.

Maintenant il parle, parle, pour noyer l’énormité de sa propose, Sauveur. Il sait qu’elle est saugrenue, insensée, pratiquement inacceptable pour un officier de police. Si les poulets de haut niveau se font sponsoriser par des malfrats repentis pour retrouver leurs copains disparus, où ça va, ça ?

Et malgré tout, mon côté farfadingue l’emporte.

— On déboulerait à Gulfport, les trois. On se rencarderait à propos du Gitano. Peut-être parviendrions-nous à retrouver sa piste ; un mec de votre calibre, j’ai confiance !

Il soupire :

— Ma gosse est vachement accro en ce qui vous concerne. Cette équipée, ce serait une remise sur rail. Elle s’est tellement consacrée à ma pauvre femme ! Vous savez, plus les parents vous mobilisent, plus ils vous manquent quand ils disparaissent.

Et puis là, il la ferme, comprenant qu’il a tout dit et que ce qu’il pourrait ajouter de plus pour me convaincre serait de trop.

Je prends le temps de déguster mon divin porto, histoire de mettre Kajapoul sur le gril. Dans le fond, son idée tombe à pic. J’allais prendre des vacances incessamment. Je devais rejoindre Jérémie Blanc au Sénégal, dans son village perdu. Les tam-tams, les vilains insectes, les bouffes au piment, ça sera pour une autre année. Je lui télégraphierai que j’ai un empêchement.

— D’accord, Sauveur. A une condition.

Il s’éclaire, que dis-je : s’illumine.

— Oh ! commissaire ! Là, vous vous me faites plaisir. J’accepte votre condition, toutes vos conditions.

— Je carmerai mon voyage, Air France me fait des prix poulets.

Il va pour protester, se ravise :

— Vous ne voulez pas vous laisser rincer avec du pognon douteux ?

— Exact. Je peux pas me permettre d’introduire le doigt dans ce genre d’engrenage.

Il renfrogne un peu, l’air de dire : « Tu veux pas y mettre le doigt, mais ta bite, tu l’as déjà fourrée dans l’engrenage de la truanderie puisque tu sautes ma gosse, grand dégueulasse ! »

Oui, ça exactement, il pense, Sauveur. Je le lis en caractères géants dans ses yeux. Seulement il a le tact de ne pas proférer des mots qui carboniseraient notre projet.

Il me tend la main, je la presse.

Il appartient à la génération des bandits d’honneur, le vieux voyou. Il aurait pu devenir P.-D.G. ou armateur si la vie ne s’était pas goupillée mochement pour lui, dans sa jeunesse. L’adolescence, c’est toujours le mauvais cap à franchir ; il est rare que les adultes se mettent à brigander. Ils glissent escrocs, parfois, traficoteurs because l’appât du gain, la soif du grisbi ou les ratages professionnels. Mais truands, c’est comme la danse : faut démarrer de bonne heure.

Je le raccompagne jusqu’au portail en cours de repeintage. Il grimpe dans sa Mercedes d’homme arrivé. A cet instant, Toinet sort de l’appentis, l’air tout chose. Je tressaille en repensant à la môme Maria qui y expose ses trésors andalous.

— D’où viens-tu ? l’apostrophé-je.

Au lieu de répondre à ma question (qui d’ailleurs, devant l’évidence, est sans objet), il demande :

— Dis voir, grand, treize ans, c’est jeune ou pas pour tirer son premier coup ?

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