Chapitre 19
Angélique s'étira longuement, surprise que le jour succédât si subitement au soir. Elle avait dormi d'une traite.
Une indéfinissable allégresse flottait au fond de son esprit embrumé et engourdissait ses membres.
Elle se souvint. Il y avait eu le doute, la peur, les pensées noires, la détresse, et puis tout cela s'évanouissant dans les bras de Joffrey de Peyrac. Il avait refusé de la laisser se débattre seule, il l'avait contrainte à se réfugier en lui, et c'était merveilleux... La main d'Angélique lui faisait mal. Elle l'examina avec étonnement, y vit une meurtrissure et se rappela. Elle l'avait mordue pour étouffer ses plaintes dans l'amour. Alors, riant à demi, elle se lova sous les fourrures. Blottie dans leur tiédeur, elle se remémorait certains gestes, certains mots de la nuit. Ces gestes qu'on Fait, ces paroles que l'on prononce sans presque les entendre dans le mystère de l'ombre et l'effervescence du plaisir et dont on rougit ensuite...
Que lui avait-il dit cette nuit ?... « Je suis si bien en toi... J'y resterais ma vie... »
Et, à s'en souvenir, elle souriait, et sa main caressait la place vide à ses côtés, où il avait reposé.
Ainsi, dans la vie des couples, des nuits de pourpre et d'or jalonnent-elles leurs destins, et ces nuits les marquent en secret, avec parfois plus d'intensité que les bruyants événements des jours.
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Lorsque Angélique, pleine de remords d'assumer plus tard que de coutume ses tâches ménagères, rejoignit ses compagnes dans la salle commune, elle apprit par leur conversation que M. dé Peyrac avait quitté le fort, tôt le matin, accompagné de Florimond, Ils avaient chaussé leurs raquettes et s'étaient chargés de vivres en prévision d'un assez long parcours.
– A-t-il dit dans quelle direction ils se dirigeaient ? demanda Angélique surprise d'une décision qu'il ne lui avait laissé en rien pressentir.
Mme Jonas secoua la tête. Malgré ses dénégations, Angélique eut l'impression que la bonne dame soupçonnait le but de cette expédition inattendue. Elle détournait les yeux et jetait des regards entendus à sa nièce.
Angélique alla interroger le signor Porguani. Il n'en savait guère plus long que les autres. M. de Peyrac était venu le trouver de grand matin pour l'avertir qu'il s'absentait quelques jours, malgré la rigueur du froid.
– Il ne vous a rien dit de plus ? s'écria Angélique, alarmée.
– Non, il m'a seulement demandé de lui prêter mon épée... Elle se sentit pâlir. Elle fixa le gentilhomme italien. Puis s'éloigna, sans insister. Chacun se remit à ses travaux et la journée s'écoula comme tous les autres jours de ce paisible et dur hiver. Personne ne s'entretenait du départ de M. de Peyrac.