Chapitre 25
– Ainsi vous l'avez tué ? demanda Angélique lors qu'elle se retrouva seule avec son mari dans le réduit qui leur servait de chambre... Vous l'avez tué, n'est-ce pas ? Vous avez risqué votre vie pour cette folie ? Parce qu'un homme m'avait fait la cour ?... Dites-moi, est-ce raisonnable, monsieur de Peyrac ?
Le comte s'était jeté d'un seul coup en travers du lit où il étendait ses membres las. D'un regard ironique, de bas en haut, il affrontait le courroux d'Angélique.
– Pont-Briand, c'était quelqu'un de là-haut, dans le Nord, reprit-elle en se penchant. Maintenant, que vont-ils faire au Canada quand ils apprendront cela ? Ils vont chercher à en tirer vengeance, dénoncer les traités...
– Il y a longtemps que les traités ont été dénoncés, dit Peyrac ; à peine l'encre avait-elle séché qu'on nous a condamnés à mort et envoyé les Patsuiketts.
Il se leva à demi et la prit aux cheveux, sur le front sans brutalité, mais pour qu'elle le regarde en face.
– Écoutez-moi bien, mon cœur. Il y a une chose qui n'est pas près de mourir en moi. C'est le besoin ardent que j'ai de vous et il est naturel que je veuille que vous n'apparteniez qu'à moi seul et tout entière. Appelez cela jalousie si vous le désirez, qu'importe ! Nous n'avons atteint ni vous ni moi l'âge des apaisements de la chair, loin de là. Je ne vous laisserai jamais à vos seules forces et à celles des tentateurs...
– Avez-vous pu craindre que je ne sois séduite par un tel individu ?
– Non, même pas. Mais je pressens qu'il pourrait y en avoir de plus hardis que celui-ci. La faiblesse des uns est bonne conseillère des autres. Sachez que défendre son honneur dans ces contrées sauvages est une question de vie ou de mort !... Or, vous êtes ma vie !... Je tuerai tous ceux qui chercheront à vous enlever à moi... Voilà ! il fallait que cela fût dit...
Et comme elle se penchait sur lui, il l'attira brusquement à lui et baisa sa bouche, avec force, de ses lèvres sèches et blessées par le gel.
*****
Florimond faisait à Cantor ses confidences.
– J'ai cru périr. Notre père a autant de souffle à la course qu'un Peau-Rouge ou qu'un Canadien.
– À l'épée ou au pistolet ?
– À l'épée. C'était magnifique. Mon père connaît toutes les feintes, et une botte qu'il faut être jongleur pour réussir, ma parole... L'autre s'est bien défendu. Il était médiocre, mais prompt et endurant.
– Et... il est mort ?
– Sûr qu'il est mort. Une botte comme celle-là, ça ne pardonne pas ! En plein front !...
Florimond se rejetait sur son grabat, les yeux brillants.
– Ah ! L'épée ! Voilà une arme de gentilhomme. Ici, dans ce pays de culs-terreux, on ne sait plus ce qu'est l'épée. On se bat au casse-tête, à la hache, comme les Indiens, ou au mousquet comme un mercenaire. Il faut se souvenir de l'épée. C'est le dard des âmes nobles !... Ah ! Être cocu un jour et pouvoir m'offrir un beau duel !...