Chapitre 14

C'était la troisième nuit qu'elle dormait contre ce long corps masculin, dans la tiédeur de son lit confortable et des courtines bien tirées. Elle ne se lassait pas de savourer la sensation retrouvée d'une présence à ses côtés et jusque dans l'inconscience elle jouissait de le sentir là. Et quand l'aube venait avec le sommeil plus léger, elle cherchait le premier contact d'une main immobile, la douceur d'une chevelure. Quand il ne serait plus là elle aurait de nouveau froid, elle serait de nouveau seule. Elle ne s'interrogeait pas pour savoir si elle l'aimait. C'était sans importance.

Il s'éveilla subitement, avec la promptitude d'un homme habitué à être aux aguets. Elle s'étonnait chaque fois de ce visage étranger : un court instant elle éprouvait l'effroi de la femme d'une ville vaincue et qui s'éveille dans le lit de l'envahisseur. Mais il la prit dans ses bras. Elle était nue. Elle ne se lassait pas d'être nue et soumise. Son corps lui semblait altéré

de caresses. Et l'homme, qui n'imaginait pas qu'aussi belle et entourée elle ait pu vivre longtemps solitaire, s'étonnait de la découvrir câline et passionnée, infatigable au plaisir, réclamant et acceptant l'amour avec une sorte de timidité éblouie.

– Tu ne cesses de te révéler à moi, lui murmura-t-il, dans le coin de l'oreille, je t'imaginais très forte, un peu dure, trop intelligente pour être vraiment sensuelle. Et tu possèdes toutes les merveilles ! Viens avec moi, tu seras ma femme.

– J'ai deux fils.

– Nous les emmènerons aussi. Nous en ferons des cavaliers des steppes et des héros.

Angélique essayait d'imaginer l'angelot Charles-Henri en martyr de la cause hongroise et elle riait, en éparpillant négligemment ses cheveux sur ses épaules satinées. Rakoczi l'étreignit sauvagement.

– Comme tu es belle ! Je ne pourrai vivre sans toi. Loin de toi ma force s'écroulera comme d'une blessure. Tu ne peux me laisser maintenant... Brusquement il se redressa.

– Qui vient là ?

D'un geste violent il tira les courtines. Il vit dans le fond de la chambre la porte s'ouvrir et sur le seuil Péguilin de Lauzun. Derrière lui se profilaient les silhouettes à grands panaches des mousquetaires du roi.

Le marquis s'avança, salua de son épée et dit fort courtoisement :

– Prince, au nom du roi, je vous arrête.

Après une seconde de mutisme, le Hongrois sortit du lit sans aucune gêne et salua.

– Mon manteau est sur le dossier de ce fauteuil, dit Rakoczi, très calme. Veuillez avoir l'obligeance de me le passer. Le temps de me vêtir et je vous suivrai, Monsieur.

Angélique se demandait si elle ne rêvait pas. Cette scène ressemblait au cauchemar qui la hantait depuis trois nuits.

Elle demeurait pétrifiée, inconsciente du désordre impudique qu'elle présentait. Lauzun la considéra avec une mimique admirative, lui envoya du bout des doigts un baiser, puis à nouveau raidi :

– Madame, au nom du roi, je vous arrête.

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