Dans la nuit brêmoise, Mathias ressemble à une bougie allumée. Ses cheveux roux-ardents (ô combien !) accaparent toute la clarté lunaire, parcimonieuse certes, mais qui suffit pourtant à faire flamboyer le prince souverain de notre laboratoire de police.
On lui virgule un geste aimable, auquel il répond par un autre plus aimable encore. Il rit en nous regardant filer en direction du bateau qui vient de jeter l’ancre dans l’eau (déjà) noire du bassin.
Grett est toute pimpante dans un petit tailleur faussement Chanel et vraiment teutonique, couleur rose-cucul-la-praline. Elle est peinte en guerre pour affronter son époux (vantail). Sa croupe ondule devant moi de façon intéressante. J’arque difficilement, me tordant les targettes sur les pavés ronds du quai (du radada). Heureusement, le Valeureux me soutient de son bras d’airain.
Des projos font de cet abordage un spectacle féerique. On entend des cris gutturaux, des grincements de poulies (trop poulies pour être au net), de sourds halètements de machines qui s’apaisent.
Là-haut, sur la dunette du Nekmair-Jiturr, un homme massif, aux épaules géométriques, aux traits sculptés par les pénombres, dirige la manœuvre. C’est le commandant Mhoröflyk. Il fait pirate de grand style. Boucanier échappé d’un bouquin de London ou de Stevenson. C’est l’aventurier-des-mers-type. Race en voie d’extinction, dont quelques spécimens subsistent encore dans la cinquième partie du monde, à travers les coraux d’Océanie. Tronche d’acier, cœur de bronze… Il doit boire sec, botter le cul de ses matafs et calcer comme un sauvage les radasses d’escale ; leur plantant un bifton de vingt dollars dans le prose, en guise de petit cadeau, une fois son plaisir acquis. Du mec, quoi !
La manœuvre s’achève. Le monstre noir est immobile sur l’eau malodorante. Des marins s’activent à descendre l’échelle. Des gabelous attendent de pouvoir escalader la passerelle en discutant dans cette langue qui a assuré la réputation de la gestapo. Ils connaissent Grett et la saluent respectueusement.
— Hou ! hou ! lance cette dernière (en avant-première) au commandant.
Le brouhaha s’est calmé et l’officier perçoit l’appel. Il fait un salut romain. L’on dix raies Neptune en uniforme de la marine marchande germaine. Puis il nous avise au côté de sa gerce et sourcille. Bien évidemment, il se demande qui nous sommes et ce que nous maquillons en pleine noye en compagnie de sa bobonne.
Je me tamponne de son étonnement, c’est le cadet de mes six sous. Je suis bien trop préoccupé par l’ascension de la passerelle.
— Pas fastoche, hé ? ronchonne Béru que le sommeil tarabuste.
— Un vrai calvaire, renchéris-je.
Il murmure :
— J’aurais p’t’-être dû attendre avant de prendre le médicament dont le Vieux m’a fait apporter par Mathias, m’est avis qu’il vous sonne le caberluche ! Je m’sens la cervelle en caoutchouc mousse.
— Ça urgeait, objecté-je. On ne pouvait plus te laisser indéfiniment dans cet état, Gars. Tu commençais à me regarder d’une drôle de façon !
— Ben quoi ; t’es belle gosse ! glousse mon champion du métronome à crinière.
Nous nous taisons, parce que parvenus à bord. Grett respire un grand coup pour bien s’oxygéner les serviettes avant de produire son effort, puis s’élance dans les bras de Mhoröflyk. Étreinte farouche, mimi-goulu, bisouille mouillée, guiliguiliguili !
La grande scène des retrouvailles, quoi, bref ! Dans ces cas-là y’en a toujours un qui est content. L’autre est obligé de faire semblant, si bien que l’harmonie est totale.
Pour une épouse haïsseuse qui sort des poils de poitrine de son amant, elle comporte bien, Grett. Beau boulot de poudre aux châsses. La chère petite madame en manque de bonhomme frais, voilà un rôle à sa mesure. Le côté : « Enfin toi, j’en pouvais plus d’attendre », elle vous le sort avec brio. Au conservatoire, elle te décroche le first prix of tragédie, Poupette !
On sent qu’elle va l’éponger de première, l’intrépide arpenteur d’océans. « Terre ! Terre » qu’elle meuglait depuis son tonneau, la vigie à Christophe Colomb. Terre à terre, oui ! Le plancher des vaches ? Y’en a bon matelas Simmons ! Hue cocotte, dans les brancards ! Fluctuation dans la fourrure ! Grimpe après mon mât de misaine, dearlinge ! Ton mât de misère, tu veux dire ! Mets-toi à jour, mon grand ! Défriche-toi bien le potager, bébé rose ! En veux-tu ? En voilà ! À fond de cale, polisson ! Un roulis-roulier ! Roulis-roulure ! T’engages ton gouvernail dans la soute à charbon ! T’as un poil à ta soute ! O, mari, qu’on sut s’empêcher ! Qu’on sue, sans pêcher ! Con suçant pet chez ! Aboule-le ton champignon anatomique ! Remonte-moi le gulf-stream ! T’as du forcing dans les alizés ? En avant toute, matelot ! Ton anguille dans la matelote ! Ô ! Combien de marins, combien de capitaines, depuis ton absence ? J’sais plus ; j’ai pas compté… Baisse ton grand foc ! Tire ta bordée ! Escalade-moi le gaillard d’avant, mon lou-loup de mer ! Vivement la quille ! T’as pas du jeu dans l’hélice de giration, des fois ? Arpente-moi le pont promenade, mon amour ! Je t’aime, car tu n’es pas que beau ! Combien tu me files de nœuds à l’heure, mousse-haillons ? T’es guindé du guindeau, bonhomme ! Encore un coup dans le radadar ! Quoi ? Ton ferry boite ? Rajuste tes flotteurs, petit chou ! »
Ça devrait s’opérer tel que, les embrassades. Chauffe, Willy ! Chauffe ! À t’en faire éclater la chambre des machines ! Ta chambre et tes machines !
Après un ravalement sauvage, très spectaculaire, et très spectaculé par le personnel navigant, les deux futés s’écartent l’un de dedans l’autre.
— Oh ! Wil, exclame la fichue garce, laisse-moi te faire une bonne surprise. Tu te rappelles que je t’ai souvent parlé de Liliane, mon amie de pension, à Luxembourg ?
— Hmm, hmm, fait sans joie le commandant.
Il a une sacrée gueule, le maître du Nekmair-Jiturr. Un vrai corsaire, je vous le répète. Tout à fait soit dit entre nous et la flèche de la cathédrale de Chartres, ce gars doit mieux savoir faire reluire une gerce que le Hans entrevu tout à l’heure. Une nuit d’amour avec le capitaine Mhoröflyk, vous parlez d’une tempête sur l’oreiller, mes braves ! Tout le monde sur le pont ! La mousson ! Pontamousson ! Déboutonnez vos écoutilles ! Seulement il est inutile de chercher à piger : les bonnes dames sont commak. Vaut mieux prendre leurs désirs pour des raies alitées. Elles vivent à l’heure de leurs glandes, nos belles ! Elles savent que la pudeur c’est du temps perdu.
— Eh bien, imagine-toi que Liliane était en voyage à Brême avec son mari et que nous nous sommes trouvées nez à nez à l’angle de Grosschibredanlémichstrasse et Ravensbrückplatz. On est restées au moins trois minutes la bouche ouverte de saisissement, n’est-ce pas, Lili ?
— C’est vrai, Grett, roucoulé-je en rajustant mon sac à main sous mon brandillon, je n’en suis pas encore revenue. Ainsi donc, voilà ton époux ! Mes compliments, il est bel homme !
En minaudant, je présente ma paluche au commandant. Galant homme, dès qu’il a jeté l’ancre, il me fait un baise-main. J’ai bien fait de me raser les poils sur le dos de la dextre et de m’oindre de crème à la citronnelle. J’étire mes doigts au maximum, je creuse ma pogne pour la féminiser. Notez que je fais une belle gonzesse, grâce aux soins éclairés de Grett. Une perruque blonde, coiffée en rouleaux. Un fardage raffiné : faux cils, vert aux chasses, brun aux sourcils, rose à joues, rouge à lèvres, grains de beauté noirs… Joignez à cela de fausses loloches en caoutchouc, une délicieuse robe imprimée, des chaussures à talons, une voix perchée de travesti et vous admettrez l’œillade admirative dont m’honore le marin.
— Ravi de vous connaître, Liliane, dit-il sobrement. En effet, Grett m’a si souvent parlé de vous que j’ai l’impression de vous connaître. Mais je ne vous imaginais pas si grande…
Je glousse. Puis, rapidos, histoire de changer la converse :
— Permettez-moi de vous présenter mon mari, Alexandre-Benoît Bérurier. Malheureusement, il ne parle pas l’allemand.
— Il est Luxembourgeois aussi ?
— Non, Belge. De Liège…
Mhoröflyk tend la main à mon con-joint.
— Content de vous connaître, dit-il en français. Comment ça va, à Liège ?
— Beuh, ça flotte ! rétorque le Pertinent.
— Vous faites dans l’industrie ?
— Non, je fais à côté, répond mon cher époux. J’achète de l’eau chaude pour en faire de la glace. C’est moi que j’ai équipé Olida on ail quand ils sont venus en Belgium. Ils m’ont voté des compliments espéciaux. Faut dire que chez eux, le plancher, c’est tout, hein ? Faut pas qu’ait de grumeaux…
Il jaspine d’une voix un brin pâteuse, Pépère. D’abord parce qu’il a sérieusement biberonné au cours de la nuit, en attendant le barlu ; ensuite parce que le médicament de Mathias lui chamboule un peu le mental.
Grett intervient opportunément.
— Will, mon chéri Nounours, figure-toi que Lili monte sur un bateau de haute mer pour la première fois. Tu permets que je lui fasse visiter le Nekmair-Jiturr ?
— Naturellement, consent Mhoröflyk. D’autant plus que je ne peux pas quitter le bord avant plusieurs heures.
Roulade de galoches, puis on part en vadrouille, tous les trois, sous les regards concupiscents des matafs en manque de tendresse.
— Bravo, dis-je à Grett, sitôt que nous nous trouvons à l’écart, vous avez été de première, ma chérie.
Elle sourit.
— Si jamais Willy apprend que je l’ai berné, il y aura du vilain.
— Ce serait bien le diable si la véritable Liliane débarquait inopinément chez vous.
M’autorisant de notre « vieille amitié », je la prends par la taille. Je sens frémir sa hanche sous mes doigts. Une vraie passionnée, Grett. Je me la respirerais bien, malgré mon accoutrement, seulement on irait prétendre que je verse dans le salace. Et puis, franchement, je tiens une migraine atroce, au point que je souhaiterais être Louis XVI. Ça me vient de mon foutu plombage. On ne peut avoir envie simultanément d’une femme et d’un dentiste, vous en convenez ?
— Par quoi voulez-vous commencer ? me demande la délicieuse Mme Mhoröflyk.
J’ai envie de lui répondre « Par la fin », en soulignant d’une caresse éloquente, mais nous ne sommes pas là pour gaudrioler.
Je réfléchis.
Que dis-je : je réfracte !
« Un caillou de deux tonnes… »
Ils n’ont pas déposé cette fabuleuse fortune dans la cale, avec le fret ordinaire que la douane va inventorier.
Illogique ! Trop risqué…
Je passe un coup de saveur à mon « mari ». Je devine quand le Gros méninge à l’unisson. À la qualité de son silence. À la façon dont il respire…
Ses yeux cherchent les miens.
— Tu voudrais que je te dirais ? murmure-t-il d’un ton comateux.
— J’aimerais.
— Y z’ont mis « ça » à part…
— C’est ce que je pense aussi.
— Pas loin, pour que ça soye commode à débarquer. Y peuvent pas se permettre qu’on découvrasse c’t objet. Un machin pareil… Tu juges…
— Je juge.
— D’autant que, si tu materais les douaniers doryphores, y boulonnent dans le sérieux. Av’ceux, c’est le grand épluchage.
Grett attend, légèrement à l’écart. Drôle de gonzesse. Elle paraît prodigieusement surexcitée par la situation. Elle espère de grandes choses de cette nuit décisive.
— Bon, résume Gros-bide après un temps de méditation ; nous disons donc : le diamant est à part, bien planqué, facile à débarquer… Seulement il pèse deux tonnes, faut obligatoirement une grue pour manier cette babiole. C’est pas le genre de machin que tu débarques dans ta trousse de voyage, ou même dans ta cantine…
Une grue ! Dès lors le risque réapparaît. Or, tout me dit (mon flair et mon intelligence démesurée) qu’une organisation ayant mobilisé tant d’effectifs et de capitaux, ayant versé le sang pour s’approprier cette folie de la nature, ne peut encourir de compromettre le succès de l’opération.
— Cherchons, soupiré-je laconiquement.
D’un seul coup, d’un seul, l’espoir m’a quitté. Ma frénésie est tombée. Je me dis qu’ils sont trop fortiches, trop bien équipés pour moi. Leur puissance est immense.
On se met à chercher néanmoins…
— Je viens de faire une découverte exceptionnelle ! m’annonce le Somnolent.
Je tressaille, déjà en alerte.
— Quoi ?
— Mon infirmité, Mec : ça y est !
Il me désigne son pantalon paisible comme une place de village après le départ du cirque.
— Tu vois, murmure-t-il : finito, râpé, terminate ! Inscrivez absent ! M’sieur Popaul est en vacances ! On joue « Sur la mer calmée » dans mon Éminence.
— Ben, tu dois être soulagé, non ?
Il hausse les épaules.
— J’sais pas, Mec. J’sais vraiment pas. Je commençais de m’y habituer. C’était pas si tellement désagréable, au fond… J’espère que la charognerie à Mathias m’aura pas mis sur la touche définitivement.
« Bien, conclusion, pour ce qui est de l’affaire, on est chocolat, hein ? Pas plus de caillou à bord que d’histoires marseillaises dans le Bottin mondain. Ces vaches ont dû débarquer leur praline avant d’aborder. Tu parles qu’un coléoptère se sera posé sur leur pont avant qu’ils fussent près des côtes. Si tu permettrais, je vais aller rejoindre Mathias dans la chignole pour en concasser un peu, j’ai une dorme de marmotte. Me semble que je vas glisser dans les bois dormants de la Belle jusqu’à la Saint-Troudemonc.
Comme preuve de ce qu’il avance, il bâille.
— Va, fais-je lugubrement en considérant les deux énormes fraises gâtées qui lui tiennent lieu d’amygdales. Repose-toi, homme de bien…
Il sort en titubant de la cabine du capitaine où nous venons d’échouer, après notre perquise acharnée.
— Vous vous êtes trompé ? questionna doucement Grett.
— Je crois bien en effet que j’ai fait fausse route, admets-je en me laissant choir dans un fauteuil anglais.
— Dommage, soupire la jeune femme.
Elle ne m’en veut pas. Un instant, je lui ai fait espérer une issue à sa situation. Elle a cru en moi, spontanément, mais elle me pardonne mon échec. Les filles, ça connaît la résignation. C’est convertible à tout. Adaptable comme ces manteaux que tu peux allonger ou raccourcir, retourner, capuchonner, à ta guise.
Elle vient à mon siège, lentement, s’assoit sur l’accoudoir.
— Ne soyez pas trop déçu, murmure-t-elle.
Sa main s’avance vers moi, plane un instant autour de mon visage fardé. Elle n’ose s’y poser et se retire, comme un petit avion de reconnaissance venant de se faire reprérer.
Elle rit frêle. Son regard brille.
— Savez-vous que vous êtes terriblement excitant, comme ça ? Tiens, elle aime les complications, notre Grettoche. Le guerrier travesti, ça la botte (si je puis me permettre d’oser[30]).
J’ignore quel vertigo me point, mais vouala-t-il pas que je me la cramponne d’un geste brusque, irréfléchi. L’élan du cœur ? Non, çui du schplafitzbul à béquille orientable, mes fieux ! La gigue, quoi ! Je la plaque face à San-Antonio. Elle m’accalifourchonne sans hésiter. Des parenthèses fabuleuses. On se déguste réciproquement le rouge à lèvres. On se démène dans une chevauchée éperdue qui fait fi des contraintes et autres remparts de nylon. On déchire ce qui s’interpose. On va au plus pressé. Et le plus pressé, c’est nous ! Mes nerfs qu’exigent, z’enfants ! Veulent leur pâture. Vont l’avoir… Bougez plus… Ça y est : l’ont ! L’ont long ! Et lon lon lère, et lon lon la ! Merde ! M’ v’là soudain partenaire in partibus ; car la forte voix du capitaine ad hoc retentit :
— Mille diables ! s’écrie-t-il.
Je reste coi. Elle reste coite. Nous restons coïts !
Quel vilain moment !
Bien fait pour nous ! On aurait dû pousser le loquet avant de s’entrejamber. Seulement, moi qui ne pense qu’à ouvrir des lourdes, je ne me préoccupe jamais de les refermer.
L’officier est là, la casquette rejetée en arrière. Le visage rougeoyant, le regard incertain. On pourrait croire qu’il va exploser. Et puis non, un sourire vicelard fend son visage buriné.
— Hé bé, fait-il, je comprends pourquoi tu aimais tant ton amie Lili, Grett ! Ainsi, toutes les deux… ha, ha ! Tu m’avais caché ça, chérie ! Mais dites donc, vous pourriez attendre ce bon Willy pour batifoler, mes chéries. Deux belles filles, pour un homme sevré depuis plusieurs semaines, c’est plutôt une aubaine.
Moins truffe que mézigue, il prend soin de verrouiller sa crèche, puis il s’avance avec un regard qui lui pend jusqu’aux rotules. Je lis le rut dans ses yeux, comme naguère dans ceux du Gravos. Il se pourlèche. Jamais ne me suis trouvé dans une situation semblable, mes belles friponnes. Never ! Vous vous rendez compte ? Non, mais qu’est-ce je vais fiche, moi ! M’esbigner… Laisser les chers époux s’expliquer en tête à tête ? J’amorce un mouvement tournant afin de me désengager de madame Mhoröflyk sans créer la panique. Premier temps ! Réussite absolue, bravo Santantonio ! Second temps : refouler la gueusette afin de pouvoir quitter ce fauteuil. Je m’y emploie. Y parviens. Malheur ! La tuile ! Creuse ! Romaine ! Figurez-vous que Grett porte un bracelet auquel sont accrochées une floppée de petites conneries tintinnabulantes. L’une d’elles se prend dans mes faux cheveux. Zoum ! Ma perruque est arrachée.
Mamma mia, cette frite du Pitaine !
L’est plus d’accord, le vieux salingue. L’appartient à ces bonshommes qui ne se sentent pas cocus lorsque leur mousmé tâte du gigot à l’ail, mais qui trucident quand ils la chopent avec un jules.
Il pousse un grondement de locomotive dans un tunnel. Je n’ai que le temps d’esquisser un pas de côté. Il fracasse un lampadaire dans sa ruée. Volteface. Moi, que voulez-vous, je me dis que l’instant est venu de sauver mes os et leur emballage. Aussi, que fais-je ? Je ne vous le donne pas en mille, à quoi bon l’émietter ? Je vous le file en bloc. Je prends le taureau par les cornes du commandant. Carrément ! Près de moi, au mur : une statue de bronze représentant un chinois en train de planquer son magot. Je l’arrache. Et boum ! Mhoröflyk déguste en pleine margoulette. S’il avait de la gingivite, le v’là réparé. Ça craque dans sa bouche. Il titube. S’abat en geignant à genoux devant l’accoudoir du fauteuil.
Sa nana nous contemple. Elle s’approche de moi et me prend doucement la masse de bronze que je n’ai pas lâchée. Hébété je la laisse agir… Tout est allé si vite…
— Non, tu es folle ! mugis-je !
Trop tard !
De toutes ses forces, elle cogne la nuque de son mataf. V’lan ! v’lan ! Et re-v’lan v’lan ! Ce gâchis ! La tête à Willy vient d’éclater. Il raisine comme une barrique tombée du camion.
Grett jette le masque. Elle court à la porte en hurlant au secours !
Ah ! non, pas de ça, lisette ! Salope, je veux bien : je suis preneur, mais garce à ce point, je m’y refuse. C’est du veuvage à bon marché ! En solde ! De l’artisanat.
Je l’estourbis d’une manchette à la tempe, pile comme elle allait déboutonner la serrure.
À cet instant on cogne. Des voix anxieuses crient « Qu’est-ce que c’est, Herr commandant, ouvrez ! Ouvrez vite ! » — Puis il y a des appels… Marron, mon San-A. Tu t’es laissé enfler comme une rosière mongolienne.
Moi, vous me connaissez ? Suffit qu’un cas semble désespéré pour qu’il me passionne. J’arrache ma belle robe du dimanche. Je lance mes escarpins cendrillonnesques à travers la turne. Je dévisse l’hublot. Je m’hisse sur une table d’acajou. Et puis plouf !
La méchante plongette dans le non moins méchant bouillon.
Brrrr, ça réveille !
Mais que pouvais-je faire d’autre !
Hmmm ?