J’ignore si vous êtes déjà allés à Mékouyanbar.
Ça m’étonnerait car vous n’avez pas la tête à ça. Vous autres, aventuriers de la Costa Brava, vous les Magellan de la Côte d’Azur ! Les Jacques Cartier du Finistère, les Colomb-bains de l’Adriatique, si vous n’avez pas un palmier en point de mire et un restaurant Bonaccueil à portée de la soif, vous ne vous hasardez pas. Vous timorez du Kodak, les gars. Sur vos photos de vacances, y’a toujours un monument t’aux morts ou une nappe à petits carreaux. Ou bien, y’a rien. Tenez, je me rappelle d’une fois que je draguais à Santa Cruz de Ténérife dans la vieille ville aux immeubles baroques, un couple de touristes teutons… Les Canaries, y’a que du chleuh : le jour qu’on voudra bousiller la moitié de la population allemande, y’aura qu’à lâcher une bombe H sur les Canaries entre Noël et le Jour de l’an. Donc, mes deux choucrouteurs s’entre flashaient à tout va. Et savez-vous ce qu’ils avaient choisi comme toile de fond ? Un mur blanc ! Vous m’entendez ? Un grand mur éblouissant ; je jure ! Bétites fotos souvenir ! Voyage enchanteur aux îles enchantées ! La mère Gretta, rose-cochon dans son bermuda et son chemisier à fleurs, avec son chapeau de paille espago, ses lunettes de soleil de vingt centimètres de diamètre… Un mur bianco, virginal ! Cru comme l’écran servant aux clichés anthropométriques. Commentaire pour les copains de Frankfurt ? « Nous à Ténérife. » Sans plus ! Nous à Ténérife ! Ah, les bœufs ! Eux, dans leur connerie, ça oui, toujours, bien fidèlement ! Eux, en pleine saloperie ! Eux aux chiottes ! Eux, morts ! Tels qu’en EUX-mêmes. Eux, œufs ! Heu heu ! Viande avariée, si combien ils savaient ! Qu’à peine morts les voilà tout noirâtres de l’extérieur, comme si enfin leur intérieur faisait surface ! Dégoûtation, va ! Je m’y habituerai jamais à ces salauds d’hommes. À force, j’ sais plus où m’aller cacher pour ne plus les voir. Ermite ? D’accord, mais avec qui ? Faut être au moins deux pour être bien seul. Si t’es seul seul, t’es plus seul. Y’a toi ! Tu te tiens compagnie. Tandis qu’avec un autre, fatalement te voilà absent, expulsé ! L’autre te chasse et ne te remplace pas.
Vers le milieu de l’afternoon nous atteignons donc le port de Mékouyanbar.
Oh ! l’étrange ville !
D’après Béru, elle est invisible. C’est un mirage à l’envers. Un mirage, tu vois et ça n’existe pas. Là, tu vois rien mais ça est ! Les maisons sont toutes sous terre à cause de la chaleur. Rien ne les signale à l’attention du voyageur ; si ce n’est le sol où l’on a peint paraît-il (et non pas pins parasols, hélas) le tracé des rues, le numéro des immeubles et les panneaux de signalisation. Peu de gens en surface. Ils circulent sous des parapluies blancs en respectant les passages cloutés. Dès notre arrivée nous avons maille à partir avec la police. Un Noir accroupi sous un large képi nous siffle ! On s’arrête. Il vient à nous d’un pas fatigué. Toujours selon le Gros, il a l’œil mauvais et la bouche comme une paire de gants de boxe accrochés à un clou.
— Ça vous amuse ? il nous abrupte.
— Quoi donc ?
— Vous circulez sur le toit de la préfecture !
On se fait expliquer le comment du sortilège et le flic nous rancarde sèchement.
— Ça fera cent bananes d’amende ! conclut-il.
On plaide non-coupable.
— Nous ne sommes pas d’ici, monsieur l’agent.
— Qui me le prouve ?
— Nos papiers, tenez !
— Je ne sais pas lire…
— Alors notre couleur de peau, si vous voulez bien nous considérer attentivement, vous vous apercevrez que nous sommes blancs.
— Je suis daltonien !
Décidément, ils sont vachement incommodes les poulardins de Mékouyanbar.
J’ai une inspiration :
— Nous sommes des confrères à vous, mon ami. Nous enquêtons au sujet du cigare volant de l’autre nuit, vous avez dû en entendre parler, car la police sait tout. Une prime de mille bananes est offerte à qui pourra fournir des indications à ce sujet !
Pour le coup, je l’entends sortir de sa grincherie. Sa jubilation glougloute. Il trépigne sur place, ce qui me provoque un éternuement car, ce faisant, il soulève la poussière sèche du sol.
— Mille bananes ! s’exclame le policier.
— Pas une de moins.
— Alors avec moi vous tombez bien, j’ai tout vu.
— Vous étiez de service la nuit en question ?
— Non, j’étais de naufrage.
— Comment cela, de naufrage, cher éminent collègue ?
— Mon frère et moi nous sommes naufrageurs dans le privé, car nous habitons une maison sur la colline. Bien que souterraine, elle aussi, sa fenêtre donnant sur la mer, avec vue imprenable, domine toute la contrée. La nuit, moi et mon frère on se relaie pour imiter le phare de Mékouyanbar qui ne marche pas, mais qui figure sur les cartes marines. Beaucoup de bateaux s’y trompent, vous comprenez ? Ils veulent nous contourner, et alors ils vont se briser sur les rochers. Dès qu’on a couillonné un cargo, tout de suite on met la barque à l’eau et on va ramasser les meubles qui flottent pour les revendre à un antiquaire de la rue Jacob à Paris, spécialisé dans les meubles bateaux. C’est surtout bon lorsqu’on a affaire à un bateau anglais, à cause du style. Le mois dernier on a récupéré une commode fin XVIIIe de toute beauté.
— Et alors donc, vous naufragiez, la nuit de l’engin volant non identifié ? coupé-je.
— Oui. Mais parole d’honneur, vous me versez la prime ?
— Yes, mec, pisqu’on te le dit ! s’emporte Béru. Tes mille bananes, c’est comme si tu les aurais déjà dans le prose, alors cause !
Le flic déglutit.
— Bon, oui, je manœuvrais le faux phare. Et puis qu’est-ce que j’aperçois au firmament ?
— Une espèce de gros cigare illuminé ? suppose Bérurier.
Notre interlocuteur éclate :
— Si toi tu sais, va toucher ta prime et fais pas ch… le monde ! l’apostrophe-t-il.
— Continuez, mon bon ami ! fais-je en rassemblant ma patience. C’est du positif qu’il nous faut.
L’agent-naufrageur se calme.
— Voui, un gros cigare, énorme, tout éclairé… Il venait des marais et il paraissait vouloir traverser la mer. Et puis il s’est arrêté loin, là-bas, au-dessus de l’eau.
— Arrêté complètement ? m’enquiers-je.
— Tout ce qu’il y a de complètement.
— Longtemps ?
— Trois bouillures de casserole d’eau environ[14].
— Et après il est reparti ?
— Non, il a éclaté.
— Éclaté ?
— Un boum fantastique ! Tout le bas du ciel a été illuminé. Et puis le grand feu est tombé dans la mer et a disparu.
— Ben, mon vieux, soupire Alexandre-Benoît, elle fait comme si elle se corserait, notre historiette. Le nœud volant qu’éclate après avoir fait sa séance de calypso, ça tourne au conte de Pet-rot revu par le ridère digeste.
— Il faut que nous en ayons le cœur net, Gros.
J’affronte le flic.
— Dites donc, cher confrère, pourriez-vous nous procurer un bateau ?
Il réfléchit.
— Hum, difficile.
— Cependant Mekouyanbar est bien un port, que je sache ?
— Je ne vous dis pas le contraire, bougonne-t-il, seulement y’a pas beaucoup de bateaux.
— Vous venez de nous dire que votre frère et vous en possédez un pour la pêche aux épaves ?
— Il est en cale sèche. L’autre nuit on a eu un accident : le phare de Mékouyanbar fonctionnait exceptionnellement, on a cru qu’il s’agissait de notre faux phare et on s’est planté dans les récifs.
Il hoche la tête.
— Vous donneriez cinq cents bananes de mieux si je vous en trouvais un ?
— Pour sûr.
— Bon, alors allez chez mon frère, il vous arrangera ça. Vous voyez la colline, sur la droite ?
— Je vois, réponds ce veinard de Béru.
— Tout en haut, y’a rien, n’est-ce pas ?
— Ouais, rien !
— C’est notre maison. Confondez pas, y’a celle du sorcier juste à côté. Nous, notre numéro c’est le signe du cancer, tandis que celle de Polsis, c’est le 96. Mon service ne finit que dans une bouillure de lessiveuse, je ne peux pas vous accompagner.
— C’est là, annonce le Mastoche en stoppant.
Bien que nous nous trouvions sur une culminance, aucun souffle d’air ne rafraîchit nos figures brûlantes. À croire que la mer est une étuve.
— Cela se présente comment ? demandé-je.
— Y’a un 69 peint sur le sol, au goudron.
— Et la porte ?
— Je ne la vois pas, mais j’avise un bout de tuyau, y sert sûrement de parlophone. Attends !
Le Gros mugit :
— Y’a quéqu’un ?
Comme s’il bâillait dans un cor des Alpes.
Rien ne répond.
— Personne, conclut-il de ce silence. Ça ne doit donc pas être une conciergerie à loustic[15], mais plutôt un tout-à-l’égoût, ce qui pour des raisons de vessie dont j’ai pas besoin de te faire un dessin, m’arrange.
Presque simultanément à cette déduction, je perçois un ruissellement impétueux.
Avant qu’il ait achevé de se libérer, des vociférations se font entendre. Une voix grêle se met à nous tourner autour comme un frelon frôleur.
— Okapi ! Mangouste ! Phacochère ! glapit l’organe fêlé dont je suppose qu’il appartient au sorcier annoncé précédemment.
Tous les noms d’animaux y passent.
— Dans mon fou-tou ! Il pisse dans mon fou-tou, s’étrangle la victime de la vie diurétique du Dodu.
— Qu’est-ce c’est ça, ton fou-tout ? coupe le Gravos.
— Mon bouffement ! répond le malheureux. Qu’est-ce y t’a permis de riner par ma cheminée, dis, zébu, crotale, scarabée !
Bérurier se veut conciliant.
— Écoute, petit père, dit-il, nain et vieillard, je peux pas me permettre de te torgnoler, mais laisse-moi te dire que si t’aurais cinquante centimètres de plus et cinquante ans de moins, j’allais te confectionner une purée de gencives que t’aurais même pas pu savourer av’c une paille.
Le gnome s’arrête de déclamer.
Un silence crispé nous environne, à peine troublé par la respiration sifflante du sorcier. Ensuite de quoi, ce dernier lance d’une voix évoquant un couteau à pain sectionnant un tuyau de fer :
— Kouci Koussa ! Méli Mélo !
— Quelle horreur ! zézaie une voix de femme.
Ce qui revient à préciser qu’elle a dit en réalité quelque chose dans le genre de « quézoheu ».
Qui est-ce ?
Je ne tarde pas à le savoir par le canal de Béru (voie non navigable). Une jeune femme noire, ravissante, a jailli de terre. Semblerait, aux dires de mon compère, qu’elle est épouvantée.
— Il vient de vous jeter le sort du grand brakpaf ! bégaie l’arrivante.
— Et c’est quoi t’est-ce, comme sort ? rigole l’Enflure.
— Celui de l’impuissance, grabouille la donzelle. Votre sexe restera inerte pendant trois générations ; le grand brakpaf ne pardonne jamais. Polsis est le plus grand sorcier de la Tathmaziz.
— Le plus grand ! Caisse ça doit z’être les autres ! se marre le Vigoureux, quand tu mates ce bout de zan d’un mètre dix ! Y’ a du fadinge dans sa pygmétation, non ? Ou bien sa glande tyrolienne fait relâche. À moins que les anti-corps de môssieur Trois-pommes soyent charançonnés ? Je me perds en conjonctions.
Après ce sort effroyable, le sorcier de poche retourne en son antre et nous plusampleconnaissons la fille.
Celle-ci n’est autre que la troisième femme du frère de l’agent-naufrageur ; lequel, homme aisé de la braguette, en possède six. Nous informons la jeune personne que nous venons de la part de son beau-frère et elle nous fait pénétrer en la maison souterraine de son époux polygame.
La demeure se compose de deux vastes pièces climatisées. L’une, très grande, où l’on cuisine et où dorment ces dames, l’autre, plus petite et jonchée de tapis réservée à l’usage des deux frangins. Tout cela, naturellement, je l’apprends par Béru, lequel est un driveur d’aveugle de première classe. Il commente tout, au fur et même à mesure, avec la faconde d’un Roger Couderc.
— Gaffe où que tu nougates, Mec ! Y’ a quatorze marches, toutes plus branleuses les unes que les autres. On déboule dans une grande carrée. J’asperge une sorte d’espèce de fourneau. Dans le fond des lits-cigognes. Y’ a cinq z’autres gonzesses. Une vieille mochetée qu’a plus de chailles, une qu’on croirait mulâtresse, une mahousse, une grande habillée de maigre et une toute gamine. On dirait qu’on impressionne le cheptel, la manière que ces friponnes se pressent dans le fond de la taule. Elles nous matent comme si qu’on serait deux pères Noël en caleçon de bain. Sans me flatter, c’est surtout mézigue qu’a le ticket. Elles me perdent pas des lanternes, ces petites mères ! Mais qu’est-ce à z’ont à me dévisager le pantalon ? Oh, merde ! Et moi que je m’en étais seulement pointe aperçu !
— De quoi s’agit-il ?
— Bon gu de bois, ce tricotin, ma révérente mère ! s’écrie le Mastar. Tu verrais ce goumi que je me trimbale, San-A., t’en aurais des vapeurs ! Jamais j’eusse un chibroque pareillement semblable ! Qu’est-ce elle racontait Titine, avec son sorcier qui te fane le kangourou ! Le contraire, oui ! De quoi appeler sa mère en anglais, mon pote ! Le plus formide c’est que je ressens rien ! J’ai la tour Eiffel dans mon calbute et je m’en rendais pas compte. Je vois de quoi ça vient, fils : les fruits paradisiaques que m’a refilés le julot dans la grand-rue de Kelbochibre ! Oh ! ce gouvernail de profondeur, mon neveu ! Les boutons de ma soutane ont sauté ! Je proémine de l’Éminence ! J’ai une mâture, façon goélette ! Putain, c’est pas Dieu possible ! Je reconnais pas Popaul ! Dis, c’est pas à moi un missile pareil ! La fusée à poilau ! On me l’a gonflée au butane ! Je vas éclater ! Et ça disproportionne encore, Mec ! J’ai les jetons ! Les nanas claquent des dents ! Et en plus v’là que la frénésie m’empare ! La digue du derche ! Si je m’en téléphone pas une en priorité, je vais déjanter ! Tiens, la gravosse, là : elle me rappelle Berthy ! Cause-leur, à ces connes. Dis-y que j’ sus pas méchant. Supplie-moi la grosse d’être patiente. Je l’opérerai en douceur. À l’huile d’olive ! Où qu’est la boutanche d’huile d’olive, bordel de Zeus ! Faut que je me plante le baobab d’urgence ! J’ai le feu dans le moyeu ! Allez, la grosse, à la casserole ! Ergote pas ou je t’assomme, sale vache ! Tu vas la fermer, ta grande gueule, hé, morue ! T’auras beau faire, beau dire, t’y passeras, ma vieille ! Pas le moment de faire la fine bouche ! V’là l’homme dans toute sa pothéose ! T’en as déjà reçu pour ta fête, des comme ça, Poupette ? Apprécie, tu reverras jamais plus la même, ou alors au musée de l’homme ! Mince, qu’est-ce c’est c’t’ poufiasse qui astringe du baigneur ! Non, mais ton bonhomme est monté comme une breloque ! Y te fait l’amour avec un porte-clé ! Va te faire aimer par un serin, pétasse ! Tiens, je me vas grimper la vioque, tant pis si elle me cloque la chetouille ! C’ serait bien le diable que je pusse pas usiner avec ce vieux ringard, quoi, merde ! L’est pas tombée de la dernière pluie, cette guenon ! T’as dû drôlement braquemarder du ramoneur, durant le cours de ces cent dernières années, hein, la mère ? Bon, elle dit rien, cette peau ! L’est toute joyce de se faire installer le chauffage central ! Tu parles d’un lot à réclamer ! Vas-y ma cocotte, c’est l’Empire Français qui refait surface !
Quelle scène de folie, mes amis !
Je déplore de ne pas la voir. Mais à l’oreille je peux me faire une idée. D’autant que mon ami, vous l’avez lu, raconte véhémentement ses glorieuses misères.
On vit la scène !
Elle parle, par la bouche du Gros.
Les donzelles lancent des cris, des plaintes, des lamentations, des implorations, des imprécations. Elles sont terrorisées par la brutale vigueur du Dodu.
Il est en transes, Béru.
En tranches !
Sorti de ses gonds.
De son pantalon !
L’a perdu tout contrôle sous l’empire de l’aphrodisiaque. La troisième femme, celle qui nous a introduit (si je puis dire) raconte à travers le tumulte que le voisin-sorcier vient de jeter le sort du brakpaf à Alexandre-Benoît. Elles en sont sidérées ces chéries ! Le prestige du vieux gnome fond à une vitesse grand V. Il perd la face. Son crédit s’évapore. Ses sorts, désormais, on s’en torchonnera le fignedé dans la région. Ça ou les bulles du pape ce sera du kif !
Selon toute apparence, l’Hénorme a trouvé en la vieille chaussure à son pied.
Un pied de toute beauté !
Le pied du siècle !
Elle gazouille comme en son printemps. Elle râle comme en sa future agonie.
Les autres dames en sont bouleversées. Elles finissent par se calmer. On les entend déglutir péniblement. Elles expriment par monosyllabes.
— Il est terrible ! chuchote une d’elles.
— Ça n’a pas l’air de faire tellement mal ? observe une autre.
— Au contraire ! apprécie une troisième (la toute jeune, si je m’en réfère à la voix fluette).
Béru bûcheronne en force.
Cependant qu’il ahane, à son blé qu’il vanne, à la chaleur du jour ! J’ignore où il opère, mais ça fait un boucan du tonnerre. Des objets sont victimes de sa fureur de tringler.
Après beaucoup de bruit et beaucoup de bris, il abandonne sa vieille proie pour l’ombre.
— Ouf ! et d’une ! il annonce. Mais charogne c’était qu’un n’hordœuvre. Doit avoir des rhumatisses, cette carne, pour si peu remuer. J’enfilerais mon pardessus, ça serait plus mouvementé. Dedieu, à qui le tour de ces vierges ? Tiens, la petite friponne, là, qui nous a montré la maison ! Viens voir un peu le sort à ton sorcier, ce que j’en fiche, ma gosse ! Dis, c’est pas du Montélimar pur miel, ça ? Totche-mi, darling ! Véri vigourous, no ? Une mesure pour rien, je viens de battre avec la mère Tatezy. J’en ressors intac. Allez, zou ! Virgule-moi ce gentil bénard, gamine ! Mince, ces loloches que tu coltines ! Et cette paire de meules ! T’es comme saint François : t’as de l’assise ! Vingt Jésus, où que tu vas me chercher un pétard pareil ! À côté de la douairière dont j’ savais pas à quoi me cramponner des mains, tu fais aubaine, chérie ! Avec toi, c’est de la croisière d’agrément ! Un vrai pullmant ! Accoudoirs renforcés, siège anatomique, canaux d’aération à la surface du capitonnage ! T’es conçue pour les longs trajets, ma Toute-belle ! Laisse-toi manœuvrer, j’ai du tact ! Si t’appréhendes tu vas te crisper, et si tu te crispes j’aurai plus de mal à emménager. Dis-toi qu’on arrive à scier des blocs de marbre ! Allons, môme : du cran ! Tu verras comment que tu batifoleras bien des miches, une fois que je m’aurai frayé le passage. Ce sera la fiesta totale, la fête à nœud-nœud ! Une féerie, ma Très-belle. Des délices délicieux. Plus tard, tu raconteras la chose à tes petits enfants, le soir, à la chandelle qui te servira de mecton. Viens qu’on pâme en cœur, Trésor. Mets-y du tien, je ferai le reste ! La vie est courte, mais le mien est long ! Pas de panique, mon Une-belle. Fais-moi c… de velours ! Ah, je devine que tu vas m’aboutir ! T’es belle, tu sais ! C’est chic à toi d’être négresse !
Et Béru s’assouvit pour la seconde fois.
Mais que non ! Assouvir est improprement employé ici. Car, un peu plus tard, il résurge sans avoir réduit ses volumes ni assoupli sa vigueur. Il en gémit de détresse, le pauvre biquet. Il me fait appel.
— San-A. qu’est-ce que je vais deviendre à ce tarif-là. J’ai beau m’embourber ces cocottes, je reste inflexible. Un zobinche forcené, Mec ! On mettrait une planche en travers, deux messieurs pourraient faire de la balançoire ! C’est les nerfs, tu crois ? Comment faire cesser ce tas de chose ? De l’eau froide ? Attends, j’avise un seau plein… J’ablutionne. Voilà, bien fraîche, bien parisienne. Non, que dalle ! Résultat : néon ! Je peux rien contre cette monstre godanche. Tiens, écoute ! T’entends ce vacarme ? Eh ben c’est pas avec mon poing que je frappe la table ! Do you réalise ? Tu n’ trouves pas abominabe un zinzin de c’te trempe ? Tu crois que je m’en vas rester infirme atout-jamais ? Que je vais charrier ce t’atroce matraque jusqu’à plus soif ? Faudra que je me fasse installer une console portative, non ? Ou alors que je me la soutinsse av’c une sangle de cuir, comme les porteurs de pianos. Sans le secours de l’orthopédique, je suis marron ! Je devra changer de profession, fatal. Me faire queutard. Ça existe comme métier ? Hein, dis : queutard ? J’ouvrirai une offessine où que je calcerai les riches vieilles veuves. Je peux en passer vingt par jour. À dix sacotins la saillie, je m’en vais aux fortunes recta. Ma Berthe servira d’ouvreuse. Oui, dans un sens, queutard, ça doit avoir son agrément. Ou bien alors je fonce au Danemark. Je m’exhibitionne dans une boîte de Poquénague. À la lonche-sur-scène, ils se livrent, là-bas. Espère qu’avec ce matricule majuscule, moi je passe en vedette. Je prends M’sieur Strak comme impresario. Mireille ? Tiens, fume ! Je la carbonise au pied levé ! Bouillaver dans les projecteurs, ça doit intimider un tantinet soit peu au commencement, mais on s’y fait surtout si au début je mettrais un loup. Magine-toi que je plombe douze frangines à ma queue leu leu, sans dégoder ! Ce tabac, ma princesse ! Le public en délire ! Et ce rejaillissement sur notre pays étiolé ! Car les affiches préciseraient bien : « Le Calceur français. » Pas d’équivoque ! Français ! Aqua bond, la France, ne pas lui profiter de ma gloire ! Qu’elle en aye au moins les éclaboussures, non ? Mais je cause, je cause, et pendant ce temps, il me vient une nouvelle ramée. Faut que je compucte une autre péronnelle. Vite ! Tiens, la grande maigre. Elle est un peu décharmée du châssis, mais j’ai la foi en son joint de culasse. Et puis non, je préfère la mulâtresse. Un petit coup de café au lait ça me changera p’t-être les idées. Ah, j’ te jure, si Alfred me verrait en ce moment, il pavoiserait pas du bigorneau, le sagouin ! Comme quoi, on devrait jamais voyager sans son polard-oïde !