Chapitre XI

On aurait entendu voler une mouche dans le bureau climatisé de l’ambassadeur des Etats-Unis. Ce dernier jeta un regard réprobateur à Malko.

— Je me demande si vous n’avez pas été imprudent, lâcha-t-il. Cette affaire devient extrêmement fâcheuse…

Mandy Brown n’avait pas donné de nouvelles depuis la veille au soir. Tout laissait supposer qu’elle se trouvait à la beach-house du prince Mahmoud. Peut-être retenue contre son gré.

Malko fixa le diplomate. Sérieusement inquiet. En dépit de leurs rapports épisodiques, il adorait Mandy Brown. Or, il avait le choix entre deux hypothèses. Ou le prince Mahmoud la traitait comme toutes ses conquêtes ou on avait découvert son stratagème. Dans ce cas, elle était en danger de mort.

— Miss Brown est citoyenne américaine, après tout. Que pouvez-vous faire, monsieur l’ambassadeur ? demanda-t-il.

Le diplomate émit un soupir las.

— C’est vite dit : rien.

Encourageant.

Un coup léger fut frappé à la porte et la secrétaire passa la tête.

— Monsieur l’ambassadeur, dit-elle, Mrs Fraser voudrait vous dire un mot. Il paraît que c’est très important.

— Qu’elle entre ! fit Walter Benson.

Angelina Fraser pénétra dans le bureau d’un pas énergique, toujours en jodhpurs et en bottes. La cravache à la main.

— Je reviens de Jerudong, annonça-t-elle. J’ai vu Al Mutadee Hadj Ali. Je lui ai fait un tel cinéma qu’il a fini par m’autoriser à rendre visite à ma « copine » Mandy Brown !

— Bravo ! applaudit Malko. Elle se trouve bien dans la beach-house ?

— Absolument. Il semble que Mahmoud soit fou d’elle. Cela marche au-delà de nos espérances. Mais il ne veut plus la lâcher.

— Quand y allez-vous ? demanda Malko, reprenant le vouvoiement devant l’ambassadeur.

— Ce soir à cinq heures. Parce que Mahmoud sera à une réception au palais.

Malko était transporté de joie. Pas seulement à l’idée de savoir Mandy Brown saine et sauve. Son plan allait peut-être enfin être couronné de succès.

— J’ai une idée, avança-t-il. Si vous êtes d’accord, nous allons la tenter.


* * *

Mandy Brown, vêtue d’un sari trouvé dans la penderie, était en train de déguster un Cointreau avec beaucoup de glace, un œil sur le Samsung, quand la porte s’ouvrit. Le prince Mahmoud, dans une superbe chemise brodée rose, assortie à son pantalon, avec des mocassins blancs, avait presque l’air d’un être humain. Il s’inclina légèrement devant Mandy et demanda :

— Vous êtes-vous bien reposée ?

— Ça va, fit Mandy. Vous avez déjeuné ?

Elle lui désignait le bloc de foie gras de canard Bizac. Le réfrigérateur en était plein à peine entamé à côté d’une bouteille de Dom Perignon.

— Merci, répliqua Mahmoud. Je vous ai apporté votre dessert.

Il fouilla dans sa poche et en sortit un écrin qu’il tendit à Mandy Brown. Celle-ci l’ouvrit et resta muette, devant un splendide diamant jonquille.

Une quinzaine de carats. Elle leva un regard ravi.

— Eh bien, toi, tu apprends vite, fit-elle.

Elle passa immédiatement la pierre à son doigt, et embrassa Mahmoud à pleine bouche. C’est comme si elle avait jeté une allumette sur de l’essence… Elle eut tout à coup l’impression que le Brunéien avait autant de mains qu’une pieuvre de tentacules. Tout en la palpant fiévreusement, il se frottait contre elle comme un verrat en chaleur.

— Attends un peu, soupira-t-elle.

Déjà il la poussait sur le grand lit, relevait le sari, lui malaxait les cuisses. Avec lui, la récompense n’était pas un plat qui se mangeait froid. Ses doigts commençaient à triturer le nylon noir de son slip.

— Tiens, dit Mandy en lui inclinant la tête vers son ventre, enlève-la avec tes dents.

Mahmoud grogna comme un fauve et commença à tirer l’élastique de toutes ses forces. Mandy, furieuse, lui assena une manchette sur le poignet. En vain ; il gronda comme un animal et tira de plus belle. En Malaisie, les vrais hommes n’approchaient pas le sexe d’une femme avec leur bouche. Mandy voulut encore l’y forcer. Dans la bagarre, le diamant jonquille traça une longue estafilade sur la joue du prince, mais ce dernier arriva enfin à arracher le dernier rempart de Mandy.

Il se redressa, juste le temps de se débarrasser de son pantalon rose. Son sexe comprimé se détendit comme un ressort. Il replongea, déchira le sari, s’installa à genoux entre les jambes qu’il maintenait ouvertes de toute sa poigne. D’une main, il guida son membre puissant et l’enfonça d’une seule poussée qui arracha un hurlement à Mandy. La longueur de ce sexe gigantesque était telle qu’il ne put l’investir en une seule fois. Dès qu’il fut certain qu’elle ne pourrait pas lui échapper, il lui écarta les genoux à deux mains et se mit à la pilonner à un rythme d’enfer. Les jambes repliées et écartées comme une grenouille, Mandy Brown subissait cet assaut avec des sentiments confus.

Mahmoud ne faisait pas dans la dentelle. Il était beaucoup plus proche du marteau-piqueur que du baisemain… Son corps se propulsait en avant avec une force inouïe.

— Doucement, réclama Mandy.

Elle aurait bien profité de cette bête fabuleuse à une cadence plus modérée. La glace lui renvoyait l’image de ce sexe immense qui allait et venait comme un piston de locomotive et l’orgasme n’était pas loin. Le prince Mahmoud la battit d’une courte tête. Avec un rugissement, il donna un ultime coup de reins à lui faire exploser la matrice. Ses mains lâchèrent ses genoux pour lui pétrir les seins et il s’abattit sur elle, furieux d’avoir oublié de s’enduire de cocaïne.

Ce serait pour la prochaine fois.

Mandy Brown lui caressa le dos d’une main distraite et se consola de son orgasme raté en contemplant son diamant jonquille.

* * *

Angelina Fraser franchit le portail de Jerudong Park et, au lieu de tourner à gauche vers le Country Club, emprunta la route qui menait directement à la beach-house du prince Mahmoud. Le ciel était d’un noir d’encre et il pleuvait déjà par intermittence depuis une heure. Un gurkah stoïque en uniforme vert lui barra la route devant la barrière de la beach-house.

— Je suis Angelina Fraser, annonça la jeune femme, je viens voir une amie. Le Pengiran Al Mutadee Hadj Ali vous a donné des instructions.

Il courut au poste de garde, revint, vérifia le numéro de la voiture, celle du mari d’Angelina, et souleva la barrière. Le chemin serpentait à travers le jardin jusqu’à la maison en contrebas. Angelina la contourna et se gara sur le parking où se trouvaient déjà une Ferrari Testa Rossa, deux Rolls et une demi-douzaine de Mercedes de toutes les couleurs. De là, on était invisible du poste de garde. D’ailleurs, les gurkahs avaient pour mission de s’occuper de l’extérieur, pas de l’intérieur.

Angelina sourit. En face, il y avait la mer et de l’autre côté, un mur aveugle. Elle fit le tour et entrouvrit le coffre de la Volvo.

— Ça va ? demanda-t-elle à voix basse.

— A peu près, fit la voix de Malko, mais il fait horriblement chaud !

— Je vais voir Mandy, je reviens.

Elle laissa le coffre non verrouillé. De loin, il était impossible de voir qu’il était ouvert. Malko y avait pris place dans son garage, avec un Beretta 92 prêté par un « Marine » de l’ambassade, trois chargeurs pleins et un Minox. On ne faisait plus la guerre en dentelles.

Angelina eut à peine le temps de sonner. Une Philippine en sari écarta le battant, s’inclina et la précéda silencieusement dans un couloir, lui ouvrant la dernière porte. Mandy Brown, en sari, le diamant étincelant à son doigt, les pieds sur la table basse dont le plateau en verre était supporté par une paire de défenses, autre merveille provenant de chez Romeo, regardait un western sur le Samsung. Elle poussa un cri de joie en voyant Angelina. Celle-ci l’étreignit, murmurant à son oreille.

— Malko est dehors dans le coffre de ma voiture. Comment ça se passe ?

— Pas trop mal, fit Mandy, sauf que le singe n’arrête pas de me grimper.

— Tu as trouvé la Chinoise ?

— Bien sûr, elle est dans la chambre voisine. Elle m’a raconté son histoire. Quelqu’un l’a utilisée pour attirer un type dans un piège et le tuer. Elle a peur. On lui a promis de la renvoyer à Hong-Kong, mais elle se demande s’ils ne vont pas la liquider…

— Je vais essayer de faire venir Malko, dit Angelina.

Elle ressortit, parcourut le couloir désert. Personne dehors. La nuit était presque tombée et il pleuvait. Malko la guettait car le coffre se souleva et il sauta à terre dès qu’elle apparut.

— Viens vite, dit-elle.

Ils rentrèrent dans la maison, gagnèrent la chambre de Mandy Brown sans voir âme qui vive. Celle-ci se jeta dans ses bras. Une chaste étreinte pour une fois.

— J’ai eu vachement peur, tu sais, fit-elle à voix basse. Mais j’ai trouvé ta Chinoise. Elle est à côté.

— Allons-y, dit Malko.

Le prince Mahmoud risquait de revenir goûter à sa sucrerie et là, ce serait le drame. Mandy Brown ouvrit la porte de la chambre voisine. Peggy Mei-Ling était en train de se faire les ongles, en slip et soutien-gorge de dentelle rose. Elle eut un bref sourire en voyant Mandy puis se figea à l’apparition de Malko.

— N’aie pas peur, c’est un copain, se dépêcha de dire Mandy.

Malko vint s’asseoir en face de Peggy Mei-Ling, tandis qu’Angelina ressortait pour surveiller le couloir.

— Miss Mei-Ling, lança Malko, je veux tout savoir sur le meurtre de John Samborn.

Prise de court, ses prunelles s’agrandirent. Ses traits se rétrécirent, son menton trembla un peu ; elle avala sa salive, respira avec une sorte de sifflement. Sa voix était contrôlée en dépit d’une imperceptible fêlure… Malko insista, penché vers elle.


— Vous n’y êtes pour rien, dit-il, mais vous savez ce qui s’est passé. J’ai besoin que vous me le disiez… Dans votre propre intérêt. Si on vous a enfermée ici, c’est pour vous interdire de parler. Et ce n’est qu’un début…

Peggy Mei-Ling posa son pinceau, se tourna vers Mandy Brown et lança d’une voix haut perchée :

— C’est ton copain, ce type ? Je ne comprends rien à ce qu’il dit. Je vais faire prévenir le prince Mahmoud.

Elle se levait déjà. Mandy l’arrêta. Ses yeux bleus étaient devenus durs comme du cobalt. Elle saisit le poignet de la Chinoise et le tordit légèrement, lui arrachant une grimace.

— Ecoute, fit-elle, je ne te connais pas bien, mais lui je le connais depuis longtemps. S’il te dit quelque chose, c’est que c’est vrai. Alors, ne joue pas la conne.

Peggy, bien que troublée, ne se démonta pas encore.

— Je suis l’hôte du prince Mahmoud, dit-elle sèchement. Il va venir. S’il vous trouve ici, il vous fera tuer par ses gurkahs. Partez.

Malko lui jeta un regard de commisération.

— Vous êtes en danger de mort et vous le savez parfaitement, fit-il. Le témoin d’un meurtre qui débouche sur une affaire compromettant des gens importants du Palais. Ils n’hésiteront pas à vous supprimer. Et tant que vous êtes ici, personne ne peut rien pour vous aider. Vous connaissez le Premier aide de camp, Al Mutadee Hadj Ali ?

— Pourquoi ?

— C’est lui qui a monté toute cette affaire et vous devez le savoir. Vous êtes partie avec John Sanborn du Sheraton et ce dernier a disparu depuis. C’est une autre Chinoise et un homme qui travaille pour Hadj Ali, Michael Hodges, qui ont pris l’avion à Limbang en se faisant passer pour vous et John. Qu’est-il arrivé entre temps ?

Pas de réponse. Malko n’avait plus qu’à utiliser la botte secrète qu’il aurait préféré éviter.

— Mandy, dit-il, assieds-toi à côté de Miss Mei-Ling.

Mandy obéit. Aussitôt, il sortit le Minox de sa poche et prit une photo, qu’il doubla.

Il remit l’appareil dans sa poche.


— Voilà la preuve que vous êtes ici ! expliqua-t-il. Cette photo sera demain matin sur le bureau de l’ambassadeur des Etats-Unis. Ce qui va déclencher un énorme scandale. Pour ne pas avoir à vous montrer, les Brunéiens n’auront plus qu’une ressource : vous tuer.

La Chinoise bondit soudain sur lui, essayant de prendre l’appareil dans sa poche. Cela tournait mal ! A chaque instant « Sex-Machine » pouvait surgir et là, ça se gâterait vraiment. Malko n’était pas de force contre une vingtaine de gurkahs.

Mandy Brown se jeta sur la Chinoise et la força à se rasseoir.

— Peggy, ne fais pas la conne ! Ecoute-le.

— Salaud… murmura Peggy, sans beaucoup de conviction.

Des larmes jaillirent de ses yeux. Soudain, d’une voix mal assurée, elle lança

— Je n’y suis pour rien, je ne savais pas ce qui allait se passer. Hadj Ali m’avait dit de demander à John Sanborn de m’emmener clandestinement à Limbang par la jungle. De lui raconter une histoire…

— Comment ?

Elle haussa les épaules.

— En le… séduisant.

— Et ensuite ?

— Il a accepté. Nous sommes partis et…

Elle laissa sa phrase en suspens…

— Continuez, fit Malko.

— Il y avait une autre voiture, fit-elle la voix cassée, avec cet homme, le Britannique. Ils l’ont tué

De nouveau, elle se mordit les lèvres.

— A quel endroit ?

— Je ne sais pas, quelque part sur la piste en Malaisie.

— Qu’ont-ils fait du corps ?

— Ils l’ont jeté dans la rivière.

— Et vous ?

— On m’a amenée ici directement et je ne suis plus sortie. Ils m’ont dit que je regagnerai Hong-Kong à la fin de la semaine, mais j’ai peur.

— Ils ne vous laisseront jamais repartir pour Hong-Kong, dit Malko, ils vous tueront et personne ne saura jamais ce qui vous est arrivé.

Le silence retomba, pesant. Peggy Mei-Ling tamponna son front avec un kleenex. Son regard chavirait. Visiblement, elle croyait Malko.

Ce dernier se dit que c’était le moment d’arracher la décision. Il se leva, prit la Chinoise par le bras.

— Habillez-vous. Je vous emmène.

— Et moi ? s’insurgea Mandy Brown.

— Tu viens aussi, bien entendu, dit Malko.

Peggy Mei-Ling était en train d’enfiler une robe chinoise. Il la poussa à peine habillée hors de la chambre. Mandy Brown les suivit.

Ils sortirent tous les quatre, gagnèrent le parking sous des trombes d’eau. Malko reprit sa place dans le coffre, hélas trop petit pour accueillir aussi Peggy. Celle-ci monta à l’avant avec Angelina Fraser et

Mandy Brown.

— Ils ne vont jamais nous laisser passer, murmura Angelina.

Recroquevillé dans le coffre, Malko était partagé entre l’angoisse et l’excitation. S’il ramenait Peggy Mei-Ling directement chez l’ambassadeur des Etats-Unis, elle ne risquait plus rien et il avait sa preuve vivante. Contre cela, le Sultan ne pourrait rien dire…

Le crissement du gravier sous les pneus lui mit du baume au cœur. Ils quittaient la beach-house.


* * *

Angelina Fraser freina, éblouie par le projecteur braqué sur elle. Un gurkah en uniforme vert barrait la route à la sortie de la beach-house. Un second s’approcha et se pencha sur elle, montrant du doigt Peggy et Mandy.

— They don’t go[27].

La jeune diplomate lui adressa un sourire désarmant.

— Nous allons seulement à Jerudong au Country Club et nous revenons. Son Altesse le prince Mahmoud nous a donné rendez-vous là-bas.

Visiblement, le mot « rendez-vous » n’appartenait pas au vocabulaire du gurkah : il secoua la tête et répéta d’une voix sans timbre

— I have no order. They don’t go.

Angelina sentait la sueur couler entre ses seins. Elle élargit encore son sourire.

— You ask the Palace on the telephone, please.

Ça, c’était un langage qu’il saisissait. Après une hésitation, il regagna le poste de garde, laissant l’autre gurkah derrière la voiture. Angelina avait déjà enclenché la première, prête à pulvériser la barrière, quand Peggy avertit d’une voix tremblante :

– Attention, ils vont nous tirer dessus. Ce sont des brutes.

Angelina pensa à Malko, recroquevillé dans le coffre. Les premières balles seraient pour lui. A cette distance, un projectile de M 16, ça ne pardonnait pas… Peggy Mei-Ling tremblait de tous ses membres. Mandy affichait un sourire figé. Le gurkah revenait, le visage fermé. II ouvrit la portière et lança d’une voix furieuse à Peggy

Vous restez ici ! J’ai joint le Pengiran Al Muta-ace Hadj Ali. Il est retenu au Palais, mais il envoie quelqu’un. Il exige que vous ne bougiez pas d’ici en attendant !

Il jeta un ordre à l’autre gurkah qui se plaça devant le capot de la voiture.

Qui envoie-t-il ? lança Angelina. Je n’ai pas de temps à perdre.

Mister Hodges, fit le gurkah, indifférent. Angelina sentit le sol se dérober sous ses pieds. Ils étaient piégés. Si Michael Hodges venait, il comprendrait tout de suite et fouillerait la voiture…

Загрузка...