Malko digéra quelques secondes l’avertissement de Lim Soon. Le second… Depuis le premier, les événements avaient, hélas, largement donné raison au Chinois. Celui-ci fixait son verre vide. Il releva la tête son regard accrocha celui de Malko.
La salle sombre du Phong-Mun était silencieuse telle une église vide. Lim Soon répéta d’une voix tenue :
— Vous ne pouvez compter sur personne. Guy Hamilton ne retournera jamais en Angleterre. Il est trop imbibé d’alcool et d’Asie. Ses seules joies c’est de passer un week-end à Limbang chez les putes et de conserver ici un certain pouvoir. A Londres, ce ne serait qu’un retraité anonyme. Les gens du Palais le savent et ils le tiennent ainsi. Parce que je suis certain qu’il est au courant… Les hommes qu’il a formés méprisent les Malais et continuent à lui dire tout ce qui se passe.
— Je le crois aussi, confirma Malko. Je l’ai rencontré chez lui. Il m’a pris pour un imbécile.
Lim Soon hocha la tête.
— Les Malais ne sont pas des violents, ils auraient été incapables de tuer John Sanborn de sang-froid. Or, c’est ce qui est sûrement arrivé. Un meurtre prémédité. Probablement commis par ce psychopathe de Michael Hodges.
— Voyez-vous une solution ? demanda Malko.
Le Chinois eut un rictus amer.
— Bien sûr : un dossier en béton prouvant que John Sanborn a été tué par Hodges et sa clique. Votre ambassadeur pourrait agir à partir de ça. Même richissime, le sultan Bolkiah ne peut se mettre les Etats-Unis à dos.
Malko se leva et lui tendit la main.
— Merci pour tout ce que vous avez fait. Essayer de réunir ce dossier.
Lim Soon retint sa main dans la sienne.
— Je vais vous rendre un dernier service, fit le Chinois. La maîtresse de Michael Hodges travaille au Phong Mun, la maison mère du restaurant où nous sommes ; au deuxième étage du building où trouve l’ambassade. C’est une Chinoise, Peut-être pourrez-vous en sortir quelque chose.
Le cerveau de Malko fit tilt. Et si c’était elle la mystérieuse Chinoise qui s’était envolée à Lim avec le faux John Sanborn ?
— Vous allez me la présenter ? demanda
— Non, ce serait beaucoup dangereux. Allez dîner au Phong-Mun. J’y serai aussi et je vous désignerai. C’est une très jolie fille, pas très farouche. Après, à vous de jouer.
— Merci, dit Malko.
Après une longue poignée de mains, ils se séparèrent et Malko retraversa la salle déserte du restaurant. Dehors, il faisait presque beau. Cela lui parut de bon augure. Pourtant, ses possibilités diminuaient comme une peau de chagrin.
La salle du Phong-Mun ruisselait d’or et de laque. Des lanternes pendaient du plafond et l’ambiance était beaucoup plus chaleureuse que dans la succursale. Angelina Fraser l’avait appelé, lâchant dans la conversation que son mari allait bientôt s’absenter. Pour l’instant, ce n’était pas vraiment son souci.
Dans cette ville sinistre, balayée par des rafales de pluie, il se sentait presque cafardeux. Impuissant et frustré.
Il n’y avait pratiquement que des Chinois au Phong Mun et quelques Malais. Seul à une table près du bar, il observait la salle. Et surtout celle pour qui il était là.
La maîtresse de Michael Hodges avait la souplesse cl une liane, avec une allure hautaine comme en ont souvent les Chinoises, tempérée par la sensualité de sa bouche épaisse. Il admirait ses évolutions gracieuses entre les tables. La robe chinoise fendue jusqu’à la hanche découvrait une longue jambe fuselée, moulant une croupe agréablement cambrée.
Plusieurs fois, il avait surpris le regard de la Chinoise posé sur lui. Intrigué et intéressé. Il lui avait souri. Comme n’importe quel homme seul devant une jolie fille.
Dès que Malko était entré, Lim Soon qui dînait avec plusieurs de ses coreligionnaires avait levé les yeux et d’un regard lui avait désigné une des jeunes serveuses.
Malko finit par demander l’addition. Quand il se leva, Han-Su s’approcha de la porte donnant sur la galerie commerciale et la lui tint ouverte. Leurs renards se croisèrent.
Au revoir, dit Malko, j’espère que demain, c’est vous qui vous occuperez de ma table.
Han-Su eut un sourire mi-commercial, mi-provocant.
— Non, demain je ne travaille pas.
— Eh bien alors, je vous emmène dîner, proposa-t-il. Cela vous changera…
— Mais je ne vous connais pas, protesta-t-elle feignant d’être choquée.
— Nous ferons connaissance.
L’ascenseur arrivait. Sans lui laisser le loisir de discuter, il lui lança
— Je vous attendrai vers huit heures en face du Bornéo Theatre sur Jalan pretty.
Les portes de l’ascenseur se refermèrent qu’elle ait répondu. C’était une bouteille jetée mer. Pour l’instant, Peggy Mei-Ling était hors portée. Han-Su représentait sa seule piste, fragile. Mais s’il arrivait à prouver qu’elle était mêlée au meurtre de John Sanborn, tout changeait.
Une fois de plus, il fallait de la patience. Vingt-quatre heures à tuer.
Le dôme de la mosquée Omar Ah Saifuddin, en massif, brillait sous la clarté de la lune. Miracle, il ne pleuvait pas ! La voix aigue du muezzin agaçait oreilles de Malko, augmentant son anxiété. Il a partagé sa journée entre la piscine du Sheraton et une balade jusqu’à Muara, le port du nord, à vingt kilomètres de Bandar Sen Begawan. Brunei était grand comme un placard à balais et ne présentait guère plus d’intérêt.
A part la capitale, sa Mosquée et son Palais, il n’y avait que des kampongs et quelques hideux bâtiments à la japonaise. Pas une boutique de luxe, pas un endroit gai. Rien.
La jungle partout, l’humidité et ce fleuve jaunâtre qui charriait des jonques pétaradantes…
Il fixa pour la centième fois, de l’autre côté de Jalan Pretty, les baraques en bois du Kam Ayer qui s’étendait sur les deux berges du fleuve. Huit heures trente. Pas de Han-Su. Il avait décidé d’attendre jusqu’à neuf heures. Son cœur battit soudain plus vite. Une silhouette venait d’émerger du dédale des maisons sur pilotis et traversait Jalan Pretty, dans sa direction. Han-Su avait noué ses longs cheveux en queue de cheval, troqué sa robe fendue pour une mini et un chemisier. Il sortit de la Toyota et vint vers elle.
Enfin !
Han-Su eut une moue compassée.
— Je n’ai pas beaucoup de temps.
Malgré tout, elle monta dans la voiture. Malko avait prévu la suite, bien que Bandar Sen Begawan n’offre pas beaucoup de ressources…
— J’ai retenu au Minara, le restaurant indien de Sadong, dit-il.
Sans attendre sa réponse, il démarra. Han-Su tenait la tête très droite, comme en visite, faisant jaillir des seins pointus. Son anglais était parfait. Il éprouva pendant quelques instants un peu de griserie en pensant qu’il emmenait dîner la maîtresse de Michael Hodges. Le présumé assassin de John born et l’auteur probable du guet-apens qui avait coûté la vie à la Singapourienne.
Il se gara à proximité du restaurant, descendit et fit le tour de la voiture pour ouvrir la portière de Han-Su, qui sembla apprécier cette marque de déférence. Minara n’était qu’un infâme boui-boui… Ils se battirent avec un poulet tandoori immangeable de lait caillé, entouré de riz gluant et de boulettes plus que suspectes. La conversation de Han-Su était limitée. Malko apprit qu’elle vivait en famille dans la partie du Kampong Ayer située de l’autre côté du fleuve, qu’elle était née à Brunei et rêvait d’aller vivre à Singapour. Elle n’était pas mariée, ni même fiancée. Quand il effleura sa main, elle la retira, visiblement décidée à faire monter les enchères… Malko n’en avait d’ailleurs cure…
Pour l’amadouer, il lui prit le poignet, admirant une montre visiblement neuve.
— Elle est superbe.
Han-Su eut un sourire plein de morgue.
— C’est un cadeau. Mon fiancé. Il me l’a achetée quand nous sommes allés à Singapour.
— Je croyais que vous n’aviez pas de fiancé, objecta Malko.
Han-Su se défendit avec un rire gêné.
— Ce n’est pas vraiment mon fiancé, il n’est pas chinois. Mais je sors parfois avec lui à Singapour. Malko se dit que la belle Han-Su venait de planter le premier clou dans le cercueil de Michael Hodges. Son hypothèse était en train de prendre corps.
— Vous allez souvent à Singapour ? interrogea t-il.
— Quelquefois, fit-elle évasivement.
Il la sentit se raidir imperceptiblement. Han-Su avait dû se rendre compte qu’elle transgressait une consigne de silence. Elle se ferma d’un coup, regarda sa montre toute neuve, et dit d’une voix distante
— Je dois rentrer maintenant.
Elle était déjà debout. Malko n’eut que le temps de demander l’addition.
Dans la voiture, elle ne dit pas un mot,
Ils arrivèrent au Kampong Ayer. Malko stoppa en face de la passerelle en bois où abordaient tous les sampans assurant la navette avec l’autre rive. Han-Su lui tendit la main cérémonieusement.
— Merci. Au revoir.
Malko était déjà hors de la voiture.
— Je vous accompagne. C’est amusant.
Parfait dans le rôle du soupirant. Han-Su n’osa pas refuser. Ils sautèrent dans un des sampans qui attendaient et la Chinoise lança au sampanier.
— Muséum !
Le sampanier s’éloigna aussitôt, coupant le fleuve en biais. II s’arrêta au pied d’une grande maison de bois portant une pancarte « Antics shop ». Malko lui remit un dollar et suivit Han-Su sur l’échelle menant au plancher de bois. Ils s’enfoncèrent dans le dédale de passerelles du Kampong Ayer.
Des centaines de maisons de bois avec la télé et dessous, l’eau noire du fleuve où grouillaient des milliers de rats. Des ombres furtives les croisaient. Cent mètres plus loin, Han-Su s’arrêta.
— Je suis arrivée. Bonsoir.
Malko entoura sa taille et la serra contre lui. Elle se laissa faire mollement mais détourna la bouche quand il voulut l’embrasser.
J’aimerais vous revoir…
— Venez au restaurant, fit-elle.
Elle lui fila entre les doigts comme une anguille et il repartit sur les planches pourries. Avec quand même une petite idée.
Cela faisait une bonne heure que Malko cuisait sous le soleil de plomb en face de I’Antics Shop quand Han-Su apparut, venant du fond du Kampong. Un T-shirt, des lunettes noires et un pantalon. Dissimulé entre deux maisons, il leva le Leica emprunté le matin même à Angelina Fraser et commença à shooter à toute vitesse. Il eut le temps de faire une demi-douzaine de photos. De loin, on aurait dit un touriste amateur de pittoresque. Tous ceux qui venaient à Brunei se déchaînaient sur le Kampong Ayer…
Il attendit qu’elle ait disparu pour héler un sampan et retraverser le fleuve, puis gagna à pied le grand parking en étage de la Jalan Cator. Angelina l’attendait tout en haut dans sa voiture. Il lui tendit le rouleau.
— Ça peut être développé dans deux heures ?
— Pas de problème, dit-elle. Rendez-vous en face de l’embarcadère pour Limbang à une heure, dit-elle, j’aurai loué le bateau.
Sur la Jalan Mac Arthur longeant le fleuve, une nuée de Malais racolaient les rares touristes qui voulaient se rendre à Limbang. Contre quelques dollars, ils prenaient leurs passeports et se chargeaient d’accomplir à leur place les formalités.
Malko luttait au milieu d’un groupe compact quand Angelina surgit, hyper sexy dans sa robe en blanc qui dévoilait les trois quarts de ses cuisses et presque toute sa poitrine. Les Malais restèrent devant cette apparition de rêve.
— Donnez-moi votre passeport, dit-elle à Malko. Elle remit les deux documents à un gros Malais qui partit en courant.
— J’ai apprêté un bateau pour nous deux, dit-elle. La traversée dure vingt minutes. Cela nous laisse mal de temps.
Lorsqu’il lui avait demandé sa collaboration matin même, elle avait tout de suite dit « oui ». Malko avait dû lui expliquer ce qu’il cherchait et elle avait accepté avec enthousiasme.
Voulait-elle vraiment l’aider ou seulement se faire sauter… ! Le gros Malais revenait avec les pas Ils gagnèrent l’embarcadère et sautèrent sur une grosse jonque fermée au toit plat, qui s’éloigna aussitôt dans un vrombissement de moteur. Angelina, en faisant un peu d’acrobatie, exhiba les dentelles de son slip et finalement s’installa à l’avant toit, les jambes pendantes au-dessus de l’ouverture de la cabine, Malko restant debout, en contrebat la tête à la hauteur des cuisses de la jeune femme.
Les baraques en bois du Kampong Ayer firent vite place à une jungle épaisse de palétuviers et nipas. La jonque filait à plus de 15 nœuds. Soudain le pilote fit un brusque écart à cause d’une bûche flottante. Il y avait un trafic dément sur la Brunei River, des sampans et des jonques se croisant dans tous les sens et louvoyant pour éviter les énormes morceaux de bois qui encombraient le fleuve. Angelina faillit perdre l’équilibre et ne put se rattraper qu’en enserrant le cou de Malko entre ses cuisses.
Il se retourna en riant, la tenant par les cuisses pour qu’elle ne tombe pas en arrière. Ses yeux étaient juste à la hauteur de son ventre. La robe en stretch avait remonté et il ne voyait que le triangle blanc du slip. Angelina lui sourit. Ouvrant les jambes, elle soupira.
— J’ai l’impression que le vent me caresse dans position !
Son regard provoquait Malko sans ambages.
Le pilote était trop attentif à éviter les bois flottants pour s’occuper d’eux. Malko commença à masser doucement les cuisses nues, remontant peu à peu vers la dentelle.
Le buste rejeté en arrière, le visage offert au vent, les yeux fermés, Angelina Fraser se laissait faire.
Quand Malko écarta la dentelle humide, son bas-tressauta. Sans lui ôter cette faible protection, il s’activa de son mieux, massant sensuellement le sexe offert, arrachant à Angelina de petits cris. Une caresse circulaire qu’il accéléra progressivement eut raison d’elle. Ses cuisses se refermèrent brutalement, elle se pencha en avant, agrippant les épaules de Malko et son cri couvrit enfin le bruit du moteur. Le pilote se retourna avec un regard bovin et ne vit que le dos de Malko. Par contre, les passagers d’une grosse jonque qui les croisait n’eurent que peu d’illusions sur leurs activités…
Avec souplesse, Angelina Fraser glissa de son toit et se laissa tomber à côté de Malko. Sa main fila directement vers lui et emprisonna sa virilité tendue à exploser.
— Vous ne perdez rien pour attendre, monsieur, fit-elle. Vous avez un crédit. Un gros crédit, ajouta-t-elle, mutine.
Elle se frotta longuement contre lui, de toutes ses forces. Le pilote se retourna enfin, égrillard… Les passagers de cette espèce, c’était rare. Angelina Fraser n’était pas du tout gênée…
— J’espère que nous allons trouver très vite ce que tu cherches à Limbang, dit-elle. Et que nous aurons le temps de faire la sieste.
Quelques bâtiments modernes déjà décatis, foisonnant d’enseignes chinoises sur fond de jungle, alignés au bord du fleuve jaunâtre, des sampans pourris le long des berges, des boutiques sans vitrine. La chaleur moite, étouffante. Limbang n’était qu’un trou au fond de la jungle de Bornéo. Malko et Angelina traversèrent le hangar en tôle servant de poste frontière et hélèrent le premier qui passait, conduit par un Chinois.
Angelina se serra aussitôt contre lui. En plus de sa connaissance des Malais, elle était pleine de qualité. Quand ils atteignirent la minuscule aérogare, Malko était au bord de l’extase grâce au travail habile de jeune épouse du Premier secrétaire. Ils pénétrèrent dans le bâtiment de bois. Il y avait un vol en partance pour Sarawak. Un vieux DC3 contemporain de Lindbergh.
Malko avait vérifié l’aéroport avant de quitter Bandar Sen Begawan. Des familles chinoises malaises faisaient la queue devant le comptoir d’enregistrement, encombrées de bagages invraisemblables… Deux employés essayaient de canaliser la meute. Angelina Fraser souffla à Malko
— Laissez-moi faire.
Dès qu’il eut vu ses seins, un des employés se désintéressa totalement du reste des passagers. Malko ne put suivre la conversation, attrapant seulement de temps à autre le mot « orang-putch »signifiant « étranger ». Le Malais écoutait attentivement, les yeux rivés sur le décolleté de la jeune femme. Son visage s’éclaira encore plus quand Angelina fit glisser quelques billets sur le comptoir. Elle se retourna vers Malko.
— II était là, il se souvient parce qu’il y a très peu de Blancs qui prennent l’avion ici.
— Qu’il décrive le couple. Qu’est-ce que vous lui dit ?
— Que nous recherchions des amis qui avaient disparu dans la jungle, mais de toute façon il s’en fout.
Elle reprit sa conversation. Le Malais était de plus en plus volubile. Angelina traduisait au fur et à mesure.
— Un homme blanc, des yeux bleu clair, costaud. La Chinoise était beaucoup plus petite que lui… La peau plutôt foncée…
Malko tira une des photos prises le matin et la posa sur le comptoir. Avec un billet de dix dollars.
— C’était celle-là ?
Angelina transmit la question. L’employé examina photo puis hocha la tête affirmativement.
— Il croit que oui. Il se souvient qu’elle avait les cheveux très longs.
Comme Han-Su… L’employé, ayant empoché ses dollars et repu du spectacle des seins d’Angelina, battait en retraite. Malko en savait assez. Il ressortit l’aérogare.
— Merci, dit-il. Maintenant, je sais qui a tué John Sanborn, il reste à le prouver. Cette fille est un témoin capital.
— Michael Hodges est un tueur, mais il n’a pas agi de sa propre initiative, remarqua la jeune femme. C’est celui qui a donné les ordres qui est intéressant. Et celui-là est sûrement intouchable…
Malko ne lui avait pas reparlé de ses soupçons concernant Al Mutadee Hadj Ali, étant donné les liens probables qui l’unissaient à la jeune femme. Le taxi qui les avait amenés était toujours là. A peine furent-ils installés qu’Angelina lança une phrase en malais. Malko était trop excité par sa découverte pour prêter attention. Quelques minutes plus tard, ils stoppaient en face d’un long bâtiment de ciment tapissé d’enseignes chinoises, version moderne des « long-houses[21] » malaises. Malko leva la tête et vit : Bunga Raya Hotel.
Angelina Fraser avait de la suite dans les idées… Au rez-de-chaussée, des jeunes jouaient au billard malais, le snooker. Ils sifflèrent en voyant la jeune femme s’engager dans l’escalier incroyablement raide de l’hôtel. Une Malaise leur réclama 10 dollars avant de leur ouvrir la porte d’une petite chambre qui sentait le moisi.
A peine furent-ils seuls qu’Angelina Fraser fit glisser son slip et le jeta dans un coin. Sans ôter sa robe, elle vint se frotter contre Malko, le regard allumé.
— J’en ai envie depuis le jour où je t’ai vu dans le bureau de l’ambassadeur, murmura-t-elle.
Ses doigts habiles l’arrachèrent très vite à ses pensées. Elle le masturbait avec une sorte de fureur, soupirant de temps à autre
— C’est bon. Tu es gros, tu es si dur…
Il interrompit sa litanie pour la pousser sur le lit. La robe blanche retroussée jusqu’aux hanches, elle le reçut avec un soupir soulagé. Il eut à peine le temps de donner quelques coups de reins qu’Angelina glapissait déjà son plaisir. Ses jambes se croisèrent dans son dos et elle hurla, soudée à lui, les seins jaillissant de la robe… Ils retombèrent pantelants ; le ventilateur tournant avec une sage lenteur.
— L’homme parlait malais, dit soudain Angelina. Comme Hodges.
Elle avait encore le sexe de Malko enfoncé dans le ventre, mais elle s’était remise à penser.
— Qu’est-ce que tu vas faire ? demanda-t-elle.
Malko s’arracha à elle.
— Attaquer le maillon faible, fit-il.
Heureusement que les restaurants fermaient tôt à Brunei. Malko consulta sa montre : 10 heures 30.
Les premières serveuses du Phong-Mun étaient déjà sorties, s’égaillant dans toutes les directions. Han-Su apparut enfin et tourna à gauche dans Jalan Mac Arthur.
Malko avait projeté de l’aborder tout de suite, mais Han-Su était accompagnée d’une autre Chinoise. Il fallait attendre. Malko avait emprunté à l’ambassade un petit magnétophone qu’il portait sur lui et il espérait bien lui arracher quelque chose. Sortant de sa Toyota, il leur emboîta le pas. Les deux Chinoises arrivèrent à l’embarcadère et sautèrent dans un des sampans qui assuraient la liaison. Malko les laissa s’éloigner un peu, puis sauta dans le suivant.
— Antics Shop ! fit-il. Museum.
L’autre sampan s’était déjà fondu dans l’obscurité. En quelques minutes, ils eurent traversé. La pluie recommençait à tomber. Le sampan heurta des piliers de bois, coinçant son avant entre deux poutres et Malko grimpa une échelle de bois qui le mena trois mètres plus haut. Il regarda autour de lui. Les deux Chinoises avaient disparu. Puis il aperçut deux silhouettes en train de longer des bateaux en construction, et se précipita. La plupart des maisons étaient éteintes, dans certaines on apercevait la lueur blafarde d’un écran de télé.
Il les repéra un peu plus loin, les vit se séparer. Avec sa longue natte, Han-Su était aisément reconnaissable. Il hâta le pas pour la rejoindre et le bois pourri se mit à craquer. Elle hâta le pas.
— Han-Su !
La Chinoise se retourna en entendant son nom, s’arrêta une fraction de seconde, poussa un cri étranglé, puis se mit à courir sur les planches disjointes. Malko en fit autant. Soudain, il entendit des pas précipités derrière lui. Il se retourna. On l’avait suivi. Un homme courait dans sa direction. Un petit costaud en T-shirt. Un Malais. Il avait un poignard. Malko sans arme ne pouvait lutter. D’un coup de pied, il tint à distance son agresseur et regarda autour de lui. Au même moment, un second Malais surgit du labyrinthe des baraques en bois entre Han-Su et lui.
Coincé au milieu de l’étroit chemin de planches, Malko chercha une issue. Souples comme des félins, les deux hommes le cernaient, le kriss[22] à l’horizontale. Il avait le choix entre être égorgé, ou prendre un poignard dans le dos. Adossé à une maison de bois, il n’avait aucun recours. Les deux hommes échangèrent quelques mots, à voix basse et, d’un seul élan foncèrent sur lui en même temps, balayant l’air devant eux de leurs redoutables kriss.
Décidés à l’éventrer.