Malko évita la lame du kriss en s’aplatissant contre la porte à laquelle il était appuyé. A un mètre de lui, ses deux adversaires, ramassés, prêts à bondir de nouveau, le guettaient. Comme de bons bergers allemands dressés à tuer d’abord et à aboyer ensuite… C’est la rage qui le sauva. C’était trop bête de se faire éventrer au fond de ce kampong, au bout du monde.
D’une détente sauvage, il plia en deux d’un coup de pied son adversaire le plus proche. Prenant juste assez de champ pour glisser le long de la maison et sauter par-dessus la balustrade de bois bordant la passerelle, dans le cloaque sur lequel était bâti le Kampong Ayer. Il retomba avec un foc sourd, de l’eau jusqu’aux genoux. C’était la marée basse. Un rat s’enfuit en couinant… Il leva la tête, aperçut les deux tueurs au-dessus de lui. Plongeant sous la maison, il commença à s’éloigner, zigzaguant entre les piliers de bois, tombant dans les trous d’eau, heurtant des choses innommables. Le temps que les deux Malais sautent à leur tour, il avait pris une dizaine de mètres d’avance. Au bout de quelques minutes, il avait perdu tout sens de l’orientation. Courbé en deux, il pataugeait dans l’eau tiède, se cognant de temps à autre à une poutre, dans une odeur pestilentielle. Il se retourna, aperçut les silhouettes de ses poursuivants. Il aurait voulu remonter au niveau des maisons, mais il ne trouvait aucune échelle… Les deux tueurs ne semblaient pas se rapprocher et il reprit espoir. Enfin, il entendit des bruits de moteur : les sampans sur le fleuve.
Au même moment, il trébucha dans un trou et avala une bolée d’eau et ses quelques milliards de microbes qu’il recracha en vomissant.
L’horreur.
Il s’extirpa du trou, dut ramper sous une charpente, se cognant la tête, déchirant sa chemise et son pantalon.
Essoufflé, un point de côté freinant sa respiration, il s’immobilisa dans l’ombre d’une maison. Immobile, il entendit les tueurs passer pas très loin, pataugeant eux aussi. Il les laissa s’éloigner, dans la direction de la Brunei River, puis reprit sa progression, jusqu’à ce qu’il perçoive le clapotement de l’eau contre les piliers du kampong. De l’autre côté du fleuve, il apercevait les lumières de Bandar Sen Begawan et même le dôme doré de la Mosquée. Il fit encore quelques pas et soudain, perdit pied : il venait de glisser dans la Brunei River. Accroché à un pilier de bois, il se reposa quelques instants. Plus aucune trace des deux tueurs. Etaient-ils remontés ou le guettaient-ils à quelques mètres ? La meilleure solution était de traverser la Brunei River. Lâchant son pilier, il se jeta dans l’eau profonde, nageant le plus silencieusement possible.
Il faisait quand même trop de bruit. A peine s’était-il éloigné, qu’un glapissement retentit derrière lui. II se retourna et aperçut un homme qui gesticulait, dardant le bras dans sa direction, sur une plateforme surplombant l’eau. Un moteur rugit, un sampan sortit de l’ombre et l’homme qui avait repéré Malko bondit dedans. L’esquif fonça vers lui.
Aspirant une goulée d’air, il se laissa couler dans l’eau noire. Le remous du sampan passant à toute vitesse au-dessus de lui le fit tournoyer, il nagea encore un peu et finit par émerger. Juste pour apercevoir le sampan qui amorçait un demi-tour. Un des occupants était debout à l’avant, le regard fouillant la surface. Il tendit le bras vers Malko et lança un ordre.
Ronflement de moteur… De nouveau, il fonçait, tentant de déchiqueter Malko avec son hélice.
Ce dernier plongea. Le courant l’entraînait heureusement vers le milieu du fleuve. Il ne revint à la surface que les poumons prêts à éclater. Le sampan était en train de virer de bord. Malko s’épuisait, les lumières de Bandar Sen Begawan lui semblaient à une année-lumière. Il se remit à nager, plus vite encore, gêné par ses vêtements. L’eau était tiède et presque visqueuse… Soudain, il aperçut une grosse forme noire qui arrivait sur lui : une jonque. Des gens étaient sur le pont. Il les héla
— Help ! Help !
Ses cris parvinrent à couvrir les bruits du moteur. Il vit un homme se précipiter au bastingage et il agita désespérément un bras. On l’avait aperçu, mais le sampan arrivait droit sur lui. L’homme de la jonque se méprit et lui fît signe de s’accrocher au sampan, ce qui semblait en effet le plus logique…
Comment expliquer la situation !
Il se remit à nager vers l’énorme jonque, comme si le sampan n’existait pas. Heureusement, elle avançait seulement à trois ou quatre nœuds. Le sampan effectua un brusque virage, n’osant pas l’assassiner en présence de témoins… Devant son obstination, l’homme qui l’avait aperçu se pencha et jeta un cordage qui fouetta l’eau comme un serpent. D’un ultime effort, Malko s’en saisit et se laissa haler. Le sampan s’éloigna avec un rugissement de moteur plein de hargne… On déroula une échelle de corde et Malko se hissa le long de la coque. Il prit pied sur le pont devant les visages hilares et étonnés de plusieurs Malais.
— Accident ! expliqua Malko.
Ils s’en foutaient. On lui fit ôter ses vêtements mouillés et il se sécha avec une vieille couverture. La jonque continuait son chemin avec une sage lenteur. A la hauteur du dôme de la Mosquée, le lumignon d’un autre sampan apparut. Hélé par l’équipage, il s’approcha de la jonque. Après quelques explications, Malko sauta dedans. Direction l’embarcadère… Ses vêtements trempés lui collaient à la peau. Il se hâta de regagner sa voiture.
Quand il pénétra dans le hall du Sheraton, le concierge le regarda avec stupéfaction.
— J’ai eu un accident je suis tombé d’un sampan, expliqua Malko en souriant.
Il ne commença à se détendre que sous sa douche. Maintenant c’était une guerre à mort entre lui et les gens du Palais. Han-Su ne parlerait pas. II avait beau avoir la certitude absolue qu’elle avait joué le rôle de Peggy Mei-Ling, cela ne le menait nulle part. Le cordon sanitaire établi autour des coupables était bouclé. Même s’il restait à Brunei, il ne trouverait plus rien de ce côté-là.
La voix enjouée d’Angelina Fraser réveilla Malko.
— Ton expédition s’est bien passée, hier soir ?
— Pas vraiment, fit-il.
Angelina écouta son récit, le ponctuant d’exclamations horrifiées.
— Je crois que tu ne vas nulle part avec cette histoire, conclut-elle, même si ton hypothèse est sûrement la bonne. De toute façon, tu vas te changer les idées ce soir. Tu te souviens que nous allons à la soirée qui clôture le match de polo, à Jerudong. Ça, c’est la première bonne nouvelle.
— Et quelle est la seconde ?
— Mon mari vient de partir pour Singapour.
Un ange passa, avec « salope » marqué sur le front. Dans ce domaine, Angelina Fraser pouvait espérer la Médaille d’or.
— Nous ne serons pas loin de la beach-house du prince Mahmoud, remarqua Malko. De nuit, c’est peut-être plus facile de s’y glisser.
Angelina pouffa.
— Tu es toujours à la recherche de ta Chinoise… On verra. OK, je passe te prendre à huit heures.
L’ambassadeur des Etats-Unis secoua la tête avec lenteur, les pieds allongés sur la table basse en face de lui.
Malko venait de lui rapporter par le détail les derniers développements de l’affaire Sanborn. L’ex-avocat avait pris de nombreuses notes et approuvé tout ce que Malko avait fait. Mais chez lui, l’avocat prenait vite le dessus sur le diplomate.
— You don’t have a case[23] ! fit-il.
— Pourquoi ? demanda Malko frustré Tout se tient.
— Il faut raisonner comme si nous allions devant une Cour, expliqua le diplomate. N’oubliez pas que nous avons affaire à des gens de mauvaise foi. Vos témoins sont morts ou disparus.
Si vous trouviez Peggy Mei-Ling, évidemment, ce serait différent. Parce qu’elle connaît forcément les meurtriers. Mais comment la récupérer dans la beach-house du prince Mahmoud qui est aussi bien défendue que le palais du Sultan ? L’attentat dont vous avez failli être victime hier soir n’a pas eu de témoins et vous ne pouvez accuser personne. Ma conviction rejoint la vôtre, mais à ce stade, il m’est impossible d’intervenir auprès du Sultan et de lui dire : « On vous a escroqué et voici les preuves… » Il me jetterait dehors. Les Malais n’aiment pas les étrangers, et ils s’en méfient.
Le silence retomba, troublé seulement par le vrombissement des moteurs sur la Brunei River. L’ambassadeur leva son verre de Johnny Walker.
— Take it easy, Malko ! Nul n’est tenu à l’impossible. Vous avez déjà fait un splendide boulot d’enquête. Mais je n’ai pas envie que vous disparaissiez comme John, qu’on ne retrouvera jamais. Il doit être enterré quelque part dans la jungle. Mon pays est assez riche pour foutre en l’air vingt millions de dollars… Ça ne vaut pas votre vie. Je n’ai aucune autorité sur vous, mais je vous conseille de dételer… Ici, je ne peux rien pour vous protéger. Mon collègue allemand, qui représente les intérêts de l’Autriche, encore moins. Angelina Fraser m’a dit qu’elle vous emmenait ce soir. Laissez-vous distraire…
Il lui adressa un clin d’œil. Apparemment les frasques de la jeune femme nourrissaient les potins de l’ambassade.
— Merci, monsieur l’ambassadeur, dit Malko. Je vais suivre vos conseils.
L’estomac noué de rage, Malko remonta dans sa Toyota. Sa dernière chance était cette soirée à Jerudong.
Le faisceau puissant d’une lampe-torche éclaira l’intérieur de la Volvo, balayant les jambes et la poitrine d’Angelina Fraser, presque indécente dans une robe bleue à paillettes couvrant à peine un tiers de ses cuisses. Maquillée comme la Reine de Saba, inondée de parfum, elle vibrait de sexualité. Le civil britannique qui les avait stoppés à l’entrée de Jerudong Park examina longuement son invitation avant de la lui rendre.
— Le parking est à côté du Club House, dit-il d’une voix indifférente. Suivez les flèches.
— C’est pire que Fort Knox, remarqua Malko.
— Le Sultan adore les gadgets électroniques, répliqua Angelina. Les radars, les trucs infrarouges, etc. Et ici, c’est le saint des saints. Un des rares endroits où il vient régulièrement.
Ils traversèrent une partie du golf et Angelina gara sa Volvo dans un coin sombre du parking déjà encombré. Avant de descendre, elle se tourna vers Malko, les yeux brillants.
— Je meurs d’envie de t’embrasser, dit-elle, mais je ne peux pas ficher en l’air mon maquillage… Mais tu ne perds rien pour attendre.
A peine hors de la voiture elle lui prit la main et l’entraîna vers les lumières du Club House. Une trentaine de couples buvaient un verre dehors. A l’intérieur, Malko aperçut des buffets dressés sur des tables. Il y avait environ un tiers d’étrangers. Les femmes étaient plutôt habillées, les hommes en chemise. Angelina et Malko se mêlèrent à la foule. II attrapa un jus d’orange sur le plateau d’un garçon, y trempa ses lèvres et faillit éclater de rire c’était presque du gin pur.
Malko repéra soudain une silhouette connue : la princesse Azizah en compagnie d’un Brunéien en calot noir national, petit et râblé. Ils échangèrent un sourire, intercepté par Angelina.
— Tu la connais ?
— Je l’ai rencontrée une fois à la banque, fit-il. Elle allait voir Lim Soon.
— Elle est très sympa, remarqua Angelina. C’est une cousine du Sultan qui passe sa vie en Europe. Elle a été mariée à un lord anglais, juste le temps de s’apercevoir qu’il n’aimait que son argent et les très jeunes gens roux… Ici, elle s’ennuie à mourir. Ce soir, elle est avec le ministre des Finances. C’est son amant actuel.
— Tiens, voilà le tien, remarqua Malko.
Al Mutadee Hadj Ali venait d’apparaître. Le silence se fit. Le sultan Hassanal Bolkiah émergea de l’obscurité, suivi de deux gardes du corps britanniques. Calot noir sur la tête, tenue Mao bleue, un sourire lointain aux lèvres. Tout ce qui se trouvait dans un rayon de dix mètres se plia en deux à embrasser le sol. Le souverain se dirigea vers la ta centrale et s’assit immédiatement.
Trente secondes plus tard, tous les invités étaient à leur table ; celle du Sultan ne comptait que des Brunéiens.
Peu à peu les conversations reprirent, sans atteindre vraiment la folle animation… Tout le monde se dévissait la tête pour voir comment se comportait Hassanal Bolkiah, comme si on s’était attendu à ce qu’il se mette à laper son assiette. Le malheureux semblait s’ennuyer mortellement entre son grand Chambellan, son aide de camp et quatre autres Brunéiens, dont la princesse Azizah.
— Ce n’est pas gai, hein ! souffla Angelina, sa cuisse serrée contre celle de Malko. Pourtant les gens se battent pour ces invitations…
En quarante minutes ce fut expédié… Le grand Chambellan se leva et claqua des mains. Comme un seul homme, les invités se dressèrent, la dernière bouchée dans le bec… Déjà le Sultan se dirigeait vers l’escalier menant au premier étage.
Tous le suivirent jusqu’à une grande salle avec des chaises entourant une piste de danse. Un orchestre philippin jouait une musique aussi entraînante qu’une marche funèbre. Les musiciens semblaient si constipés qu’ils faisaient pitié. Droit comme un I, le jeune Sultan comptait les mouches. L’orchestre s’arrêta et tout le monde applaudit. Malko rongeait son frein, pensant à Peggy Mei-Ling qui se trouvait probablement à moins d’un kilomètre… Les musiciens enchaînaient sans faiblir, au même rythme soporifique.
Enfin, une demi-heure plus tard, le Sultan se leva. Bruits de talons. Il passa entre les invités, distribuant quelques sourires et disparut. Une grande partie des Brunéiens lui emboîta le pas et une douzaine de couples d’étrangers se retrouvèrent sur la piste. Angelina tira Malko par la main.
— Viens.
L’orchestre jouait ce qui pouvait passer auprès d’une oreille non exercée pour un slow. Angelina en profita pour se coller ostensiblement à Malko, qui lui demanda
— Combien de temps va durer cette punition ? Pas longtemps, fit-elle en pouffant.
Effectivement, vingt minutes plus tard, l’orchestre s’arrêta et commença à plier bagages. Le dernier carré d’invités redescendit au bar. C’était déjà un peu plus gai. D’autres étaient arrivés, qui n’avaient pas eu l’honneur insigne de participer au dîner.
Malko s’aperçut soudain que son pantalon d’alpaga brillait d’une curieuse façon… Il lui fallut quelques secondes pour réaliser qu’Angelina l’avait constellé de paillettes en se serrant contre lui…
Un petit Chinois au crâne chauve se précipita vers la jeune femme avec un sourire servile. Mr Khoo, celui qu’Hildegarde avait étiqueté comme entremetteur.
— Mrs Fraser ! You are beautiful ! Je pourrais vous dire un mot ?
Angelina le suivit après un clin d’œil à Malko, et revint quelques instants plus tard en riant. Il n’eut pas le temps de lui demander ce que voulait Mr Khoo. Al Mutadee Hadj Ali s’avançait vers eux, toutes dents dehors. Son sourire s’adressait plutôt à Angelina. Il lui prit la main et la baisa comme un sucre d’orge. Après avoir quand même dit bonsoir à Malko, il s’excusa
— Je n’ai pas pu vous parler tout à l’heure, j’étais avec Sa Majesté. Elle est partie au palais de Yang Maha Pingeran.
Il avait beau sourire à Malko, son regard ne quittait pas le décolleté d’Angelina. Visiblement furieux de la trouver en compagnie de Malko. Celui-ci n’arrivait pas à croire qu’il avait en face de lui l’organisateur du complot. Son attitude envers Malko était parfaitement neutre, à part une jalousie à couper au couteau.
— Je n’ai pas aperçu votre époux, dit-il à la jeune femme avec un sourire constipé.
— Il est parti à Singapour en mission, répliqua Angelina. Je n’ai pas vu votre épouse non plus ?
— Elle se trouve avec la Pengiran Isteri Hadjah Mariam, expliqua-t-il. Il y avait une petite réception à son palais ce soir.
Un des rares Brunéiens à être resté adressa soudain un signe discret au Premier aide de camp qui s’éclipsa. Aussitôt, Angelina tira Malko vers la sortie.
— Rentrons, fit-elle, les autres vont se soûler au Sheraton. Allons chez moi. J’ai mis une bouteille de Dom Perignon au frais.
— Tu sais que j’aimerais bien faire un tour à la beach-house du prince Mahmoud, fit-il, c’est le moment ou jamais…
Angelina soupira, agacée.
— Tu as de la suite dans les idées ! Bon, vas-y, je t’attends. Passe par la piscine, derrière tu trouveras un sentier qui descend vers la mer.
Quand tu ne seras plus qu’à une centaine de mètres de la plage, pars sur la droite. Tu arriveras à la clôture de la beach – house. Mais, il y a des gurkahs partout. Fais attention.
AI Mutadee Hadj Ali, s’étant débarrassé de son importun, fonçait sur Angelina comme la pauvreté sur le monde. Malko s’éclipsa discrètement vers la piscine, la longea et se retrouva dans le golf.
Il plongea dans la pénombre. L’air était tiède, la nuit assez claire. Il se demanda s’il allait enfin trouver la mystérieuse Peggy Mei-Ling.
Ses pas dans l’herbe ne faisaient aucun bruit. Malko arriva à la hauteur d’une énorme écurie, où se reposaient une cinquantaine de chevaux dans des boxes dotés de l’air conditionné. Il se trouvait à plus de 500 mètres du Club House et il commençait à percevoir le bruit de la mer… Encore cent mètres et il distingua en contrebas la ligne blanche du ressac. Il bifurqua de 90°et très vite, devina, dans l’obscurité relative, un rideau d’arbres.
Malgré son attention, il buta soudain sur un câble métallique tendu à environ un mètre du sol. Avec précaution, il se glissa dessous, agréablement surpris de ne pas rencontrer d’obstacle plus conséquent. Il était enfin dans l’enceinte de la beach-house… Il continua et aperçut une grosse villa au pourtour éclairé, presque sur la plage.
Son cœur battit plus vite : Peggy Mei-Ling se trouvait à portée de main. Il bénit Angelina de l’avoir fait pénétrer dans l’enceinte magique de Jerudong…
— Stop ! You are trespassing a private zone.
La voix caverneuse surgie des ténèbres fit monter son taux d’adrénaline d’un coup ! Une phrase brève suivit, en malais. Sûrement la traduction. Il s’aplatit contre un arbre. Comment l’avait-on repéré ? Tout à coup, une détonation claqua et un éclat d’écorce jaillit à quelques centimètres de sa tête ! Une précision étonnante dans cette obscurité.
Les infrarouges ! Les gurkahs avaient des armes équipées de viseurs infrarouges. Ils distinguaient Malko comme en plein jour… Celui-ci contourna le tronc. C’était une sensation affreuse de ne pas voir soi-même à dix mètres et de se sentir totalement exposé.
D’un bond, il battit en retraite On ne lutte pas contre des robots électroniques… Une autre détonation claqua et il entendit distinctement siffler le projectile. Instinctivement, il plongea dans l’herbe épaisse, réalisant que si on avait voulu le tuer ce serait déjà fait. On voulait seulement l’éloigner… Il reprit sa marche en zigzag et se cogna soudain poteau métallique. Une sorte de ronronnement émanait de son extrémité supérieure, comme si elle abritait une ruche. Malko leva la tête et distingua une grosse caméra qui tournait lentement.
Encore de l’infrarouge…
D’un pas tranquille, il se dirigea vers la clôture et repassa dessous. Amer et frustré.
Cinq minutes plus tard, il regagnait le Country Club. Il ne restait presque plus personne.
Angelina était près du bar en train de bavarder avec Al Mutadee Hadj Ali. Malko les rejoignit et elle l’accueillit avec un sourire entendu.
— Comment trouves-tu les chevaux de Sa Majesté ?
— Je n’avais encore jamais vu de boxes climatisés…, fit Malko.
— Sa Majesté veille beaucoup sur ses chevaux, remarqua le Premier aide de camp.
Ostensiblement, il regarda sa montre.
— Je crois que je vais devoir rejoindre Sa Majesté, annonça-t-il.
Il s’inclina sur la main d’Angelina Fraser et serra celle de Malko. Celui-ci allait s’étonner de cette attitude détachée contrastant avec son air lubrique, une demi-heure plus tôt, lorsqu’il réalisa que le pantalon du Brunéien scintillait de paillettes…
Ceci expliquait cela.
Al Mutadee Hadj Ali battait déjà en retraite. Dès qu’il se fut un peu éloigné, Malko remarqua :
— Apparemment, ton ami a passé agréablement le temps avec toi. On dirait une boule d’arbre de Noel…
Angelina eut un rire de gorge plein de sensualité.
— Il était déchaîné. J’ai eu du mal à me défendre. Il a voulu m’entraîner dans un des bungalows de la piscine. Nous avons déjà un peu flirté, tu sais. Comme ils sont bridés par leur religion, les Brunéiens se défoulent avec les étrangères. Alors ? Tu as pu arriver à la beach-house ?
En retournant vers la voiture Malko lui raconta son odyssée. Angelina se pressa contre lui.
— Ils ne t’ont pas tué parce que tu venais de Jerudong ; donc tu étais forcément un diplomate ou quelqu’un d’important… Viens, je vais te montrer quelque chose.
Ils reprirent la Volvo et Angelina s’engagea sur la route de Tutong longeant le bord de la mer. Deux kilomètres plus loin, elle tourna à droite dans un sentier partant vers la falaise dominant la mer de Chine. Elle stoppa au bord d’un no man’s land de broussailles et éteignit ses phares. La mer était en contrebas, au bout d’un sentier de chèvre. Sur sa droite, à un kilomètre environ, Malko aperçut une rangée de projecteurs qui formaient un alignement perpendiculaire à la route.
— Regarde, dit Angelina. C’est la beach-house. Gardée comme un camp de concentration. Des miradors, des barbelés, des projecteurs, sans compter tout ce qu’on ne voit pas. Parce qu’ici, cela donne sur une zone accessible au public… Si tu avais essayé de franchir la clôture de ce côté-ci, les gurkahs ne se seraient pas contentés de t’intimider, ils t’auraient abattu immédiatement. Il arrive au prince Mahmoud de « kidnapper » une Brunéienne pour ses plaisirs. On a dû te prendre pour un mari jaloux.
Malko fixait la clôture illuminée. Peggy Mei-Ling était bien gardée.
Tandis qu’il contemplait les projecteurs, Angelina Fraser se coula derrière lui, l’étreignant de toutes ses forces. Collée à son dos, elle commença à se frotter, à l’agacer de toutes les façons possibles, puis elle recula et s’allongea à plat dos sur le capot de la Volvo, s’accrochant d’une main à un essuie-glace pour ne pas glisser.
Malko n’eut qu’à la débarrasser de son dernier rempart pour l’embrocher d’un seul coup de reins, debout contre la voiture. Il éprouva aussitôt une sensation bizarre, inhabituelle. Angelina ne s’était pas beaucoup défendue contre le Premier aide de camp. Il arrêta net. Surprise, Angelina se redressa.
— Qu’est-ce qu’il y a ?
— Tu es vraiment une salope ! fit Malko. Deux hommes en une heure.
— Il se demandait où tu étais, fit Angelina sans se démonter. Il fallait bien que je le retienne. Tu ne veux plus de moi ?
En guise de réponse Malko la prit par les hanches et la retourna. Surprise, allongée à plat ventre sur le capot de tout son long, Angelina poussa un petit cri en le sentant se coucher sur elle. II y eut une brève pause, puis elle hurla sauvagement au moment où la verge durcie de Malko forçait ses reins sans pitié. S’y enfonçant d’un trait jusqu’à la garde.
— Tu es fou ! cria Angelina.
Il se retira un peu et revint encore plus fort, la violant de tout son poids. A la troisième fois, elle commença à feuler. Puis elle haleta et Malko entendit :
— Défonce-moi, déchire-moi !
Malko la pilonna de plus belle. Accrochée à un rétroviseur et à un essuie-glace, Angelina ruait sous lui, rebondissant sur la tôle. Jusqu’à ce qu’il lâche sa semence dans les reins avec un cri sauvage. Angelina lui fit écho quelques secondes plus tard. Restant ensuite mollement allongée sur le capot, comme morte. Un peu plus tard, elle se redressa, ôta sa robe et dit :
— Viens, nous allons nous baigner.
Ils dégringolèrent le sentier et se retrouvèrent dans les vagues tièdes de la mer de Chine. C’était délicieux. Les tympans de Malko vibraient encore des coups de feu qui auraient pu le tuer. Angelina s’enroula autour de lui et murmura
— C’est vrai que je suis une salope, mais j’adore baiser avec toi. (Elle pouffa.) Les gurkahs, avec les infrarouges, n’ont pas dû en perdre une miette…
Une immense salope. Une seule chose gâchait le plaisir de Malko : cette fois il était dans une impasse totale. Angelina éclata de rire.
— Si ce petit cloporte de Khoo nous avait vus, il aurait doublé son offre.
— Quelle offre ?
— Il m’a carrément proposé de passer un week-end avec Mahmoud. Celui-ci a envie de chair fraîche et en a ras-le-bol de baiser des Philippines analphabètes. Comme je l’ai envoyé promener, il m’a supplié de lui trouver quelqu’un parmi mes copines. Comme si je connaissais des putes !
Malko ne sentait plus le corps tiède pressé contre lui. Il venait d’avoir l’idée qui pouvait peut-être débloquer la situation.
— Eh bien, tu vas lui annoncer que tu as peut-être une copine, fit-il. Une vraie créature de rêve