Chapitre XIII

Mandy Brown avait perdu sa belle assurance. Depuis qu’elle avait regagné sa chambre, elle guettait anxieusement les bruits de la maison. L’irruption de l’homme à la Range-Rover ne lui disait rien de bon. Il était venu vérifier qu’elle était bien retournée dans sa chambre, sans oublier de refermer soigneusement la porte derrière lui. Ses yeux bleus étaient ceux d’un tueur. Elle s’y connaissait…

Elle en était à souhaiter le retour de « Sex-Machine », morte de peur dans cette demeure silencieuse.

Pour tromper son angoisse, elle s’approcha de la baie vitrée, regardant le jardin éclairé par des projecteurs. Une silhouette surgit soudain du sentier menant à la plage. L’homme de la Range-Rover. Il disparut très vite de son champ visuel, se dirigeant vers la maison. Quelques instants plus tard, un coup léger fut frappé à sa porte qui s’ouvrit presque aussitôt sur le Britannique. L’air grave.

— Miss Brown, dit-il, il s’est passé une chose épouvantable. Miss Peggy s’est noyée !

— C’est pas vrai !

— Si, si, insista-t-il. Un horrible accident. Vous auriez un peignoir pour l’envelopper avant que les gurkahs n’enlèvent le corps ? Si vous pouviez venir avec moi.

Tous les voyants rouges s’allumèrent instantanément dans le cerveau de Mandy Brown. Elle toisa le mercenaire, étincelante de rage.

— Si elle s’est noyée, c’est vous qui l’avez noyée !

Michael Hodges haussa les épaules.

— Ne dites pas de bêtises. Venez voir vous-même.

Son ton était si placide, si calme, que Mandy Brown faillit s’y laisser prendre. Mais il eut le tort de vouloir l’attirer à l’extérieur et elle se défendit. D’une manchette, il tenta de l’assommer, mais elle réussit à parer et se mit aussitôt à hurler comme une sirène.

— Salaud, assassin !

Hélas, il n’y avait que les gurkahs et les domestiques philippines qui n’interviendraient pas. Sans se soucier de ses cris, Michael Hodges continuait à l’entraîner. Une fois dehors, il pourrait l’assommer. Ensuite ce serait facile… Le ronflement d’un moteur puissant lui glaça le sang dans les veines. Une voiture descendait l’allée vers la maison. « Sex-Machine »venait consommer son goûter. Le Britannique lâcha instantanément Mandy Brown. Celle-ci se rua aussitôt à travers le couloir et jaillit dehors. Se cognant presque contre une Lamborghini verte « Countach » qui ne faisait pas plus d’un mètre de haut. Le prince Mahmoud était en train de s’extraire péniblement de cette punaise de luxe. Mandy Brown se coula contre lui, le ventre en avant.

— Comme je suis contente que tu viennes ! lui glissa-t-elle à l’oreille.

Ignorant à quel point elle était sincère, il se dit simplement que le diamant jonquille faisait son effet. Sans se demander comment Mandy Brown avait pu sortir de sa chambre, il commença séance tenante à explorer ses courbes, s’attardant plus spécialement à celles de ses reins. C’est à peine s’il entendit Michael Hodges s’approcher et lancer d’une voix contrite :

— Pengiran, il y a eu un accident terrible. La jeune Chinoise s’est noyée. Elle…

Mais Mahmoud entraînait Mandy Brown à l’intérieur et s’en moquait comme de son premier calot. II tourna un regard indifférent vers le Britannique et dit simplement

— C’est extrêmement triste. Prenez les mesures nécessaires.

Des jouets comme ça, Mr Khoo en faisait venir de Hong-Kong toutes les semaines. Ce n’était pas comme celle qu’il tenait dans ses bras…

Mandy jeta un regard horrifié à Michael Hodges. Tentée de crier la vérité au prince Mahmoud. Mais comment ce dernier réagirait-il ? Elle était dans un monde bizarre… Le mieux, se dit-elle, était encore de jouer son rôle de courtisane de luxe. Tout ce qui la séparait d’une mort affreuse, c’était Mahmoud et son désir fou.

Oubliant Michael Hodges, ce dernier emmena Mandy jusqu’à sa chambre. Cette fois, il avait bien l’intention d’amortir le diamant, surtout devant d’aussi bonnes dispositions… Tranquillement, il se déshabilla. Même au repos son sexe avait une longueur ahurissante. C’est sans feindre l’émotion que Mandy Brown s’agenouilla devant. Finalement, elle préférait contempler cette partie de Mahmoud que son visage simiesque. Assis en tailleur sur le lit Tiffany, le Brunéien se laissait faire. Aux anges. Dès qu’il était entré dans la chambre, il avait déclenché deux caméras automatiques.

Mandy n’avait pas trop de ses deux mains et de sa bouche pour rendre hommage au monstre.

Dès qu’il fut à son maximum, Mahmoud fila dans la salle de bains et y prit une bonbonnière pleine de cocaïne. Il la tendit à Mandy Brown. C’était encore plus agréable de se faire enduire par la jeune femme. Il lui posa un peu de poudre sur la langue, lui expliquant ce qu’il attendait. Elle s’exécuta, oignant soigneusement l’impressionnant gland gorgé de sang. Quand ce fut terminé, Mahmoud la fit s’allonger au bord du lit, sur le dos et se plaça à l’entrée de son sexe.

— Doucement ! supplia Mandy.

Pour toute réponse, il logea son incroyable bélier d’un seul coup de reins. Inouï. II demeura immobile, planté en elle, rigide comme une tige de métal. Et ensuite, il se mit en route.

Sous les coups de boutoir lents et réguliers, Mandy eut l’impression qu’elle allait éclater. Lui écartant les cuisses à deux mains, en sueur malgré la clim, Mahmoud baisait comme une machine, le regard fixe. Grâce à la cocaïne, il était à l’abri de l’éjaculation précoce et s’en donnait à cœur joie.

Dans toutes les positions. Traitant Mandy comme une poupée gonflable. La tournant, la retournant inlassablement. Quand il la prit par derrière, agenouillée, elle hurla tant il allait loin. Il en bavait de joie. Ça allait faire un film formidable. Le Ben-Hur du sexe. Il était fier de montrer à ses amis ses exploits. Enfin, il s’arrêta, et se laissa aller sur le dos, respirant lourdement. Mandy Brown resta là où il l’avait lâchée, avec la sensation qu’elle n’avait plus de ventre…

Elle avait toujours fantasmé sur des « teamsters[28] » aux organes fabuleux. Elle était servie…

Presque tendrement, elle se retourna sur le côté et saisit dans ses mains le sexe toujours aussi rigide de son amant.

— My poor baby, fit-elle, il faudrait faire quelque chose.

A peine eut-elle dit cela et croisé le regard de Mahmoud qu’elle regretta sa suggestion. Il avait bien l’intention, en effet, de faire quelque chose. Il poussa un grognement, se releva, prit Mandy par les hanches et la retourna. Elle voulut lui échapper, se tortilla, remontant vers la tête du lit. Il la suivit, agrippée à elle, son membre brûlant cherchant à forcer ses fesses. Mandy arriva au mur et ne put aller plus loin.

Elle implora grâce, mais Mahmoud était déchaîné. Mandy, coincée sous lui, sentit une masse dure peser avec une force incroyable sur l’ouverture de ses reins et se mit à hurler sans discontinuer.

Ce ne fit qu’exciter Mahmoud un peu plus. Centimètre par centimètre, il se logea au fond d’elle. Quand il n’eut plus rien à faire pénétrer, il contempla quelques instants la croupe superbe. Le corps entier couvert d’une sueur froide, Mandy Brown l’implorait de ne plus bouger. Il se retira avec lenteur presque entièrement et se mit à la besogner comme un fou.

Jamais il n’avait eu un aussi beau jouet.

L’effet de la cocaïne se dissipant, il finit par exploser tout au fond d’elle. Depuis longtemps Mandy Brown ne réagissait plus, à demi-évanouie. Le soulagement de ne plus être défoncée par ce marteau-piqueur la fit sombrer dans une espèce de torpeur. Sa dernière idée fut qu’il valait mieux être sodomisée qu’assassinée.


* * *

Malhmoud consulta le petit tas de brillants et d’or qui lui servait de montre, satisfait. Sa séance avait duré près de deux heures. Avec quelques coupures le film serait parfait. Les sens en paix, il gagna sa Lamborghini. Une silhouette surgit de l’obscurité et l’interpella respectueusement.

— Pengiran ! Pourrais-je vous dire un mot ?…

Michael Hodges attendait, au garde-à-vous. Mahmoud ne l’aimait pas spécialement, mais respectait ceux qui veillaient à la sécurité du Sultanat.

— C’est à propos de la Chinoise ? demanda-t-il.

— Non, non, se hâta de préciser le Britannique. Plutôt de la personne qui se trouvait avec vous tout à l’heure. C’est l’amie d’une diplomate qui se plaint qu’elle soit retenue ici contre son gré. Il faudrait que je puisse l’emmener en ville, afin de rassurer cette personne.

Le prince Mahmoud vit rouge à l’idée de perdre Mandy, même pour quelques heures. Il pointa un index furieux sur le mercenaire.

— J’interdis qu’elle bouge d’ici. Vous en êtes responsable.

Sans laisser à Michael le temps de protester, il se glissa dans la « Countach » et démarra si vite que le gurkah de garde eut tout juste le temps de lever la barrière.

Michael Hodges regarda les feux rouges s’éloigner, perturbé et inquiet. Le problème de la Chinoise était réglé. Mandy Brown pour l’instant était intouchable, mais représentait un danger potentiel. Sauf si on éliminait son « sponsor », l’agent de la CIA. Il devait donc se concentrer sur cet objectif.


* * *

De nouveau, Walter Benson, l’ambassadeur des Etats-Unis, ne dissimulait pas sa morosité. Malko avait juste pris le temps de passer sous la douche au Sheraton, après son équipée, avant de foncer chez lui, sur la route de Gadong. Installés dans le grand living dont les baies vitrées donnaient sur la jungle, ils faisaient le point.

Walter Benson but une longue gorgée de son Johnny Walker et fit tourner les glaçons dans son verre vide. Malko s’était contenté d’un café très sucré.

— Malgré tous vos efforts, fit-il, je crois que nous sommes dans la merde. Si vous aviez pu ramener cette Chinoise, c’était une autre histoire. Pouvez-vous seulement garantir qu’elle soit encore vivante ?

— Non, avoua Malko. Il reste Mandy Brown à qui elle a parlé et qui se trouve en danger, elle aussi.

— Il faudrait la tirer de là, dit le diplomate. Les confidences de Peggy Mei-Ling ont une valeur énorme.

Malko se serait mordu les poings de rage… et d’impuissance. Mandy Brown était en danger de mort. Il fallait attendre le bon plaisir de « Sex-Machine » pour la revoir ! L’ambassadeur sirotait son scotch tranquillement en regardant la pluie tomber.

Malko se leva.

— Je crois que je vais aller me coucher. Pour aujourd’hui, cela suffit.

— Faites attention en rentrant, remarqua le diplomate. Ces gens veulent votre peau. Il n’y a pas beaucoup de circulation la nuit jusqu’à Bandar Sen Begawan. Voulez-vous que mon chauffeur vous accompagne ?

— Merci, fit Malko, j’ai gardé votre Beretta 92.

Il prit congé et s’engagea sur la route déserte, remâchant sa déconvenue. Non seulement Peggy Mei-Ling était maintenant hors d’atteinte, même si elle n’était pas encore assassinée, mais Mandy Brown était aux mains de ses adversaires qui risquaient de s’en servir comme otage…

Il ruminait encore ses idées sombres quand il pénétra dans le lobby du Sheraton et prit sa clef. L’employé lui jeta un regard bizarre. Il monta, ouvrit la porte de sa chambre et s’arrêta net.

Michael Hodges était assis dans un fauteuil face à la porte en train de fumer une cigarette.


* * *

— Entrez, lança le Britannique d’une voix calme. Je ne vous veux aucun mal. Je suis ici simplement pour vous délivrer un message.

— Comment êtes-vous entré ? demanda Malko.

Michael Hodges eut un léger haussement d’épaules.

Malko lui fit face. Ivre de rage.

— C’est vous qui avez tenté de me tuer tout à l’heure, à Jerudong Park. C’est vous qui avez assassiné cette Singapourienne ! Et c’est vous qui avez tué John Sanborn sur les ordres de AI Mutadee Hadj Ali. Qu’avez-vous fait de Peggy ?

Le mercenaire haussa les épaules de nouveau, indifférent, et répliqua, avec calme et application.

— Mr Linge, ces propos n’engagent que vous. Je sais que vous travaillez pour une organisation alliée, aussi je vous traite avec respect.

— Ne me faites pas rire, fit Malko. Que voulez-vous ?

— Un certain nombre de gens estiment, fit lentement le Britannique, que votre présence à Brunei est de nature à y semer le trouble. Aussi serait-il préférable que vous quittiez ce pays dans les meilleurs délais. Demain, il n’y a pas de vols, mais il y en a un pour Bangkok après-demain matin. Je vous ai réservé une place en première. Avec une correspondance Air France sur Dehli ou Paris au choix.

Malko étouffait de rage.

— Et Peggy Mei-Ling ? Qu’en faites-vous ?

— Elle repart pour Hong-Kong, fit le Britannique d’une voix neutre. C’est une mythomane…

— Evidemment ! Et Mandy Brown ?

— Miss Brown est à Jerudong de son plein gré, invitée par Son Altesse le prince Mahmoud, répondit le mercenaire. Elle repartira quand bon lui semblera. Si vous quittez Brunei, je m’engage à ce qu’elle vous rejoigne le plus vite possible.

Malko eut un sourire froid.

— Et que se passera-t-il si je refuse de partir ?

Le Britannique demeura impassible.

— Il est possible que vous soyez l’objet d’une mesure d’expulsion officielle. Dans ce cas, je ne pourrais me préoccuper du sort de miss Mandy Brown.

— Je ne suis même pas sûr qu’elle soit encore vivante…

— Vous vous trompez. Elle vous appellera demain matin. Disons à neuf heures.

Malko sentait le poids du Beretta 92 à sa ceinture. C’était facile de mettre deux balles dans la tête du Britannique. Mais cela ne résoudrait rien.

— Sortez, Mr Hodges, dit-il. Au cas où il arriverait quelque chose à miss Brown, je vous en tiendrais pour responsable. Vous êtes peut-être tout-puissant ici, à Brunei, mais il y a d’autres moyens de vous atteindre.

Le Britannique se leva sans répliquer et sortit. Malko claqua la porte avec rage. La boucle était bouclée. A bout d’arguments, ses adversaires avaient recours au chantage. La vie de Mandy Brown contre son départ. Il était sûr désormais de ne jamais revoir Peggy Mei-Ling…

Il prit une douche et se mit à réfléchir. En quoi pouvait-il inquiéter ses adversaires qui paraissaient avoir toutes les cartes en mains ? Mandy Brown était à leur merci et les USA n’entreraient pas en guerre contre le Brunei si elle disparaissait.

On en resterait aux échanges de notes diplomatiques oubliées au bout de quelques mois. Un Bœing 747 avec 269 passagers n’avait pas réussi à brouiller les USA et l’Union Soviétique, alors une simple ex call-girl à la réputation douteuse…

Il resta étendu des heures, cherchant la solution de la quadrature du cercle. Un coup de force était impossible contre la beach-house protégée par les gurkahs. L’ambassadeur US n’interviendrait que mollement. Il n’avait pas encore de « cas » comme il disait et s’adresser à la police de Brunei relevait de la plaisanterie…

C’est vers quatre heures du matin qu’il envisagea une contre-attaque, encore pleine de « si ». Mais c’était la seule façon de sauver la vie de Mandy Brown. S’il prenait l’avion comme on le lui demandait, il ne se faisait guère d’illusions. Mandy ne réapparaîtrait jamais : elle en avait trop vu et recueilli les confidences de Peggy Mei-Ling. Al Mutadee luttait pour sa vie. Ce qu’il avait commis était si grave que le Sultan, même à contrecœur, serait obligé de sévir. Donc, il irait jusqu’au bout des contre-mesures… Entre autres, l’élimination de Mandy Brown. Si elle était encore vivante…

II lui restait une seule alliée possible Angelina Fraser. Mais, cette fois il ne pouvait plus différer ses accusations contre son amant. C’était à elle de choisir son camp… II composa son numéro et attendit longtemps jusqu’à ce que sa voix ensommeillée fasse « allô ».

— C’est Malko. J’ai encore besoin de toi, mais avant que je te demande ce service, il faut que tu saches que mon suspect numéro un – à 99 % – est Al Mutadee Hadj Ali.

— Je m’en doutais, fit la jeune femme après un long silence. C’est horrible. Tu en es absolument sûr ?

— Oui, dit-il.

Il lui expliqua pourquoi. Et ce qu’il attendait d’elle.

— Je vais t’aider, fit la jeune femme. Tu sais, je n’étais pas vraiment amoureuse de lui.

— Merci.

Ce n’est qu’après avoir raccroché qu’il put enfin trouver le sommeil.

Son pouls monta en flèche quand le téléphone sonna à neuf heures pile. Il y eut un blanc puis la voix de Mandy.

— Malko ? Comment ça va ?

Il la connaissait assez pour savoir qu’elle se contrôlait et qu’elle avait peur.

— Moi, très bien, dit-il. Et toi ?

— C’est OK, fit-elle. Je suis très bien installée. Le prince est très gentil avec moi. Seulement la mer est dangereuse, il ne faut pas se baigner.

La communication fut brutalement interrompue. Quelqu’un avait coupé.

Frustré, Malko attendit une demi-heure, mais Mandy ne rappela pas. C’est en sortant du parking du Sheraton qu’il réalisa ce qu’elle avait voulu lui dire.

Ils avaient noyé Peggy Mei-Ling.

Sa rage était encore plus forte lorsqu’il stoppa devant la City Bank. Pour jouer sa dernière carte. Angelina Fraser était au rendez-vous.

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