Inondé de sueur, Malko guettait les bruits de l’extérieur. Il n’avait pu saisir le sens des conversations, mais il se doutait bien qu’ils étaient arrêtés au poste de garde des gurkahs. La tuile. Il prêta encore l’oreille et entendit des pas lourds faire crisser le gravier. La voiture était entourée par plusieurs soldats. En plus, il ne pouvait ouvrir le coffre de l’intérieur ! A tout hasard, il arma doucement son Beretta 92 et fit monter une balle dans le canon. Pensant à Mandy et à Peggy. Si ça tournait mal, il prendrait le risque d’abattre les gurkahs de garde afin de permettre aux femmes de s’enfuir.
De façon à être prêt à sortir, il commença à se retourner pour faire face à la paroi arrière. C’était horriblement difficile, et il du se contorsionner comme un serpent. A un moment donné, son pied dérapa et heurta violement la tôle du coffre.
Il s’immobilisa, retenant son souffle. Un glapissement éclata presqu’aussitôt et la voiture fut violemment secouée ! Un des gurkahs avait dû entendre le bruit suspect. Une violente discussion et la voix véhémente d’Angelina qui protestait. Quelque chose se glissa soudain en la caisse et le coffre : la lame d’une baïonnette. On essayait de le forcer.
Ça allait tourner au massacre…
Beretta au poing, il attendit, le pouls à 150.
Angelina Fraser, liquéfiée de terreur, serrait dans sa main les clefs que tentait de lui arracher le sergent gurkah, afin d’ouvrir le coffre. Heureusement, ce dernier était quand même intimidé par les demandes réitérées de la jeune femme d’appeler le prince Mahmoud.
Le second gurkah, M. 16 braqué sur le coffre, fixait sombrement la tôle ayant renoncé à l’ouvrir… Soudain, deux phares apparurent. Une Range-Rover qui stoppa en travers de la route. Michael Hodges en descendit. Impassible à son habitude. La Chinoise murmura à Angelina
— C’est lui qui a tué John Sanborn.
A peine le Britannique se fut-il approché qu’Angelina, rassemblant tout son courage, le héla d’une voix arrogante
— Mister Hodges, ces hommes nous retiennent depuis une demi-heure. Nous avons rendez-vous au Country Club avec son Altesse le prince Mahmoud.
En le voyant, Peggy Mei-Ling s’était ratatinée. Mandy Brown l’examinait avec curiosité : les hommes ne l’avaient jamais intimidée…
Michael Hodges ne cilla pas, ne s’attendant pourtant pas à trouver Mandy Brown dans la voiture. C’était la première fois qu’il la voyait, mais Al Mutadee Hadj Ali lui en avait parlé. Ainsi, elle semblait avoir partie liée avec Angelina Fraser. Ce n’était pas innocent d’essayer de faire sortir Peggy Mei-Ling de la beach-house. Tout cela sentait le coup fourré.
— Miss Mei-Ling et l’autre personne doivent rester ici, dit-il calmement, ce sont les instructions formelles de Son Altesse le prince Mahmoud. Puisque vous avez rendez-vous avec Son Altesse au Country Club, allez le rejoindre. Demandez-lui d’envoyer son chauffeur chercher ici ces personnes. De cette façon, il n’y a pas de problème.
Il souriait, d’un sourire froid de cobra et, tout en parlant, avait ouvert la portière. Il tira d’abord à l’extérieur Peggy Mei-Ling qui ne résista pas. Toujours souriant, mais ses doigts s’enfonçaient cruellement dans sa chair. Ensuite, ce fut le tour de Mandy Brown qui n’en menait pas large.
— Vous pouvez partir, lança Hodges à Angelina.
Il claqua la portière fermement et lança un ordre au gurkah placé devant le véhicule, qui s’écarta aussitôt. La barrière se leva. Angelina, les mains tremblantes, mit le contact et le moteur rugit… Au même moment un des gurkahs s’approcha de Hodges et lui parla à l’oreille. La jeune femme passait déjà la première… Heureusement.
Dans le rétroviseur, elle aperçut Michael Hodges qui courait vers sa Range-Rover.
Elle écrasa l’accélérateur, le cerveau vide. Fonçant sur la route traversant Jerudong Park. Elle avait environ quatre kilomètres à parcourir avant de rejoindre la grande route de Tutong, où elle se sentirait plus en sécurité. Elle jeta un coup d’œil dans le rétroviseur : la Range-Rover se rapprochait et quelque chose dépassait de la portière avant gauche. Un choc sourd qui ébranla la voiture ! Michael Hodges, penché à l’extérieur, tirait sur Angelina avec une carabine ! Paniquée, la jeune femme gémit toute seule de terreur. Elle n’atteindrait pas la route. Sur sa droite surgit le bâtiment abritant le manège. Il était éclairé par de puissants projecteurs et une douzaine d’entraîneurs argentins tournaient sur leurs montures. Un autre coup sourd dans la carrosserie. Angelina poussa un gémissement comme si elle avait été touchée. Coupant à travers le terrain de polo, elle bifurqua, pénétra dans le manège, affolant les chevaux et finit par s’arrêter au beau milieu. Un des Argentins maîtrisa de justesse sa monture et reconnut Angelina. Celle-ci venait de jaillir de la voiture, visiblement terrifiée.
— Qu’est-ce qui se passe ? demanda le cavalier.
— On nous tire dessus ! expliqua la jeune femme, un fou…
Elle courut au coffre et l’ouvrit. Malko se déplia et en sortit. L’Argentin le regarda, les yeux ronds. Puis prit le parti de sourire.
— Vous jouez à quoi ?
— C’est une histoire de bonne femme, expliqua hâtivement Angelina. Mon ami a dragué la copine de « Sex-Machine », il nous poursuit…
L’Argentin éclata de rire.
C’est un fou furieux. L’autre jour au tir aux pigeons il s’est servi d’un FM… N’ayez pas peur, ici, il ne fera rien. Nous sommes chez le Sultan qui n’apprécie pas ses plaisanteries.
La Range-Rover avait disparu, mais Michael Hodges était à coup sûr embusqué dans les allées du terrain de polo. Ils ne seraient en sécurité que de retour à Bandar Sen Begawan. L’Argentin comprit leur, problème.
— Attendez quelques minutes, proposa-t-il. Nous repartirons tous ensemble. Cela m’étonnerait que « Sex-Machine » se risque à me tirer dessus. Je suis le meilleur joueur de polo de l’équipe de Brunei…
Dans cet univers de folie, c’était un argument de choc… Tandis que l’Argentin s’éloignait, Malko se rapprocha d’Angelina…
— Que s’est-il passé ?
Elle le lui dit. Malko était effondré. Non seulement il n’avait pas récupéré Peggy, mais maintenant, ses adversaires savaient que Mandy Brown était de son côté. Il avait acquis la certitude qu’en dépit de ses dénégations, Peggy avait été complice des assassins de John Sanborn. Mais il restait Mandy. A sauver coûte que coûte.
Michael Hodges sauta à terre, laissant sa carabine dans la Range-Rover. Ivre de rage. Cette petite salope d’Angelina Fraser l’avait bien eu ! En plus, il ne pouvait rien contre elle à cause de ses liens avec Al Mutadee Hadj Ali. Il passa sa fureur sur le gurkah au garde-à-vous, qui avait attendu que la voiture soit partie pour lui signaler l’incident du coffre… Maintenant, à cause de ce crétin, il devait affronter une situation entièrement nouvelle. Et il avait peu de temps pour la résoudre… Tous les soirs, le prince Mahmoud débarquait à la beach-house.
Il s’enferma dans le petit poste de garde et composa le numéro de la ligne directe de Al Mutadee Hadj Ali. Ce dernier décrocha lui-même.
— Nous avons un problème nouveau, annonça sobrement Michael Hodges.
Maintenant, il regrettait d’avoir obéi aveuglément aux ordres du Premier aide de camp et se rendait compte de l’inexpérience de ce dernier. Car il était en train de marcher sur les plates-bandes du Sultan, ce qui à Brunei n’était pas une situation d’avenir… Il résuma les faits à son interlocuteur. Il y eut un long silence au téléphone, puis le Brunéien lança d’une voix calme
— Liquidez-les tous les trois. Le plus vite possible. Les filles d’abord.
Pour éviter toute question supplémentaire, il raccrocha brutalement, laissant Michael Hodges un peu hébété. Tuer, cela ne lui faisait ni chaud ni froid. A condition qu’il soit couvert. Seulement, sa couverture devenait de plus en plus fragile et il était sans illusion : si un fusible devait sauter dans cette affaire, ce serait lui. Seulement, au stade où il en était, il ne pouvait pas s’arrêter.
Peggy Mei-Ling fumait nerveusement, assise au bord de son lit, quand Michael Hodges ouvrit la porte de sa chambre. Elle le fixa, les yeux agrandis de terreur et il tenta de la calmer d’un sourire.
— Peggy, il faut que je te parle. Viens.
— Pourquoi pas ici ?
II désigna du doigt le plafond, d’un geste éloquent.
Peggy Mei-Ling écrasa sa cigarette dans le cendrier et se leva. Galant, Michael Hodges lui tint la porte. De gros nuages couraient dans le ciel, mais il ne pleuvait pas encore. Le Britannique lui prit le bras, avec douceur cette fois et l’entraîna vers le sentier menant à la plage. Celle-ci était close de barbelés aux deux extrémités et des gurkahs veillaient dans les broussailles. La mer de Chine était calme et le bruit du ressac lénifiant. Michael et Peggy s’éloignèrent de la beach-house, marchant à quelques mètres des vagues qui venaient mourir sur le sable, contournant un bosquet de bambous géants.
— Tu as été imprudente, dit Michael quand ils furent hors de vue de la maison. Il ne fallait pas parler à cet homme.
— Quel homme ?
— Celui qui était dans le coffre de la voiture d’Angelina Fraser.
La Chinoise sentit le sang se retirer de son visage. Elle essaya d’affronter le regard impitoyable du mercenaire, mais dut baisser les yeux. Impossible de nier. Elle balbutia
— Je n’ai rien fait, je ne voulais pas. C’est Angelina qui l’a ramené. Il connaît la nouvelle aussi. L’Américaine…
Michael Hodges passa un bras autour de ses épaules.
— Tu lui as tout raconté ?
Sans oser parler, elle hocha la tête négativement.
— OK, c’est bien, fit-il. On va te renvoyer à Hong-Kong, mais il faut que tu me jures de ne jamais rien dire à personne.
II sentit le corps crispé de la jeune Chinoise se détendre.
— Oui, je te jure, fit-elle.
— Bien.
D’un brutal coup de pied, il lui balaya les deux jambes et elle tomba comme une masse sur le sable humide. Son cri fut étouffé par les vagues.
Michael Hodges était déjà sur elle. La prenant par le cou, il la tira jusqu’au ressac. Peggy se débattait mais il lui comprimait les carotides de façon à la maintenir au bord de la syncope. Un vieux truc de commando. Presque sans résistance, elle se laissa entraîner. Arrivé dans la mer, il jeta Peggy dans cinquante centimètres d’eau.
Il se baissa et, comme elle ouvrait la bouche, cherchant un peu d’air, il la prit par les épaules et la maintint au fond de l’eau, face à lui.
Peggy Mei-Ling voulut hurler et avala de l’eau. Elle se mit à tousser, à tenter de recracher, essayant désespérément de se redresser, clouée par la poigne du Britannique. Ses yeux agrandis le fixaient, remplis de terreur. Les siens étaient inexpressifs. Comme s’il avait noyé une portée de petits chats… Cela dura trois minutes environ. Peggy Mei-Ling cessa de lutter, ses yeux devinrent vitreux et sa bouche demeura ouverte, remplie de sable et d’eau de mer.
Michael Hodges la tira alors au sec et entreprit de la déshabiller sans la moindre émotion. Dès qu’elle fut nue, il prit ses vêtements et s’éloigna d’un pas pressé, serrant son sinistre baluchon. Au passage, il jeta le tout dans sa voiture et gagna la chambre de la Chinoise. Il ne lui fallut que quelques secondes pour trouver un maillot deux pièces avec lequel il repartit. Peggy avait l’habitude de faire trempette la nuit tombée pour échapper aux regards des gurkahs. Personne ne s’étonnerait d’un accident. Il eut du mal à lui passer le slip mais ce fut plus facile pour le soutien-gorge.
Il restait l’Américaine. Peggy pouvait très bien l’avoir entraînée à la baignade nocturne.
Evidemment, le prince Mahmoud allait être furieux d’être privé de deux de ses plus beaux jouets, mais il suffisait de lui en procurer d’autres. Une double noyade accidentelle était toujours possible. Michael Hodges regarda sa montre : en un quart d’heure le second problème pouvait être réglé. Il n’y aurait plus ensuite qu’à éliminer discrètement l’envoyé de la CIA.