Chapitre XV

Malko composa le numéro de la ligne directe de la princesse Azizah. Généralement, celle-ci dormait à cette heure matinale. Elle répondit pourtant d’une voix languissante qui s’anima lorsqu’elle reconnut Malko.

— Vous avez mal dormi ? demanda-t-elle, moqueuse.

— Non, mais je dois aller à Limbang aujourd’hui.

Azizah eut un rire ironique.

— Vous avez rendez-vous dans un « love hair dressing saloon » ?

Il y avait une pointe de jalousie dans sa voix. Malko se hâta de la détromper.

— Non, non, c’est pour mon enquête. Vous voulez m’accompagner ? Afin que nous puissions un peu nous voir…

Sa question la prit visiblement par surprise. Depuis qu’il était son « locataire », ils ne s’étaient pas revus. Par contre, leurs conversations devenaient de plus en plus intimes. Azizah demeura silencieuse quelques instants, puis dit avec un peu de regret

— Ce n’est pas très drôle, Limbang, et puis, j’ai des choses à faire.

— Dommage, dit Malko. Je vais donc louer un bateau.

— Attendez, demanda soudain la princesse. Où allez-vous là-bas ?

— J’ai rendez-vous au Bunga Raya Hotel. Juste en face de l’embarcadère. A trois heures.

— Bien, fit-elle, j’essaierai de vous rejoindre à l’embarcadère de Limbang vers quatre heures.

Elle raccrocha aussitôt, comme si elle avait honte de sa proposition.


* * *

Malko vérifia qu’il avait de l’argent, le Beretta 92 dans une sacoche de cuir, son passeport et sortit de la maison.

Saisi par la chaleur du début de l’après-midi. La première fois qu’il sortait en trois jours ! Quelques minutes plus tard, il s’engageait dans Jalan Tutong, passant devant le palais du Sultan. Il gara sa Toyota dans le grand parking en face de la mosquée et se dirigea vers Jalan Mac Arthur. Assailli aussitôt par les passeurs, il chargea l’un d’eux de lui louer un bateau pour Limbang et patienta devant le marché aux poissons. Pourvu que Lim Soon ait récupéré quelque chose. Il avait bon espoir, le Chinois ne le ferait certainement pas venir à Limbang pour rien…

Vingt minutes plus tard, il se retrouvait dans une jonque bleue, avec une pile de bouées de sauvetage sur le toit, fendant les eaux de la Brunei River, son passeport dûment tamponné. C’était un risque, mais il n’avait pas le choix.

Vingt-cinq minutes plus tard, les premières maisons de Limbang apparaissaient. Le temps de franchir l’Immigration et de traverser la rue principale, il était devant le Bunga Raya Hotel. Au moment où il allait entrer, Lim Soon surgit de la boutique du rez-de-chaussée, les yeux cachés derrière des lunettes noires et le poussa dans le couloir de l’hôtel.

— Allons dans ma chambre, proposa le Chinois.

Ils grimpèrent au premier dans une cage à poule donnant sur la rue bruyante.

— Yé Yun Gi a obtenu un résultat ? demanda anxieusement Malko.

Le Chinois tira une enveloppe de sa poche et la tendit à Malko.

— Voici les trois chèques.

Ses yeux noirs brillaient de jubilation…


* * *

Malko ouvrit l’enveloppe et en sortit trois photocopies de chèques. Tous tirés sur l’International Bank of Brunei. Il regarda le nom du tireur et eut un petit serrement de cœur.

H. M. Sultan Hadj Hassanal Bolkiah… Tous les trois portaient deux signatures, illisibles l’une et l’autre. Deux étaient de 7,5 millions de dollars, l’un de 5 millions. Malko regarda l’ordre et éprouva immédiatement une horrible déception. C’était l’Anzalt du Lichtenstein, infrastructure de la CIA ! Toute son hypothèse s’écroulait. Il leva les yeux vers le Chinois, ne comprenant plus.

— Mais…

Sans un mot, Lim Soon lui tendit avec un sourire trois autres photocopies : celles du verso des trois chèques. Tous portaient un endos.

Les deux plus gros étaient établis à l’ordre de la Singapour Invesirnent Corporation, le troisième au nom de la Brunei Consolidated Ressources.

— Que sont ces sociétés ? demanda Malko. Lim Soon eut un sourire gourmand.

— J’ai vérifié, c’était facile. La Singapour Investement Corporation appartient à 99 % au Pengiran AI Mutadee Hadj Ali. Bien sûr, il a un directeur, mais c’est un homme de paille. D’ailleurs, grâce à ces chèques, il a pu acheter l’hôtel Holiday Inn de Singapour, alors que sa société ne possédait pratiquement rien.

Malko regardait les chèques, fasciné. Enfin, la preuve qu’il cherchait.

— Et le troisième ?

— C’est encore plus facile, précisa le Chinois. C’est une société anglaise qui est contrôlée par le MI 6. Elle a servi à récupérer des commissions sur les ventes d’armes à Brunei et ensuite à financer certains réseaux clandestins britanniques dans le Sud-Est asiatique. Une seule personne possède la signature de ce compte à la Barclay’s Bank : c’est Guy Hamilton, son fondé de pouvoir…

Malko n’en revenait pas. Tout s’expliquait. Le vieil espion britannique était partie prenante !

— Qui a signé ces chèques ? demanda-t-il.

Lim Soon hocha la tête :

— L’une des signatures est celle de Hadj Ali, je la connais très bien. L’autre celle du Sultan. Il suffisait ensuite de les endosser. Voilà pourquoi il fallait à tout prix trouver un bouc émissaire afin qu’aucune recherche ne soit entreprise.

Malko ne sentait plus l’air poisseux, n’entendait plus les cris des joueurs de billard et le tintamarre de la rue. Il avait gagné !

Envers et contre tous. Il était parvenu à découvrir la vérité… Il replia les photocopies, les remit dans leur enveloppe et celle-ci dans sa poche. Lim Soon l’observait, vaguement inquiet.

— Qu’allez-vous en faire ?

— N’en parlez surtout à personne, expliqua Malko. Dès mon retour à Bandar Sen Begawan, je les montre à l’ambassadeur. Il demande une audience au Sultan et c’est à ce dernier que nous donnerons ces chèques endossés et que nous expliquerons l’escroquerie.

— J’espère que personne ne saura jamais comment vous vous les êtes procurés. Le Sultan va être horriblement humilié que des étrangers découvrent qu’il s’est fait voler par son plus proche serviteur…

— Il faudra qu’il s’y fasse, dit Malko. A propos, comment avez-vous convaincu Yé Yun Gi de prendre autant de risques ? Elle n’a même pas réclamé d’argent.

— Nous sommes du même village, expliqua le Chinois. Nous nous connaissons depuis toujours.

Malko n’avait plus qu’une hâte maintenant retourner à Brunei.

— Vous êtes venu comment ? demanda-t-il à Lim Soon.

— Avec un « river coach ».

— J’ai un bateau, je peux vous emmener, cela sera plus agréable.

Lim Soon hésita un peu.

— Bien, mais dans ce cas, vous me débarquerez dans le Kampong Ayer pour que nous n’arrivions pas ensemble. Je prendrai un sampan ensuite.

Malko regarda sa montre. Trois heures vingt. Il n’avait pas envie d’attendre jusqu’à quatre heures au cas où Azizah viendrait. Les chèques lui brûlaient la poche. Tant pis, il allait poser un lapin à la princesse.

Ils repartirent vers l’embarcadère et embarquèrent dans la jonque de Malko, commençant par longer les centaines de billes de bois amarrées le long des berges, qui bientôt firent place aux palétuviers marécageux. L’eau bourbeuse, jaunâtre, charriait des troncs d’arbres et des choses innommables.

Malko aperçut soudain une embarcation venant en sens inverse, allant à toute vitesse.

Rien à voir avec les jonques bleues ventrues au toit plat. C’était un bateau de plaisance, tout blanc. Un pavillon jaune et rouge flottait à un mât. Lim Soon remarqua

— Tiens, un membre de la famille royale…

Malko regarda plus attentivement et crut discerner dans l’ombre du cockpit la princesse Azizah. Il agita le bras, mais son bateau ne ralentit pas. Quelques instants plus tard, il la perdit de vue, leur jonque bifurquant dans un des innombrables bras du labyrinthe fluvial séparant Brunei du Sarawak. Le chenal où ils se trouvaient était plus étroit, avec de nombreux marigots, des impasses se perdant dans la végétation inextricable, encombrée de coques de bateaux submergées. La chaleur était encore plus étouffante qu’en ville, et le silence pesant, à part le bourdonnement des insectes. Tout à coup, du coin de l’œil, il aperçut un « Boston-Whaler[30] » immobilisé dans un bras mort. Dès qu’ils furent passés, l’engin démarra, rejoignant le chenal où ils naviguaient.

Son moteur hors bord rugissait et Malko se retourna pour l’observer. Il allait beaucoup plus vite qu’eux.

Son pouls monta à 140. Il y avait plusieurs hommes à bord de l’embarcation qui se rapprochait. L’un d’eux était Michael Hodges, debout, un M. 16 au creux du bras.


* * *

Lim Soon poussa une exclamation étranglée et apostropha en malais le pilote de leur bateau, debout derrière sa roue. Ce dernier ne broncha pas. Au contraire, il ralentit un peu. Malko comprit immédiatement pourquoi ils avaient quitté le bras principal pour cet affluent désert. Leur pilote faisait partie de l’embuscade.

Lim Soon se jeta sur lui, tentant de lui arracher la barre. Aussitôt, le Malais sauta à l’eau, après avoir coupé le moteur ! De toute façon, le Boston arrivait déjà à la hauteur de la grosse jonque. Malko plongea la main dans sa sacoche pour récupérer son Beretta.

Quand il se redressa, Michael Hodges braquait sur lui son M, 16, le doigt sur la détente. Un de ses hommes prit pied sur la jonque et désarma Malko. Lim Soon voulut se précipiter dans l’eau à son tour, mais deux des hommes l’en empêchèrent, lui tordant brutalement les bras derrière le dos. Malko, en dépit de sa résistance, dut passer dans le Boston, sous la menace du M. 16 et d’un poignard. Suivi aussitôt de Lim Soon qui fut jeté comme un paquet sur le plancher du bateau plat. Le guet-apens n’avait pas duré deux minutes. Le pilote de la jonque était en train de se hisser à bord. Michael Hodges lui jeta un ordre en malais et il reprit son poste. Le Boston-Whaler accéléra, s’enfonçant dans le chenal et la jonque fit demi-tour, retournant vers le fleuve principal.

Malko réprimait sa rage. Il avait sous-estimé Michael Hodges. Le policier qui avait tamponné son passeport avait dû immédiatement le prévenir.

— Il fallait m’écouter, dit soudain le Britannique d’une voix calme, maintenant c’est trop tard, Mr Linge, vous auriez mieux fait de prendre l’avion l’autre jour. Vous seriez vivant à Bangkok, au lieu de moisir dans ce coin perdu. Que faites-vous avec ce Chinois ?

Malko ne répondit pas. Michael Hodges semblait Intrigué par la présence de Lim Soon.

Les trois autres – des Blancs – ne disaient pas un mot. Hodges, sans plus s’occuper de Malko, prit la barre et tourna tout à coup dans un étroit chenal boueux. Quelques mètres plus loin, il échoua le Boston sur la vase. Un de ses hommes sauta à terre et attacha le bateau, presque invisible du bras principal. La chaleur humide était étouffante, on n’entendait que des bourdonnements d’insectes et de rares cris d’oiseaux. Malko fut sorti du bateau et jeté à terre, ainsi que Lim Soon. Ce dernier échangea avec Malko un regard où se lisait tout le désespoir du monde.

Les hommes de Michael Hodges leur attachèrent les chevilles et les poignets. En bons professionnels. Puis on les remit sur pied. Autour d’eux, il n’y avait qu’une jungle dense et marécageuse. Un des hommes était resté sur le Boston-Whaler, guettant le chenal. Hodges lança aux deux autres :

— Fouillez-les.

Ce fut vite fait. Trouvant sur Malko l’enveloppe contenant les six photocopies, Hodges l’ouvrit, les examina longuement et émit un petit sifflement, puis les remit dans l’enveloppe qu’il enfouit dans la poche de sa chemisette kaki, et fit face à Malko.

— Je vois pourquoi vous êtes allé à Limbang. Notre ami Lim ne tenait pas à ce qu’on soit au courant de sa petite saloperie.

Avec un sourire mauvais, il s’approcha de Lim Soon qu’il attrapa par sa chemise.

— Qui t’a donné ça, sale petit gook[31] ?

Lim Soon se recroquevilla sans répondre. Michael Hodges éclata de rire et se baissa. Quand il se redressa, sa main droite serrait un long poignard à la lame de scie… Il en piqua la pointe dans l’estomac de Lim Soon qui hurla. Le Britannique se tourna vers Malko

— Vous avez déjà entendu crier un Chinois ? C’est différent des Malais. Ecoutez.

De nouveau, il enfonça son poignard, déclenchant un hurlement.

Le mercenaire hocha la tête.

— C’est bien un Chinois. Je n’aurais pas voulu me tromper.

D’une bourrade, il fit tomber Lim Soon à terre lui enfonça son poignard dans la gorge, juste dans trachée artère…

Lim Soon eut un gargouillement horrible deux mains crispées sur le manche du poignard essayant d’arracher l’acier de sa gorge. En vain. Le mercenaire prit le Chinois par les cheveux et commença à lui scier la gorge, comme on égorge un porc.

Un jet de sang jaillit d’une des carotides éventrées et Lim Soon poussa son dernier râle d’agonie. Les jets saccadés du sang diminuèrent très vite d’intensité. Malko détourna la tête. C’était abominable. L’humus buvait le sang au fur et à mesure comme pour effacer les traces du meurtre… Michael Hodges se redressa, essuya son poignard à des bambous Nipah et jeta un coup d’œil dégoûté au cadavre encore secoué de quelques spasmes. Ses hommes n’avaient pas bronché. Malko éprouvait une drôle d’impression au creux de l’estomac. Ça allait être bientôt son tour, il ne se faisait guère d’illusion. Le mercenaire savourait sa vengeance.

Il revint à Malko.

— Alors, on n’a toujours rien à dire ?

En réalité, il s’en moquait. Malko pensa à Liezen, à Alexandra, cherchant une issue honorable. Il n’avait pas envie de se faire égorger comme le Chinois. Deux des hommes de Hodges portaient des armes à feu. Il fallait fuir et se faire abattre d’une balle dans le dos. Seulement, il avait les jambes entravées… Et de toute façon, dans la jungle, on ne pouvait parcourir plus de quelques mètres sans un coupe-coupe.

Devant le silence de Malko, Hodges se retourna vers ses hommes et leur jeta

— Occupez-vous du gook.

Tout avait été prévu. Les deux tueurs retournèrent bateau et revinrent avec des cordes et un rouleau grillage. Ils le déroulèrent sur le sol et y placèrent corps du Chinois assassiné. Puis ils le roulèrent dedans comme dans un tapis, ficelant ensuite l’abominable paquet. De cette façon, le corps ne risquait de remonter à la surface…

C’est un beau « rouleau de printemps », hein ! lança le Britannique à Malko, faisant allusion à une spécialité de la cuisine chinoise. On sera un peu juste, on n’avait prévu que pour un…

Déjà ses deux complices poussaient le corps du Chinois vers la berge. L’eau jaunâtre l’avala et il disparut instantanément. Les poissons et les crustacés en viendraient vite à bout. Michael Hodges fixait Malko avec un sourire ironique.

— Vous êtes vraiment con ! dit-il, je vous avais prévenu. Ici, je fais ce que je veux. Et j’agis pour un des hommes les plus puissants de ce pays.

— Vous êtes une ordure, répliqua Malko. Je pensais que l’armée britannique, c’était autre chose.

Les yeux du mercenaire flamboyèrent. Il plongea la main dans son Ranger et fit jaillir son poignard dont il appuya la pointe sur la gorge de Malko, faisant perler une goutte de sang.

— J’obéis aux ordres, gronda le Britannique, comme j’ai toujours fait et tu vas retirer ce que tu as dit. Sinon, je te saigne comme le Chinois…

— Allez-vous faire foutre !

Leurs regards s’affrontèrent. Chez Malko, la rage surpassait tout autre sentiment. Même la peur de la mort en devenait abstraite… Il vit dans les yeux du tueur qu’il allait enfoncer son poignard d’un coup.

Soudain, il y eut une exclamation derrière lui. Le Malais qui pilotait le Boston-Whaler arrivait en courant. Il interpella Hodges dans sa langue, d’une voix pressante. Malko sentit la pointe d’acier relâcher sa pression. Hodges pivota, abandonnant Malko, engageant une discussion furieuse avec le pilote du BostonWhaler. Les deux autres Britanniques, des brutes au crâne rasé, regardaient sans comprendre, ou dépassés par les événements. Michael Hodges était cramoisi, comme s’il avait vidé une bouteille de scotch d’un coup. Il se tourna à nouveau vers Malko et ce dernier vit dans ses yeux la lueur de la folie…

Il ouvrit la bouche pour dire quelque chose et au même moment, un second Malais déboucha, venant du sentier longeant la rive. En tenue kaki, les cheveux courts. Le nouveau venu interpella Michael Hodges d’une voix sèche, désignant Malko. Le Britannique bondit en avant et, à la volée, le gifla en lâchant une injure. L’autre pivota sous le coup, mais lorsqu’il revint dans sa position initiale, il tenait un court pistolet à la main, braqué sur Michael Hodges !


* * *

Pendant une ou deux secondes, il ne se passa rien. Puis Hodges poussa un juron effroyable, banda ses muscles, prêt à se jeter sur le Malais. Celui-ci leva son arme et dit, en anglais cette fois, d’une voix sans réplique

— Mister Hodges, libérez cet homme immédiatement. C’est un ordre de la Datin Alya Hadjah Azizah Bolkiah. Son bateau se trouve à cent mètres d’ici.

Malko eut l’impression qu’on lui insufflait de l’oxygène pur dans la poitrine. Azizah les avait vus, avait fait demi-tour et les avait retrouvés ! Hélas, trop tard pour sauver Lim Soon. Michael Hodges devait savoir qu’il lui était impossible de se débarrasser de l’homme en face de lui. Même avec le pouvoir dont il disposait. La princesse Azizah avait un accès direct au Sultan, elle.

— Cet homme a commis une grave escroquerie au détriment de Sa Majesté, protesta-t-il. Je viens d’en avoir la preuve et je l’emmène en détention.

— C’est faux, s’insurgea Malko. Hodges vient d’assassiner sous mes yeux un de mes amis chinois, le banquier Lim Soon. Son corps a été jeté dans la rivière. Ici. On peut le retrouver.

Le Malais au pistolet n’avait visiblement pas envie de se lancer dans la discussion. Il contourna le mercenaire, sans cesser de le menacer et se plaça derrière Malko. Il défit alors ses liens ; d’abord les pieds, ensuite les poignets. Malko crut que Hodges allait lui sauter à la gorge. Mais il ne bougea pas, paralysé par la présence proche de la

Azizah. Malko détaché, le Malais lui donna une petite amicale sur l’épaule.

— Venez.

— Attendez ! protesta Malko. Michael Hodges m’a volé des papiers. Je dois les récupérer.

Avec un rictus haineux, le mercenaire pêcha nouveau son poignard dans son Ranger. Le tenant à l’horizontale, il lança à Malko.

— Venez donc les chercher.

Le Malais secoua la tête et cette fois, tira énergiquement Malko.

— Venez. Je n’ai pas d’ordres pour cela. Malko dut s’incliner, rentrant sa rage et son de vengeance.

Il s’engagea dans le sentier, suivi du Malais marchait à reculons, pour garder les trois tueurs le feu de son arme.

En arrivant sur la berge, Malko aperçut d’a drapeau jaune et rouge, puis la coque blanche du motor-boat. Azizah fumait une cigarette, très le pilote à côté d’elle. Lui aussi était armé, courte mini-Uzi… Malko, d’un bond, sauta à bord et s’inclina devant elle.

— Vous m’avez sauvé la vie…, dit-il.

— Que s’est-il passé ? demanda la princesse.

— Le pilote de mon bateau avait été soudoyé Michael Hodges. Il m’a mené droit dans une embuscade. Hodges a assassiné sous mes yeux le qui se trouvait avec moi.

— Quelle horreur ! s’exclama Azizah. Mais pourquoi ?

— Il m’avait procuré des preuves de la culpabilité de Al Mutadee Hadj Ali. Des photocopies de chèques. Il faudrait que nous retournions là-bas.

Azizah prit l’air lointain.

— Impossible. Je ne veux pas être mêlée à ces histoires. Le Sultan n’aimerait pas.

— Aidez-moi à récupérer ces photocopies de chèques, insista-t-il. Ils ont coûté la vie à Lim Soon… Un grondement se fit entendre. Le Boston-Whaler sursit au détour du chenal, fonçant sur eux !


* * *

Instinctivement, le pilote à côté d’Azizah empoigna son Uzi, prêt à tirer. Mais la petite embarcation passa à plusieurs mètres d’eux, filant vers le fleuve et ils furent seulement secoués par son sillage.

— De toute façon, c’est trop tard ! dit Azizah. Entrons.

Elle donna un ordre en malais à son pilote. Malko se laissa tomber à côté d’elle.

— Je ne sais pas comment vous remercier, dit-il.

— Vous me remercierez à Londres, murmura-t-elle

Malko ne répondit pas, encore sous le choc et asommé par son échec. Il revoyait le sang jaillir de gorge du malheureux Lim Soon. Il se sentait responsable de la mort du Chinois. Il avait perdu la preuve qui lui manquait pour confondre Hadj Ali. Le Premier aide de camp du Sultan saurait dans moins d’une heure que Malko était remonté jusqu’à la banque. L’amie chinoise de Lim Soon risquait de faire les frais de sa fureur et surtout, il détruirait les chèques…

Quant à Malko, son expulsion officieuse ayant écoué, il allait sûrement être victime d’une mesure officielle. Broyant du noir, il regardait défiler les berges. A la rigueur, il se remettrait d’une mission mais Mandy Brown ? Il ne lui restait plus arme pour l’arracher à la beach-house de Long Park. Or, Michael Hodges allait fatalement se venger sur elle… Azizah l’arracha à sa songerie morose.

— Vous ne pouvez plus rester chez moi, dit-elle. Mais je vais m’arranger pour que le Sheraton vous donne une chambre. Ils ne peuvent pas me refuser.

Le bâtiment sur pilotis dressé au milieu du fleuve, poste de contrôle de tous les bateaux arrivant à Sen Begawan, était en vue. L’ultime course contre la montre commençait.


Le problème était très simple. Il fallait retrouver Yé Yun Gi avant que Michael Hodges ne l’identifie. Si elle avait eu les chèques une fois, elle pouvait recommencer. Oserait-elle, après le meurtre de Lim Soon ?

C’était la seule façon de lui sauver la vie, Malko ne pouvant lui offrir comme autre alternative qu’une fuite en Malaisie. Yé Yun ne serait en sûreté que les coupables confondus.

Malko regarda le building blanc élancé de l’International Brunei Bank, juste en face de l’embarcadère. Il était cinq heures moins le quart, les banques fermaient à cinq heures.

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