Malko scrutait les yeux gris de Joanna Sanborn avec attention, mais ils ne cillèrent pas.
John m’a parlé de cette histoire dès que l’ambassadeur l’a mis au courant, expliqua-t-elle. Il était bouleversé qu’on le soupçonne et outré par l’attitude d’Al Mutadee Hadj Ali. A propos, voulez-vous boire quelque chose ?
— Non merci, dit Malko. Qu’a-t-il pensé alors ?
Elle demeura silencieuse quelques instants, trempa ses lèvres dans son Cointreau. De grosses gouttes de pluie commençaient à tomber.
— Rentrons ! fit Joanna.
Ses hanches se balançaient avec une langueur toute tropicale, moulées par le maillot et Malko se sentit assailli de mauvaises pensées. Joanna se retourna brièvement avant d’entrer comme si elle avait senti son regard, le précéda dans le living et brancha la clim’. Il émanait du corps épanoui de la jeune femme une sensualité animale encore renforcée par sa tenue. Croisant les jambes, elle reprit son récit.
John a pensé tout de suite à une magouille dans l’entourage du Sultan. Mais il était décidé à trouver. Il soupçonnait évidemment Al Mutadee Hadj Ali.
— Le Premier aide de camp ? Ça paraît peu probable. Ce serait un risque inouï d’escroquer le Sultan…
La jeune Américaine haussa les épaules.
— Bien sûr. Cependant, Hadj Ali est jeune et vient de prendre ce job, lorsque l’ancien aide de camp est parti à la retraite, avec une énorme fortune.
— On dit qu’il est en très mauvais termes avec la nouvelle femme du Sultan, Isteri Hadjah Mariam et qu’il a peur de se faire virer bientôt. Mais ce ne sont peut être que des ragots…
Joanna dut sentir l’incrédulité de Malko car elle ajouta aussitôt avec un sourire plein d’amertume.
— Vous pensez que je défends John aveuglément, n’est-ce pas ? Qu’il a encaissé cet argent et qu’il s’est enfui. Je ne le crois pas. Certes, John était très coureur, fou des Asiatiques, mais en même temps toujours très attaché à moi, même si, sur le plan physique, nos rapports n’étaient plus les mêmes. Jamais il ne serait parti ainsi.
Elle semblait totalement sincère. Malko demanda :
— Que s’est-il passé le jour de sa disparition ?
— Il est parti comme tous les jours. Il m’a dit « à ce soir »… Je le connais depuis neuf ans, j’aurais senti quelque chose. Ensuite, on a retrouvé sa voiture à Limbang et c’est tout. Pour y arriver il a fallu qu’il traverse la jungle.
— Mais de Limbang, où a-t-il pu aller ?
— Il y a des avions.
— II avait son passeport sur lui ?
Joanna changea d’un coup et avoua dans un souffle :
— Oui.
Le silence retomba, troublé seulement par le fracas des gouttes énormes s’écrasant sur les tôles du toit. Une vraie mitraillade… Si John Sanborn avait emporté son passeport, c’est qu’il avait bien l’intention de quitter le Brunei… Malko posa les yeux sur Joanna. La jeune femme était en train de se reverser du Cointreau, d’une main qui manquait de fermeté.
Ses yeux étaient pleins de larmes. Elle se leva brusquement en lançant
— Excusez-moi.
Quand elle revint, ses yeux étaient secs et elle avait enfilé un T-shirt à la place de son maillot. Il lui arrivait à mi-cuisses et lorsqu’elle se rassit, Malko aperçut fugitivement le reflet blanc d’un slip minuscule.
— Je sais ce que vous pensez, murmura-t-elle, mais y a sûrement une explication.
— Je vais essayer de la trouver, fit Malko en se levant.
Joanna en fit autant. Brutalement, la jeune femme s’effondra dans les bras de Malko, secouée de sanglots.
— Je n’en peux plus ! souffla-t-elle. Seule ici toute la journée !
Je deviens folle. Personne ne m’invite plus. Et je voudrais tellement savoir… Je suis sûre qu’il est mort. Qu’on l’a tué parce qu’il risquait de découvrir quelque chose.
Malko se sentit perturbé par ce chagrin réel. Les seins lourds, à peine protégés par le léger coton, s’écrasaient contre sa chemise et une cuisse charnue s’appuyait entre les siennes, sans aucune retenue. Joanna était décomposée. En l’écartant gentiment, Malko effleura la masse d’un sein et elle frémit comme un chat qu’on caresse. Son pubis se colla à lui. Son corps pesait soudain très lourd, sa tête s’enfouit dans son épaule. Il emprisonna dans sa main un de ces seins qu’il admirait depuis son arrivée et elle ne broncha pas. La pluie tambourinait sur les tôles du toit, assourdissante. Joanna paraissait soudée à lui de tout son corps. Il sentait son souffle chaud dans son cou, de plus en plus précipité. Elle recula un peu, et murmura
— Ne me laissez pas.
Son ventre s’appuyait encore plus au sien, ses seins s’écrasaient contre le voile de sa chemise. Pourtant, elle ne pouvait plus ignorer l’état dans lequel elle mettait Malko. Il fit une dernière tentative pour se détacher d’elle. En vain. Cela chassa ses derniers scrupules. Ce fut facile pour lui de relever le T-shirt sur les cuisses fuselées et pleines, de rouler ensuite le slip minuscule qui tomba à terre, dévoilant un buisson sombre.
Joanna respirait rapidement. Elle savait ce que Malko, un homme qu’elle connaissait depuis une heure allait lui faire. Pourtant, lorsqu’il glissa sa jambe entre les siennes pour les ouvrir et qu’il l’envahit ensuite doucement, elle se contenta de le serrer encore plus fort, à l’étrangler. Ce fut une étreinte bizarre. Excité par l’étrangeté de la situation, Malko ne put se retenir longtemps. Lorsqu’il se vida en elle, Joanna poussa un petit soupir heureux bien qu’elle n’ait pas joui. Ils demeurèrent enlacés quelques instants, puis elle s’écarta, fixant sur lui un regard brouillé par l’alcool et le désespoir.
— Vous devez penser que je suis une salope…, fit-elle. Mais vous êtes le premier à être gentil avec moi. J’ai tellement besoin de tendresse. Et si vous pouviez découvrir la vérité…
— J’essaierai, promit Malko.
Tandis qu’il reprenait une tenue décente, elle ramassa la petite boule de dentelle de son slip et le remit, lissant le T-shirt par-dessus. Pourquoi s’était-elle livrée ainsi ?
Malko laissa la question en suspens. Après une embrassade rapide, il courut sous la pluie jusqu’à sa Toyota. Joanna fit quelques pas à son tour, trempée aussitôt par l’averse tropicale. Immobile, elle le regarda partir. L’eau collait le T-shirt à sa poitrine, la moulant de façon provocante et elle était encore plus belle ainsi.
Au coin du simpang 782 et de Kota Batu, Malko doubla une Range-Rover beige immobilisée sur le bas-côté. Un Blanc en chemise et short kaki paraissait occupé à réparer une roue. Massif, avec des cheveux en brosse. Il releva la tête lorsque Malko passa et le suivit des yeux. Inexplicablement, ce dernier en éprouva un vague malaise. L’homme semblait surveiller la maison de John Sanborn. Malko repensa à la pulpeuse Joanna, veuve ou épouse du chef de station. Il irait bien la revoir…
Il reprit Kota Batu, roulant doucement à cause de la pluie. Des dizaines de sampans bourdonnaient sur la Brunei River, reliant la rive ouest au Kampong Ayer, un énorme village malais sur pilotis, labyrinthe de baraques en bois unies par de fragiles passerelles. Là grouillait un tiers de la population brunéienne… Consolation : de leurs taudis, ils avaient une vue imprenable sur la coupole dorée de la mosquée Omar Ah Saifuddin, et apercevaient le dôme également en or massif du palais de leur souverain bien-aimé.
Il franchit Subok Bridge, tourna un peu plus loin dans Jalan Sultan, et s’arrêta devant le modeste building abritant l’ambassade américaine. Au troisième étage, un Marine le fit passer sous un portique magnétique et la secrétaire de l’ambassadeur le conduisit dans le bureau de son patron.
Walter Benson avait les cheveux gris coupés très courts, un visage intelligent et des pieds énormes.
Une grande photo de Boca Raton, en Floride, était épinglée au-dessus de son bureau, à côté du drapeau US. Il accueillit Malko avec chaleur.
— Welcome dans le trou du cul doré du monde ! lança-t-il, jovial. Je n’ai plus que quatre mois à tirer avant de regagner mon cabinet d’avocat… Heureusement qu’il y a Singapour, sinon on étoufferait ici… Un peu de sucre, du lait ?
La secrétaire avait déjà apporté l’éternel et insipide café américain.
— Pas de lait, beaucoup de sucre, demanda Malko.
Par les fenêtres, on apercevait une grande partie du Kampong Ayer et la mosquée. Une voiture de police passa en couinant impérieusement. Walter Benson fit la grimace.
— C’est pire qu’à New-York! Pourtant, il n’y pratiquement pas de criminalité.
Il alluma une cigarette.
— J’espère que vous allez démêler cette histoire :
Elle risque d’empoisonner nos relations avec le Brunei. Les Malais sont très susceptibles et on commence à me regarder d’un drôle d’air dans les cocktails officiels.
Malko ajouta encore un peu de sucre et dit :
— J’ai vu la femme de John Sanborn. Elle prétend qu’il a été assassiné…
Le diplomate eut une moue ennuyée.
— Je sais. Elle me l’a dit aussi.
Qu’en pensez-vous ?
— Je vais vous donner les faits, annonça l’Américain. Des faits qu’ignore Mrs Sanborn. La police brunéienne a procédé à une enquête et les Britanniques, qui sont très bien implantés ici, nous ont aidés. Un certain Guy Hamilton a pris sa retraite ici après avoir dirigé la Special Branch et organisé la sécurité du Sultan. Les faits sont établis. II semble certain que John Sanborn ait gagné Limbang avec sa voiture, en évitant de passer officiellement la frontière.
Il se leva et s’approcha d’une carte au mur.
— Voyez. Normalement, on remonte le fleuve, la Malaisie est à 20 mn. Bien sûr, il faut accomplir les formalités de police parce qu’on change de pays.
— Une fois à Limbang, demanda Malko, qu’a pu faire Sanborn ?
— C’est le plus troublant, avoua l’ambassadeur. Guy Hamilton connaît le superintendant de police malais là-bas.
Ce dernier lui a confirmé qu’un homme ayant le signalement et le numéro de passeport de John Sanborn a pris, le jour de sa disparition, l’unique vol pour Kuching et Singapour. Et on a retrouvé sa voiture dans le parking de l’aéroport…
— Evidemment, avoua Malko, ça paraît clair.
Ce n’est pas tout, continua le diplomate. Hamilton a appris un truc intéressant. Le matin de sa disparition, on a aperçu John Sanborn au Sheraton. Une femme de chambre l’a vu sortir de la chambre de Peggy Mei-Ling, une call-girl chinoise, amenée ici par un des frères du Sultan. Une fille splendide… Or celle-ci a disparu le même jour de l’hôtel en y laissant toutes ses affaires et n’a jamais réapparu. Or, tenez-vous bien, le Blanc qui a embarqué à Limbang à destination de Singapour était accompagné d’une Chinoise…
Un ange aux yeux bridés traversa silencieusement la pièce. Malko digérait toutes ces informations. Pauvre Joanna… Il but un peu de café.
— Après Singapour, fit-il, on perd leur trace ?
— Non, pas tout à fait. Ils ont repris un vol pour Bangkok. De nouveau, on retrouve le numéro de passeport de John Sanborn. Ensuite, plus rien. Mais on peut sortir de Thaïlande avec de faux papiers… Surtout quand on dispose de beaucoup d’argent…
— Le cas semble clos, conclut Malko, ce n’était pas la peine de m’envoyer si loin… Une histoire classique. Avec ses vingt millions de dollars, John Sanborn n’avait pas eu de mal à se payer un peu de chair fraîche…
— Ouais, fit l’ambassadeur, pensif. On dirait…
— Vous n’avez pas l’air convaincu, remarqua Malko.
L’ambassadeur se pencha vers lui.
— Ecoutez. J’ai été avocat pendant vingt ans, avant de faire de la politique. Alors je me flatte de connaître un peu les gens et je sais flairer les coups tordus… J’ai fréquenté John Sanborn pendant un an. Ce n’est pas un type à faire ça…
— Mais la Chinoise ?
Le diplomate balaya l’Asiatique d’un revers main.
— Je n’ai pas dit que c’était un ange. Il a très bi pu se taper une pute ravissante… Ici, on s’ennuie. Mais il n’a pas fait un truc pareil… Et puis…
Il laissa sa phrase en suspens avant de continuer
— Tout colle trop bien… Le Premier aide de camp du Sultan insinue dans les cocktails qu’un diplomate américain – c’était le statut de John – a escroqué le Sultan de vingt millions de dollars… Et, officiellement, il nous les réclame, maintenant ! Les gens de Langley allaient en faire une jaunisse.
— Vous n’avez rien de plus pour étayer vos doutes ? demanda Malko.
— Pas vraiment, avoua Walter Benson. Mais je n’ai pas pu mener d’enquête. Mon impression, c’est que quelque chose est fishy[10] dans cette histoire. Il y a une arnaque…, montée par des gens d’ici. Mais je n’en sais pas plus. C’est à vous de voir.
— La police locale peut m’aider ? Le diplomate secoua la tête.
— N’y comptez pas trop. Le Police Commissioner est le cousin du Sultan. Et la version que je vous ai donnée est la version officielle. Personne ne vous en dira plus.
— Qui alors ?
— Les « Cousins ». Guy Hamilton est dans ce pays
— si on peut appeler ça un pays – depuis vingt ans. Il connaît tout le monde. Je lui ai annoncé votre arrivée. Et puis, j’ai un ami. Lim Soon, un banquier chinois qui déteste les Malais, comme tous les Chinois. Il peut vous aider. Ces chèques ont bien transité par une banque, non ? Ça laisse des traces.
On frappa à la porte et la secrétaire passa la tête.
— Mrs Fraser est là, annonça-t-elle.
— Qu’elle entre ! fit le diplomate.
Se tournant vers Malko, il ajouta
— Angelina Fraser va aussi pouvoir collaborer. C’est la femme de notre Premier secrétaire. Elle a d’excellentes relations avec les Brunéiens et surtout ceux qui gravitent autour du Sultan. On dit même qu’elle a eu des bontés pour Al Mutadee Hadj Ali…
Malko tourna la tête vers la porte où venait de s’encadrer une jeune femme brune aux cheveux courts.
Elle entra, martelant le sol de ses bottes de cuir noir, une cravache à la main, la poitrine moulée par un haut blanc hyper collant.
Elle avait un type hispanique prononcé avec une grande bouche rouge et des yeux brûlants d’Andalouse, allongés au rimmel. Lorsque son regard croisa celui de Malko, il sut immédiatement qu’elle se retrouverait dans son lit.
— Angelina monte beaucoup à cheval, expliquait l’ambassadeur. Le Sultan possède près de trois cents chevaux et il faut bien les faire galoper. En plus des Argentins qu’il a recrutés à cet effet, tous ses amis en profitent et Angelina la première. Tout ce qui compte à Brunei lui baise la main, ajouta-t-il en riant.
Probablement pas que la main, se dit Malko. Angelina Fraser s’était assise, caressant machinalement sa botte avec sa cravache, lançant parfois à Malko un regard amusé et ambigu. Une somptueuse salope qui ne dissimulait pas son goût des hommes, écoutant distraitement les explications du diplomate. Malko se tourna vers elle.
— Que pensez-vous de la disparition de John Sanborn ?
Elle haussa un sourcil.
— C’est bizarre, reconnut-elle. Surtout la disparition de cette Peggy.
— Pourquoi ?
— Elle gagnait un argent fou ici, avec tous les gens du Palais qui se la disputaient, en plus du prince Mahmoud. Elle avait nettement plus de classe que les Philippines des sex-charters. En plus, elle semblait très heureuse, je l’ai rencontrée à plusieurs reprises à Jerudong, au Country Club.
— On pourrait y aller ? demanda Malko.
Angelina lui adressa un sourire carnassier et un regard appuyé.
— Je vous emmène si vous le souhaitez, je vais y déjeuner et monter un peu ensuite.
L’ambassadeur éclata de rire.
— Voilà une façon agréable de commencer votre enquête ! Je vais vous laisser…
II les raccompagna. De dos, le jodhpurs moulait des fesses rondes et cambrées et Angelina Fraser savait à merveille balancer ses hanches…
Malko embarqua avec elle dans un break Volvo immatriculé CD. Ils remontèrent Jalan Sultan, avant de tourner dans Jalan Tutong.
— Que pensez-vous de l’affaire ? redemanda Malko.
Angelina Fraser lui jeta un regard en coin.
— Oh, on raconte des tas de choses. Moi, je pense que John est parti avec la Chinoise. Ça l’a motivé. Il a vu une occasion unique…
— Et sa femme ?
Angelina eut un ricanement cynique.
— Changement d’herbage réjouit les veaux… Et puis je crois qu’ici les gens ont trop la frousse du Sultan pour tenter une arnaque. Ils se retrouveraient au trou ou avec un poignard dans le dos…
— Il a des tueurs ?
Elle évita un camion qui tenait le milieu de l’étroite chaussée.
— Quelques anciens mercenaires qui ont pris leur retraite ici. Sous la houlette du vieux Guy Hamilton. Lui vide sa cave, eux jouent au golf et, de temps en temps, effectuent un petit travail. Le propriétaire de l’hôtel Ang’s avait arnaqué un des frères du Sultan et s’était enfui à Singapour. On l’a retrouvé dans un ascenseur de l’hôtel Good Wood, cloué à la paroi par un poignard de trente centimètres… Ces types-là s’ennuient, alors ils deviennent vite féroces. On leur jette les putes philippines quand les princes et leurs amis s’en sont servis…
Un vrombissement grandit derrière eux, suivi d’un hurlement de klaxon. Angelina Fraser fit un brusque écart sur la droite. Malko eut le temps de voir passer une Ferrari grise qui filait aux alentours de 200 à l’heure. A son approche les autres voitures se jetaient littéralement dans le fossé ! Angelina Fraser eut un rire indulgent.
— C’est le Pengiran[11] Al Mutadee Hadj Ali, le Premier aide de camp du Sultan. Je le connais très bien ! Il va jouer au golf.
La Ferrari disparue, la circulation redevenait normale sur la route étroite bordée des deux côtés par la jungle. Angelina tourna à gauche et franchit un portail, pénétrant dans une propriété entourée de barrières blanches.
Une plaque de cuivre annonçait : Jerudong Park. Private grounds. Malko aperçut des pelouses immenses, des écuries, un terrain de polo, plus un Country Club. Superbe domaine. Ils longèrent un manège couvert où tournaient quelques cavaliers.
Angelina Fraser s’arrêta et l’un d’eux descendit de cheval, un bel homme qui se pencha et lui baisa la main. A quelque chose d’imperceptible, Malko sut que c’était un de ses amants.
— Tu viens monter ?
— Pas tout de suite, fit Angelina.
Elle repartit pour se garer devant le Country Club, une sorte de gros chalet avec une charpente de bois. Une piscine le jouxtait, entourée de bungalows. Des Occidentaux buvaient au bar, mêlés à quelques calots noirs malais. Un homme se détacha du groupe en voyant Angelina. Un Malais nu-tête, le front dégarni, les yeux protégés par des Ray-ban, une fine moustache noire au-dessus d’un sourire avenant, ne mesurant pas plus de 1,65 m. Angelina Fraser fit les présentations.
— Mr Malko Linge. Le Pengiran Sougamar Mutadee Hadj Ali. Premier aide de camp de Majesté le Sultan.
Les deux hommes échangèrent une poignée de mains. C’était donc celui qui accusait John Sanborn Il avait l’air d’un jeune homme bien sage, sauf quand son regard se posait sur Angelina. La poitrine aiguë moulée par le haut blanc paraissait le fasciner.
— Mrs Fraser, fit-il, je voulais justement inviter à la soirée qui suivra le match de vendredi prochain. (Il se tourna vers Malko.) Vous aussi, bien entendu...
— Merci, dit Malko. Avec plaisir
Le garçon s’approcha et le Premier aide de camp demanda en souriant à Malko
— Voulez-vous un « malaysian champagne » ? C’est notre boisson favorite.
— Pourquoi pas ?
Discrètement le barman mélangea le contenu d’une bouteille de Moët cachée sous le comptoir avec du jus d’orange. Les Brunéiens n’avaient pas le droit de boire de l’alcool en public. Ils échangèrent quelques banalités, puis Hadj Ali leur faussa compagnie.
— Vous semblez beaucoup lui plaire, remarqua Malko.
— Vraiment ! fit Angelina. C’est peut-être pour cela qu’il m’invite tout le temps.
Ils longèrent la piscine et Angelina ouvrit la porte d’un des bungalows.
Une grande baie donnait sur le golf, un grand lit très bas occupait toute la place, avec une télé et un magnétoscope Samsung. Angelina er eut un sourire coquin.
Ces chambres sont à la disposition des membres du club de polo. Cela permet à l’entourage du Sultan de satisfaire discrètement quelques envies après les soirées.
— Vous avez l’air de bien connaître les usages, remarqua Malko souriant.
Brusquement, l’air se chargea d’électricité. Une botte sur le couvre-lit, sa cravache à la main, Ange-lima Fraser le fixait avec une expression trouble, le visage levé vers lui.
— Qu’est-ce qui vous fait croire ça ?
Elle le provoquait ouvertement. Il s’approcha à la frôler. D’un mouvement vif, elle se pencha en avant, frottant les pointes de ses seins érigées contre la chemise de voile. Elle ferma les yeux, émit un son qui ressemblait à un ronronnement et dit d’une voix rauque :
— C’est trop bon, arrêtez !
Il emprisonna les petits seins dans ses paumes et elle se colla aussitôt à lui, haletante. Ils échangèrent un baiser long et violent, puis elle l’écarta, essoufflée, une lueur amusée dans ses yeux noirs.
— Ne restons pas ici, si Hadj Ali nous trouve, il va en faire une maladie. Nous ne faisons pourtant rien de mal, n’est-ce pas…
Un peu déhanchée, elle fouettait sa botte de sa cravache. Plus allumeuse, tu meurs, se dit Malko.
— C’est votre amant ?
— Vous êtes bien curieux ! Un ami.
— Vous savez que John Sanborn le soupçonnait ?
— De quoi ?
— D’avoir escroqué les vingt millions de dollars.
— Ridicule. Venez. En plus, mon mari va peut-être nous rejoindre pour le déjeuner.
Le pourtour de la piscine était désert.
— La fameuse Peggy Mei-Ling s’ébat ici ? demanda-t-il.
— Non, elle a droit à la beach-house du prince Mahmoud. C’est à sept cents mètres d’ici, au bord la plage. Protégée jour et nuit par des gurkahs. C’est là que « Sex-Machine » amène ses proies. C’est un endroit assez étonnant.
— Vous le connaissez bien ? demanda Malko, figue, mi-raisin…
Elle ne fuit pas son regard.
— Hadj Ali m’a fait visiter, un jour où Mahmoud était absent. C’est assez dément. Des glaces sans tain, des caméras partout, des circuits vidéo, des water-beds. Venez, allons déjeuner.
Son café avalé, Malko demanda avec un sourire
— On pourrait visiter cette beach-house ?
— Essayons, fit Angelina mais si Mahmoud est là, pas question.
Ils regagnèrent la Volvo et pendant qu’Angelina sinuait entre les pelouses, Malko posa la main sur son jodhpurs, très haut sur la cuisse. Angelina gloussa.
— Arrêtez, vous allez me faire sortir de la route !
Il massait doucement l’épais tissu entre les jambes. La jeune femme ouvrit les cuisses et se mordit les lèvres.
— Vous devez être un sacré coup ! murmura-t-elle.
J’ai hâte de faire l’amour avec vous. Regardez là-bas, c’est le palais de la Seconde épouse… L’ex-hôtesse de l’air.
Elle lui désignait une grande grille derrière laquelle on apercevait un immense bâtiment gris. Ils passèrent devant, filant vers la mer à travers le golf. Un peu plus bas, une barrière blanche barrait la route. Une demi-douzaine d’hommes tapait des balles à un practice de golf. Tous semblaient jeunes, sportifs d’allure très britannique. Angelina Fraser donna un coup de klaxon et l’un d’eux se détacha du groupe nonchalamment pour s’approcher, son club de golf à la main.
Bonjour, dit Angelina avec un sourire à damner Churchill, je voudrais montrer à mon ami la beach-house.
C’était l’inconnu que Malko avait vu en train de réparer sa roue près de chez John Sanborn.
— Vous avez une autorisation ?
L’homme avait une voix froide avec un accent cockney. Un gros Motorola émergeait de sa poche arrière. Il ne souriait pas en dépit de l’attitude provocante d’Angelina.
— Vous me connaissez, Michael, insista-t-elle d’une voix à faire bander un mort. Le Pengiran Al Mutadee Hadj Ali que je quitte m’a permis de visiter les lieux.
— No way, fit le Britannique. Qu’il vienne avec vous dans ce cas.
De l’autre côté de la barrière blanche, un gurkah en uniforme vert, fusil d’assaut à l’épaule, suivait distraitement la discussion. On en apercevait d’autres le long de la clôture de barbelés qui cernait la beach-house. A intervalles réguliers se dressaient les mâts supportant des caméras de télévision. Le baisodrome du prince Mahmoud était gardé comme Fort Knox.
Coupant court, le dénommé Michael repartit vers son practice et le gurkah se figea dans un impeccable garde-à-vous en rugissant quelque chose.
Malko regardait la maison en contrebas. Pas de piscine, mais un sentier descendant vers la plage. Une femme était allongée sous un parasol, leur tournant le dos. Peggy Mei-Ling ? Rageusement, Angelina Fraser passa sa marche arrière, grommelant
— Asshole[12] !
— Qui est-ce ?
— Michael Hodges, le chef de la sécurité rapprochée du Sultan. Il n’obéit qu’au Palais et à cet ivrogne de Guy Hamilton.
Ils refirent en sens inverse le chemin vers Country Club. Angelina chantonnait. Malko soudain l’impression désagréable que personne ne voulait vraiment savoir ce qui était arrivé à John Sanborn.
Sauf Joanna Sanborn et lui.