Chapitre 12

La beetle de Max ne risque pas de croiser un bouc à cette altitude. Elle vole dans la nuit, au-dessus du sol que les vers luisants, collés sous la voiture, prennent soin d'éclairer. C'est joli de voir les herbes sortir ainsi du noir, pendant quelques instants. Cela ressemble aux temples oubliés qu'on découvre au hasard de la torche. Arthur regarde souvent des reportages à la télévision. Les secrets de la grande pyramide, le monde englouti d'Atlantis, le temple oublié d'Angkor. Toutes ces aventures le font rêver. Jamais il n'aurait imaginé qu'un jour, il serait lui aussi au centre de la plus incroyable des aventures.

Arthur, mille ans, deux millimètres, traverse le jardin à dos de coccinelle, aux côtés d'un Koolomassaï à sept femmes. Ça vaut bien les pyramides.

Max tire un peu sur les rênes et la coccinelle pique vers le sol. Avant même qu'Arthur ait eu le temps d'avoir peur, la beetle a plongé entre deux brins d'herbe et s'est engagée dans une vieille canalisation éventrée. Il faut vraiment connaître l'endroit pour conduire de la sorte. La coccinelle avance en oscillant dans le tuyau, projetant sa belle lumière violette tout autour de la paroi. Max conduit d'une main, comme le veut la tradition. Pas question de jouer les stressés agrippés au volant. Quand on est un Koolomassaï, la règle est de rester cool en toute circonstance. Arthur regarde défiler le tuyau et la bifurcation que Max prend sans même hésiter.

- Je crois que je reconnais ! dit Arthur. J'étais passé par là avec ma voiture.

- Qu'est-ce que tu as comme véhicule ? demande Max, intrigué.

- Une Ferrari. Cinq cents chevaux, lâche Arthur, qui se la joue un peu.

- Cinq cents chevaux ? Ça fait combien, en coccinelles ? questionne Max qui n'a jamais entendu parler d'une telle mesure.

- Euh... je n'en sais rien ! répond le gamin.

C'est vrai qu'il n'est pas facile, au pied levé, d'imaginer combien de coccinelles on pourrait éventuellement faire tenir dans un cheval.

Max tire doucement sur une autre manette. Ça doit être le frein, car l'animal ralentit fortement. Elle pose les pattes arrière, soulève un peu de poussière, rentre ses ailes sous sa carapace et reprend sa marche à huit pattes.

- Et ça ? Elle sait le faire, ta Ferrari ? lance Max, pas peu fier de sa coccinelle.

- Non, ça, elle ne sait pas le faire ! répond gentiment Arthur, qui ne veut pas gâcher le plaisir de son ami.

Le véhicule arrive au fond du tuyau, là où se trouve la fameuse porte qui marque l'entrée du monde des Minimoys. Arthur se souvient de cette porte pour avoir tapé dessus comme un sourd, tandis que l'eau s'engouffrait dans le conduit. C'était lors de sa première aventure. Il avait, ce jour-là, échappé de peu aux griffes de M le maudit. Et voilà Arthur à nouveau devant cette porte, le cœur serré, les mains nouées, ému comme au premier jour. Il va revoir Sélénia et cette pensée emballe son cœur. Un vrai tambourin. Le retour est souvent ce qu'il y a de plus éprouvant. On est ivre de bonheur à l'idée de retrouver son compagnon, mais cette excitation cache aussi une crainte, plus profonde, plus insidieuse. Et si l'autre avait changé ? Et si l'autre, à cause de ce temps qui défait tout, avait changé d'avis et d'amour ? « Loin des yeux, loin du cœur », dit le proverbe. Cette pensée lui glace le sang et un frisson lui traverse le corps, de la tête aux pieds.

- Bon ! Je vais y aller ! Je ne voudrais pas laisser les filles trop longtemps toutes seules ! dit Max, sans se rendre compte qu'il aggrave la situation.

Si Max a peur de quitter ses femmes rien qu'une heure, que doit penser Arthur qui a abandonné Sélénia pendant dix lunes ?

- Elle va même pas me reconnaître ! pense Arthur, pris de panique.

Max lui jette un signe d'adieu, puis nous fait un retournement-décollage digne des plus grands kakous. Arthur le regarde s'éloigner avec un peu d'amertume. Il aurait préféré ne pas être tout seul pour affronter l'inconnu, mais la vie est ainsi faite. Comme le dit souvent son grand-père : « C'est comme ça ! » Que Sélénia le reconnaisse ou pas, il lui faut répondre à un message de détresse. « Au secours ! » disait le grain de riz.

L'heure est donc à l'intervention rapide, à l'opération commando et pas à la mélancolie. Arthur frappe alors sur la porte comme un forcené. Chacun de ses coups résonne dans le tuyau immense, mais aucune réponse ne lui parvient. La porte reste muette. Arthur frémit à nouveau. Pourvu qu'il n'arrive pas trop tard. Ne pas être reconnu par Sélénia est une chose, la perdre en est une autre. La pensée d'une telle catastrophe lui donne encore plus de forces pour taper sur cette foutue porte qui ne veut rien savoir.

La panique commence à monter en lui et il doit faire tous les efforts du monde pour qu'elle ne le submerge pas.

« Réfléchis, Arthur ! Réfléchis ! Il doit y avoir une solution ! » se répète-t-il sans cesse en longeant la porte comme un lion en cage.

Puis soudain, une étincelle.

- Le périscope ! lance-t-il à lui-même.

Il se souvient effectivement de cette petite cavité qui permettait aux habitants de scruter le tuyau sans avoir à sortir du village. Arthur pose ses mains sur la porte et cherche à tâtons une épaisseur ou une fente qui trahirait l'emplacement de cette ouverture.

- Là ! crie Arthur, renseigné par ses doigts, qu'il glisse aussitôt dans l'interstice.

Il tire de toutes ses forces et le panneau finit par céder. Derrière, il y a une vitre bleutée, Arthur l'avait oubliée. Ça bloque malheureusement le passage, mais ça lui permet au moins de voir à l'intérieur du village et ce qu'il voit le terrifie. Il ne s'y passe absolument rien. Pas un seul mouvement. Pas âme qui vive. Le village d'habitude plein de vie, si coloré, si joyeux, est aujourd'hui d'une tristesse à mourir. Arthur colle ses mains contre la vitre, pour éviter les reflets. Il a beau scruter les environs, il n'y a pas un Minimoy qui traîne. Pas même un mül-mül. Arthur ne connaît pas encore la nature du problème, mais il peut déjà en mesurer l'ampleur. On ne parle plus ici d'un drame ou d'une menace, mais bien d'un désastre national, puisque le peuple tout entier a disparu. Qui a bien pu commettre un acte pareil ? Ont-ils été capturés ? Jetés tous en prison, ou exterminés les uns après les autres ? Autant de questions auxquelles Arthur ne peut pas répondre pour l'instant et son impuissance le rend malade. La colère lui monte jusqu'au visage, jusqu'au bout des doigts et il assène un violent coup de poing sur cette glace bleutée, qui ne lui a pourtant rien fait. La vitre tombe en arrière, comme un vulgaire volet mal verrouillé. Encore un garde royal qui a mal fait son travail. Arthur est tout étonné par sa découverte. Pour une fois que la colère lui sert à quelque chose. Il avance son petit visage dans l'ouverture et regarde dans les coins, là où la glace l'empêchait de le faire. Mais rien de nouveau dans les coins. Le village est toujours aussi désert, toujours aussi mort.

- Il y a quelqu'un ? se risque-t-il à crier, mais son appel n'obtient pas plus d'écho que les précédents.

Il essaye une nouvelle fois, un peu plus fort, mais le résultat est le même. Alors que la dépression se réjouissait à l'idée de pouvoir l'envahir, Arthur jette un regard sur cette petite ouverture, pas si petite que ça. Il se demande même si un garçon de dix ans, mesurant provisoirement deux millimètres, ne pourrait pas s'y glisser.

« Qui ne tente rien n'a rien ! » se dit-il, comme pour se donner du courage. De toute façon, il n'a pas le choix. C'est sa seule idée. Sa seule chance. On dit généralement que quand les fesses passent, le reste passe. Sauf que dans le cas d'un petit garçon, transformé en Minimoy, la tête est plus grosse que le popotin. Il décide donc de passer les pieds d'abord. Les fesses passent de justesse, mais au passage de la tête, il se fait tirer les oreilles, ce qui est un comble pour quelqu'un qui est en train de commettre une bonne action. Il tombe par terre, comme un paquet de linge sale au fond d'un panier. Il se remet rapidement sur pied et s'époussette afin d'être présentable, même s'il n'y a personne pour l'accueillir. Arthur fait un tour sur lui-même, scrute tous les recoins, mais le lieu reste définitivement désert.


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