Chapitre 17
Comme Arthur a réveillé tout le monde, le village et ses habitants décident exceptionnellement de démarrer la journée un peu plus tôt. Il est effectivement quatre heures du matin, une heure quarante-sept exactement avant le lever officiel du village.
Le réveil était une chose très réglementée puisqu'il était scrupuleusement établi en fonction du lever du soleil. Les horaires étaient affichés sur la porte du palais, sur une feuille de saison. Chacun venait la consulter avant d'aller se coucher et tout le monde se réveillait exactement en même temps, c'est-à-dire vingt minutes avant le premier rayon du soleil. Le temps était donc précieux et les activités soigneusement organisées. On commençait par un brin de toilette, qui prenait environ deux minutes. On se frottait à la vanille ou avec un crin de cheval, puis on se badigeonnait de son parfum préféré à l'aide d'une plume de poussin. S'habiller prenait un peu plus de temps, entre une et dix minutes selon les individus.
Miro, par exemple, était le plus lent puisqu'il mettait près de douze minutes à mettre son costume d'apparat que le protocole l'obligeait à porter. C'est vrai qu'en tant que grand sage du palais il se devait au quotidien de porter des vêtements qui inspiraient le respect. Miro rattrapait le temps perdu en sautant le petit déjeuner. Ce n'est pas très bon pour la santé, mais il n'avait pas vraiment le choix et tandis que tout le monde se gavait en dix minutes, il se contentait de quelques œufs de libellule, gobés à la va-vite. Les cinq minutes restantes permettaient à chacun de se rendre au travail et d'avoir le temps, comme l'indiquait le grand livre, de dire proprement bonjour à tout le monde. C'était le moment le plus curieux à observer. Des centaines de Minimoys sortaient de chez eux et, dans un capharnaüm des plus complets, se demandaient les uns aux autres si la nuit avait été bonne, si les enfants se portaient bien, puis ils se souhaitaient une très bonne journée que la déesse de la forêt ne manquerait pas de protéger. Tout ce petit monde se croisait joyeusement, échangeait de grands sourires en se pliant en deux et jacassait comme de vieilles poules.
Pas grand-chose à voir avec l'ambiance de nos grandes cités. Chez nous, si vous dites bonjour dans le métro avant sept heures du matin, il y a de fortes chances que les passagers tirent le signal d'alarme.
Mais les Minimoys vivaient dans le bonheur et ils ne semblaient avoir pris de notre société que le meilleur, comme si la terre sous laquelle ils vivaient avait filtré toutes les scories de notre monde et toutes les erreurs que l'histoire nous a laissé le temps de faire.
À l'heure précise du lever du soleil, tous les Minimoys étaient donc au travail. Il faut dire que la majeure partie de leur activité était liée à la nature et que le premier rayon avait son importance. La rosée matinale, par exemple, disparaissait assez rapidement dès que le soleil réchauffait l'air et les plantes. Il s'agissait donc de récupérer au plus vite toutes ces gouttes qui, sur chaque plante, avaient une saveur différente. Les jeunes pousses sortaient elles aussi avec les premiers rayons et certaines devaient être cueillies avant qu'elles ne deviennent trop grandes. Il y avait des milliers de choses à récolter durant ces quelques minutes et il fallait profiter de ce court moment où les animaux de la nuit partaient se coucher et où ceux du jour se réveillaient à peine. Les Minimoys avaient une petite demi-heure pour ramener au village les meilleurs fruits, les meilleurs légumes et de l'eau délicieusement parfumée.
Le reste de la journée était généralement réservé au commerce et à l'échange de ce qu'on avait récolté le matin. Une tranche de cèpe valait trois gouttes d'eau de framboise, un bouton de rose s'échangeait contre dix grammes de pissenlit grattés sur la tige. Tout se marchandait avec bonne humeur et fair-play. On aimait discuter, cela faisait partie du jeu, mais jamais personne ne se chamaillait. Il n'y avait qu'une seule chose qui ne s'échangeait pas : la fleur de sélénielle. Il fallait d'ailleurs faire partie de la famille royale pour avoir le droit de la cueillir. La fleur de sélénielle ne s'échangeait pas, car elle se donnait. Soit en cadeau, pour récompenser un sujet méritant, soit pour soigner un malade.
Cette merveilleuse plante avait tellement de propriétés qu'elle soignait pratiquement tout, ce qui lui conférait son statut de fleur royale. En tisane, elle soignait les mauvaises pensées, en tartine, elle ne donnait que des bonnes idées et, en purée, elle rendait plus forts les bébés. Elle avait aussi plein d'autres propriétés, plus médicales, mais seul Miro les connaissait et il pouvait fabriquer les potions qui soignaient tout, et surtout n'importe quoi.
Arthur est assis face à la porte d'entrée depuis maintenant deux heures. Il se demande si Sélénia va revenir les bras pleins de sélénielles, fraîchement cueillies.
« Peut-être va-t-elle m'en offrir une ? » pense-t-il en souriant. Mais on n'offre pas une fleur royale comme ça, il faut la mériter.
- Je l'ai méritée ! J'ai traversé toutes les dimensions pour venir jusqu'ici ! se dit-il à lui-même à voix haute.
- À qui parles-tu ? lui demande Miro, qui arrive dans son dos. Arthur sursaute et s'excuse. Il parlait tout seul pour se tenir compagnie en attendant le retour de Sélénia.
- Elle va venir, ne t'inquiète pas ! lui assure Miro en s'asseyant à côté de lui.
Le silence s'installe un instant, comme s'il était plus difficile pour Arthur de parler à quelqu'un que de jacasser tout seul.
- Elle était comment Sélénia, quand elle était petite ? demande Arthur au bout d'un moment.
- C'était une véritable petite peste ! ironise Miro.
Arthur ne peut s'empêcher de sourire, pas vraiment surpris de cette nouvelle.
- Je me souviens qu'un jour, elle était haute comme trois pépins de pomme, elle entra dans ma hutte sans même frapper et m'annonça, le menton bien relevé, qu'elle allait nous quitter, lui raconte Miro.
Arthur est bluffé, admiratif. Comment une petite fille avait- elle trouvé le courage d'affronter ainsi l'autorité ? Arthur s'imagine mal dans pareille situation. Lui qui a déjà un mal fou à demander à ses parents l'autorisation d'aller à la patinoire rejoindre ses copains. Son père généralement lui refuse tout et quand Arthur veut vraiment quelque chose, il doit passer pas sa mère qui, à force de courage et de ténacité, arrive toujours à faire plier son mari. Mais c'est une gymnastique épuisante et, au fil du temps, Arthur a simplement pris l'habitude de ne plus rien demander. Mais Sélénia n'est pas faite du même bois.
- Cela me flatte que tu me préviennes ! avait dit Miro à la jeune fille. Mais je pense que c'est surtout à ton père que tu devrais apporter cette nouvelle !
- Je lui ai déjà tout dit ! répondit fièrement la princesse. Miro retint son sourire pour ne pas la vexer, il la trouvait tellement craquante avec sa petite bouille rebelle.
- Et... que t'a-t-il répondu ?
- Rien ! Il est tombé dans les pommes ! C'est pour ça que je viens te chercher, pour que tu puisses lui donner une potion afin qu'il revienne à lui. Moi, je n'ai plus le temps de m'occuper de ces choses-là puisque je m'en vais !
Le petit sourire de Miro s'était figé d'un seul coup. Il empoigna immédiatement sa trousse de secours et se précipita au chevet de son roi qui, effectivement, gisait aux pieds de son royal fauteuil. Miro lui fit respirer quelques graines de céleri fermenté et le roi revint à lui.
- Ma fille ?! avait-il crié à son réveil, mais Sélénia avait déjà disparu quand Miro revint dans sa hutte.
- Et sa mère ? Elle n'a rien dit ? demande Arthur.
- Ah !.. sa mère ! soupire Miro. C'était une femme formidable ! Elle avait simplement demandé à sa fille : « Est-ce que tu m'aimes ? » Sélénia, très étonnée, avait évidemment répondu oui. « Alors va où tu veux, ma fille, car où que tu sois, je serai, puisque je suis dans ton cœur ! »
- Wouah !!.. c'est beau ! commente Arthur qui n'est pas près d'entendre ça dans sa famille.