Chapitre 14

- Sélénia ?! s'écrie tout à coup le jeune homme. Elle est la seule absente. La seule donc à être en danger. Quoi de plus naturel pour une princesse en péril que d'essayer de prévenir son prince ? Tout prend maintenant un sens et Arthur commence à s'affoler.

- Où est-elle, sire ?! Sélénia ?! Où est-elle ?! demande Arthur avec insistance.

- Eh bien... probablement dans sa hutte ! répond simplement le roi.

- Non ! entend-on résonner dans la foule.

Tout le monde se retourne pour identifier celui qui parle de cette petite voix douce comme un poème, sage comme un vieux chêne. Arthur se décale un peu pour apercevoir ce personnage qu'il pense déjà avoir reconnu. C'est bien Miro, la petite taupe. Il est affublé d'un bonnet de nuit en forme de corne de brume et d'un short encore plus rigolo que celui du roi. On dirait qu'il porte des couches-culottes, ce qui est fort peu probable vu son âge. Il est effectivement encore très jeune. Miro fend la foule et vient prendre les mains d'Arthur.

- Je suis tellement content de te revoir, mon jeune Arthur, lui dit le sage, un beau sourire sur le visage. Nous t'attendions un peu plus tôt dans la salle des passages.

Arthur s'en excuse et explique toute son aventure jusqu'à ce maudit nuage qui ne voulait rien savoir ni comprendre. Il raconte aussi comment il est passé à travers les racines et a dû rejoindre le village à dos de coccinelle.

Miro sourit. Il doit l'aimer sa princesse pour être capable d'en supporter autant.

- Où est Sélénia ? demande Arthur, toujours préoccupé.

- Elle était déçue de ne pas te voir, au pied du rayon, lui confie Miro.

Arthur fond instantanément. Lui qui pensait que sa princesse l'avait oublié.


Miro lui raconte alors que la jeune fille s'était levée très tôt le matin, pour mieux se préparer. Elle s'était d'abord frottée au bâton de vanille, histoire de sentir bon, puis elle avait mis ses beaux habits tout neufs, dont un superbe gilet en pétale de rose qu'elle avait cousu elle-même. Un petit déjeuner léger, à base de purée de framboises, une bonne grosse tranche de noisette et elle était partie prendre son cours de chant. Une princesse se devait de bien tenir sa voix. Sélénia aimait les bons mots. Pas question de les laisser s'échapper de sa belle bouche royale sans un contrôle rigoureux. Il lui fallait donc posséder sa voix, pouvoir la moduler à sa guise, afin de teinter les mots de mille et une nuances. Dire « Je t'aime », par exemple, était la chose la plus facile à faire. Cela en devenait même presque vulgaire. L'émotion, la vraie, passait par la manière, le timbre, le velouté, le soyeux. Et comme Sélénia avait bien l'intention de lui dire ces quelques mots, elle exigeait que sa voix ne la trahisse pas. Elle avait donc passé la matinée en haut du petit chêne, là où le rossignol a fait son nid. L'oiseau était connu pour être le meilleur professeur de chant de toute la Septième Terre. Bon professeur, mais sale caractère. L'animal ne tenait pas en place, sautant en permanence d'une branche à l'autre. Sélénia avait mis un temps fou à le convaincre de lui donner une leçon. Elle avait même dû lui indiquer une adresse, jusqu'ici connue d'elle seule, où l'oiseau pourrait trouver des vers élevés dans la pomme. Le rossignol avait accepté le marché et donné à Sélénia une belle leçon de chant.

De retour au village, elle avait dû se faire une tisane à la fleur de violette, tellement ses cordes vocales lui faisaient mal. Mais la violette apaisa très vite la douleur et finit même par l'assoupir. L'après-midi fut entièrement consacré à son cours de gym. Si elle ne voulait pas que sa voix trahisse ses mots, elle n'avait aucune envie non plus que ses gestes trahissent ses pensées. Il s'agissait donc de bien contrôler ses membres. Et pour cela, rien de tel qu'un bon cours de gym.

Gambetto n'était pas véritablement un professeur de gym, mais plutôt un danseur professionnel. « Monsieur Gambetto ! » précisait-il à ses élèves, étant très à cheval sur les convenances. Monsieur Gambetto était un scarbaterus-philanthropis. Cousin éloigné de la mante religieuse (même s'il jurait n'avoir aucun lien de parenté avec elle), il était plus petit et avait la faculté de se plier dans absolument tous les sens. À rendre jaloux l'homme-caoutchouc qui, pour quelques pièces, réussissait à entrer en se contorsionnant dans un carton à chaussures. Mais monsieur Gambetto ne travaillait ni pour le cirque ni pour l'argent... mais pour l'art ! Sélénia prenait rarement des cours avec lui. D'abord parce qu'elle était généralement très occupée avec les affaires courantes du royaume, ensuite parce que ces exercices étaient particulièrement éprouvants. Mais la princesse se voulait parfaite pour recevoir son prince et elle se plia (c'est le cas de le dire) à toutes les demandes, proches du caprice, de son professeur. La petite princesse termina son cours dans un état comateux. Elle n'était plus qu'une seule et grande douleur. Elle qui voulait contrôler ses gestes, elle ne contrôlait plus rien, même pas ses pieds qu'elle avait du mal à mettre l'un devant l'autre pour rejoindre sa hutte. Elle s'écroula sur son lit et s'endormit jusqu'au soir.

- Je suis passé la voir, après la fermeture des fleurs, elle dormait encore ! précise Miro, avant de reprendre son récit.


Il lui avait amené un plateau pour son dîner. Une salade d'érable, quelques pignons bien grillés. Mais la princesse n'avait rien touché. L'heure du rayon était encore loin et Miro avait décidé de la laisser dormir encore un peu. Cela ne pourrait pas lui faire de mal et, au moins, ça l'empêcherait de tourner en rond en attendant l'heure fatidique. Sélénia s'était réveillée toute seule, naturellement. Ses douleurs avaient disparu, comme le lui avait prédit monsieur Gambetto, décidément très fort. Elle essaya quelques arabesques, deux ou trois gracieux mouvements de bras, et sembla très satisfaite. La princesse traversa tout le village en chantonnant, tellement elle semblait heureuse à l'idée de revoir son prince. Miro avait bien fait de ne pas la réveiller car maintenant elle n'avait plus qu'une heure à attendre. Elle arriva la première dans la salle du passage et ne prit même pas la peine de réveiller le passeur, recroquevillé dans son cocon comme à son habitude. Elle s'assit à même le sol, les bras enroulés autour de ses jambes et afficha un joli sourire sur son visage.

Qu'il était bon d'attendre ainsi l'être aimé. Comme si le corps et l'âme devaient se vider, faire peau neuve, pour accueillir cette vague qui allait déferler en elle. Une vague d'amour et de fraîcheur. Arthur aurait, à tous les coups, le parfum des gens d'en haut. Ce parfum étrange aux saveurs inconnues. Toutes ces odeurs étaient, pour elle, synonymes d'aventures. Elle imaginait Arthur arpentant ce monde démesurément grand. Une ou deux enjambées lui suffisaient probablement pour traverser la Septième Terre, quand Sélénia mettait deux jours à bonne allure.

Mais ce n'était pas Arthur-le-grand qu'elle attendait, mais bien son petit prince. Ses taches de rousseur et sa mèche rebelle lui avaient tellement manqué. Dix lunes qu'elle s'imaginait, tous les soirs, en train de lui caresser son doux visage. Elle aurait donné tous les trésors du monde pour pouvoir s'endormir la nuit, sa main nouée à la sienne. Elle avait patienté, comme le lui avait appris son père, comme le commandait le grand livre. Mais maintenant elle n'en pouvait plus et comptait les secondes. Elle trouvait d'ailleurs insupportable tout cet espace qu'il y a entre chaque seconde et qui ne sert strictement à rien, sauf à retarder l'arrivée du bien-aimé.

Miro l'avait rejointe et s'était étonné qu'elle soit déjà arrivée. Puis, à la réflexion, il trouva ça plutôt logique puisqu'elle passait ses journées à parler d'Arthur. C'était dur pour elle, il faut l'avouer, de gouverner toute seule ce grand royaume. Elle aurait aimé avoir son prince à ses côtés pour la guider, la conseiller, partager les grandes décisions qui engageaient le futur de son peuple. Comme, par exemple, celle de délocaliser tous les habitants de la racine nord, qui risquait à tout moment de s'écrouler et d'engager la reconstruction des maisons ainsi abandonnées. C'était un problème majeur au village et l'on se disputait quotidiennement sur l'emplacement choisi pour la reconstruction. Certains ne voulaient pas de l'est, trop humide en hiver, d'autres ne supportaient pas le sud, beaucoup trop chaud en été.

Mais il y avait d'autres décisions que la princesse aurait aimé partager avec son prince, comme la date de la récolte des groseilles. Ce problème épineux était au centre de tous les drames étant donné qu'aucun des Minimoys n'était d'accord sur la date. C'était un problème insoluble puisque chacun avait un goût différent et, chaque jour passé, la groseille avait, elle aussi, un goût différent. Tous les ans, c'est le roi qui finissait par trancher en choisissant, les yeux fermés, une date au hasard sur le calendrier séléniel. Mais c'était la dernière fois, à la prochaine récolte, ce serait Sélénia qui prendrait la décision.

Miro réveilla le passeur qui râla, comme à son habitude. Le vieil homme fit tourner les trois bagues de l'énorme lentille, en prenant soin de ne pas y coincer sa barbe. La première pour le corps, la deuxième pour l'esprit et la dernière pour l'âme. Sélénia essayait en vain de contenir son excitation, mais elle bouillait sur son caillou, comme une casserole. Encore quelques minutes et son prince charmant allait traverser toutes les dimensions pour la rejoindre et être de sa taille. Quel homme au monde était capable d'un tel effort, de se réduire ainsi pour plaire à sa belle ? Sélénia se sentait honorée et tellement chanceuse d'avoir croisé ce petit bonhomme sur sa route qu'elle remerciait, tous les soirs, la déesse de la forêt pour sa divine attention. Mais les minutes passèrent et Arthur ne vint pas. Elle avait tout d'abord pensé aux caprices du temps : le ciel était peut-être chargé de nuages qui empêchaient la lune de venir éclairer la lunette. Pourtant elle avait pris soin d'aller voir la « vache qui pisse ».


- C'est le surnom qu'on donne à la grenouille qui vit au sud de la rivière, précise Miro, devant l'étonnement d'Arthur.


La grenouille devait son surnom à une journée catastrophique où elle s'était assoupie dans l'eau tiède et avait attrapé un mauvais rhume. Elle fut donc, pendant quelque temps, incapable de sentir quoi que ce soit. Malheureusement pour elle, c'est précisément ce jour-là que le roi vint la voir pour quelques précisions météorologiques. Il devait décider justement de la date de la récolte des groseilles et il aurait voulu, afin de prendre la décision la plus juste, avoir un aperçu du temps pour les quelques jours à venir. Incapable de prédire quoi que ce soit à cause de son nez bouché, la grenouille avait lancé :

- Il fera beau demain et le temps sera sec comme une peau de serpent !

Etant complètement imbibée d'eau, elle ne supportait probablement plus l'humidité et avait vraiment besoin d'un bon coup de soleil. Elle avait donc confondu son bulletin météo avec son ordonnance. À l'annonce de cette nouvelle, le roi avait bien évidemment décidé d'avancer la cueillette qui devait avoir lieu le lendemain à l'aube. Evidemment, le lendemain, il s'était mis à pleuvoir comme jamais. Les gouttes étaient si grosses qu'on aurait dit des vaches. C'est pourquoi la grenouille fut affublée d'un tel surnom. On déclara la journée « catastrophe naturelle » et la récolte fut reportée à une date ultérieure dans une confusion des plus totales.

Avec le temps, cette péripétie fut vite oubliée. On préférait maintenant en rire, et l'histoire était régulièrement répétée au cours des grands banquets. Le roi pardonna à la grenouille, mais elle conserva son surnom et l'histoire fut inscrite dans le grand livre au chapitre de : « La vache qui pisse ».


Arthur ne peut s'empêcher de rire au récit de cette incroyable histoire.

- Mais... Sélénia ? Qu'a-t-elle fait ensuite ? demande Arthur qui revient à ses moutons, même si c'est un peu indélicat d'utiliser une telle expression pour parler d'une princesse.

- Sélénia était très triste, confirme Miro.


La jeune fille avait effectivement attendu et attendu encore. La grenouille, le nez totalement dégagé ce jour-là, lui avait assuré que le temps serait clair et dégagé, même si elle ne pouvait garantir qu'aucun petit nuage ne serait présent, car il est vrai que les jeunes nuages adorent venir chahuter dans les vents d'altitude quand leurs parents sont trop occupés à faire des cumulus ailleurs. Un grand ciel vide et bleu était un terrain de jeu idéal pour les enfants qui pouvaient s'amuser à prendre des formes plus rigolotes les unes que les autres. Mais Sélénia ne croyait pas à tout cela.

- Les enfants-nuages ne jouent pas la nuit, parce que personne ne les voit faire leurs bêtises ! avait-elle répondu. À quoi bon faire des âneries si personne ne s'en rend compte ? Elle voyait une autre explication beaucoup plus logique et malheureusement bien plus simple : Arthur l'avait oubliée. Rien qu'en pensant à cette phrase, tout lui paraissait plus évident. Comment avait-elle pu croire que, du haut de ses deux millimètres, elle allait laisser une empreinte ? Elle s'était menti depuis le début. Elle n'était qu'une petite fille orgueilleuse qui croyait que le monde tournait autour d'elle. Une midinette au cœur tendre, tombée amoureuse du premier aventurier venu. La peine et la souffrance commençaient à agir et détruisaient peu à peu le beau portrait qu'elle s'était fait de son prince.

- D'abord il n'est pas si grand que ça ! Lui aussi ne mesure que deux millimètres ! Et puis c'est quoi, toutes ces taches de rousseur sur son visage ? On dirait qu'il a roulé sans pare-brise ! lançait-elle à qui voulait bien l'entendre.

C'était sa façon à elle de noyer son chagrin, mais elle comprit très vite que cela ne servait à rien et, sur les conseils de Miro, elle se calma et pria la déesse qu'il ne soit rien arrivé de grave à son bien-aimé.


Deux larmes coulent sur les joues d'Arthur sans même qu'il s'en aperçoive. Il est totalement sidéré par cette histoire. Lui qui imaginait exactement l'inverse : un petit garçon amoureux d'une princesse qui s'en fout copieusement. Il était loin de la vérité.

- Mais... où est-elle maintenant ? demande Arthur timidement.

- Elle est partie cueillir des sélénielles, lui répond Miro.

- En pleine nuit ? s'inquiète le garçon.

Le roi lui explique alors les particularités de la fleur de sélénielle, surtout quand elle est cueillie un soir de pleine lune. La sélénielle n'aime pas trop la journée et le soleil qui vient lui abîmer la peau et, dès onze heures du matin, elle se referme. Pas question non plus de partager son parfum avec ces inconnus qui sillonnent les airs toute la journée, tous ces malpolis qui la décoiffent en passant à tire-d'aile. On l'aura compris, la sélénielle est une fleur fragile et elle réserve ses senteurs aux rares noctambules. Mais les soirs de pleine lune sont particuliers. C'est le moment qu'elles choisissent pour se reproduire. Elles mettent le meilleur d'elles-mêmes dans de minuscules particules d'une blancheur incroyable et les laissent flotter au gré des rayons de lune. Une brise légère est toujours la bienvenue car elle facilite les échanges. Les sélénielles mâles, pétales ouverts, n'ont plus qu'à attendre que la nature fasse son travail.

Sélénia adore venir s'allonger dans l'herbe les soirs de pleine lune et voir ce magnifique ballet, ces millions de flocons brillant sous la lune, qui dansent dans la bise, racontant ainsi, pendant des heures, la grande histoire de la vie. Mais ce soir-là était particulier et c'est sa tristesse que Sélénia était venue confier à la bise, toujours prête à colporter les complaintes.

- Ne t'inquiète pas ! dit le roi à Arthur. Elle ne va pas tarder à rentrer et dès qu'elle te verra, tout rentrera dans l'ordre, lui promet le souverain.

Arthur lâche un petit sourire. Il serait évidemment ravi que tout se termine aussi bien, mais quelque chose continue de le tracasser. Si Sélénia est en bonne santé, qui diable a pu écrire un tel message sur le grain de riz ?

Les guerriers bogo-matassalaïs ont fait un feu près du grand chêne, bien décidés à veiller jusqu'au retour du jeune Arthur. Même si la recette des « racines-qui-réduisent » est ancestrale et a montré son efficacité depuis des siècles, le chef a toujours un petit pincement au cœur au moment de l'utiliser. Sûrement à cause de cette histoire terrible que lui a racontée maintes fois son arrière-grand-père, à l'époque où il pouvait encore profiter du soleil.

Cette histoire s'était passée dans les années mille huit cent. L'Afrique était à l'époque le plus beau continent du monde. Son sol regorgeait de richesses et pas encore des poubelles de l'Occident. On vivait sans se soucier du lendemain. On se levait et traversait la savane juste pour le plaisir d'aller dormir à l'autre bout.

À chaque grande lune, le chef des Bogo-Matassalaïs, qui s'appelait à l'époque Cheevas, faisait passer quelques guerriers à travers le rayon, histoire de rendre visite aux Minimoys, leurs frères de sang, et d'entretenir ainsi les liens familiaux qui unissaient ces deux peuples. Malheureusement Cheevas abusait souvent de la liqueur de palmier et il avait de plus en plus de mal à trouver le chemin du grand baobab où se tenait régulièrement le rituel du passage. Un soir, il avait tellement bu qu'il finit par se perdre et les guerriers mirent plus d'une heure à le retrouver, assoupi dans un cactus, à quelques mètres au-dessus de trois coyotes patiemment installés, tels des renards qui attendraient leur fromage. Les guerriers avaient chassé les charognards à l'aide de quelques pierres et tiré leur chef du sommeil.

- Cheevas ?! Le rayon est fermé et les Minimoys nous attendent !! s'était plaint l'un des guerriers.

- Pas de problème, on passera par les racines ! avait répondu le chef qui dessoûlait aussi lentement qu'un ver au galop. Revenu sous le baobab, on ligota trois guerriers qui, une fois rétrécis, furent glissés au fond du bambou. C'est là que le drame arriva. Cheevas sortit la seconde fiole et, malheureusement, prit la mauvaise. Cette dernière était pleine de liqueur de cactus, un truc à vous brûler la gorge à tout jamais. Notre alcool de prunes ferait office de jus d'orange à côté de cette liqueur du diable. On disait même qu'on pouvait se noircir les yeux rien qu'en regardant l'étiquette. Cheevas versa le liquide dans le bambou. Pas quelques gouttes, comme l'indique le grand livre, mais la moitié de la bouteille, à cause de son hoquet qu'il ne parvenait pas à maîtriser. Le bambou s'était mis à trembler dans tous les sens, à fumer par tous les pores, avant de geler sur place, comme un bâton qui aurait perdu son esquimau.

On resta sans nouvelles de ces trois Bogos pendant plusieurs mois. Les guerriers du village étaient fort tristes et Cheevas jura qu'il ne boirait plus jamais une goutte de cette liqueur et que, d'ailleurs, il ne la fabriquerait plus.

Il tint parole quelque temps, mais la légende veut que ses descendants, quelques années plus tard, s'installèrent en Europe, en Ecosse exactement, où ils reprirent la fabrication de cette fameuse liqueur. En hommage à leur illustre ancêtre, ils lui donnèrent son nom.

Quant aux trois guerriers disparus, on retrouva un jour leur trace. Ils avaient erré dans le désert quelque temps, puis s'étaient finalement remis de leur cuite. Ils avaient monté un petit business : un élevage de scorpions. En effet, grâce à cette mauvaise expérience, ils étaient devenus complètement insensibles à tout venin.

Même si cette histoire s'était somme toute bien finie, elle restait un exemple à ne pas suivre qui avait marqué les esprits de ce peuple de fiers guerriers.


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