Chapitre 8

Archibald et Marguerite sont sur le perron, un peu abattus.

- Ne t'inquiète pas pour Alfred, il va courir cinq minutes, puis il reviendra. Il a peur du noir, dit la grand-mère en prenant son mari par le bras et en l'entraînant vers la maison.

- Ce n'est pas Alfred qui m'inquiète, c'est Arthur, répond Archibald.

Le vieil homme referme la porte et met machinalement le verrou.

- Il prend cette histoire tellement à cœur et je ne veux pas qu'il soit malheureux !

La grand-mère sourit.

- Arthur est jeune et c'est son premier chagrin d'amour mais ce ne sera sûrement pas le dernier. Il en aura malheureusement d'autres !

Archibald soupire. Tout ceci ne lui plaît pas.

- Et si jamais il disait vrai ? Que les Minimoys sont en danger ! ? N'est-ce pas de mon devoir d'aller leur porter secours ? insiste Archibald.

Sa femme s'approche de lui et lui prend les mains.

- Archi ! Ton petit-fils a une imagination débordante et il a tellement envie de revoir sa princesse qu'il pourrait inventer n'importe quoi ! Comme cette histoire de message gravé sur un grain de riz ! c'est toi-même qui m'as dit que les Minimoys écrivaient uniquement sur des feuilles, non ?

- Oui, bien sûr, acquiesce mollement Archibald, mais une araignée n'aurait pas pu amener une feuille jusqu'à Arthur. Le grain de riz était plus facile à transporter.

Marguerite sourit à son mari. Il a l'air d'avoir lui aussi dix ans quand il parle des Minimoys.

- Archi, le peuple minimoy à plus de mille ans et ils ont survécu à toutes les catastrophes. C'est pour cela qu'ils sont forts aujourd'hui.

- Oui... c'est un peu vrai, concède Archibald.

- Ils ont grandi à travers les épreuves, tout comme le fera Arthur, ajoute Marguerite.

- Oui mais... ils sont tous si petits ! conclut le grand-père, d'une voix à vous fendre le cœur.

Marguerite l'embrasse sur le front.

- Et toi, tu es bien le plus petit d'entre tous ! Allez, viens te coucher. La nuit porte conseil, lui dit sa femme en s'éloignant vers l'escalier.

- Je... je vérifie que tout est bien fermé et je te rejoins, lui lance Archibald.

Marguerite ne répond pas et finit par disparaître en haut de l'escalier.

Archibald semble apprécier ces quelques secondes de silence. Il soupire un grand coup, comme pour s'aider à reprendre ses esprits. Marguerite a sûrement raison. Marguerite a souvent raison. Peut-être s'inquiète-t-il pour rien et ce message gravé n'était-il qu'un jeu d'enfant. Un enfant adorable, débordant d'imagination.

Archibald, résigné, se dirige à son tour vers l'escalier quand un petit craquement sous son pied l'intrigue. Il regarde par terre et aperçoit une minuscule tache blanche, comme un grain de riz. Archibald s'agenouille et récupère le grain à l'aide de sa loupe. Il fait tourner l'aliment dans le creux de sa paume jusqu'à pouvoir lire clairement l'inscription qu'il y a dessus.

- « Au secours ! » chuchote Archibald, terrorisé par ce qu'il vient de lire. Jamais Arthur n'aurait été capable d'écrire aussi petit, même à l'aide de sa loupe. Il n'y a donc plus de doute à avoir : les Minimoys sont bel et bien en danger.


La mère d'Arthur vomit une fois encore au fond du sac déjà bien rempli. Le père bougonne. L'idée qu'elle puisse en mettre sur le siège l'empêche de se concentrer sur sa conduite. C'est pour ça qu'il zigzague de la sorte et que ça rend sa femme malade.

Arthur est, lui, toujours dans la même position, à genoux sur sa banquette, le regard rivé vers l'arrière. Mais il n'y a pas grand-chose à voir, sauf les volutes de poussière que soulève la voiture, légèrement teintées de rouge par les feux arrière. La mère sent que ça monte encore au niveau de sa gorge. Vu qu'elle n'a plus de sac, elle déclenche le plan d'alerte rouge.

- Je pense qu'on devrait s'arrêter à la pompe à essence, là ! lâche-t-elle, d'une voix bizarrement rauque.

- Mais j'ai encore plein d'essence ! répond le père. Et en plus, ces stations en rase campagne sont toujours plus chères que les autres !

- Ce n'est pas pour faire le plein mais plutôt pour me vider !! s'énerve la mère dont le visage blême est à lui seul un message assez clair.

Plus inquiet pour ses sièges que pour sa femme, Armand prend la décision de se ranger sur l'esplanade, face à la station- service. Sa femme n'attend même pas que la voiture soit arrêtée pour descendre. Elle traverse le parking en courant, les deux mains sur la bouche, en direction des toilettes. Le père regarde avec dégoût les deux sacs pleins de vomi, posés par terre devant le siège avant. Il grimace, attrape les deux sacs du bout des doigts et quitte la voiture à la recherche d'une poubelle qui accepterait ce genre de déchets, proches du nucléaire.

Arthur n'a que faire de ces va-et-vient et il soupire en regardant la poussière qui doucement retombe sur la route. C'est joli d'ailleurs, toutes ces petites particules qui, éclairées par les néons de la station, font des volutes dans l'air, comme des flocons de neige prisonniers d'un vent léger.

Soudain, comme un yéti sortant d'une tempête de neige, Alfred apparaît, fumant de partout. Le visage d'Arthur s'illumine. Son seul ami, le plus beau des chiens du monde, l'a suivi jusqu'ici. Arthur n'en revient pas, et en même temps comment aurait-il pu douter une seconde de son plus fidèle compagnon. Sans le savoir, Alfred vient de lui sauver la vie et probablement celle des Minimoys.

Arthur bondit à l'extérieur de la voiture et le chien lui saute dans les bras.

- Mon Alfred ! dit Arthur, en le serrant très fort.

Le chien a la langue qui pend et tient à peine sur ses pattes, tellement il est fatigué.

- C'est la providence qui t'envoie ! Tu vas me rendre un fier service ! s'exclame le garçon en lui tenant la tête à deux mains. Le chien dresse un peu les oreilles, comme s'il regrettait déjà d'être venu.


La mère finit de se nettoyer le visage et vérifie qu'elle n'a fait aucune tache sur sa belle robe à fleurs. Son mari apparaît dans l'encadrement de la porte des toilettes et lui lance une grimace qu'il est facile de traduire par : « Dépêche-toi, on a déjà perdu assez de temps comme ça avec tes bêtises. » La pauvre femme arrange vite fait sa robe, jette un regard dans la glace et démissionne. Tant pis, elle aura l'air d'un chiffon jusqu'à l'arrivée.

Le couple rejoint la voiture et la mère jette un coup d'œil maternel sur sa progéniture. Arthur est en boule, emmitouflé dans la couverture à carreaux.

- Il dort déjà ! chuchote la mère, afin d'obliger le père à en faire autant.

- Très bien. Comme ça, il râlera moins pendant le voyage, réplique le père à voix basse.

- Ce n'est pas gentil de dire ça, il n'a pas ouvert la bouche depuis le départ ! précise la mère sur un ton de reproche.

Le père bafouille une réponse qui ne veut rien dire, on dirait de l'anglais.

Arthur est sous sa couverture et commence à ronfler. La mère dresse l'oreille. Un ronflement bien étrange pour un petit garçon de dix ans.

- Il doit avoir un problème de végétations pour ronfler comme ça ?! On devrait peut-être le faire ausculter par un médecin ? demande la mère, un peu inquiète.

- Ecoute-moi ce ronflement-là ! répond le père en mettant le moteur en route. Quatre-vingts chevaux, avec de gros problèmes de végétations. Ça c'est du ronflement ! lâche le père, aussi fier qu'un buveur de bière après un rot.


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