Une soubrette ibérique me répond. Elle roule tellement les « r » qu’il vaut mieux ne pas lui parler en descendant l’escalier, tu te foutrais la gueule par terre.
— Police ! Je veux parler à M. ou Mme Maurer.
L’ancillaire (d’une conne) me répond qu’ils sont absents.
— Écoutez, fais-je, n’avez-vous pas reçu il y a un cardeur (je profite de la confusion auditive pour faire des jeux de mots) un appel téléphonique ?
— Non moi, mé Madame, elle ! rétorque la péninsulaire.
— Vous me dites cependant qu’elle n’est pas là ?
— L’était quand lé téléphone l’a sonnate.
Je trait-de-génise :
— C’est à cause de cet appel qu’elle est sortie ?
— Si. Tout dé souite sortie.
— Elle n’a rien dit ?
— Lé criait : « O mon Dios ! Mon Dios ».
— Et alors ? Dites-moi bien tout, c’est très important.
— Lé arrivate ouné autré malheur ?
— Peut-être. Qu’a-t-elle fait avant de sortir ?
— Lé allée dans le bourreau dé Mossieur.
— Pour quelle raison, mon enfant ?
— Jé né sais.
— Et puis ?
— L’a couru à son automòvil.
— Elle ne vous a pas dit où elle allait ?
— Non.
— Merci.
Je raccroche.
— Ça brûle, annoncé-je au Gros, radine-toi, mec.
De retour à l’auto, et avant que d’informer ces dames, je me mets en liaison avec le central des recherches.
— Bruno Formide vient d’entrer en contact avec la mère du jeune Julien Maurer qu’il a kidnappé voici bientôt deux ans. Il est à peu près certain qu’il lui a fixé un rendez-vous, j’incline à croire qu’il lui aura demandé de l’argent et qu’elle le lui porte. Le lieu de la rencontre devrait se situer entre le boulevard de Clichy et Saint-Germain-en-Laye. Concentrez toutes les voitures de police sur cet axe, je verrais assez bien le bois de Boulogne comme point de rendez-vous. Forcez les effectifs. Il faut que dans l’heure qui suit vous ayez retrouvé ce dingue, vous remuez-vous les fesses, tous, un môme de huit ans est en grand danger !
Mes compagnons de misère attendent mes explications, je les leur fournis.
— En révélant à Formide le but de son évasion, je lui ai donné une idée. Sans argent, au volant d’une voiture dont il n’est pas assez fou pour ne pas comprendre qu’elle va être retapissée d’un instant à l’autre, il n’a aucune chance de s’en sortir. Alors il a appelé Mme Maurer, la mère du petit Julien, pour lui réclamer du fric en échange — je suppose — de renseignements concernant son gosse. La pauvre femme a couru prendre le pognon que son époux serre dans un tiroir de son bureau et a foncé au rendez-vous.
— Que va-t-il se passer ? lamente ma brave mère.
— Nous allons le coiffer, ma chérie, sois tranquille. « Au volant de cette voiture il ne peut aller loin car… »
Et alors, là, très exactement là, à ce point précis de ma réponse, je cadenasse ma grande gueule.
Car j’aperçois la voiture ayant servi à notre évasion impudemment garée sur un trottoir. Un archer est précisément occupé à la verbaliser. Je freine en catastrophe et jaillis impétueusement, comme du champagne que l’on aurait confondu avec de l’Orangina et de ce fait copieusement secoué manière de mélanger la pulpe (à quoi ? c’est pas dit dans la chanson).
Pas d’erreur, il s’agit bien de ma chignole.
Le flic me salue respectueusement, m’ayant reconnu.
— Taillez-vous, dis-je et surveillez à distance en attendant des renforts, il se peut qu’un type d’une quarantaine d’années, plutôt blafard, vienne la récupérer, en compagnie d’un petit garçon blond. Dans ce cas vous vous précipitez sur le môme car l’homme est un dangereux sadique.
— Comptez sur moi, monsieur le commissaire.
Je flanque un nouvel avis au standard pour signaler ma trouvaille. On m’annonce qu’une planque va être établie à proximité du véhicule.
— Tu comptes qu’il va revenir ? demande le Gros.
— Pas trop. Il savait que cette tire le mettait en danger, c’est pourquoi il s’en est débarrassé.
— Donc les recherches n’ont plus de raison d’être ? lamente Félicie.
Je gamberge tellement vite que je suis contraint de baisser les vitres pour m’aérer les méninges.
— Le rendez-vous doit avoir lieu dans ce quartier, avec les vingt francs de Toinet, il n’a pas de quoi prendre un taxi pour Saint-Germain, voire seulement pour le bois de Boulogne, d’autant plus qu’avec le manège et les communications téléphoniques, il les a écornés.
Bon : il faut rappeler la maison des Maurer, s’enquérir du signalement et du numéro de l’auto dont la jeune femme s’est servie. La gentille Andalouse (aux seins brunis) me dit qu’il s’agit « d’ouné pétite automòvil de couleur orange et qu’elle en ignore le numéro ». Je lui demande, à défaut, de me passer le numéro de téléphone du señor Maurer, son patron, pour plus ample information. Ce dernier est pédégé d’une chaîne de garages « La Lutèce Compagnie ». Il m’est impossible de l’obtenir, vu qu’il se trouve aujourd’hui à Bruxelles pour affaires. Force m’est de me rabattre sur le service des immatriculations des Yvelines où un fonctionnaire grincheux m’envoie presque aux bains turcs. Les minutes sont longues. On crève d’angoisse dans cette chignole. Bérurier en est descendu et arpente le secteur, lorgnant les bistrots, les impasses, les portes cochères et tous lieux pouvant servir à une rencontre discrète. Maman reste digne, très droite sur sa banquette, avec le visage qu’elle aura dans vingt ans si Dieu les lui accorde. Marie-Marie paraît sortir d’une série d’examens épineux.
Tout cela est trop con ! Dire que je suis allé pêcher dans son asile ce fou qui ne demandait enfin plus rien à personne et que je l’ai amené chez moi ! Folie ! Folie ! S’il arrive un sale turbin à Antoine, j’ignore encore ce que je ferai de ma viande, mais j’en ferai quelque chose de pas banal, espère !
Le crachotement de mon récepteur reprend.
— Avez-vous mis la main sur cette voiture orange, les gars ? aboyé-je.
— Oui, commissaire.
— Alors ?
— Mme Maurer est rentrée chez elle.
— Quoi ! Déjà ?
— Elle n’est allée qu’à la station du R.E.R. de Saint-Germain où un petit gosse blond l’attendait, tenant une enveloppe. Elle lui a remis de l’argent et a pris l’enveloppe ; le gosse a disparu.
Bon Dieu ! Vingt francs ne permettaient pas à Formide d’affréter un bahut, mais lui suffisaient pour prendre le R.E.R.
— Qu’y avait-il dans l’enveloppe ?
— Ces simples mots : « Une fois pour toutes, je jure devant Dieu que je n’ai jamais vu votre enfant. »
— Elle a casqué combien pour cet autographe ?
— Trois mille francs, c’est tout ce qu’elle possédait chez elle…
Je me tourne vers Félicie.
— Maman, Antoine est toujours vivant, tu as entendu ? C’est lui que Formide a dépêché auprès de Mme Maurer.
— Bon, répond ma chère vieille, mais à présent qu’il a de l’argent, tu crois qu’il va s’embarrasser d’Antoine plus longtemps ?
Ceci est une bonne question.
A trois mille francs.