Le médecin est un garçon jeune, malingre, à lunettes cerclées de fer, avec un nez pointu, des joues mal rasées (peut-être à cause des vilains boutons à frimes de bubons qui s’y développent comme des ragots dans un village). Il porte un complet bleu, fatigué, une chemise blanche, plus très blanche et une cravate bordeaux dont le nœud est aussi luisant que le tien. Il parle avec un accent du centre Europe et je le trouve à peine plus avenant qu’une indigestion d’ivrogne.

— Ces instincts homicides se manifestent en quelles occasions ? me demande-t-il après avoir potassé mon « dossier ».

— L’occasion fait le larron, réponds-je.

Il hoche le sourcil droit et demande :

— Par exemple, là, en ce moment, vous avez envie de tuer ?

— Oui, fais-je résolument.

— De tuer qui ?

— Le temps !

— Vous êtes porté sur l’humour ?

— Non : sur la bagatelle. J’adore fourrer !

— Des femmes ?

— Surtout des commodes Louis XIV : elles baisent mieux et ont davantage de tiroirs.

Il paraît indécis, fortement préoccupé par mon cas. Soucieux, car c’est un consciencieux, il relit les différents rapports médicaux me concernant.

— Obsession sexuelle, récite-t-il, avec pulsions extra-gounaviales, accompagnées de périodes d’abattement. Signe neutro-glycérinal de catéchumerie poilante. Le sujet fait un net consortium langoureux d’extramurgie flasque.

Il caresse le plus dégueulasse de ses boutons, une chose superbe en soi, couronnée de blanc comme le Fuji-Yama ; le presse entre pouce et index, hélas, la laitance ne vient pas.

— Pas assez mûr, lui fais-je remarquer, mais dans deux jours, sous l’effet de la même pression, il giclera jusqu’au plafond, et ce sera très beau.

Honteux, il retire presto sa main de sa gueule pourrissante.

— Avez-vous parfois envie de vous suicider ? enchaîne le docteur.

— Chaque fois que je me trouve en présence d’un con, monsieur le président ; vous n’auriez pas un revolver ?

— Vous dormez bien ?

— Je dors à gorge déployée, oui, pourquoi ? Ça m’a pris un soir que j’étais dans mon lit et que j’avais fini mon biberon. Néanmoins, il m’arrive de me réveiller. Je me rappelle très bien, par exemple, m’être réveillé le 11 novembre de l’année dernière, c’était extraordinaire, les troupes ont défilé devant mon immeuble pour célébrer l’événement.

L’autre me visionne avec davantage d’intérêt que si j’étais Armstrong marchant pour la première fois sur la Lune (en anglais : on the moon). D’ailleurs, les Terriens s’en sont torchés qu’on aille sur la Lune ; c’est pas leurs oignons. Ils préfèrent la Coupe du Monde de foot (en français : football). Lorsque les Ricains ont pigé le bide, ils ont laissé les capsules Apollo dans leur armoire à pharmacie, comme quoi c’était de la dépense inutile, ces croisières à la con (comme la lune) et qu’il valait mieux fabriquer des fusées destinées à éclater sur la Terre que d’en bichonner des plus mastardes capables de se poser comme des fleurs sur l’île morte de l’ami Pierrot.

— Et du point de vue alimentation, insiste le docteur made in Carpates, vous mangez beaucoup ?

— Cela dépend, rétorqué-je, car je suis très gourmand. Si on me sert des lames de rasoir en salade, alors là, je torche l’assiette, mais vous ne me feriez pas avaler une bouchée de magret de canard au cambouis pour tout l’or du monde.

Il consulte à la dérobée sa check-list étalée devant lui.

— Vous avez de la religion ?

— Beaucoup, mon général, je lis la Bible à l’endroit et à l’envers et en japonais.

— Vous savez qui est Président des États-Unis ?

— Quelle question ! C’est Cassius Clay !

Dubitatif, il est sur le point de conclure là mon examen de passage ; pourtant, d’une voix lasse, il interroge :

— Quel âge avez-vous ?

— Ça dépend, monseigneur, s’il s’agit de l’âge que j’avais à ma naissance ou de celui que j’ai aujourd’hui.

— Celui d’aujourd’hui ?

— Impossible de vous répondre, je n’ai pas acheté le journal ; mais si vous en avez un, vous trouverez mon âge sous les cours de la Bourse, il est écrit en italiques. A ce propos, savez-vous que l’écriture italique est d’origine vénitienne ? Vous l’ignoriez ? Je comble donc une lagune de votre éducation, monsieur le comte. Tenez, baisez-moi la main et donnez-moi cent francs, je voudrais acheter des cacahuètes à votre femme.

Cette fois, le toubib se lève. Il pétrit à nouveau ses bubons, mais aucun n’est à point et il devra les vendanger une autre fois.

Il presse ensuite un bouton plus juteux, puisqu’il déclenche une sonnerie. Deux infirmiers se pointent. Deux balèzes : rien dans la tronche, tout dans les muscles. Ces mecs, quand ils pensent, c’est à rien.

Ils sont en espadrilles blanches ; portent un pantalon de traininge et une blouse courte, sans manches, boutonnée par-derrière.

— Installez-le au pavillon F, ordonne mon vis-à-vis.

— Bien, docteur !

— Comment ! m’écrié-je, vous êtes docteur et ne le disiez pas ?

Je lui tends la main.

— Ravi de vous connaître, monsieur Schweitzer !


Les balèzes m’entraînent fermement.

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