Jolie partie de gâche-gâche.

Pour t’éclairer, je joue à gâcher des gâches, tu piges ? Ce boulot me prend trois jours. Duraille de bricoler des serrures dans de telles conditions. Mais j’ai ma technique. Mie de pain, fil de fer, ingéniosité, poil partout, merci. T’expliquer ? J’aimerais, mais ça risquerait de donner de mauvaises manières aux enfants. Faut préserver la jeunesse. Le cul, c’est de bon conseil. Ils en sauront jamais suffisamment. L’arnaque et ses dérivés, attention, Ninette. Qu’on existe déjà dans de la société hyper-dangereuse, corrompue à moelle ; avec la violence qui dégouline de partout : des gueules, des braguettes, des journaux.

L’emmerde, ici, comprends bien, c’est leur extrême fichue marotte de tout bouclarder fur mesure. Ils ont toujours une clé en pogne. Ouvrent, referment. Le système que j’ai mis au point, Bruno s’en tire formide. Ça consiste, sitôt qu’une lourde est ouverte, il se précipite sur l’infirmier en entrance et lui fait la drague tandis que Bibi opère prestement. Il les chambre avec n’importe quoi, le gentil sadique. Comme quoi il entend des voix, ou bien qu’il est Vercingétorix en bisbille avec César, et mille autres serments à sornettes. L’arrivant use toujours de la même tactique : douceur et fermeté. Il dit qu’il comprend, que ça va s’arranger, Vercin doit ramasser son bouclier et rentrer dans ses Gaules sans faire de suif. Moi, Santonio-le-Preux, je mets à profit. Un petit bout de fil de fer prélevé sur un sommier et tortillé pour constituer un ressort. Le tout enrobé de mie de pain. D’un doigt farcisseur, j’enquille le tout dans la gâche. On est refoulés. Le franc-maton referme. La clé universelle joue : cric, crac ! Ce nœud ne s’aperçoit pas que le pêne n’exécute plus son parcours total, qu’il est à ma merci désormais. Une fourchette dont je tords convenablement les chailles, et ça ouvre. Génial ? Oui, tu trouves, hein ? Moi aussi. Pour une fois, nous sommes d’accord.

Ça repose.


Ayant réussi à bricoler les trois portes qui nous séparent de la cour, je propose au tueur de petits garçons de jouer la belle la nuit suivante.

Il se fait tirer l’oreille.

— Rien ne presse, on a le temps.

— Non, mon pote, car mes ressorts de fortune vont s’affaisser et nous l’aurons dans le fouinozoff.

— Mais quand nous serons dans la cour, il restera à franchir la porte principale. Je sais qu’elle est pourvue d’un système d’alarme ; un jour, un de nos camarades a voulu la franchir et cela a déclenché un boucan du diable.

— J’ai tout prévu.

Il hoche la tête.

— Je me demande si je ne fais pas une énorme bêtise en m’enfuyant.

Exaspéré, je lui lance :

— Alors, reste, je partirai seul. Tu as jusqu’à minuit pour prendre ta décision.

Les heures se traînent. Le Grand Prophète nous remet sa tournée avec ses projets de désapocalypser la planète. Quand il aura agi, ce sera du miel. Le nirvàna pour tous. Bonheur à prix fixe. L’intention vaut l’action : merci, prophète.

Et puis il y a le père Bidule, ainsi surnommé parce qu’il use de ce mot dans chacune de ses phrases. Un vieux, sonné à bloc par ses chapitres précédents. Lui, il promet rien, il déplore. Son fils tué en Algérie, sa femme morte d’un cancer, sa sœur brûlée dans un incendie, véroles, accidents d’auto, typhon, avalanches en tout genre, c’est calamitas en personne, le père Bidule. Que tout ça soit vrai ou inventé ne change rien à son problème puisque c’est devenu « sa » vérité. Il charrie les catastrophes sur son dos voûté, comme les bougnats d’autrefois leurs sacs de boulets.

« — Vous auriez vu ce bidule, quand mon père a été broyé par un laminoir. Ne lui restait que la poitrine et la tête, tout le bidule restant se trouvait en compote, pâte à tarte, horrible. Devant un tel bidule, maman s’est pendue la semaine d’après ! »

Et ça c’est juste les préludes. La préface, le petit canter pour s’entraîner. Ensuite il se lance dans les pures horreurs, là que se succèdent épidémies ravageuses, batailles sanglantes, accidents à grand spectacle, funesteries tout azimut ! Ça crève, ça éclate, ensanglante, agonise, trépasse à qui mieux mieux dans une sarabande macabre. Danse de Saint-Saëns, de Saint-Guy ! Danse du Feu ! Pauvre Bidule, halluciné. Une mémoire reconstituée par Jérôme Bosch. Il finit dans l’épouvante.

Et les autres ? Je t’en parle pas des autres. Celui qui se prend pour un balancier de pendule ou une bite de cheval et qui passe d’un pied à l’autre, avec une régularité atroce. Et celui qui chantonne toujours le même air, de son éveil à son endormissement. Une mélopée nasale. Lancinante à t’en foutre la chair de poule. Et encore le mec qui se pogne, assis en tailleur sur son lit. Le chef infirmier n’arrête pas de lui filer des tartes. « Tu vas rentrer ton affaire dans ta culotte, boug’ de gros dégueulasse ! » Et celui qui tend la main dans la maison pour annoncer qu’il pleut déjà ; il a senti des gouttes.

Moi je ne peux plus endurer davantage un tel environnement. Que Formide m’accompagne ou non, ce soir, je les mets. Et ça ne sera pas un au revoir, mes frères, croyez-le bien !

Загрузка...