Marie-Marie, stationnée en double file devant l’immeuble, est aux prises avec un gardien de l’happé irascible qui lui aboie des trucs inaudibles parfumés au vin rouge.

Mon intervention opportune met fin à l’altercation, mais la Musaraigne reste très surexcitée.

— Pourquoi l’autorité engendre-t-elle l’exaction ? me demande-t-elle. Pourquoi tout individu muni d’un pouvoir en use-t-il avec brutalité ?

Pas envie de philosopher sur la voie publique, l’Antonio.

— Parce qu’il est interdit de stationner en double file, miss, et qu’un tel délit devrait être puni de mort, bougonné-je (où sont les bougonné-je d’antan ?).

— Il faut que tu appelles le Vieux, de toute urgence, coupe-t-elle. Il n’a pas l’air gai et m’a demandé de quel droit je répondais, moi, une vulgaire pékine, à bord d’un véhicule de la police.

Je broutaille le gnoufaseur de coordination.

— Le Vieux, please ! lancé-je laconiquement au préposé.

— Vous pouvez déjà baisser le son si vous ne voulez pas qu’il vous lézarde les tympans, ricane mon terlocuteur. Depuis Caruso on n’avait plus entendu une voix pareille !

— O. K ! Envoyez le taureau !

Ce qui me débouche dans les trompes ferait passer la trompette d’Armstrong pour le chuintement d’un robinet mal fermé.

Un Niagara de vociférations ! Un torrent d’imprécations ! Un typhon d’interjections débitées à la cadence d’une mitrailleuse. Le flot impétueux de sa rogne se rue contre les vannes de la bienséance, les éventrant, disloquant, aussi sûrement qu’un bélier manié par seize bûcherons en état de marche éventre et disloque la porte de chiottes d’une H.L.M. de banlieue.

— Comment, quoi, pardon, please ! Je rentre de Londres où M. le ministre de l’Intérieur a bien voulu me prier de l’accompagner. Et qu’apprends-je ? Que lis-je ? Qu’ouïs-je ? Que télévisus-je ? Vous ! Un homme à moi. Un flic réputé ! Avec un fou ! A vos nez et barbe vous laissez kidnapper votre gamin adoptif ! Et infichu de retrouver ce tandem ! Et le fou continuant d’homicider ! Et moi, sous chaque jour courbant plus bas ma tête, de devoir encaisser pareil affront ! Obligé de faire face à la plus dramatico-grotesco-merdeuse des situations ! Vous couvrant ! Moi déjà en butte ! Moi qu’on surveille ! Qu’on guigne ! Qu’on s’apprête à jeter comme un vieux tampax à bout d’usage ! Moi, aux prises ! Bafoué, peut-on dire, par votre inconséquence ! Moi, en position branlante, en porte à faux ; suppôt de l’ancien régime malgré que je léchetrouduque éperdument tout anus qui se présente à reculons, sans demander à voir ses papiers ni même son visage ! Au moment où les fondations d’une carrière prodigieuse chancellent comme à Pompéi celles des villas romaines…

« Vous savez que je refuse, Sanantonio de mes pauvres fesses ! Oh ! mais que non : pas de ça, Lisette ! A d’autres ! Chez d’autres ! Qu’est-ce que vous croyez, jeune homme ? Que je vais me laisser manipuler, estoquer, ridiculiser, mettre en chômage pour vos beaux yeux de merlan frit ? Vous ne connaissez pas Achille, mon petit bonhomme. Il a des couilles, Achille, grosses comme des poires. Il en a deux. Et même, en palpant bien, parfois, je me demande… Dites, votre fou, votre lardon, vous allez me les récupérer Frédéric-Frédéric[6]. Quelle heure est-il ? Douze heures seize.

« Bon, ne soyons pas trop exigeant : je vous laisse jusqu’à quatorze heures pour m’arranger tout cela. Je veux l’enfant vivant, le fou comme vous voudrez, et un bel exploit policier pour sa capture. Pas de bavure, surtout ! N’allez pas me tuer une vieille dame, ou me bousculer un travailleur de couleur au cours de l’opération, hein ? Et quand vous avez obtenu gain de cause, vous m’attendez pour la conférence de presse, sinon, mon petit gars, ce sera le tourniquet pour votre pomme ! On leur expliquera bien tout, aux médias. Comment c’est grâce au socialisme que je suis parvenu à contrôler la situation et à neutraliser ce sadique, pur produit de l’ancien régime qui nous a fait tant de mal, au point qu’il va falloir trois ou quatre générations au président actuel pour remettre les pendules à l’heure, le cher homme. Il a le signe, vous avez remarqué ? Moi, ça m’a sauté aux yeux tout de suite ! Le 10 mai, au soir, quand sa photo est apparue, j’ai compris que c’était un produit du destin ! Auparavant, je ne l’avais pas remarqué, mais là, c’était frappant. Question de cadrage, je suppose ? Bon, alors, c’est convenu, n’est-ce pas, San-Antonio : à quatorze heures, heure locale, vous aurez planifié. J’attends. »

Il raccroche.

— Il est souvent comme ça ? demande Marie-Marie, hilare.

— De plus en plus. On a toujours rien pour Toinet ?

— Rien.

— Tu as des cours en ce moment ?

— Non, je prépare mes U.V.

— T’es capable de travailler dans un train ?

— Pourquoi ?

— J’ai un petit voyage à te proposer.

— Et tu crois que j’aurai envie de travailler en ta compagnie ?

— Il y a maldonne, ma poule, ce voyage, je te demande de l’effectuer toute seule.

Elle hoche la tête :

— A vos ordres, seigneur. Où dois-je aller ?

— En Belgique.

Et je me mets à lui en tartiner tout un paquet. Ensuite de quoi, je lui attrique une liasse de fraîche, puis un gros baiser miauleur, et je la crache à une station de taxis.

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