Le médecin hoche le chef, ayant passé l’âge de le branler. Il regarde avec une attention scrupuleuse les trois extraordinaires sexes proposés à son examen et à son savoir.
— Du jamais vu, marmonne-t-il (car ce sont les Savoyards qui marmottent).
Il les prend alternativement dans ses mains gantées de caoutchouc. L’on dirait qu’il examine des éléphants souffrant de la trompe. Il les cueille par ordre d’importance : celui de Bérurier pour commencer, puis celui de Félix et, pour terminer son étrange revue, celui du Marquis de Carabas.
Il pousse la condescendance jusqu’à les soigner, assisté d’une exquise infirmière noire aux formes alléchantes. Ce qui lui vaut la remarque suivante du Mammouth :
— Mande pardon, Doc. Est-ce serait-il possib’ que ça soye la Miss qui me tenasse l’ memb’ ; vous sucrez les fraises et j’ craindrais d’avoir une irruption bandante, ce dont j’ voudrerais pas qui vous vous méprisiez su’ mes mœurs.
Mais le toubib parle mal le français et pas du tout celui du Mahousse.
A la fin de la consultation, il se tourne vers Harold J.B. Chesterton-Levy.
— Ces comédiens sont inaptes à tourner le scénario que vous nous avez soumis, avant un laps de temps s’étalant de huit jours, pour le gros, à deux mois pour le jeune, déclare-t-il.
Il est l’expert mandaté par la compagnie d’assurances qui « couvre » les trois protagonistes du film érotique prévu et que notre bon produc a saisie devant la carence des « acteurs » engagés.
— Bien, fait-il. Comme les comédiens ont d’autres engagements signés ailleurs pour les mois à venir, le contrat me liant à eux est rompu et votre putain de compagnie devra me rembourser les frais engagés.
Le praticien hausse les épaules en signe de « ce-ne-sont-pas-mes-oignons ». Béru qui s’en ressent pour sa petite assistante noire, essaie de palucher celle-ci en douce, mais la mère Cathy qui assiste à la séance, défend sa chopine plus âprement que Jeanne Hachette défendit Beauvais contre le Téméraire, en 1472 (si mes souvenirs et le petit Larousse sont exacts).
Elle intervient :
— Si je pars en France avec vous, darling chéri, c’est pour une existence sérieuse.
Je traduis.
Le Gros rigole grand comme l’Arche de la Défense.
— Ces putasses rangées de voitures veuillent toutes r’deviendre pucelles, alors qu’é z’ont la babasse plus large qu’un’ porte d’ grange ! Dis-y qu’ c’est pas pour jouer « Remets-l’eau et Juillet » qu’ j’ l’embarque, mais pour faire femme-d’ménage-partouzeuse chez moive. La Berthy qu’est salingue à ses heures, déteste pas qu’on lu mignarde l’ogne à la menteuse ou au salsif du temps qu’ é m’ ch’vauche l’ poney sauvage ! D’ même, quand j’y déguste la r’moulade, elle raffole brouter un’ dame qui l’acalifourche. D’autant, dans l’ cas d’ Cathy, qu’y s’agite d’une coloriée-voumanesse, ça pimente.
Je l’abandonne à ses problèmes de couple et vais prendre congé d’Angela. J’aimerais lui tirer mon feu d’artifice d’adieu à cette inoubliable qui aura tant fait pour moi. Mais son singe est rentré de ses équipées moscovites et ils ont un agenda qui n’est pas chargé à blanc !
Je la prends dans mes bras et lui donne des baisers humides dans le cou, là où se risquent des cheveux fous échappés au domptage du hairdresser.
Elle frissonne.
— Vous me téléphonerez, mon amour ? La nuit je suis toujours là et, avec le décalage horaire, ce sera le jour pour vous.
— Juré ! réponds-je.
Sincère.
Mais avec les arrière-pensées de l’expérience.
Je le sais mieux que quiconque que « loin des yeux, loin du cœur ». Les êtres qui résistent à l’absence et demeurent intacts dans ton cœur se comptent sur l’annulaire d’une seule main.
Certes, je lui téléphonerai… Le jour de mon arrivée, et puis la semaine suivante. Et peut-être encore une ou deux fois, à la suite d’un coup de vague à l’âme, croyant qu’elle en est l’objet, m’apercevant que non, après avoir raccroché. Tant va l’homme à la cruche qu’à la fin elle se casse. Oh ! vie, qu’il est profond ton silence et qu’elle est conne ta bruyance.
Deux heures plus tard, nous sommes à l’aéroport, au grand complet, en beaux complets ; rutilante équipe sur le retour. Surtout en ce qui concerne Félix et César !
Et toi, lecteur interloqué de te dire, avec incrédulité, mais te le disant quand même « Non, sans blague, ce con d’Antonio va pas nous laisser quimper comme ça, sans nous cracher le fin mot de la fin ! Il est tellement jobastre, quand il s’y met, cet oiseau, qu’il en serait tout à fait capable ! »
Avoue que tu penses comme ça ?
Comment dis-tu ? Non ? Tu as confiance en ma probité professionnelle ? Merci, c’est gentil de me le dire. Je t’aime bien, tu sais. Je fais semblant de te houspiller, parfois, mais c’est pour plaisanter. Pour te chiner comme on dit peut-être encore à Bourgoin-Jallieu, Saint-Chef, Ruy, Saint-Alban-de-Roche, Four, La Tour-du-Pin, Morestel, La Côte-Saint-André ! Bonjour, Berlioz !
Il y a des gens que j’aime et que je traite de cons ; par contre, y a pas de cons auxquels je dis que je les aime !
Bon : l’aéroport. Bérurier achète des hot dogs, par précaution, ainsi que quatre bouteilles de vin californien (il s’y est mis). Félix écrit en douce une carte postale… au Marquis, afin qu’il reçoive un message de ce pays plein de tribulations. Tu veux que je te dise ? Je crois qu’il est amoureux de son nobliau demeuré, le prof. Oh ! rien de sexuel. Mais l’amour c’est si bizarre. Tu comprends, il a toujours été si seul, Félix, avec juste sa grosse queue pour lui tenir compagnie. Seulement, à la longue, tu t’aperçois qu’une queue c’est pas suffisant. Ça n’a jamais remplacé un enfant.
J’éloigne précipitamment ma troupe du magasin où l’on vend les journaux, biscotte une manchette s’étale à la une des canards californiens : « Tuerie à Venice ».
Je recommande à Sa Majesté de ne pas laisser prendre de baveux à sa conquête au moment de la distribution, dans l’avion. Il remédie au danger en la poussant vers un bar de l’aéroport. A la tequila, il l’entreprend, sa brune. En un quart d’heure, elle a oublié jusqu’à son nom de famille !
C’est au moment où nous nous dirigeons vers les portes d’embarquement que je m’entends héler (et que je regrette de ne pas l’être, ailé).
Un homme se pointe en courant, avec le Los Angeles Morning à la main.
Il l’agite en criant mon nom.
Tu sais qui ?
James Smith, de l’étude Smith, Smith, etc.
Pour enrayer le grabuge, je vais à sa rencontre.
Hors d’haleine (parfois, après le mot haleine, j’ajoute du Pingouin, parce que ça fait « laine du Pingouin », tu comprends, et que c’est assez drôle, ma foi, dans un moment où on se fait chier et qu’on n’a rien de mieux à se mettre sous l’humour), il me crache dans la foulée :
— Ouf ! J’arrive à temps. Je vous ai appelé chez Chesterton-Levy où l’on m’a dit que vous veniez de partir pour l’aéroport. Vous avez su ce qui est arrivé avant-hier ?
Il me tend théâtralement le baveux.
— Ça, alors ! béé-je.
— Sidérant, non ?
— Plus !
— Qu’en pensez-vous ?
— Rien !
— La Fouzitout devait fricoter avec le Milieu, non ?
— Probable.
— Les quatre morts sont tous fichés dans le grand banditisme.
— Bon débarras !
— Vous n’aimeriez pas suivre l’enquête ?
— Un flic français ! En Californie ! Mes collègues d’ici m’arracheraient ma culotte si je me pointais sur leur os à moelle !
— Le propriétaire rentre également en France ?
— Il est attendu à la Sorbonne pour une communication de la plus haute importance à propos du sexe de Satan dans la littérature scandinave. Ravi de vous avoir connu, mon cher maître, gardons le contact, vous me tiendrez au courant des développements de l’enquête. Pardon de vous quitter si vite, notre vol a été appelé.
On s’actionne le bras de pompe comme pour emplir une citerne de deux mille litres.
— Cette fille n’était pas catholique, n’est-ce pas ? demande Smith James, de l’étude Smith, Smith et consorts.
— Si, dis-je, elle l’était. Mais c’était tout !
Partis d’un Los Angeles ruisselant de soleil, nous arrivons dans un New York pluvassieux, couleur de coliques de plomb. Pourtant, je préfère N.Y. à L.A. La Californie n’a pas l’air vraie. Là-bas, les gens sont en toc, comme leurs maisons rivalisant d’époustoufle. Vie de guingois, je dis. Mi-vacancière, mi-businessarde. Pour l’Européen qui débarque, c’est une sorte de planète pas finie. La lumière n’y est pas joyeuse, et quoi de plus démoralisant qu’un soleil morose ?
A New York, au contraire, tu trouves une sorte d’allégresse grondante. C’est sombre, souvent cradoche, mais le pittoresque succède à la poésie, et tous les gratte-ciel reflètent les nuages.
Nous avons décidé d’y faire une escale de vingt-quatre heures, non pour amortir le délabrement consécutif au décalage horaire, mais parce que j’y ai rendez-vous pour dîner avec mon cousin Josmiche et l’une des huiles du F.B.I. Cette rencontre se fait à mon initiative car je déteste coltiner un fardeau qui ne m’appartient pas. Faut que je le refile à qui de droit, ce bébé d’un autre.
La rencontre a lieu au restaurant du Méridien, donc pratiquement en territoire français. A trois, car mes scouts m’auraient encombré.
Le cousin Lionel est un long garçon maigre, brun et pâlot, avec juste le bout du nez rose. Son regard est vif, amusé, sans cesse au bord de l’ironie. Il est habillé par Cardin, please : chemise blanche au col et poignets taillés dans un tissu imprimé, veste prince-de-galles droite, au boutonnage spécial, cravate cognante, mais non trébuchante, pochette groupant deux impressions antagonistes. Une vraie gravure de mode qui, dans les salons d’ambassade, sert la gloire de notre académicien du dé à coudre.
L’huile du F.B.I. se situe à ses antipodes, question de la mise : grosse veste de tweed à boutons de chasse, pantalon de gabardine froissé, limouille à carreaux, avec un lacet de cuir tressé en guise de cravate. Il avoisine le demi-siècle, a le tif grisonnant par-dessous une méchante teinture négligée, les babines pendantes, du foin dans les naseaux et, derrière des lunettes en forme de guidon de course, un regard devant lequel les malfrats doivent déféquer dans leur bénouze, tant il est polaire, fixe, hostile, scrutateur et je te laisse un blanc pour écrire les adjectifs qui te sembleraient mieux appropriés.
Voilà, merci de ton aide.
Présentations. On fait sissite. Apéros. Un porto pour le cousin, un bourbon-gin pour le chef volailler, un bloody-mary pour moi.
On ne perd pas de temps à évoquer, Josmiche et moi, l’anus artificiel de la cousine Mathilde. Non, c’est le branchement immédiat sur mes aventures et mésaventures californiennes (en atténuant certains passages « délicats », voire en en occultant d’autres pour la qualité du récit).
Pendant que je jacte, sans perdre Horace McGuiness (il est d’origine irlandaise) des yeux, bien lui signifier que son regard décortiqueur je me le fous au cul pour prévenir d’éventuelles hémorroïdes, le maître d’hôtel tape au menu. Interruption. Asperges sauce hollandaise et carré d’agneau aux flageolets (ainsi Horace sentira-t-il la présence de la France éternelle au cours de la nuit), et comme dessert, un soufflé à l’orange. Vin unique : un Bouzy dans la glace. N’après quoi, je reprends mon histoire ; elle le mérite !
Je vais jusqu’au bout.
Une fois fini, je goûte le vin. Tip-top !
— Et vous dites, monsieur le directeur, que cette fameuse cachette vous a livré le secret de l’affaire ?
— Affirmatif, Mister McGuiness.
Je lève mon verre.
— A l’amitié franco-américaine ! toasté-je.
Le efbuyin m’imite :
— A l’amitié américano-française !
— A présent, chers amis, je dois reprendre les choses une vingtaine d’années en arrière. A cette époque, le tout-puissant Syndicat du crime a à sa tête un émigré polonais du nom de Witold Slaza, personnage impitoyable qui tient le monde de la pègre d’une main de fer. Il est craint et haï comme le furent la plupart de ses devanciers. Sous son règne, tout homme qui bronche est un homme mort. Il a des résidences un peu partout et se déplace énormément.
« Au cours d’un séjour dans sa maison de Californie, il est contraint de subir l’ablation d’un méchant calcul rénal. A la clinique où il est opéré, il s’entiche d’une petite aide-infirmière nommée Martine Fouzitout et la saute à sa sortie de clinique. Ce ne sera pas le grand amour, mais “autre chose” : une amitié amoureuse. Il achète une bicoque à la môme. Oh ! pas le luxe, car il n’attache pas ses dogs avec des hot dogs. Une bicoque sans histoire dans le quartier coloured de Venice. Puis il repart pour sa vie de potentat du meurtre.
« Un certain temps s’écoule, et Witold qui a du pif, sent que son règne se fissure. Il tente de faire le ménage en sacrifiant ses détracteurs les plus fervents, mais le ver est dans le fruit. Une nuit, vers trois heures du matin, alors qu’il roupille (d’un sommeil agité, je présume) dans son appartement de la Cinquième Avenue dont les fenêtres donnent sur Central Park, un ami qui lui reste fidèle l’informe qu’une expédition punitive est en route et se présentera à son domicile avant l’aube pour le liquider. Il est convaincant, sans doute fournit-il des preuves de ce qu’il avance. Witold sait que sa vie ne tient plus qu’à un fil. Il doit fuir immédiatement, disparaître à tout jamais sans laisser de trace.
« Ce qu’il y a de terrible c’est qu’il n’a pour viatique immédiat que le fric qui se trouve dans son coffre de l’appartement. Une misère, comparée à son immense fortune, hélas placée dans les banques et des affaires en tout genre. L’or amassé dans des chambres fortes bien gardées ne lui servira de rien car, s’il cherche à le récupérer, il est mort. Toutes ses anciennes troupes vont se mettre en chasse pour le retrouver et l’abattre. Comme il a du génie, il réalise que le seul capital dont il dispose encore et qui pourra générer peut-être des intérêts un jour, ce sont ses dossiers dont il ne se sépare jamais. Avec quelques milliers de dollars en espèces, il les emporte dans la voiture du gardien de l’immeuble. La fuite ! Drôle d’itinéraire !
« Ce qu’il a été ? Nous l’ignorons, et ne le saurons jamais. Par contre, nous connaissons son point de chute : une bourgade perdue à l’orée d’un désert : Morbac City. Avant d’y débarquer, il s’est composé une nouvelle gueule et, mieux encore, une silhouette insolite. Il devient un vieil original suisse, travesti en cow-boy miteux. Il achète les ruines d’un ranch et y aménage sa tanière de fuyard. Quelque chose me dit qu’il se fait à cette vie comme il arrive à certains prisonniers de s’attacher à leur existence carcérale. C’est là une grande loi d’équilibre, loi de nature fondée sur la légitime défense. L’être se doit de survivre, même dans les pires conditions. Se faire oublier !
« Chaque jour passé est pour Slaza une victoire. La pugnacité de la vengeance faiblit souvent avec le temps. Ses anciens amis doivent se livrer une guerre de succession sans merci qui, lentement, le fait passer à l’arrière-plan. Il a compris que s’il tient bon, s’il ne cherche pas à récupérer une partie de son ex-fortune, bref “s’il fait le mort”, il sera sauvé.
« Du temps s’écoule. A Morbac City il passe pour un ermite hurluberlu. On l’a baptisé “le cow-boy suisse” ; il ignore tout le monde et tout le monde lui fout la paix ! Du moment qu’il ne dérange personne…
« Après plusieurs mois de cette vie terrée (c’est moi qui estime la durée à vue de nez), il veut prendre un surcroît de précautions, se disant que s’il conserve dans son terrier les dossiers dont il s’est prémuni, un visiteur curieux risquerait de mettre la main dessus pendant qu’il va s’approvisionner à la ville. Et puis peut-être que le démon de la chair… Bref, un jour, il part pour Venice au volant de sa vieille Jeep passe-partout.
« Peut-être que ses ressources commencent à se tarir ? Je suppose, je suppose, vous dis-je ! Notre cow-boy suisse va rendre visite à Martine Fouzitout. En admettant que les gars du Syndicat l’aient placée sous surveillance au début, celle-ci, depuis le temps, a été abandonnée. D’ailleurs, Martine n’a pas occupé une telle place dans sa vie, elle n’aura été qu’une passade aux yeux des quelques personnes qui se trouvaient dans son entourage au moment de leurs amours.
« A-t-elle été ravie de revoir cet homme vieillissant, traqué et marginalisé ? Qui saurait le dire. Néanmoins, c’est une femme bien, en cela qu’elle a la reconnaissance du ventre et du bas-ventre. Elle accepte de planquer chez elle les dossiers de Witold Slaza. On fait aménager le placard secret et fouette cocher, le vieux repart dans son désert quelque peu rassuré. »
Ce discours nous a menés jusqu’à la fin des asperges et de la première quille de Bouzy. Je reprends souffle. Rien de plus exténuant que de jacter sans marquer de temps mort.
Horace pétrit une grosse boulette de mie de pain pour la transformer en pâte à modeler. Un reliquat de l’enfance. Il entreprend, quand elle est à point, d’en faire un petit cochon ; mais, les pattes et la queue du goret foirent. Fini, le porc ! Aplati, il devient tortue, laquelle, une fois étirée, évoque un crocodile d’assez bonne facture.
Le carré d’agneau se pointe. Pas carré, mais rectangulaire. Le maître d’hôtel tranche des côtelettes roses et fondantes. Ensuite il répartit les flageolets, à la fois petits et dodus.
— Bon appétit, messieurs, il nous ruyblasse.
On bouffe. Un silence au cours duquel mes deux convives s’imprègnent de mon récit.
C’est le cousin Jasmiche qui engrène le coup :
— Et après, cher Antoine ?
McGuiness a oublié de bouquiner un guide des bonnes manières car il mange la bouche pleine, en produisant un bruit de mastication pareil à celui que faisaient les braves vieilles pompes à merde de nos parents.
— Après ? reprends-je. « Après », je dois vous avertir que c’est le produit de mon imagination. L’« après », je l’ai confectionné à la main, donc c’est un « après » très artisanal. Cela dit, je le juge fort convenable.
Rire un chouia forcé de Lionel. Une relevée de sourcils d’Horace qui apprécie autant l’humour qu’une coquille d’oursin dans son slip kangourou.
— Witold Slaza et Martine Fouzitout vont mettre au point des relations sporadiques. Ils se verront à Morbac City le premier vendredi du mois. Cet accord pris, ils n’ont pas besoin de correspondre, ce qui préserve la sécurité du cow-boy suisse. Pourquoi ce rendez-vous mensuel ? Je pense que le vieux forban n’a plus de revenus. Alors c’est la chère Martine qui l’a pris en charge, en signe de gratitude, pour lui revaloir ses largesses d’antan, quand il l’a mise dans ses meubles. Et pourquoi pas l’amour, aussi, après tout ? Ce sont maintenant deux êtres seuls. Les motivations d’un individu sont secrètes, au point de lui rester mystérieuses à lui aussi.
« Le pognon ! Arrêtons-nous sur la question. La môme en gagne à profusion. Ne s’achète-t-elle pas, la gentille esthète, des dessins de peintres célèbres ? Alors ? Ses charmes ? Ils sont inexistants ! En tout cas si modestes qu’on envisage mal qu’un homme la couvre d’or.
« Non, la vaillante petite Française, mes chers amis, a trouvé bien mieux qu’un pigeon : un filon ! Je ne vous fais pas l’injure de penser que vous ne l’avez pas déjà en tête ! »
— Les dossiers ? demande le gendre de cette pauvre cousine Mathilde.
— Gagné, cousin ! Tu continues ?
— Je préfère t’écouter, Antoine.
— Alors ouvre grand tes perchoirs à libellules, Lionel. La madrée petite Fouzitout se met à phosphorer après avoir lu les dossiers, le soir à la chandelle, assise auprès du feu au lieu de dévider et de filer, en bonne descendante de Ronsard qu’elle était ! Elle pige que, tout comme l’Ovomaltine suisse, c’est de la dynamite. Il y a là-dedans de quoi compromettre quelques-unes des personnalités les plus en vue des States ; sans parler des parrains de la Mafia, des grands industriels, des fripouilles les plus apparemment intangibles.
« Seule, elle n’est pas de taille pour entreprendre la grande croisade du racket ; il lui faut un partenaire qui fasse le poids. Alors elle se décide pour un gars du F.B.I. qui fut son amant d’une semaine et qui lui a laissé un bon souvenir. Sans doute, à travers leurs échanges de vues, a-t-elle pressenti que c’était un corruptible. Excusez-moi, Horace, il en est partout et plus particulièrement dans les hautes sphères de la société. »
Horace qui n’a pas encore moufté, murmure, se parlant à lui-même :
— Benjamin Stockfield.
— Gagné, réponds-je. Oui, Benjamin Stockfield, matricule 6018.
— Il a été abattu, reprend McGuiness.
— Par un loustic nommé Witley Stiburne.
— Comment savez-vous cela ?
— Après l’avoir buté, Stiburne lui a pris sa plaque de fédéral, se disant probablement qu’elle pouvait constituer un bon sésame à l’occasion.
Horace qui vient d’achever sa gamelle, reprend son modelage. Le crocodile se mue en bite avec accessoires incorporés.
— Je pense, poursuis-je, que votre collègue et la Fouzitout ont dû rentrer pas mal de fric. Selon moi, la fille, méfiante, n’a pas dit à son complice qu’elle détenait le « matériel de chantage ». Quelque chose me dit même qu’elle s’est planquée derrière un paravent pour ses transactions avec Stockfield, en mettant dans le circuit un saint homme de prêtre, le père Machicoule, après lui avoir monté tout un cinoche. Le pauvre homme a laissé sa peau dans l’affaire, ainsi que sa servante noire.
« A la longue, le Syndicat a eu vent de ce racket. Il s’est ému et a constitué un commando de choc pour “régler” cette sale affaire. Y a eu du monde sur le chantier, les gars ont ratissé large, au point que mes hommes et moi avons failli y passer ! Ils ont buté ou malmené pas mal de personnes, y compris “le cow-boy suisse”. Cela dit, ils n’ont pas trouvé les dossiers qui subsistent. Il est probable qu’ils ont fait le grand jeu à votre ami Stockfield, avant de le zinguer. Heureusement que la fille Fouzitout s’était entourée de sages précautions. »
— Vous avez découvert les papiers ? demande McGuiness sans avoir l’air d’y toucher, comme s’il s’enquérait si je joue au golf.
— Vous aurais-je fait venir à New York, sinon ? Je vous promets une bonne régalade, Horace. Y a plein de gaziers qui sont en train de se faire dorer le nombril en Floride et qui vont dégueuler de frousse quand vous les interpellerez avec certains documents à l’appui.
Là, on l’entend mouiller, l’Irlandoche déguisé en Ricain. Comme dans une grotte, l’eau qui tombe des stalactites.
— La guerre déclenchée par Martine Fouzitout aura fait pas mal de victimes de part et d’autre ; les hommes de main du Syndicat ont vécu des instants assez dramatiques, eux aussi.
Là-dessus, un loufiat aimable amène triomphalement le soufflé à l’orange, gros comme le champignon atomique d’Hiroshima.
— Comment avez-vous pensé que la Fouzitout s’était mise en cheville avec un type de chez nous ?
— Je savais, à cause de la plaque, que Stockfield avait été zingué par Stiburne. Ensuite, j’ai découvert que ma compatriote avait tué avec une arme de fort calibre un Noir qui venait de la violer. Je n’ignore pas que, dans votre beau pays, les armes à feu sont en vente libre, pourtant j’imaginais mal une petite femme allant faire l’emplette d’un riboustin de pro. J’ai eu un flash ; j’en ai souvent. L’association s’est imposée à mon esprit. Stockfield lui a refilé le soufflant pour qu’elle puisse se défendre en cas de rébecca.
Mon confrère yankee opine.
— Visionnaire, dans votre genre ?
— Toujours, c’est ce qui fait mon charme et ma force. J’ai très vite compris, Horace, que, dans notre métier, on ne doit pas s’arrêter court lorsqu’une piste cesse. Ce que nous ignorons, il nous faut l’inventer ; quand on est un véritable poulet, ça finit par être conforme à la vérité.
— Je vois.
Il remodèle la paire de couilles pour fabriquer les nichons de sa secrétaire qui possède des embouts very érectiles.
— Bon, vous me dites où sont les documents ?
— Dites, Horace, vous n’allez pas me prier de demeurer sur le continent amerloque jusqu’à l’aboutissement de votre enquête ?
Il rougit par-dessus sa couperose.
— Quelle idée ?
— Je suis un garçon qui phosphore beaucoup et qui, dans certains cas, a besoin de se surprotéger. Alors voilà ce que nous allons faire : nous quittons N.Y. ce soir à 23 heures par le Kennedy Airport. Venez nous accompagner. Grâce à vos fonctions, vous pourrez monter avec nous dans le zinc d’Air France qui est territoire français. Une fois nos ceintures bouclées, je vous mettrai au parfum. O.K. ?
Il a une grimace.
— O.K. Mais ma parole devrait suffire.
— De plus, enchaîné-je, je serais ravi que mon attaché d’ambassade de cousin soit avec vous. J’ai l’esprit de famille, que voulez-vous !