Son membre tuméfié ne pouvant souffrir le contact d’une étoffe, on a dû fabriquer une sorte de robe à panier au Gros afin que son chibre bénéficie d’un espace vital convenable. Oh ! certes, ainsi attifé, il ne ressemble pas à Marie-Antoinette, mais pour circuler dans un patelin où, le soir tombé, s’organise un carnaval, cette tenue apporte sa contribution à la liesse générale.
C’est Ivy qui, de ses doigts de fée, a confectionné le travesti d’Alexandre-Benoît, épouvantée qu’elle fut, la belle âme, par la vue d’une aussi belle chopine en si cruel état. Femme de cœur, femme d’élite, sans doute négligée par un époux dont je n’ai pas encore aperçu le visage (toujours dissimulé sous son livre), et qui parfois, au mépris de son salut éternel, doit céder aux exigences charnelles avec un partenaire de bonne fortune. Moi, en cette belle occurrence, car je compte bien, demain, dès potron-minet aller lui faire minette à l’heure où les maris — fussent-ils pasteurs — cuvent, libérant ainsi leur conjointe des liens pas si sacrés que ça du mariage.
Curieux comme s’organise, se compose et s’exalte la fête du banc à Morbac City.
Cela commence par des illuminations, naturellement, dont, au jour, je n’avais pas vu l’infrastructure. Des guirlandes d’ampoules de couleur rose cernent chaque demeure et des cœurs immenses, percés de flèches symboliques, sont tendus en travers de LA rue.
Des haut-parleurs brailleurs diffusent des musiques fanfaresques qui meurtrissent les tympans. Des tréteaux sont sortis, sur les planches desquels on amène des boissons variées, toutes alcoolisées. On trouve là du whisky, du punch, de la tequila, et même du vin californien.
Plus tard, les majorettes déboulent : culcul-jupe-ras-de-touffe, corselet rouge semé de cœurs dorés, fanfare que domine ce pachyderme de cuivre qu’est l’hélicon basse. Les baguettes des tambours frappent en cadence et se relèvent pour monter au ras des moustaches. Vient la horde travestie, puis les autres, les vioques, les pattemouilles qui se déguisent d’un nez rouge ou trait de crayon blanc sur la gueule. Drapeau américain ! Mêlées à toutes les sauces, les cinquante étoiles : burlingue présidentiel, la Lune, mon prose-sur-la-commode !
Quand le défilé parvient au fameux banc, il stoppe et entonne l’hymne à l’amour composé par un compositeur de l’Utah nommé Charlaz Navour, d’origine argentine, donc doué pour le rythme. Ces voix ! De toute beauté ; les larmes t’en salent les joues. Les amoureux font la bite (pardon : la queue) pour s’asseoir côte à côte sur ce siège de fonte légendaire. S’y roulent une galoche sous les applaudissements de la foule.
Après quoi, le défilé repart pour un tour, mais en marquant des stations devant les marchands de boissons. Et c’est alors que les libations commencent ; elles dégénèrent vite, au fil de ce chemin de croix, en ivresse collective, puis en noire beuverie. Moines, femmes, vieillards, enfants, tout le monde lichetrogne.
Ivy, embusquée derrière son rideau, regarde déferler la cohorte poivrée. Elle m’explique qu’elle ne supporte pas l’alcool, trouve son usage nocif et son abus dégradant. Son pasteur le tolère mal, mais son ministère lui fait un devoir de se mêler à l’ivresse publique, sinon il serait mis en quarantaine et c’est le Seigneur qui en pâtirait. Elle va le réveiller car il est temps qu’il aille passer une nouvelle couche. Thérapie de choc : café noir additionné d’ammoniaque, puis un bourbon et deux jus de citron mélangés. Après cette double ingurgitance, Marty se prend une douche froide, se rase et repart à la pêche aux âmes.
C’est un type plutôt neutre, au teint blafard, aux gros sourcils bruns, à la calvitie méthodique (lui, il est méthodiste). Il a laissé pousser ses cheveux sur la droite, et les ramène sur le front où il les maintient fixés à la gomina. Détail : il est affublé d’un bec-de-lièvre mal opéré qui donne à sa bouche l’aspect d’un glaïeul. Cela dit, c’est un homme de bonne taille, surtout du côté gauche où son épaule domine la droite de vingt bons centimètres.
Ivy me présente, mais il est encore sonné par sa biture de la nuit passée et ma présence chez lui l’indiffère ; je crois que, même s’il me voyait tirer sa gerce (ce qui ne saurait tarder), la chose ne le ferait pas sourciller.
Ivy l’assiste, lui sort des fringues propres, les lui passe et le fout à la porte ; tout cela en un temps record. Marty, la démarche évasive, s’intègre dans le cortège de soiffards où déambulent déjà mes quatre compagnons.
Nous sommes seuls, la dame et mézigue. J’ai la nuit et ma bite devant moi pour entreprendre cette femme de bonne rencontre, si suave dans sa mélancolie d’épouse résignée. Les femmes frustrées sont les meilleures à prendre. Une fois la lourde bouclarès à trois tours, je pousse un soupir capable de gonfler un pneu de bulldozer.
— Je vais baisser les rideaux, dit-elle, cette cacophonie est insoutenable. Comment peut-on participer à ce triste carnaval ? Les gens sont des enfants, et des enfants demeurés !
M’étant assis dans le canapé où roupillait son jules, je lui tends la main. Docile, elle me la prend, vient s’asseoir à mon côté, se laisse renverser de manière à avoir la tête sur mes genoux. Moment de douce félicité. Baiser, toujours baiser, soit, mais un instant d’abandon ne messied pas, comme disait un égoutier de mes relations. Je caresse doucement son visage, me penche par instants pour lui donner un baiser ou lui en prendre un. Le temps passe. On est cool.
— C’est bon, la France, murmure-t-elle, les paupières baissées.
Comme c’est bien dit ! Ça pourrait être de moi !
En geste de reconnaissance, je fourvoie ma dextre sous sa robe. Elle est nu-jambes ; sa peau est satinée, si douce… Le renflement de sa chatte sous le slip qui doit être blanc chez cette honnête créature. La toison élastique feutre ma caresse. Je tire légèrement sur son entre-deux Renaissance, puis expédie Mathieu et Babylas (mon médius et mon annulaire en chômage) dans des régions vénusiennes déjà noyées de plaisir, comme l’écrit Sa Majesté la comtesse de Paris dans « Quand j’étais jeune fille ou les Mémoires d’Henri III ».
La veuve Clito, c’est le plus joice des préambules. Ça vaut toutes les gaufrettes salées de chez Fauchon !
T’attaques circulaire. Tu balises l’entonnoir. Force centripète ! Une langue fourrée peut ajouter à la volupté. Rien brusquer : le temps est à nous. La nuit ! Quel beau cadeau qu’une nuit d’épanchements ! Mignonne allons voir si la rose…
J’aime mon existence butineuse. Je voltige de femme en femme, de bouche en bouche, de chatte en chatte. Tout recommence : la ronde des sens. Les gestes éprouvés. T’attends des réactions qui finissent par se produire, conformes à ce que tu espérais. Tu crées l’amour ! Tu le vis.
Elle ne dit mot.
Consent.
Passe le temps, sonne l’heure ; l’ennui s’enfuit, je demeure.
Ça s’éternise. Je me dis qu’il serait sot d’interrompre le sortilège pour jouer les cosaques du don (sans majuscule). Coltiner madame jusqu’à une couche, la dépiauter, l’entreprendre autrement. On verra plus tard : mañana ! Rien ne presse. J’aime lui tenir lieu d’oreiller. La caresser dans le silence de la maison cernée par le vacarme extérieur. Baiser sa bouche tout en touillant son frifri. La voilà qui se met à trembler. Oh ! ça annonce le grand départ, ça, je te le dis. La danse de Saint-Guy dans cette situation est éloquente. Le tremblement s’accentue. Elle chevrote comme saisie par le froid, alors qu’à l’extérieur, la température avoisine encore trente degrés Celsius. Son dargif manque m’échapper tant tellement qu’elle rodéote avec, Ivy ! Pas souvent qu’elle prend un panoche de cette envergure, la chérie. Et puis elle crie deux syllabes révélatrices :
— My God !
Ne se met pas à glapir des « Je jouis ! Je pars ! Je te donne tout ! » ou des conneries du genre. Non ; elle, épouse de pasteur, quand un amant la fait reluire, ça reste « Mon Dieu ! ». Beau, non ? Edifiant. Comme quoi tu peux te faire éclater la moule en conservant ta classe et ta dignité ! Foin de « Je la sens bien, ta grosse bite ! », voire de « Tu me défonces le pot, salaud ! » Ivy, simplement « Mon Dieu ». Oui, son God for ever, en toutes circonstances, adultère, pas adultère ! Je m’incline.
Après ces préliminaires, nous marquons une pause pour la publicité. Au cours de laquelle nous nous endormons. Elle, vaincue par trop de jouissance intense, moi par trop de fatigue non encore évacuée.
Dehors, les gaziers de Morbac City font un chahut de tous les diables.
Ce qui me sauve, c’est que cette maison soit en bois, comme j’ai eu le grand honneur et le vif plaisir de t’en informer y a pas si longtemps, cherche quelques pages plus avant, tu retrouveras.
C’est une succession de craquements qui m’alerte. Ils ont de particulier qu’on cherche visiblement à les étouffer. Il est à peu près certain que la personne qui se pointe nuitamment a ôté ses grolles.
San-Tonio toujours… prêt !
Je soulève mon hôtesse, ce qui a l’inconvénient de la réveiller.
— Qu’est-ce que ?…
La paume de ma main gauche l’empêche d’en causer plus.
— Chuuuut ! ponctué-je.
La dépose sur le divan, tout en lui faisant signe de se taire.
De mon doigt sorti de sa chatte et que je garde dressé, j’attire son attention.
Elle perçoit les craquements et répète « My God », mais pour une raison différente.
Là, je suis pris de court, comme disait une naine violée. J’aurais de l’outillage, je ferais le malin. Hélas, me voilà sans arme. J’opte pour la solution bateau, conne à chialer sur son plastron. Je me saisis d’un buste représentant Wagner et me place derrière la lourde. Il est heureux que le pasteur Marty soit un inconditionnel de « la Tétralogie », sinon je n’aurais eu qu’un éventail ancien à me mettre dans la poigne.
Les glissements craquants se rapprochent. Un effleurement. Le loquet de la porte se soulève, le battant s’écarte. Par l’ouverture qui se déclare le long des gonds, j’aperçois une silhouette de clown. J’en suis basourdi. Evidemment, il est fastoche de se déguiser en cette période débridée.
L’arrivant entre à pas de loup (je cherchais une métaphore originale, merci, my God, de me l’avoir soufflée). Il regarde la pièce plongée dans l’ombre et avise la dame récamièrement allongée. Comme il s’en approche, ton San-A adoré bondit en tenant un fameux compositeur allemand par le cou et l’abat sur la tronche du visiteur.
Mais le clown possède des réflexes de chat. Il me perçoit, volte. Dans sa rotation, il dérouille Wagner sur l’épaule.
La statue est en marbre (Wagner le mérite) ; la clavicule du type se brise (elle le mérite également). Le clown tenait un pistolet de sa main droite : il le lâche. Je file un coup de pompe dedans, l’arme file recta sous un meuble. Dès lors, le gars bat en tu sais quoi ? Oui : retraite. Je me précipite à sa suite. Comme son bris de clavicule ne l’empêche pas de courir, il est déjà à la porte.
Je crie :
— Halte, ou je tire !
Il s’arrête pas, je ne tire pas non plus vu qu’il n’y a qu’un flingue dans cette pièce et qu’il est pour l’instant sous un bahut double corps dont la partie supérieure forme vaisselier, ce qui a permis à Ivy d’étalager des assiettes faussement anciennes de fausse porcelaine en faux Delft que ça représente des cons d’Hollandais en costume national à la con devant des moulins à vent, cons également, et par définition, puisque l’on dit toujours « con comme un moulin à vent ».
Quand j’arrive à la porte, il est déjà dans la rue et, quand j’atteins la rue, le clown est dans une bagnole au volant de laquelle l’attendait un complice. Comme elle démarre en trombe, je ne puis la rejoindre. Fin peut-être provisoire de nos relations.
Retour auprès de ma dame pasteurisée.
Elle n’est pas trop commotionnée. Mon intrépidité augmente sa mouillance. Mon esprit de décision, l’efficacité de mon intervention, lui font bâiller la craquette.
Elle croit dur comme ma bite à un cambrioleur. La chose s’est déjà produite à Morbac City, pendant que ses habitants font les connards lors des festivités du banc ! Je la rassure au mieux, et comme l’appétit m’est revenu pendant ce somme de bête (et non pendant cette bête de somme), que mon bébé joufflu est déjà en train d’adresser mille grâces à mon hôtesse avec sa belle tête casquée armée suisse, je lui remets le couvert, avec comme variante une tournée d’inspection dans l’œil de bronze, ce qui ne va pas sans plaintes ni supplications ; mais les unes et les autres sont formulées d’un ton qui me permet d’espérer une imminente planification de ce nouveau type de rapport.
Je l’en conjure en lui chuchotant des promesses plus ou moins fallacieuses à propos de la complète disposition de son corps, ce qui est une forme d’affranchissement à laquelle une femme moderne ne doit pas se dérober, et puis que ça ne mange pas de pain et bouche toujours un trou.
L’opérant en douceur, avec le maximum d’égards qu’on peut témoigner à une dame dans cette situation, elle se rend à mes raisons et, qu’elle soit feinte ou sincère, paraît éprouver, en fin de compte, une vive satisfaction.
Je suis donc en totale possession de cette personne après ce nouvel exploit sexuel ; mais nous autres, les grands pros du cul, avons une manière quasiment humble d’assumer ces débordements. Notre virilité déferlante représente, à nos yeux, rien de plus que son diplôme pour un médecin ou un avocat. Elle nous est acquise, l’existence nous la fait exploiter et elle nous apporte des avantages dont nous devons remercier la Providence. Le grand Brassens a écrit (et chanté) qu’un don n’est rien qu’une sale manie ; pouvoir faire de la sale manie en question une règle de vie et la récompense permanente de notre corps par ailleurs si contraignant, est une faveur insigne qu’il convient de se faire pardonner en gardant la tête froide.
Un politicard dirait « raison garder ». Un jour, l’un de ces cons a lâché cette vieille formule en se faisant interviewer, et les autres l’ont reprise de volée, car ces enfoirés, n’importe leurs tendances, se piquent tout, sans vergogne, que ce soit leurs idées, leurs mots ou leurs tics.
Tout effort physique répété réclame du combustible ; aussi des gargouillements de ventre, peu gracieux, nous indiquent-ils que la faim se fait sentir. Ivy propose une dînette. Accepté, la grande ! D’où visite à son congélateur. Le désastre de Pavie (1525) ! Cette bouffe ricaine congelée filerait la gerbe à un rat malade. Qu’il s’agisse de poissons, de viandes ou de végétaux, les somptueuses étiquettes des emballages me flanquent une angoisse existentielle.
— Qu’est-ce qui vous plairait, darling ? elle me demande.
Puis-je lui répondre « rien » ?
Dans les cas désespérés, j’ai toujours, tu le sais, le geste qui sauve.
Je déponne la porte du simple réfrigérateur, ensuite celle d’un petit « économat ».
— Aimeriez-vous que je vous fasse de la french food, Lumière de ma vie ?
— Oh ! oui, dit Ivy en battant des mains.
Je me mets à grouper les denrées comestibles que je peux trouver dans ces armoires frigorifiques inhospitalières.
Crois-moi, ça sert d’avoir une maman comme ma Féloche. Bien qu’étant toujours resté simple spectateur, j’en ai emmagasiné, des recettes. Par osmose. Cela dit, lorsque j’étais mignard, je confectionnais des petites bouffes, parfois le jeudi (jour de congé scolaire d’alors). Des gâteaux, surtout, elle me faisait faire, m’man. Avec la peau du lait bouilli, je me souviens. Ou des quatre-quarts fastoches à réaliser. Les calories volaient bas ! Ah ! bonheur, que je n’avais pas reconnu au passage !
La Ivy, je parviens à lui servir une salade niçoise à peu près conforme, et ensuite, des œufs en sauce blanche sur du riz grillé.
Elle méduse pire que Géricault, tant c’est bon. Les Français, elle les voit démiurges, la tendre chérie. Tringleurs émérites, metteurs en fuite de truands, cuisiniers d’instinct. Un peuple de surdoués, elle estime. Qu’en plus on est marrants comme tout, tu trouves pas ? Sans cesse le bon mot aux lèvres ! Des comme nous, tu peux te lever de bonne heure pour en trouver ! Passer des annonces dans le Nouille York Times ou le Los Angeles Tribioune : zob !
Notre souper est adorable. D’amoureux. Je lui donne la becquée ! Elle me caresse le paf ! J’ai négligé le beaujolais en boîte dont le pasteur détenait quelques centilitres, pour boire du whisky (du vrai) en mangeant. Et pourtant, à part la vodka avec le caviar ou le saumon, je ne lichetrogne pas autre chose que du pinard, quand je clape.
L’ayant entraînée dans mon sillage (en mêlant du Coca à son scotch), elle est légèrement grise à la fin de notre bouffement. Alors je me dis que je pourrais peut-être bien joindre l’utile à l’agréable et je prends la photo de la pauvre Martine Fouzitout dans le tiroir du haut de ma veste.
Je lui salade que maman possédait une petite cousine dont elle n’a plus de nouvelles, qui avait quitté Paris pour la Californie. Un jour, elle lui avait écrit de Morbac City en lui adressant la photo ci-jointe ; Ivy se souviendrait-elle de l’avoir aperçue dans la rue principale et unique du patelin ?
Elle saisit l’image et, spontanément, déclare :
— Bien sûr que je la reconnais ; mais il y a déjà un certain temps que je ne l’ai plus revue.
Chère Ivy ! C’est Dieu qui, dans Sa grande et inépuisable bonté, m’a guidé sous votre toit !
— Vous pouvez me parler d’elle, adorable salope[12] ?
Elle continue de défrimer la très ancienne maîtresse du père Félix.
— Elle est venue à Morbac City de temps à autre, mais pendant quelques années.
— Elle passait plusieurs jours d’affilée ?
— Je ne le pense pas. A la longue, j’ai compris qu’elle arrivait par le car du matin et repartait par celui du soir.
— Elle rendait visite à quelqu’un, fatalement ?
— Oui : au cow-boy suisse.
Du coup, mes falots deviennent aussi larges que des phares de De Dion-Bouton.
— Le cow-boy suisse ? répété-je, indécis, et charmé quelque part en présence d’un tel sobriquet, moi si poète de partout.
— Il est très pittoresque, assure-t-elle.
— Vous pouvez me raconter ce type, mon petit cœur embrasé ?
Elle évasive de l’expression.
— C’est un vieil homme d’origine suisse qui vit dans la contrée depuis plusieurs décades. On l’a surnommé le cow-boy à cause de sa tenue, toujours pareille. Il porte un chapeau de cow-boy, une veste de daim effrangée, des santiags, et il s’est fait la tête de Buffalo Bill : moustaches longues, barbiche pointue ; un original, quoi !
— Pour ne pas dire un « timbré » ?
Elle rit et dit :
— Soyons charitables.
— Et c’est lui que ma petite cousine venait visiter ?
— Je les voyais souvent ensemble lorsqu’elle se trouvait ici.
— Où demeure cet étrange bonhomme ?
— A quelques miles à l’ouest, il a acheté un vieux ranch en ruine situé en plein désert. Il y vit seul et ne fréquente personne. Parfois, il vient à Morbac City pour les provisions, mais ne s’y attarde pas. Le temps de remplir sa Jeep déglinguée et il repart, comme un moine dans son monastère.
— Comment se nomme-t-il ?
— Je ne saurais vous le dire ; pour tout le monde, ici, c’est le cow-boy suisse.
— Par où passe-t-on pour aller chez lui ?
— Vous continuez la route deux miles encore après le motel de l’Indien, vous apercevrez alors sa maison, à main droite, au bout d’un chemin de terre. Vous ne pouvez pas la rater, c’est la seule construction où l’on trouve un arbre et quelques buissons.
— Ma parente se rendait chez lui comment ?
— A pied, je suppose. Je vous répète que c’est à deux miles environ d’ici. Peut-être faisait-elle du stop jusqu’à son chemin. Il se peut également qu’il soit venu l’attendre car il la ramenait au bus, le soir.
J’éprouve le besoin de regarder la photo que m’a remise la pauvre Grace ; à cause de cette main d’homme posée sur son genou. Grosse paluche aux tendons saillants, couverte de poils pâles.
Etaient-ils amants ? Parents ? Quels liens étranges les unissaient ? Et pourquoi cette visite mensuelle toujours fixée au premier vendredi ? Visite qui n’emballait pas Martine et qu’elle considérait un peu comme un pensum, aux dires de la servante noire du père Machicoule.
Le repas achevé, je l’aide à desservir. Maintenant que faire ? On ne va pas encore baiser ! J’ai les burnes à plat, moi ! Alors quoi, dormir ? Ce serait la sagesse même. Seulement il se fait un tel boucan dehors, que, pour fermer l’œil, il faut auparavant se boucher les oreilles.
J’emmène néanmoins Ivy jusqu’à sa matrimoniale couche ; l’y allonge, lui fais un petit bisou (je hais ce mot stupide) sur chaque sein, une légère languette sur le clito, après l’avoir bien dégagé de son emballage, de mes deux mains posées à plat.
Puis rabats sa chaste limouille nocturne.
Elle est peinardos pour roupiller. Quand son singe rentrera, il sera murgé à mort et s’écroulera sur le canapé du salon. Ces festivités représentent des espèces de vacances pour elle. Ah ! que d’épouses stagnent dans les grisailles du mariage ! Elles rêvassent en se caressant le doux trésor près de leurs gros sacs à merde de maris. Et la vie passe. Le temps s’enfuit, leur nostalgie demeure. Ah ! baisons, mes amis ! Baisons, baisons sans nous économiser toutes ces malheureuses restées en carafe sur le quai de gare de leurs illusions ! Plantons nos membres actifs dans leurs culs délaissés en leur chuchotant les mots que, depuis qu’elles furent fillettes, elles ont envie d’entendre. Disons-leur l’amour en le leur faisant ! Il s’agit là d’une œuvre pie (3,1416) ; d’une œuvre pine !
Je la borde en lui chuchotant des promesses concernant un bientôt enchanteur.
J’éprouve l’intime satisfaction des ménagères d’autrefois quand elles venaient de faire leur lessive mensuelle.
Dehors, un feu d’artifice crépite.
Rien que je trouve plus con au monde, ni plus décevant, que ces fugaces embrasements minutieusement élaborés et si vite anéantis. N’en subsiste qu’un peu de fumée entre les étoiles et nous, également une odeur de poudre et de carton brûlé. J’ai assisté, une nuit, à Marbella, à un féerique feu d’artifice, tiré chez un prince arabe, dont les sujets avaient faim. Il fêtait l’anniversaire de sa fille, la princesse Babouche, et les Rolls n’arrivaient pas à se parquer toutes aux abords de son palais. Je regardais monter et exploser en gerbes d’or ces configurations artificiaires, essayant de comprendre quel plaisir passager elles pouvaient bien donner à ces gens qui payaient cette séance de feu d’un torticolis mérité.
Malgré tout, je décide d’aller marcher un peu, histoire de me dégourdir les flûtes ; un spectacle pyrotechnique ne dure jamais très longtemps.
Y a de la viande soûle partout. L’alcool a déjà accompli une partie de son boulot. Les Ricains ont cela de commun avec leurs amis russes, qu’ils boivent sans discernement ; rapidos et en quantité.
On voit des hommes et des femmes, assis sur les trottoirs, dos aux façades, cuvant, accrochant les wagons, débloquant ou ronflant, tout respect humain banni.
Ceux qui se trouvent dans la phase intermédiaire, font des embardées dans la rue, flacon en main, flacon en poches (les prévoyants). Ça hurle, ça chante, ça célèbre la picole. Des couples font l’amour dans des bagnoles, presque au vu et suce de la foule. Des groupes entourent ces bagnoles-alcôves en tapant dans leurs mains pour encourager les protagonistes. Je vois un grand diable rouquin lancer à la foule, par la portière, la petite culotte de sa partenaire, tel un trophée durement acquis. Des garçons se battent en riant pour l’emparer. Ils la reniflent en yodlant ; l’un d’eux sort même son chibre pour en faire une hampe à ce délicat drapeau de l’amour.
Je pige que ces nuits de fête à Morbac City dégénèrent en orgies crapuleuses. Il n’existe plus de limites. C’est l’abandon total, la dégradation systématique. Dans les pays où les gens s’emmerdent, le vice devient ministre des loisirs.
On me bouscule. Trois gonzesses en goguette, plutôt jeunes, me prennent à partie et me demandent de leur payer à boire. J’ai grand mal à me dégriffer de ces pétasses. Le premier de mes compagnons que je trouve n’est autre que Pinuche. Il est assis sur une caisse de bourbon et ressemble à un échassier en somnolence. Il y a un côté grelotteux chez lui. Son clope n’est plus collé à sa bouche, mais à sa joue.
J’opère un premier sauvetage.
— César, vieux biquet, amène-toi, il est l’heure du dodo.
Et je le rentre chez le pasteur en le portant sur mon épaule. La chose est courante car on rencontre pas mal d’hommes agissant de même avec leur conjointe. Je me dis, l’ayant partiellement défringué et complètement couché, que mon altruisme ne doit pas s’arrêter là et qu’il me faut secourir mes trois autres guignolos.
C’est cela, aussi, avoir charge d’âmes !
Un rassemblement animé de cris m’attire irrésistiblement (certains de mes confrères, plus doués, diraient « comme un aimant »). Mon don du pressentiment m’annonce que si je m’approche, je vais découvrir Alexandre-Benoît Bérurier.
Je. Et c’est oui.
Imagine un grand cercle, au milieu de la chaussée. Cent personnes le composent. Au centre, deux types aux gabarits impressionnants, dont l’un est notre ami, avec sa crinoline. En face de lui, un malabar qui le dépasse de la tronche et qui porte un tee-shirt noir duquel émergent deux bras tatoués dont chacun ressemble à l’une des colonnes de l’église de la Madeleine. Sur le sol, près d’eux, il y a un chapeau.
Les assistants jettent quelques nickels dans ledit à titre d’encouragement. Que va-t-il se passer ? Car rien encore n’a débuté, j’arrive pour les prémices.
Ne voulant pas interrompre ce qui m’a l’air d’être un projet d’affrontement, en interpellant Béru, je m’enquiers de l’événement auprès d’un petit garçon qui, lorsqu’il se tourne vers moi, se révèle être mon petit copain Roy, notre chauffeur.
— Ah ! rebonsoir, Martien, me dit-il. Vous venez assister au duel de votre copain avec Teddy-le-Rouge ?
— Quel duel, môme ?
Il m’explique que, chaque nuit, il y a grand concours de gifles. Teddy en est le champion incontesté. Le jeu (si j’ose user d’un mot aussi anodin) est le suivant : les deux adversaires se placent face à face. Une personne de l’assistance tire au sort pour déterminer celui qui giflera le premier. Le gars envoie sa beigne. Ensuite, c’est au tour du second, et ainsi de suite jusqu’à ce que l’un des gifleurs déclare forfait ou soit k.-o. Pendant le combat, l’assistance jette du pognon dans un bada (en l’occurrence, ce soir, celui du « Petit Gibus ») et le vainqueur enfouille la fraîche. Comme on le voit, ce genre de compétition est très intellectuel et ne nécessite pas d’accessoires particulièrement sophistiqués puisqu’une simple main droite (gauche si l’on est gaucher) suffit.
L’arbitre est un gros homme portant l’étoile de shérif sur sa chemise à carreaux. Il sort une pièce de son pantalon et la tient brandie entre le pouce et l’index.
— Il va sûrement donner la priorité du départ à Teddy, me confie Roy. Ici, on n’aime pas les étrangers.
Il ajoute :
— Et si c’est le Rouge qui commence, m’étonnerait que le combat se poursuive, vu qu’il leur décolle la tête au premier chtard. Y a deux ans, il a tué le représentant de Coca-Cola d’entrée de jeu !
Devant de telles révélations, j’hésite à intervenir pour enjoindre au Mammouth d’abandonner, mais au point où en sont les choses, nous nous ferions tous lyncher.
Le shérif demande à Sa Majesté quel côté de la pièce il choisit. Mon pote ne comprend pas l’anglais, mais le geste est assez explicite.
— Face ! fait le Français.
Le shérif ne comprenant pas, il se tourne vers Teddy-le-Red :
— Heads or tails, Teddy ?
— Heads ! grommelle la brute.
— Gagné, répond le shérif en empochant sa pièce sans l’avoir lancée.
Belle impudeur, révélatrice de l’impartialité de l’arbitre.
— Quand tu veux, Teddy ! déclare ce dernier.
Mais le Rouge désigne le chapeau, il engueule l’assistance comme quoi il va pas démonter la hure de ce porc d’étranger pour une pincée de févettes. Tisonnés par ses sarcasmes, les spectateurs mettent la main à la poche et ça se met à pleuvoir dru dans le bitos de mon petit pote. Je m’avance pour balancer un talbin, ce faisant, je dis au Gros :
— Gaffe-toi de ce monstre, il allongerait un éléphant d’une mandale ! Ote au moins ton râtelier.
Alexandre-Benoît ricane :
— L’est déjà dans la poche à Félisque, vu qu’j’ai pas de froc, je dépose toujours mon damier quand on est dans la foule mais fais-toi pas d’souci, grand, j’l’attends venir, c’grand nœud !
La pluie de monnaie cesse. Teddy adresse une mimique renfrognée pour signifier que, bon, il va démarrer la séance.
Il fait la manivelle avec son bras pour s’échauffer, puis se masse le poignet et enfin prend bien le sol de ses pieds afin d’affirmer son assise.
Béru attend, le regard coagulé. Chose impensable, il n’est pas ivre, ou à peine. Lui aussi se campe bien. Je note que sa joue gauche (qui va déguster la baffe) est gonflée. Je pige l’astuce : il constitue une sorte de coussin d’air pour amortir l’impact.
Teddy-le-Rouge décrit deux moulinets et balance. Ça fait un bruit flasque. La trombine du Mastard décrit une embardée, ses deux pieds perdent leur adhérence, il titube. Un moment on peut croire qu’il va s’écrouler. « Les chênes qu’on abat » ! disait Malraux. Ce chêne-là vient de morfler un sacré coup de cognée ! Ses lotos font un tracé plat, puis s’animent et se mettent à gambader dans leurs orbites.
Un temps. L’homme Béru crache.
Rouge.
Lentement, il masse sa grosse joue qui violit comme, en été, un ciel de couchant.
— Bien jeté, l’Arménien ! murmure mon ami qui, d’ordinaire, use de cette expression lorsqu’il entend autrui proférer un pet de l’ampleur des siens.
Enfin, il se consacre à ses préparatifs et se met à étudier son vis-à-vis.
— L’est plus grand qu’moi, soupire-t-il. Faut qu’ j’vais m’hausser su’ la pointe des pinceaux pou’ l’ cigogner ; d’ c’fait, j’n’aurai pu mon équilib’.
Je devine que le Gros se pose un problème et tente de négocier la situation afin de gagner un max en efficacité.
— T’sais, Sana, me jette-t-il, si je m’l’paie pas c’t’fois, j’sus marron, biscotte une deuxième tarte aux quetsches comme celle qu’y vient d’m’ balancer, j’irai pas plus loin !
Soudain, l’arbitre intervient pour ordonner à Béru d’ôter son alliance qu’il porte à la main droite depuis qu’une fracture de son annulaire gauche l’a déformé.
Le Mammouth s’exécute de mauvaise grâce et met l’anneau qui le vassalise dans ma poche.
Et après, tout se déroule très vite. Alexandre-Benoît lève la tête et module un « Oôôô ! » irrésistible, tout le monde regarde en l’air spontanément, y compris son adversaire. Et là, Mister Mammouth place sa mandale surchoix. Fulgurante, puissante mais sans moulinets préalables, sans roulades avantageuses. Le rouquin dérouille puisqu’il pousse un cri inarticulé, qu’il se met à suffoquer, pose un genou à terre, ouvre sa gueule comme un boa qui s’étouffe en bouffant un lapin angora.
Pendant ce temps, Béru frotte sa main gifleuse avec sa main libre pour, probablement, la désendolorir ; mais, aussitôt après, il murmure :
— Félicite-moive, grand. Ta main, vite !
Je la lui tends, il la secoue énergiquement et profite de ce handshake pour me restituer mon couteau suisse qu’il avait piqué dans ma fouille en y mettant son anneau. Je fais disparaître l’objet.
Pendant ce rapide manège, Teddy-le-Rouge s’est allongé sur la chaussée, évanoui.
Lors, la populace se met à congratuler le vainqueur : toujours, les foules ! Avec elles, c’est « malheur à qui reste en route » ; un homme terrassé est un homme désaimé.
Le Dodu a la victoire noble. Juste un sourire (et encore celui-ci le fait souffrir car sa joue gauche a triplé de volume et sa bouche a la position d’un accent aigu).
— Tu veux bien ramasser ma fraîche ? me demande-t-il. Avec mon cul et ma bite en compote, j’peux à peine m’ baisser.
Je lui rends ce service. La comptée est de cinquante-quatre dollars. Magnanime, le héros décide de les boire en compagnie du vaincu, lequel reprend ses esprits tant mal que bien.
— Pourquoi lui avoir fait lever la tête avant de cogner, Gros ? m’enquiers-je.
Il révèle :
— J’ l’eusse jamais couché n’avec une baffe ordinaire, mec. Alors j’ai décidé d’y mett’ la sauce au larinsque. Pour ça, fallait qu’y l’vasse la tronche, comprends-t-il-tu ? J’t’nais ton lingue en main, coincé ent’ mon pouce et l’auriculier[13] ; ça n’métonn’rait pas qu’ j’ l’eusse broilié quéqu’ carthages du corgnolon !
Effectivement, le Red est aphone et semble respirer avec une paille.
Je quitte les combattants pour me mettre en quête de Félix et du Marquis.