L’église Santo Prosibus est modeste. Très ricaine : mi-pierre, mi-bois ; mi-figue, mi-raisin. Clocher minuscule d’où sort la cloche comme une orchite double d’une braguette.
Le père Machicoule est occupé à cueillir les dattes de son jardin lorsque nous survenons, Pinuche et moi ; d’énormes fruits gros comme des saucisses de Francfort, charnus, mielleux et presque sans noyau.
L’ecclésiastique porte un long short qui découvre ses jambes velues, un tee-shirt blanc sur lequel est imprimée une pub pour Coca, des tennis éculés, une barbe profuse, des lunettes de soleil à monture de plastique bleu. Il pète en trombe toutes les vingt secondes, because, nous apprendra-t-il, il se nourrit exclusivement de lait et de chili sin carne, plus du bourbon si j’en crois son pif pareil à une fraise de Bû (Eure-et-Loir) primée dans un comice.
Son nom me donnant à espérer qu’il est français, c’est dans la langue des frères Corneille (tous deux de l’Académie française) que je lui adresse la parole. Une fois de plus, ma sagacité n’est pas prise en défaut puisqu’il se signe en disant :
— Merci, Seigneur : des compatriotes !
La glace est rompue et sert à rafraîchir les verres de whisky qu’il s’est hâté de remplir après nous avoir entraînés à sa cure.
Illico, on pige que ce prêtre croit en Dieu, aime la vie et, qu’accessoirement, les plaisirs d’ici-bas ne lui posent pas de problèmes majeurs.
— Appelez-moi Raymond, nous demande-t-il, gagné qu’il est aux coutumes de familiarité d’outre-Atlantique.
On gorgeonne en triangle. Il a la verse facile, le père Machicoule.
Sa servante, une grosse fille noire, plantureuse comme un Saint-Honoré à la crème, va quérir une seconde boutanche de Four Roses[4]. Quand elle l’apporte, Raymond lui flatte les meules de sa main consacreuse, ce qui paraît être agréable à la dondon black.
Le père ne s’informant pas de l’objet de notre visite, je le lui expose en termes concis (s’il était rabbin, je le ferais en termes circoncis).
— Ah ! la môme Martine ! fait-il en s’assombrissant ; en voilà une qui m’a donné bien du tracas.
— De quoi est-elle morte ?
— D’un ictère négligé, mon cher ami.
— Pas du tout de mort violente ?
— Pensez-vous ! La pauvre gosse à traîné des mois dans un hôpital de Pasadena. Je lui ai porté l’extrême-onction la veille de son décès. En même temps, j’ai glissé sous ses draps une bouteille de vin, ces cons de médecins lui refusant tout alcool alors qu’ils la savaient archifoutue !
— Elle picolait ?
Il écluse son godet et essuie sa barbe avec son mouchoir, du breuvage s’y étant fourvoyé.
— C’est pas le verbe qui convient ! Sur la fin, elle aurait pu s’enquiller son pinard en intraveineuses, elle n’aurait pas hésité !
— Elle avait un copain ?
— Pas un, des ! Elle avait les fesses généreuses, la mère ! Pas regardante sur ses partenaires, elle s’appuyait de tout, y compris des coloured et ça n’est pas très bien vu ici.
— Vous la connaissiez depuis longtemps ?
— Une bonne dizaine d’années. Un jour, grâce à un retour de sa foi, elle s’est mise en quête d’un prêtre français et m’a déniché.
— Que lui était-il arrivé, qui motive ce retour à Dieu ?
Raymond emplit nos glasses pour la énième fois :
— Secret de la confession, mon pote !
— Elle vivait comment à Venice ?
— Plutôt pas mal.
— Elle travaillait dans quoi ?
— Dans rien de précis, au début elle avait été femme de salle dans un hosto, mais elle avait lâché, et, depuis, passait ses occupations sous silence.
— Mais elle avait du fric ?
— Suffisamment pour bien vivre, malgré la modestie de sa maison. Il lui arrivait souvent de m’allonger une pincée de verdâtres.
— Prostitution ?
— Qui sait… Après tout, c’était son cul, non ?
— Elle buvait déjà, au début de vos relations ?
— Oui, mais cela n’avait rien de commun avec les muflées des toutes dernières années.
— Elle ne vous a jamais fait part d’un danger qui l’aurait menacée ?
— Si : celui que constituait sa maladie.
— Elle se savait fichue ?
— Naturellement, et même…
— Oui ?
— Non seulement elle ne redoutait pas la mort, mais on aurait dit qu’elle la souhaitait. Il existait chez elle une sorte d’inaptitude à vivre ; un désenchantement profond. Mais buvez donc, mes french boys, vous préféreriez du vin ?
— Cher Raymond, nous achevons la deuxième bouteille de raide, cela suffit.
Pinuche qui somnolait derrière son mégot réagit.
— Mon père, fait-il, cela vous ennuierait de m’écouter en confession ? Il y a très longtemps que je n’ai soulagé ma conscience.
— Depuis quand ?
— Ma première communion.
— Ben mon pote, il va falloir préparer la chose, assure le père Machicoule. Vous vous rendez compte de ce que vous avez à déballer ?
— Vous savez, Raymond, c’est une belle âme, certifié-je ; ça ne devrait pas être trop compliqué !
Vaincu par ma caution, Raymond se lève, pète un coup sec et se dirige vers sa chapelle.
— Opération de nettoiement, gouaille le religieux, la voirie, en voiture !
Exit les deux. La servante noire met à profit pour venir me chambrer avec son regard de braise et son quintal de nichons.
Elle me sourit.
Sa bouche en chambre à air de camion s’entrouvre pour suggérer une propose sexuelle que je redoute cannibale.
Elle soupire avec les seize litres d’oxygène emmagasinés dans ses soufflets.
— What is your name ? je la questionne pour meubler.
— Grace.
J’ai envie de lui demander si cela s’écrit avec un « c » ou deux « s », mais le jeu de mots serait intraduisible en californien.
— Grace, l’attaqué-je, vous avez connu Miss Martine, une amie française du père ?
— Qui est morte récemment ? Bien sûr que je l’ai connue ; elle venait si souvent ici !
— Quelle genre de femme était-ce ?
La grosse servante fait la moue et sa chambre à air de camion devient une chambre à air de Boeing 707.
— Sympathique, mais elle…
Elle fait le pouce de l’auto-stoppeur à la hauteur de sa bouche pour exprimer la picole.
— Comme le père aime bien ça également, à la fin du jour ils étaient raide blindés.
— Vous lui avez parlé seule à seule quelquefois ?
— Pendant que le père devait s’absenter, je lui tenais compagnie, oui.
— Entre femmes, on se fait des confidences ; elle ne vous a jamais parlé de ses occupations ?
— Non, mais je pensais qu’elle vivait de ses rentes.
— Et de ses relations, elle y a fait allusion ? La grosse fille va pour dénégater, puis se ravise, éclairée de l’intérieur par une idée subite.
— Si, un jour ; elle avait beaucoup bu en attendant Raymond appelé pour une extrême-onction par des Mexicanos du coin, elle a dit « Demain, faut que j’aille dans l’Utah ; rien qui me fatigue autant que ce putain de Salt Lake Desert ! » « Vous y allez souvent ? » que je lui ai demandé. « Chaque premier vendredi du mois, et j’y attrape une pépie du diable », elle m’a répondu.
Grace, la grasse, se rapproche de moi.
— Vous la connaissiez, Martine ?
— Non et j’essaie de m’en faire une idée. Elle vous a parlé de la personne qu’elle allait voir là-bas ?
— J’ai essayé de la questionner, mais elle s’est mise en boule, comme un hérisson tracassé par un chien. C’était son secret et il était pas question qu’elle s’en sépare ! Tête de pioche ! comme dit Raymond.
Le logis du religieux est assez propre grâce à Grace pleine de grâces, mais dénuemental. Juste le fonctionnel extrême.
— Vous aimeriez que je vous fasse une pipe française ? s’informe l’obligeante servante.
Un peu surpris, mais je m’attends toujours à tout, ce qui me permet de faire du slalom avec l’infarctus, je m’enquiers de la différence existant entre une pipe française et une pipe américaine, par exemple.
— Dans la pipe française, on va jusqu’au bout, m’assure cette charmante fille.
— Qui vous l’a enseignée ? risqué-je en me préparant à un signe de croix clandestin pour conjurer la réponse que je crains.
— Un neveu de Raymond qui est passé le voir pendant son voyage de noces aux States.
Je salue mentalement ce courageux garçon qui a trouvé le moyen de parachever l’éducation sexuelle d’une Noire méritante alors qu’il accomplissait cette dure corvée qu’on qualifie de « voyage de noces ».
Mais soulagé par l’identité du professeur que je redoutais autre, moi catholique apostolique romain, je caresse les mahousses doudounes de la brave fille, tout en déclinant son offre. Ses robloches sont durs comme deux ballons de rugby.
— Dites, Grace, il en met du temps à confesser mon pote, le Raymond !
— Peut-être qu’il a beaucoup de péchés sur la conscience ! hypothèse-t-elle.
— Ça m’étonnerait : il n’y a pas meilleur type que César Pinaud ; excepté quelques cuites et quelques adultères bâclés, j’imagine mal ce qu’il pourrait dire.
Comme un quart d’heure plus tard le prêtre et son pénitent ne sont toujours pas là, je m’organise en patrouille de reconnaissance pour aller aux nouvelles.
L’église, dans ce quartier de Westchester, est très sobre, sans trop de ces saint-sulpiceries qui donnent à penser que le paradis est un endroit kitsch peuplé d’anges et de saints inventés pour les besoins d’un film que Walt Disney aurait renoncé à tourner.
La loupiote rouge du tabernacle évoque la présence du Seigneur. Un bruit de soufflerie retentit, avec des ratés. Je m’approche de l’unique confessionnal et découvre Pinaud endormi dans le compartiment du pénitent. Je tire le rideau de dentelle isolant le confesseur et m’aperçois que le père Machicoule en fait autant, et qu’en plus il pète son chili sin carne des derniers jours.
La confession, dans sa monotonie, a complété l’œuvre du bourbon. Sous la garde du Seigneur, le religieux et le civil en écrasent, unis dans une suave absolution.
Vaincu par la majesté d’un tel sommeil, je retourne à la sacristie où Grace vient de commencer son chili du soir. Les petits haricots noirs ressemblent à des yeux de rats.
La fille me désigne une photographie posée près de la bassine où trempent les graines sombres.
— J’ai trouvé une photo de Martine dans le tiroir de la table de nuit de Raymond, annonce-t-elle.
Vitos, je cramponne l’image. Ça représente une femme brune, d’environ trente-cinq ans, avec des accroche-cœur sur le front. Je trouve qu’elle ressemble à Violette Nozière. Elle a le regard clair et grave, porte une petite robe blanche à col vert. Elle sourit à l’objectif, mais d’un air pas heureux le moindre. Il existe en elle un je-ne-sais-quoi qui fait « fripé de l’intérieur ».
Sur le cliché, elle se tient assise devant un massif de fleurs. Il y a une grosse main d’homme posée sur son genou, mais on ne voit pas l’homme.
Au-delà des fleurs, très au-delà, on distingue un panneau indicateur dont il ne m’est pas possible de déchiffrer les lettres qu’il porte.
— Vous permettez ? dis-je en enfouillant la photo. Je la rapporterai plus tard.
Elle s’en fout, Grace, de ce bout de carton. Ma présence survolte sa glandaille, sa forte poitrine fait le poumon d’acier : elle pistonne à tout berzingue. Tu sais qu’elle serait mignonne toute pleine (Béru dixit) cette Noiraude si elle pesait cent livres de moins ?
— C’est dommage…, dit-elle.
— Qu’est-ce qui est dommage ?
— Que vous ne vouliez pas une pipe française ; j’adore ça ! Mais je ne suis pas assez belle pour vous, évidemment.
Les mots sont prononcés sans rancœur, sur le mode constatatoire.
— Pas du tout ! récrié-je. Vous êtes superbe !
— C’est parce que je suis noire ?
— Au contraire, c’est excitant !
— Eh bien, alors ?
Moi, tu me connais : tout plutôt que de passer pour un raciste !
— D’accord pour un petit turlute, ma puce.
Sa frime s’éclaire au néon.
Elle tombe à genoux pour remercier Dieu et ouvrir ma braguette.
Le père Machicoule a insisté pour qu’on partage son chili vespéral, mais j’ai prétexté que nous étions attendus et on a pu s’arracher.
Je conservais de cette visite une impression assez lumineuse, comme chaque fois que j’approche un véritable brave homme. La pipe de Grace avait été somptueuse : on devrait toujours se laisser pomper le nœud par des Noires. Leur bouche a une épaisseur, un velouté irremplaçables et je me félicitais d’avoir cédé à ses instances : elle méritait le détour. Le neveu de Raymond avait admirablement « colonisé » cette belle âme !
L’après-midi avançait. On s’est fait driver « chez » M. Félix. J’avais omis de lui réclamer la clé de « sa » maison californienne, mais avec mon inséparable sésame, j’emmerde toutes les serrures, ricaines ou pas.
Cette fois, je me suis attaché à l’exploration des tiroirs parce que ce sont eux qui « contiennent » les informations relatives à un individu : lettres, factures, papiers officiels.
Ça bordélisait dur dans ce secteur. J’avais du mal à déponner certains d’entre eux, tellement on y avait fourré de choses, comme ça, en vrac, sans se donner la peine d’envisager un quelconque classement.
Dans un premier temps, j’ai sélectionné les papelards de banque, dans un second les factures et dans un troisième les bafouilles privées. Pinuche m’a aidé. Il est lent mais précis, le Vioque. Sa main tremble mais ne rompt pas. On a fourré notre provende dans trois sacs de supermarché, et puis on a regagné la résidence d’Harold J.B. Chesterton-Levy. Je me promettais d’examiner notre récolte à tête reposée. J’avais, en outre, emporté un dessin de René Magritte.
Comme on roulait vers Malibu, César a murmuré :
— Pourquoi cette enquête en règle sur la fille Fouzitout, Antoine ? Qu’est-ce qui te tracasse chez elle ? Elle est morte de sa bonne mort, aux dires du père. Se sachant perdue, et n’ayant plus de famille, il est normal qu’elle ait voulu laisser ce qu’elle possédait à quelqu’un dont elle conservait un souvenir ébloui ! Je gage qu’avec son sexe effarant, Félix a fortement marqué sa mémoire.
— Et son cul, donc ! n’ai-je pu me retenir d’ajouter.
Baderne-Baderne a tourné vers moi le dessin dont je m’étais muni.
— On dirait un vrai, non ?
— C’en est un. Tu connais Magritte ?
— Pour qui me prends-tu !
— C’est beau, la culture, apprécié-je (éjectable).
Le big boss de la Gloria Hollywood Pictures est arrivé car sa grosse Rolls Royce blanche, qui bat pavillon de sa compagnie, est stoppée devant le perron.
Nous le trouvons dans le grand salon, armé d’un bigophone sans fil. Il aboie dedans, tout en jetant des ordres à deux secrétaires blondes munies de blocs et de crayons (il n’y a pas un autre pays en ce monde où l’on use autant du simple crayon). Ces businessmen, ils ont le cerveau de Poléon Pommier pour pouvoir déployer une telle activité ; tu piges pourquoi ils claquent autant du guignol ou plongent dans l’océan depuis le pont de leur yacht. Surmenage ! Chesterton-Levy, il doit déglander avec un casque d’écoute sur les baffles, déféquer devant des écrans d’ordinateurs, manger en écoutant les cours de la Bourse et dormir devant un enregistreur, des fois qu’il lui viendrait des idées juteuses pendant sa roupille.
M’apercevant, il m’adresse un hochement de tête, crache encore quelques paroles bien senties dans son bigophone et m’interpelle :
— Hé ! le french impresario ! j’ai fait préparer un contrat, Miss Angela va vous le donner à lire, si tout est O.K. vous le signez et, dès mercredi, vos anormaux s’amènent au studio.
Ayant entendu son blase, la raide miss vient me bicher par une aile et m’entraîne dans un fumoir voisin, pièce délicate, tendue de velours de couleur tabac blond, que décorent un Watteau et deux Sisley. Une cheminée de cuivre ouvragé héberge un feu de bûches électrique que Jeanne d’Arc aurait regretté de ne pas avoir sur son bûcher.
Angela me tend une chemise luxueuse, en cuir repoussé, frappée aux armes de la Gloria Hollywood Pictures.
A l’intérieur, un contrat de vingt-deux pages, tiré en sept exemplaires. Pour la première fois, la collaboratrice du grand produc paraît s’humaniser et faire relâche.
— Vous ne prendriez pas un drink ? propose-t-elle.
— Avec vous, très volontiers, mais s’il s’agit d’un coup de rouge au facteur, non : je déteste boire seul.
Nouveau sourire.
Elle va ouvrir à deux battants un meuble d’acajou qui sert de bar. Il est plein de flacons avec tout le matériel de manœuvre.
— Genre whisky, ou plus élaboré ? elle questionne.
— Je boirai comme vous, à condition que ça ne soit pas de l’eau, douce Angela.
La voilà partie à bricoler des bouteilles pour un cocktail aussi riche en calories qu’un banquet de charcutiers.
Différentes couleurs se rencontrent, mélangent, conjuguent. Ça s’achève par des glaçons et un touillage consciencieux à la cuiller à long bec emmanchée d’un long cou.
Elle me décerne un godet embué dans lequel le bleu domine.
— Goûtez si ça vous va.
Je goûte. Ça me va. Et le contrat de Mister Harold J.B. Chesterton-Levy aussi, me va. Tu sais quoi ? Il propose à mes trois phénomènes du nœud une semaine de tournage pour réaliser en commun un film X. Il a fait écrire le scénario dans l’après-midi par une de ses équipes « writeuses » (il en a seize, composées chacune d’une centaine de mecs douillés au mois !).
Le résultat de ce travail éclair est enthousiasmant.
Que je te narre !
C’est l’histoire d’un couple de jeunes mariés (robe blanche, fleurs d’oranger, habit) qui vient passer sa nuit de noces dans un luxueux motel.
A peine la lourde fermée, le nouvel époux se jette sur sa femme, la trousse, déculotte et broute avec l’appétit d’une vache savoyarde qu’on remet au pré à l’arrivée des jonquilles.
Cette première et classique phase d’entrée en matière accomplie, le monsieur sort son panoche afin de souscrire aux lois des hommes qui, exceptionnellement, coïncident avec celles de Dieu, car l’enfourchement de bobonne est prescrit par les autorités et le Seigneur avec une même vigueur. Par la suite, tu dois faire avec les humains, car avec Dieu, t’as plus droit à l’erreur.
Donc, le julot veut accomplir son devoir matrimonial. Mais là : un os dans la noce, comme je dis puis volontiers.
Il est trop fort monté pour le frisounet de la petite médème. Il insiste ! Elle regimbe. Il re-insiste : elle chiale. N’empêche le Dracula d’alcôve entend mener à bien sa mission. C’est gentil de paumer sa liberté pour une gonzesse, mais si cette dernière a le hayon trop étroit pour héberger Coquette, il va devenir quoi t’est-ce, leur couple ? Nouveaux essais aussi infructueux que les précédents. Le gazier va au drug’s acheter de la vaseline : que tchi ! La pauvrette continue à héler sa maman, quand l’autre taureau essaie d’engager sa tête de nœud. Elle hurle : maman, papa, mémé, oncle Romuald, cousin Johnny (il lui titillait la chattoune quand ils jouaient à cache-cache, jadis), c’est l’échec.
Le couple tient conseil. Le mari, pragmatique, se résout à une soluce : qu’elle aille se faire débigorner le mollusque par un zigomar membré menu et ensuite les voies royales du Seigneur lui seront accessibles.
Alors voilà la môme consentante. Elle va toquer au bungalow voisin et qui lui ouvre ? Bérurier. La mignonnette expose son problo. Le Gros est partant. Nouvelle minouche lubrifiante, Alexandre-Benoît dégaine ! Alors là, c’est le passage des quarantièmes mugissants ! Devant un gourdin deux fois plus gros que celui du mari, la mariée se sauve dans sa robe blanche qui commence à friper dur.
Seconde tentative, chez Mister Félix. Ce presque vieillard si serein, si apparemment doux la met en fiance. Mais le hic : bande-t-il toujours ? Il pose son bénouze. L’horreur ! Le cauchemar à son paroxysme ! La pauvrette repart à sa quête au zob.
La suite, tu la sais déjà, l’ayant devinée depuis lulure. Oui : elle se rend chez le Marquis. Là, nouvel espoir. Il est encore jeune, bien découplé comme on disait au temps de ma grand-mère. Elle est confiante quand il l’allonge sur son pucier. Elle éteint tout, ferme les yeux par surcroît de précautions. Elle attend. Ne se passe rien d’important. C’est son genou qu’il lui frotte contre l’entrecuisse. Ça va cinq minutes, mais il est temps d’enchaîner. Qu’un gus te rassasie à la minette tyrolienne, passe encore, le cunnilingus est l’adjuvant de service de l’amour, en maintes circonstances, et conduit une dame au plaisir, vaille que vaille. Sans lui, la vieillesse de l’homme deviendrait insupportable. Et même l’individu en pleine possession de ses moyens sud y puise des félicités essentielles à son équilibre psychique.
Alors, la mariée qui commence à en avoir class, au point de regretter que son voile ne soit point celui du Carmel, redonne la lumière.
Sur l’instant elle ne comprend pas. Pour être enregistrée par nos sens, la réalité se doit d’être concevable. Mais là ! Hein, dis, là ? Cette jambe supplémentaire qui déguise le Marquis en trépied, comment réaliser qu’elle n’est pas une jambe ?
Il lui faut du temps pour saisir. Le fantastique nous envoûte parce qu’il nous déconcerte, et elle est envoûtée, la mariée. Reprend tout au départ : voyons, elle commence où, cette chose, ce conduit en forme de trompe de mammouth ? Au bas-ventre, n’est-ce pas ? Et elle se termine où ? Dans le vide : elle est dressée avec un énorme fruit rouge à son extrémité. Si elle tient au bas-ventre, où est le zifolo farceur du monsieur ? N’en a pas ? Alors s’il n’a pas « autre chose », c’est donc que c’est cela, sa biroute, do you know, baby ?
Et c’est là que l’indicible l’empare, la jeune mariée ! Elle pousse une clameur si démente que le mari, en alerte, accourt.
Un homme ! Il a servi dans les marines !
Il dit à sa bien-aimée de se shooter jusque dans leur piaule et qu’ils aviseront.
Puis, retrouvant ses instincts homo d’adolescent, il se met à lécher le gland forcené du Marquis !
The End !
L’œuvre est belle dans sa sobriété, d’un dépouillement qui confine au classicisme. L’équipe des scénaristes propose une seconde fin qui serait de voir la jeune mariée s’écarquiller l’espace bital au moyen d’une courgette. Ils prônent la poésie. Or, qu’y a-t-il de plus émouvant qu’une jeune fille dans ses voiles de noce, la robe remontée, en train de paître du bas ce végétal à forme phallique ? On mettrait la marche de Mendelssohn en final, sur le gros plan de la courgette libératrice, et ce serait d’une grande envolée.
Ayant pris connaissance du synopsis, je passe au contrat proprement dit. Il ne lésine pas, le produc, puisqu’il propose un forfait d’un million de dollars à nous partager, charge à moi de procéder à la répartition.
— Correct ? demande Miss Angela avec un troisième sourire encore plus savoureux que les deux précédents, au point que je le lui boufferais volontiers sur les lèvres.
— Ça peut aller, admets-je. Mais avant de signer ce papier, je dois préalablement consulter mes partenaires pour accord.
Entre nous, les castors mis à part, je ne vois pas d’autres mammifères capables de faire aussi bien avec leurs queues !
Naturellement, le prof et son débile cocoricant sont ravis. Nous convenons sans barguigner que Pinaud prendra vingt pour cent de la mise afin de se rembourser des débours concernant notre voyage, et que le reste sera divisé en trois. Car, malgré leur insistance, je décline toute commission, n’étant point homme à monnayer la bite de ses amis. Il existe en moi une grande pureté, concernant le fric et l’honnêteté, qui confine à la maniaquerie. Papa et maman m’ont éduqué ainsi, et mémé de même chez qui j’ai passé bien du bon temps. Respecter le bien d’autrui est un précepte fondamental chez nous autres Dauphinois. Oh ! certes, il y a probablement dans nos campagnes quelques noctambules déplaceurs de bornes ou vendangeurs de vin de lune[5], mais il s’agit là d’une toute petite minorité. Nos paysans aiment trop l’argent pour ne pas respecter celui des autres.
— Eh bien, conclus-je, il ne reste plus qu’à aller prendre des nouvelles de Béru en lui apprenant celle-là.
A peine ai-je décidé qu’un tapage éclate dans le hall, au sein duquel, telle une mère de vinaigrier, agit l’organe inimitable du Gros.
— Y sont laguches, mes potes ? barrit le Mammouth.
Nous nous ruons pour le lui démontrer. Béru s’agite entre deux infirmiers très embêtés. Sa mise est troublante puisqu’il a découpé tout le fond de son pantalon pour laisser s’épanouir un cul énorme et flamboyant, bien plus gros et saignant que celui du chimpanzé qu’on lui destinait.
La chose monstrueuse comprend des boursouflures, par-dessus l’enflure initiale, sommées soit de plaies vives, soit de plaques sanieuses où s’enchevêtrent des filaments de verte purulence.
En nous apercevant, il se calme.
— Les mecs ! sanglote l’Obèse au dargeot simiesque. O mes bons mecs, si vous sauriez l’aventure dont j’viens d’échapper. Ces cons ricains voulaient m’découper l’prose pour m’greffer un dargif d’singe ! V’v’rendez-vous compte ? Béru av’c une courge au der ! Y sont barges dans c’te principauté, merde ! Comment qu’j’ai mis les voiles. Y voulaient m’garder d’force. C’qui les a retiendus c’est d’savoir qu’on habite chez le grand producteur Trucmuche-Levy ! Ici, l’blé, la situasse, ça impressionne davantage qu’alieurs. Pour pouvoir enfiler mon grimpant, j’ai dû pratiquer une ébréchure dans l’fond, mais j’ai gardé l’morcif, histoire d’l’faire estopper. J’sais, maint’nant, c’dont qu’il m’a produit c’te carnerie : la plante d’l’hôtel qu’j’m’ai servi d’ses feuilles v’loutées pour m’détartrer l’oigne. J’vas les attaquer endommagé-enterré[6].
Il respire profondément, s’approche d’un immense miroir soleil accroché dans le hall, ajuste une distance propice et se baisse, le fessier tourné vers la glace, essayant de mesurer l’importance du sinistre à travers ses jambes écartées. Seulement, son ventre… Alors, il se redresse pour opérer d’autres contorsions.
— Importe quel tribunal, voiliant un fion pareil, m’voterera au moins vingt mille balles d’réparation ! affirme-t-il. Y sont pincecornés dans c’t’hôtel d’laisser une plante comme ça en circulation !
Le maître absolu de la Gloria Hollywood Pictures est venu à la rameute, flanqué de son brain-trust.
Ce cul sinistré lui désoblige l’estomac et voilà qu’il se met à vomir dans le décolleté d’une de ses secrétaires.
— Emmenez ça ! Emmenez ça ! enjoint-il à la ronde et entre deux spasmes.
Vite, je prends le bras du Gros.
— Viens, Sandre, dans ton appartement. Nous allons téléphoner à Ramadé, l’épouse de Jérémie, les plantes tropicales vénéneuses, ça la connaît, une fille de sorcier comme elle ; je parie qu’elle aura une recette de perlimpinpin à nous donner.
Telle fut notre première journée à Los Angeles.