6 CHAPITRE ÉSOTÉRIQUE INVERSE

L’interminable Sunset Boulevard (100 km) développe ses lampadaires à l’infini. La voie est large, bordée de luxueuses propriétés cachées derrière des frondaisons luxuriantes (et où se pratique la luxure). Après quarante minutes de tire, on se pointe à la villa Tequila, extrêmement ravissante.

Une grille peinte en vert bronze, une large pelouse sur laquelle des soldats rouges et bleus, de je ne sais quelle armée d’opérette, sont figés dans une manœuvre qui pourrait être britannique. Au-delà, une grande maison cubique, blanche, avec des briques vernissées autour des ouvertures. C’est là que l’ultime Smith coule ses heures de repos. Il y a de la lumière plein l’intérieur.

J’actionne le timbre de l’entrée et la grille s’ouvre. Depuis icelle, j’aperçois l’ami James sur la terrasse, qui m’attend. A mesure que je le gagne, je constate qu’il est dans un fichu état. Il était en pyjama de soie blanc, à revers gansés de noir, lorsqu’on l’a agressé. Sa gueule est en compote et son vêtement de nuit plein de sang.

— Merci d’être venu ! m’écrie-t-il du plus loin.

Son pif a doublé de volume, ainsi que sa bouche et ses pommettes.

Il tient un grand verre de scotch à la main et s’en téléphone quelques centilitres à tout instant. Il n’a pas essayé de nettoyer ses plaies, probablement pour se montrer à moi dans tout son dénuement physique. Je le trouve plutôt courageux, ce mec. Combien, dans son état, auraient déjà rameuté la police et se seraient fait driver dans une clinique où se pratique la chirurgie plastique ?

Brève présentation d’Angela.

Il nous fait pénétrer dans un grand living. Il a étendu une serviette de bain vaste comme la place de la Concorde sur un canapé recouvert de chintz blanc pour éviter de le souiller, mais on lit des traînées sanglantes sur la moquette claire.

— Ils ne m’ont pas fait de cadeau, hé ? murmure-t-il avec des lèvres bien plus grosses que celles de Jérémie Blanc.

— C’est le moins qu’on puisse dire. Vous me racontez ?

Il ne se fait pas prier :

— Je venais de m’endormir après avoir visionné une cassette hard quand mon téléphone a sonné. Un homme se recommandant de vous m’a dit que vous deviez me voir de toute urgence pour une question de vie ou de mort et que vous alliez arriver chez moi quelques minutes plus tard. En effet, un quart d’heure après cet appel, on a sonné à la grille. J’ai ouvert et aperçu deux hommes en smoking qui se dirigeaient vers la maison ; l’un deux était grand et, dans la nuit, je l’ai pris pour vous.

« C’est à la dernière minute que j’ai compris qu’il ne s’agissait pas de vous, mais, c’est stupide à dire, le fait qu’ils étaient en tenue de soirée m’a mis en confiance.

« Je les ai fait entrer. Alors, sans un mot, ils ont tiré de leurs pantalons des matraques noires et se sont mis à me frapper comme des malades. C’était si soudain et si inattendu que je n’ai pu réagir. J’ignore si c’est cela, un passage à tabac, toujours est-il que je ne savais plus ce qu’il m’arrivait. Il y avait plein d’étoiles dans ma tête. Ils frappaient avec une telle violence qu’au bout d’un moment je me suis écroulé.

« Alors ils ont cessé de cogner et attendu que je retrouve mes esprits. Quand ils ont vu mon regard lucide à nouveau, le plus grand m’a dit :

« — Voilà, il y a deux solutions. La première, on vous pose quelques questions. Si vous y répondez, on vous laisse comme ça. La seconde, vous ne répondez pas, et on vous achève ; c’est simple et net, non ? »

« J’ai répondu qu’en effet. »

— Et c’était quoi, les questions ? ne puis-je me retenir de demander, tant tellement je suis avide d’en apprendre davantage.

— Le type m’a dit :

« — C’est vous qui avez réglé la succession d’une fille nommée Martine Fouzitout, demeurant à Venice ? »

« J’ai répondu “oui”. Il a poursuivi :

« — C’est un vieux type qui a hérité sa maison ? »

« — Effectivement », ai-je répondu.

« Il s’est agenouillé près de moi et a placé sa matraque en travers de mon cou. Il la tenait à deux mains de chaque côté de ma gorge, et appuyait ; ça m’écrasait le larynx.

« — Comment se fait-il que le grand patron de la police parisienne et deux autres flics de là-bas l’accompagnent ? »

« J’ai dit que vous étiez des amis de Félix Legorgeon. Que ce vieil homme était un peu à côté de la plaque et que vous l’assistiez. Alors ils se sont remis à me cogner dessus en disant que je me foutais d’eux et qu’un homme de votre importance ne fait pas douze mille kilomètres pour tenir la main d’un vieux débris qui hérite une baraque de guingois dans le quartier négro de Venice. Il a ajouté que vous furetiez partout à propos de la Française morte, et qu’est-ce que ça signifiait cet intérêt ?

« Que vouliez-vous que je leur réponde ? Malgré ma physionomie en compote, j’ai tenté de faire bonne figure. Je leur ai expliqué calmement que j’étais notaire, dépositaire d’un testament. Qu’à la mort du légataire j’avais informé l’ayant droit, comme j’en avais le devoir, et que je n’y pouvais rien s’il s’amenait avec le chef de la police parisienne ou même le président de la République française. Que mon métier consistait à rédiger des actes, et pas à m’occuper des gens qu’un héritage passant par mon canal concernait.

« Je devais avoir des accents de sincérité car au lieu de reprendre leurs sévices, ils m’ont posé d’autres questions à votre sujet. »

— Par exemple ?

— Ils m’ont demandé si vous m’aviez annoncé votre qualité ? J’ai répondu affirmativement. Ensuite, ils ont voulu savoir ce qui vous intéressait chez la femme Fouzitout ; je leur ai répondu que, selon moi, c’était sa vie aux States et probablement aussi, sa mort. Ils ont continué de m’interroger un bon moment encore : « — Aviez-vous découvert des éléments concernant l’existence de la fille à Venice ? » J’ai dit qu’à ma connaissance, vous n’aviez rien trouvé. « — Et ailleurs ? » ont-ils insisté. J’ai résolument répondu que je ne savais rien de plus, que cette affaire était pour moi une affaire comme les autres et que s’il existait des implications qui les dérangeaient, ils n’avaient pas à s’en prendre à un notaire qui ne faisait que son métier, mais qu’ils s’adressent à vous directement. En toute lâcheté, je leur ai communiqué votre adresse à Malibu, mais ils semblaient la connaître déjà.

« Alors, ils ont discuté un moment, à l’écart ; puis le grand m’a dit :

« — Bon, nous allons vous laisser. Une supposition que vous ne préveniez pas la police, peut-être que votre étude et votre belle maison ne brûleraient pas. Pour la clinique, dites que vous êtes tombé dans l’escalier ! »

« Voilà, c’est tout. Après leur départ j’ai bu un bourbon, réfléchi quelque peu et décidé de vous informer, vous, de ce qui venait de se passer. »

— Vous êtes un homme magnifique, James ! Merci et bravo pour votre attitude courageuse et habile.

Je lui en serre cinq.

— Maintenant, il faut vous soigner. Nous allons vous transporter à l’hôpital ; vous connaissez un endroit top niveau pour vous y faire réparer le portrait ?

— Laissez ! tranche Angela, on va le conduire à la clinique que finance Chesterton-Levy.

Il en est tout joyce, Smith.

— Vous vivez seul ici ? m’étonné-je.

— Je suis en instance de divorce : ma femme est partie avec son kinési et la femme de chambre noire dort au-dessus du garage ; elle n’a rien entendu.

— Vous voulez bien me décrire très complètement vos agresseurs, James ? Car vous n’avez pas l’intention de mettre la police d’ici au courant de vos tribulations, je pense ?

— Je préfère pas, avoue Smith, tout penaud ; je ne crois pas beaucoup à l’action préventive de vos confrères, sans vouloir vous vexer.

* * *

Quand le digne garçon est installé dans une chambre de rêve entre les mains d’infirmières de nuit dont la splendeur ferait chialer les pensionnaires de mon ami Bernardin[7], je me retrouve seul avec l’adorable Angela. La fatigue pèse sur mes reins et un sommeil de grosse consommation me lutine les paupières.

— Vous avez une existence mouvementée, dit-elle.

— Pas mal, merci.

Pour refroidir sa curiosité chauffée à blanc, je lui campe un résumé suce-sein de cette aventure franco-ricaine.

— Ainsi vous êtes le patron de la police parisienne ?

— Pour l’instant, oui. Mais je sens que si je continue d’arpenter la planète pour régler les affaires de mes amis, on me trouvera prochainement un remplaçant. Mes manières ne sont pas assez orthodoxes pour mes fonctions ; heureusement, le président de la République m’a à la bonne. Seulement, les présidents passent et les flics demeurent.

Elle promène sa main délicate sur ma braguette qui l’est aussi.

— Que faisons-nous, nous rentrons ?

— Bien sûr, ma chérie, je vous ai suffisamment volé de temps de sommeil comme cela.

Elle démarre, quand voilà ton Santonio-joli-d’amour qui pousse un cri, comme de coït. Angela pile.

— Quoi donc ?

— Une idée vient de me traverser le caberlot, ma douce. Vous voulez bien me déposer à une station de taxis ?

Alors là, elle pouffe.

— Une station de taxis ! Vous vous croyez en France ? Où voulez-vous aller ?

— Westchester.

— O.K. !

Tant de complaisance me comble. Tu te rends compte ? Une fille que j’ai seulement broutée et pas encore niquée ? Que sera-ce quand je lui aurai mis les doigts de pieds en bouquets de violettes !

— Je ne peux accepter, mon amour. Vous avez besoin de repos. Demain le big rentre et pas un bouton de guêtre ne devra manquer à votre culotte !

Elle sourit.

— Il m’est arrivé de passer des nuits dans des boîtes avec des gens qui me faisaient horreur, n’ayez aucun scrupule.


Nous voilà partis pour la modeste paroisse de l’encore plus modeste père Machicoule. Pendant qu’elle pilote, je lui fais les bouts de seins, histoire de meubler. Je sais des connards qui font ça avec le pouce et l’index, comme s’ils cherchaient une station sur leur radio de bord ! Tu parles de pauvres démembrés ! Les bouts de seins, gamin, sache-le, une bonne fois, ça se fait du plat de la main très lentement frotté sur le téton de la dame. T’effleures à peine. Ça doit rester presque magnétique. Au bout de rien, tu la vois bourgeonner des nichebars, ta greluse ! Les soupirs de ma sœur Anne !

Quand t’as l’impression qu’elle a les têtes d’ogives en iridium, tu continues avec la pointe de la menteuse. Un frétillis imperceptible. Y a pas de volupté sans lenteur diabolique, au départ ; en tout cas, le suçotement n’intervient qu’en phase terminale et encore doit-il rester très relâché. Surtout ne chique jamais au nouveau-né affamé. Opère-la dans un nuage. Tout dans le moelleux ! Puis tu pars en investigances avec ton émérite langue ! Elle flèche le parcours du combattant ; n’évite rien : l’estom’, le nombril (divine oasis), la broussaille, le marégo. Tout bien jusqu’à ton terminus où, dès lors, tu te fous au turbin.

Angela murmure :

— Si vous continuez, je vais devoir m’arrêter.

Parce que je suis pressé, j’interromps mes savantes agaceries. Magine-toi que je me fais du souci pour le père Machicoule. Les agresseurs de James Smith étaient si parfaitement au courant de mes faits et gestes qu’ils ont dû savoir ma visite au religieux. De là à aller le « questionner » à mon propos, lui aussi, y a que la distance de Sunset Boulevard à Westchester !

Quand on déboule à la cure, un chat furtif et papelard, la queue en rince-bouteilles, les yeux phosphorescents, sort de la porte restée entrouverte pour une balade de gouttière nocturne.

Je ne l’avais point aperçu lors de ma visite diurne, ce minet. Après avoir poussé le battant, je pénètre dans le modeste logis, le cœur étreint d’une affreuse appréhension, comme on écrivait autrefois dans des romans fasciculaires destinés à envelopper des œufs.

Je tâte le mur, près de l’entrée, trouve un commutateur et l’actionne.

Mon appréhension cesse, comme toujours devant la réalité. Grace, la grosse Noirpiote, diplômée ès pipes, est étendue sur la table, en croix de Saint-André. On l’a bâillonnée avec une serviette de bain, ce qui revient à dire qu’elle est morte étouffée. Les agresseurs se sont livrés sur la malheureuse à une voie de fait inqualifiable : ils lui ont enfoncé dans le frifri une matraque enveloppée de papier auquel ils ont ensuite mis le feu. Tu juges des dégâts ? Son bas-ventre est brûlé : ses poils crêpés, les lourdes lèvres de son sexe, les chairs dans toute cette zone délicate.

Angela pousse une espèce de gémissement et s’évanouit.

Je la récupère tant bien que mal, la sors sur le banc du jardinet et cours chercher une quille de bourbon, là où j’ai vu que le père rangeait sa gnôle. Une solide gorgée ingurgitée de force la fait tousser et la ramène aux sinistres choses d’ici-bas.

— Restez là et attendez-moi un instant, chérie, je ne serai pas long ! promets-je avant de rentrer dans la cure.

Il est sur son plumard, Machicoule, vêtu d’une liquette de toile et d’un caleçon long comme mon papa en portait l’hiver.

On l’a ravagé d’un coup de bambou terrifiant sur l’occiput. Le gazier qui lui a fait ce coup du rabbit n’y est pas allé avec le dos de l’accu hier. Te lui a cigogné le cervelet, les cervicales et autres bricoles dans une conjugaison époustouflante de ses biscottos.

En bon catholique romain, je me signe devant sa dépouille de prêtre et, les cannes fauchées, me dépose en ahanant sur un vieux prie-Dieu dépaillé. Je m’adresse un discours impromptu :

« Félicitations, Antoine, tu l’as tout de suite senti que cette histoire Martine Fouzitout n’était pas catho ! T’aurais tout de même pas imaginé qu’elle baignait dans le sang ! Que bricolait-elle à L’Os-en-gelée, cette étrange gonzesse ? A quelle louche activité se livrait-elle ? Fallait-il qu’elle détienne des secrets (ou des intérêts) importants pour qu’un tandem (sinon davantage) de tueurs exécutent un tel rodéo. Fais très gaffe à tes osselets, gamin, car ça va chier des bulles carrées pour ta pomme ! A tout instant ça risque de t’éclater en pleine poire. En ce moment, ta belle existence ne pèse pas lourd dans ce patelin de forbans. Ils deviennent de plus en plus bizarres, les Ricains ! »

Je mate le chapelet à gros grains accroché à un clou, contre le mur blanc de la chambre. Machicoule devait le porter sur lui, la journée, et le mettre au clou, près de son humble pucier, avant de se coucher. Les petites boules de buis sont usées par le frottement des doigts. Il a dû beaucoup servir. J’hésite, puis m’en empare une relique c’est toujours bon à engourdir. Il en a plus rien à fourbir, à présent, de son rosaire, Raymond.

Le crucifix d’argent accroché au chapelet est très beau, inspiré sans doute d’un christ Renaissance. Cet instrument de prière doit posséder une certaine valeur car c’est un bel objet. D’origine espagnolisante, je gage. Il l’a peut-être acheté au Mexique, le vieux curé soiffard.

Ce qui a eu lieu chez lui remonte à plusieurs heures, car les corps sont tièdes. A mon avis, on a molesté la gouvernante noire pour contraindre le père aux confidences. Mais que pouvait-il savoir qu’il ne m’aurait confié ?

Dans la chambre, il ne s’est passé qu’un coup de gourdin monumental. On a demandé à Machicoule de s’étendre à plat ventre et l’exécuteur des basses œuvres lui a placé sa botte secrète à l’aide d’un goumi spécial : en acier flexible gainé de cuir et non de caoutchouc. Une arme terrible dans la main d’un spécialiste, pas du tout le genre gourdin de C.R.S. comme celui qu’on a planté dans le vagin de ma copine Grace et qui a partiellement brûlé.

J’examine le sol à la lumière de ma loupiote de fouille, des fois que, dans le feu de l’action, le meurtrier aurait perdu un « indice providentiel », comme dans les polars de la mère Gaga Christie ; mais je t’en fous !

Au livinge c’est aussi peine perdue. Pas de mégots de cigarettes, de montre au bracelet cassé, de pochette d’allumettes portant l’adresse d’un bar ou d’un restau. Rien dans les mains de la morte : ni cheveux ni bouton ayant appartenu à ses tortionnaires.

Je sors pour rejoindre Angela qui grelotte sur le banc et l’entoure de mon bras invaincu, et provisoirement invincible.

— Partons ! lui dis-je en la pressant fortement contre moi, espérant ainsi lui communiquer un peu de mon indomptable énergie.

— Vous n’alertez pas la police ? demande-t-elle.

— La police c’est moi, Angie. Si je préviens mes confrères d’ici, ils vont me pomper mon temps et ma liberté pour remplir des questionnaires à n’en plus finir, me garderont comme témoin, et vous aussi. Moi, j’ai mieux à faire.

Elle opine, convaincue par mon argument.

* * *

Il est pas loin de quatre plombes of the morning quand nous sommes de retour au palais.

Angie (c’est comme ça que je la nomme maintenant) est d’une blancheur que tout autre romancier populaire qualifierait de « cire », mais que moi, si talentueux, je dirais « de cierge », pour renforcer la connotation funèbre de la cire. Je la surprends même à claquer des ratiches.

— Vous avez pris froid ? demandé-je, plein de sollicitude.

— A l’âme, murmure-t-elle joliment. Cette malheureuse femme, écartelée sur la table avec… Seigneur ! je ne l’oublierai jamais.

Elle soupire :

— Cela vous ennuierait de dormir avec moi ? Je suis si bouleversée…

— Avec bonheur, ma chérie. Dans votre chambre ou dans la mienne ?

— Dans la mienne, si vous le voulez bien. Et c’est ainsi qu’elle m’entraîne dans une pièce toute rose : murs, rideaux, literie et meubles compris.

Nous éclusons deux Gin-tonic chargés comme des mulets de contrebandiers espagnols, nous nous dévêtons et je demande, désignant le pimpant plumard très froufrou :

— Je prends bâbord ou tribord ?

— Le milieu, répond-elle.

Je comprends la motivation de sa réponse quand la voilà qui se pelotonne à mort contre moi, à tel point que, même avec des démonte-pneus, on ne parviendrait pas à nous séparer. On s’endort brutalement, membres et souffles mêlés, vaincus par l’épuisement.


Je suis arraché au néant par une sensation de volupté profonde. C’est la grande fête à ma queue ! Une féerie sensorielle si intense que je râle de plaisir avant que d’avoir retrouvé mes esprits. Au bout d’un instant, j’ai le fin mot. Comme souvent, lorsque je suis très fatigué, je me payais une asperge de première classe. Elle était si ardente et véhémente qu’Angie en a été réveillée et que, soucieuse de ne pas laisser perdre une bandaison matinale aussi féroce, elle s’est mise à me chevaucher à la langoureuse.

Une merveille ! Je n’ai pas à intervenir, juste à subir ce doux viol en conservant la bite roide. Volupté de fainéant, certes, mais j’ai bien le droit de me laisser exploiter la grosse veine bleue de temps à autre, non ? Après tout, c’est mon zob et je peux le prêter à cette fille serviable pour qu’elle en use à sa guise, comme disait Henri III.

Ma chère Angie est à ce point surexcitée qu’elle part au fade en moins de temps qu’il n’en faut à un collégien pour éternuer dans son mouchoir quand il s’opère de la main gauche (ou de la droite s’il est gaucher !). Elle devait se trouver chauffée à blanc quand elle m’a enjambé le gouvernail de profondeur.

Un peu égoïste sur les bords, elle me laisse quimper pour aller se rafraîchir la frimousse australe, bien qu’il n’y ait pas d’urgence. Et moi, le sevré malgré lui, de me demander si je vais pouvoir me rendormir après avoir livré mon perchoir à perroquet aux nocturnes lubricités de la blonde Ricaine. Je crains que non. La dorme, chez moi, est capricieuse. Solide lorsqu’on la laisse courir l’amble, mais renâcleuse quand on la perturbe (surtout de cette façon !).

Je consulte ma Pasha aux chiffres fluos. Elle prétend cinq heures douze, ne faisant par là que son devoir. Il est trop tôt pour se lever. Que ferais-je dans cette opulente demeure coloniale lorsque tout le monde roupille encore ? Le parti le plus sage, c’est de regagner ma chambre et, puisque je n’ai plus sommeil, de me mettre à examiner de très près la masse de documents éclectiques que nous avons ramenés de chez la Fouzitout.

Quand la belle Angie sort de sa salle de bains, la pelouse irisée comme après l’arrosage de l’aube, je lui explique qu’il est préférable de nous séparer avant la sonnerie du clairon, d’autant qu’elle semble avoir récupéré de ses affres.

Elle admet, vient contre moi, onduleuse, me dit merci, me lèche le cou, m’assure qu’avant moi, nani nanère, tout le boniment classique du style : « T’es pas le premier mais tu es le seul ; j’ignorais tout de l’amour avant de te rencontrer ; un pétard à fesses comme le tien mérite qu’on soit venu sur terre pour se l’enquiller dans la balafre, etc. »

Elle m’implore de lui plomber ventôse, après lui avoir niqué pluviôse, mais je trouve que c’est pas l’heure de prendre du chouette, aussi demeuré-je ferme sur mes positions et regagné-je ma carrée, ma bite sous un bras, mon pantalon sur l’autre.


Tu m’accordes qu’avec mézigue, fils unique et préféré de Félicie, ça ne chôme pas. L’action et le cul tournent à plein régime.

Si je te disais que je ressens un contentement quasi organique à me retrouver seul. Etre à l’abri du parler d’autrui, de ses ondes, de sa connerie ambivalente, de son regard jamais tout à fait gentil et si souvent tout à fait féroce ! Ah ! le Sartre ! « L’enfer c’est les autres ! » Bien vu, Jean-Paul !

Je lâche mon paquet de hardes sur le serviteur-muet. La flemme de mettre le futal au pressing électrifié et la veste sur le cintre large comme de vraies épaules de jules. La limouille au sol, le slip idem, avec les mocassins. Le voilà Jésus en plein, ton Sana, l’arsouille. Le pénis passé au blanc d’œuf scintille dans la lumière des savantes loupiotes. Me gratte les meules, comme le fait si volontiers Béru, puis le dessous des roustons qu’on n’aère jamais suffisamment.

Alors quoi ? Je me couche ou je travaille ?

Un fécond comme moi choisit toujours le devoir.

Je vais donc chercher les trois sacs.

Nib ! Ils ont disparu. Que signifie-ce ?

J’explore les placards et implore Saint-Antoine de Padova ; mais rien !

Faut gamberger ; tout comporte une explication, le plus léger mystère.

Ces papiers auraient-ils été évacués par une soubrette venue faire la couverture et qui a cru que ces sacs de plastique bourrés de fafs étaient destinés à la poubelle ?

L’ennui, avec les domestiques, c’est qu’on les paie pour briquer notre existence, alors, comme parfois ils sont honnêtes, ils en font trop. Et à force de nettoyer, ils détruisent. Ils ignorent que leurs glorieux patrons cousus d’or ont besoin de misérables petits riens qu’ils ne voudraient pas pour eux-mêmes.

Peut-être que Pinuche a eu envie de mettre son grain de sel dans notre provende afin de l’étudier dans sa chambre ?

On verra ça tout à l’heure ; décidément, j’ai trop besoin de dormir.

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