Chapitre 4
Florimond, après être resté silencieux un long moment, releva la tête. Son visage mobile reflétait soudain une expression de gêne et de tristesse.
– Maman, reprit-il, est-ce le Roi qui a condamné mon père ? J'y ai beaucoup pensé et cela m'a tourmenté, car le Roi est juste...
Il souffrait de renverser une idole. Elle dit, pour l'apaiser :
– Ce sont les jaloux qui ont causé sa perte et c'est le Roi qui lui a fait grâce.
– Oh ! Je suis bien content, s'exclama Florimond. Car j'aime le Roi mais j'aime encore plus mon père. Quand reviendra-t-il ? Puisque le Roi lui a fait grâce. Ne pourrait-il reprendre son rang ?
Angélique soupira, le cœur lourd.
– C'est une histoire bien obscure et bien difficile à démêler, mon pauvre garçon. Jusqu'à ces derniers temps je croyais moi-même que ton père était mort et maintenant il y a des moments où j'ai l'impression que je rêve. Il n'est pas mort, il s'est échappé, il est venu ici pour y chercher de l'or... C'est incontestable... et pourtant c'est impossible. Les portes de Paris étaient gardées, des sentinelles étaient postées aux abords de l'hôtel, par où aurait-il pu y pénétrer ?
Elle vit que Florimond la regardait en hochant la tête avec un sourire supérieur et comme elle n'en était plus à une révélation près sur cet étonnant gamin, elle s'écria :
– Toi, tu le sais ?
– Oui.
Tendu vers elle, il chuchota :
– Par le souterrain du puits !
– Que veux-tu dire ?
Mystérieux, Florimond se redressa et lui saisit la main.
– Viens !
En passant dans le couloir, il prit une veilleuse qui brûlait près de la porte d'entrée, puis il entraîna sa mère dans les jardins. La lune à demi pleine éclairait suffisamment les allées tracées entre les buis taillés, jusqu'au fond, près du grand mur, où Angélique avait voulu qu'on laissât des herbes folles et le désordre poétique de ce coin médiéval. Une colonne à demi brisée, un écusson fleuri contre un banc et le vieux puits au dôme de fer forgé y rappelaient l'ancienne splendeur du XVe siècle, lorsque ce même quartier du Marais ne formait qu'un seul et immense palais aux cours nombreuses, résidence des rois de France et des princes.
– C'est Pascalou qui nous a montré le secret, expliquait Florimond. Il disait que mon père avait lui-même veillé à remettre en état le vieux souterrain quand il faisait construire l'hôtel. Il avait payé fort cher trois ouvriers pour qu'ils gardent le secret. Pascalou en était. Alors il nous a tout montré puisque nous étions ses fils. Regardez.
– Je ne vois rien, dit Angélique en se penchant au-dessus du trou noir.
– Attendez.
Florimond posa la veilleuse à l'intérieur du grand seau de bois cerclé de cuivre qui pendait à la chaîne et le fit descendre doucement. La lumière éclairait les parois luisantes d'humidité.
À mi-chemin, le garçonnet arrêta la chaîne.
– Voilà ! En se penchant on distingue dans la paroi une petite porte de bois. C'est là. Quand le seau est arrêté exactement devant on l'ouvre, on pénètre dans le souterrain. Il est très profond. Il passe sous les caves des maisons voisines. Il franchit les remparts du côté de la Bastille, et autrefois il aboutissait dans le faubourg Saint-Antoine où il rejoint de vieilles catacombes et l'ancien lit de la Seine. Mais comme on a bâti dessus, mon père l'a fait prolonger jusque dans la forêt de Vincennes. On sort dans une petite chapelle en ruines. Et voilà, le tour est joué. Mon père avait beaucoup de prudence, n'est-ce pas ?
– Comment savoir si ce souterrain est toujours praticable ? murmura Angélique.
– Oh ! il l'est. Le vieux Pascalou l'a entretenu avec soin. Le pêne de la porte est toujours huilé. Elle s'ouvre à la moindre pression et le mécanisme de la trappe qui donne dans la chapelle de Vincennes fonctionne très bien aussi. Le vieux Pascalou disait qu'il fallait que tout soit en état pour quand le maître reviendrait. Mais il n'est pas revenu encore et quelquefois, dans la chapelle de Vincennes, tous les trois : le vieux Pascalou, Cantor et moi, nous l'attendions. Nous écoutions. Nous espérions entendre son pas. Le pas du Grand Boiteux du Languedoc...
Angélique regarda son fils avec acuité.
– Florimond, tu ne vas pas me faire croire que toi et Cantor, vous... vous êtes descendus dans ce puits ?
– Si fait ! Si fait ! dit négligemment Florimond, et plus d'une fois vous pouvez m'en croire.
Il se mit à remonter le seau et pouffa tout à coup.
– Barbe nous attendait ici en disant son chapelet, terrifiée comme une poule qui a couvé des canards.
– Cette grosse folle était au courant !
– Il fallait bien qu'elle nous aide à remonter le seau !
– C'est indigne ! Elle vous a laissé commettre de telles imprudences et sans m'en rien dire...
– Dame ! Elle avait peur de se faire encore brûler les pieds.
– Florimond, te rends-tu compte que tu mérites une paire de gifles ?...
Florimond ne dit ni oui ni non. Il s'affaira à ranger le seau et posa la veilleuse sur la margelle. Le puits était redevenu obscur et mystérieux. Angélique passa la main sur son visage, essayant de mettre de l'ordre dans ses pensées.
– Ce que je ne comprends pas... dit-elle.
Elle réfléchit encore.
– Oui. Comment a-t-il pu sortir seul du puits, sans complice ?
– Ce n'est pas difficile. Il y a des petits crampons de fer plantés dans les parois à cet effet. Mais Pascalou ne voulait pas que nous nous en servions parce que nous étions trop petits et, lui, il commençait à être un peu trop vieux. Alors il fallait supporter Barbe et ses jérémiades pour nous remonter. Quand le vieux Pascalou a senti qu'il allait mourir, il m'a fait mander. J'étais à Versailles. Nous avons sauté à cheval, l'abbé et moi. Maman, c'est triste de voir mourir un bon serviteur. Je lui ai tenu la main jusqu'à la fin.
– Tu as bien fait, mon Florimond.
– Et il m'a dit : « Il faut veiller sur le puits pour quand le maître reviendra. » Je le lui ai promis. Chaque fois que je retourne à Paris je descends et je vérifie si tout le mécanisme est en état.
– Tu fais cela... seul ?
– Oui. J'en ai assez de Barbe. Je suis assez grand maintenant pour me débrouiller seul.
– Tu descends par les crampons de fer ?
– Eh oui ! C'est fort simple, vous dis-je. Une petite gymnastique.
– Et l'abbé ne s'est jamais opposé à tes folies ?
– L'abbé n'est pas au courant. Il dort. Je ne crois pas qu'il se soit jamais douté de rien.
– Ah ! mes enfants sont bien gardés, dit Angélique, amère. Alors c'est la nuit que tu te livres à ces fantaisies dangereuses ? Et... tu n'as jamais eu peur, Florimond, quand tu te trouvais seul ainsi la nuit dans un souterrain ?
Le garçonnet remua la tête. S'il avait eu peur parfois, il ne l'avouerait pas.
– Mon père s'occupait de mines, m'a-t-on dit. C'est peut-être à cause de cela que j'aime être sous la terre.
Il la regardait par en dessous, flatté de l'admiration qu'elle ne pouvait dissimuler, et dans la lueur du clair de lune qui marquait d'ombre le visage enfantin, elle reconnaissait le pli d'une lèvre moqueuse, l'étincelle d'un regard noir et cette expression un peu diabolique du dernier des Seigneurs de Toulouse qui aimait tant scandaliser, effrayer et faire béer de stupeur les bourgeois timorés.
– Si vous voulez, ma mère, je vous y conduirai.