Chapitre XVIII

Malko bondit de son lit comme une fusée et termina pratiquement de s’habiller dans le couloir. De nouveau, c’était l’angoisse ! Cinq minutes plus tard, il débarquait chez le major van Haag qui était en train de prendre son breakfast. Il écouta le récit de Malko et lâcha :

— Elle bluffe.

— Ça m’étonnerait, dit Malko. Vérifiez.

— J’envoie immédiatement un message, dit van Haag. Restez là.

Malko s’installa sur la véranda récapitulant les événements. Joseph Grodno était à l’abri. Gudrun et Wanda se cachaient quelque part à Gaborone, sûrement pas dans la planque éventée de Phuku Close. Sans information précise il ne les trouverait jamais. Perdu dans ses pensées il se mit à somnoler.

C’est le major qui l’arracha à sa torpeur, beaucoup plus tard. L’air bouleversé.

— Il y avait en face de l’école indiquée par Gudrun Tindorf une voiture volée avec trente kilos d’explosifs dedans et une minuterie réglée pour 16 h 30. C’aurait été un carnage…

Le téléphone sonna. Van Haag eut une brève conversation en afrikaans et raccrocha.

— C’était le général van Wik, du NSC. Nous acceptons la proposition de Gudrun Tindorf, dit-il d’une voix mal assurée.

— Dans ce cas, dit Malko, je retourne à l’hôtel. Elle va m’appeler.

À peine était-il dans sa chambre que le téléphone sonna. Gudrun Tindorf. À croire qu’elle l’avait suivi. La voix parfaitement calme, comme s’il s’agissait d’une affaire ordinaire.

— Vos amis ont-ils changé d’avis ? C’était la dernière opération que j’avais montée avant de partir.

— Oui, dit Malko. Je vous écoute.

Lui aussi l’aurait bien étranglée de ses propres mains, mais pour le moment, elle les tenait. L’Allemande eut un rire léger et frais :

— Je vois que vous êtes dans de meilleures dispositions.

— Vous êtes haïssable. Abominable.

— Vous aimeriez me tuer, n’est-ce pas ? dit-elle. Moi, je n’ai rien contre vous, je fais mon métier. La mort est mon métier.

— Vous êtes un monstre, coupa Malko.

— Peut-être, fit l’Allemande, mais trêve de philosophie. Voilà comment nous allons procéder. Je vous donne jusqu’à demain seize heures pour vous procurer l’argent. Un million de dollars en billets de cent. Dès que vous l’aurez, vous irez à la gare de Nkrumah Road et vous prendrez le train pour Lobatse. Il y en a un à 16 h 40. Vous resterez à la fenêtre du compartiment. Quelque part entre Gaborone et Lobatse, vous me verrez le long de la voie. Vous n’aurez plus qu’à me lancer l’argent.

— Et les informations ?

— Je vous les communique ensuite, par téléphone.

Silence. C’était un deal exorbitant.

— Et qui me dit que vous tiendrez parole ? demanda Malko.

— Personne, laissa tomber Gudrun Tindorf. Je veux me venger de ces imbéciles qui pensent me manipuler, parce que je suis une femme. Ils vont apprendre à me connaître…

— Vous ne craignez pas leur vengeance ?

— Ils seront morts si vous faites bien votre travail, dit-elle calmement. À propos, si vous aviez de mauvaises idées comme de me faire suivre par un hélicoptère, renoncez-y. Au cas où je ne donnerais pas signe de vie avant le soir, une autre voiture piégée exploserait quelque part au Transvaal dans un endroit particulièrement sensible. Un hôpital ou une école, vous voyez…

— Vous êtes monstrueuse…

— Mais non. Prudente. Puisque nous sommes d’accord, nous n’avons plus rien à nous dire.

— Mais le réseau des poseurs de bombes ?

— Les informations seront avec les explosifs. Au revoir.


* * *

La petite gare de Gaborone voyait peu de trains passer. Cependant, elle était envahie par des familles entières de Noirs, assis à même le sol, en train d’attendre, au milieu des enfants et des vieillards. Malko et Carl van Haag se frayèrent un chemin jusqu’au quai. Un coup de sifflet strident annonça l’express à destination de Lobatse et Zeerust. De vieux wagons de bois, tirés par une superbe locomotive à vapeur. Zimbabwe Railways… Un flot de Noirs se dirigea vers la douane. Malko gagna l’unique wagon de première, coquettement décoré avec des rideaux, des lampes de chevet et des banquettes moelleuses. Carl van Haag lui tendit la mallette métallique contenant la rançon.

— Bonne chance !

— Je ne risque pas grand-chose, remarqua Malko.

Depuis la veille les deux hommes remâchaient la même humiliation. La remise de cette rançon était une capitulation en rase campagne. Après tant de morts, Malko partageait l’amertume du major sud-africain. L’argent était arrivé par un Falcon 50 du NSC et remis au major van Haag.

Le train siffla. Le compartiment de Malko était vide. Les Blancs utilisaient peu le train, en Afrique. Il regarda van Haag, immobile sur le quai, les mains derrière le dos, le visage fermé. Une légère secousse et le train démarra. Très vite les dernières maisons de Gaborone disparurent, faisant place au bush plat, monotone, brûlé de soleil. Sur la droite, la ligne des hauteurs pelées s’estompait dans une brume de chaleur. La voie filait tout droit à travers le désert, avec un seul arrêt à Ootse.

Il baissa la glace de son compartiment et se pencha à l’extérieur, recevant aussitôt une bouffée d’air brûlant. Quelques ânes paissaient le long de la voie, grignotant des épineux. À perte de vue, on ne voyait que de la caillasse grisâtre. Bercé par les tressautements des boggies, Malko avait du mal à se concentrer. Il aperçut soudain, environ trente minutes après le départ, quelque chose en bordure du ballast. Le train roulait avec une sage lenteur et il lui fallut un certain temps pour distinguer une voiture. Quelqu’un était debout à côté. Une femme. La locomotive arriva à sa hauteur et elle se mit à agiter lentement un long foulard blanc.

C’était Gudrun Tindorf.

Malko empoigna la valise métallique, la maintint quelques instants en équilibre, puis, juste avant la jeune femme, la jeta sur le ballast. Il la vit rouler dans la poussière et l’Allemande courut vers sa rançon. Sa silhouette diminua, jusqu’à n’être plus qu’un point. Malko se rassit, tordu par l’anxiété. Allait-elle tenir sa promesse ?

Il n’avait plus qu’à ronger son frein jusqu’à Lobatse où l’attendait un des adjoints du major van Haag.


* * *

La nuit était tombée depuis longtemps quand le téléphone sonna dans la chambre de Malko. Le major van Haag, assis dans un fauteuil, broyait du noir, le regard dans le vide.

— Bonsoir, fit la voix posée de Gudrun Tindorf. Vous avez tenu votre engagement. Je vais tenir le mien. Allez à l’hôtelPrésident, sur le Mail. Il y a une lettre à votre nom, Mister Linge. Vous y trouverez les renseignements promis. Faites-en bon usage. Adieu.

Elle avait raccroché. Malko répéta aussitôt le message au Sud-Africain.

— Pourvu que cette horrible garce ne se soit pas moquée de nous ! grommela Carl.

Cinq minutes pour arriver à l’hôtelPrésident. Le réceptionniste regarda son courrier, puis sortit une grosse enveloppe blanche.

— Ceci est pour Mister Linge.

Malko lui donna cinq pulas et prit l’enveloppe qui valait un million de dollars. À l’intérieur, il n’y avait que quelques lignes non signées tapées à la machine.

« Joe Grodno et ses hommes rencontreront les gens venus du sud, près de la rivière Molopo, à un kilomètre au sud du village de Werda, en territoire sud-africain, dam une ferme abandonnée, entre Werda et Vorster-shoop. Demain soir, dès la nuit tombée. Ils leur apportent des explosifs et la liste des gens que j’ai formés. »


* * *

Le poste de police de Zeerust, situé sur une éminence à la sortie nord de la ville, grouillait d’une activité inhabituelle. Dans la cour intérieure, un gros hélicoptère Puma, portes ouvertes, attendait de charger les seize hommes du commando. En plus d’eux, l’appareil emmenait Malko, le major van Haag et trois officiers des Services spéciaux. Un des pilotes en combinaison orange grimpa sur une échelle afin de vérifier les attaches des rotors. Malko l’observait, inquiet.

— Quelque chose ne Va pas ?

— Non, dit le pilote, mais ces pièces auraient dû être changées depuis dix-huit mois ! Nous ne les avons pas : l’embargo.

Encourageant.

Le major van Haag apparut à la porte d’un bureau et fit signe à Malko de le rejoindre.

— Un téléphone pour vous, annonça-t-il, de Gaborone.

Malko avait laissé auGaborone Sun le numéro de Zeerust, sans préciser de quoi il s’agissait. Il prit la communication, troublée par de nombreux parasites et reconnut quand même la voix du chef de station de la CIA à Gaborone. Son cœur se mit à battre plus vite.

— Que se passe-t-il ? demanda-t-il.

— J’ai des nouvelles pour vous, annonça Richard Francis. À propos de Joe Grodno.

— Quoi ?

— Il a quitté l’ambassade d’URSS ce matin, c’est mon correspondant à l’aéroport qui m’a prévenu. Il est parti dans un appareil charté. Je n’ai pu encore vérifier la destination.

— Vous êtes sûr ?

— Certain, j’ai vérifié à l’aéroport. Ils ne l’ont pas lâché jusqu’au décollage.

Cela confirmait l’information de Gudrun Tindorf. Avec un avion privé, on pouvait se poser n’importe où.

— Vous n’avez pas pu avoir leur plan de vol ?

— Pas encore. Demain.

— Ce sera moins utile, dit Malko. Merci quand même.

Il raccrocha et communiqua l’information à Carl van Haag. L’officier sud-africain exultait :

— Ce salaud ne sait pas ce qui l’attend. Il va avoir une sacrée surprise.

— Vous croyez que nous sommes assez nombreux ? demanda Malko.

Van Haag eut un sourire supérieur :

— Tous ces gars sont super-entraînés. Habitués à des coups semblables contre la SWAPO, en Namibie. Et vous, vous êtes prêt ?

— Je suis prêt, confirma Malko.

Les seize hommes du commando prirent place les premiers sur les deux banquettes de toile dans l’axe de l’appareil. À l’arrière, il y avait un mortier de « 60 » et ses munitions plus une mitrailleuse MG 34. Les trois colonels des services spéciaux possédaient un stock de grenades aveuglantes.

Malko prit place à l’extrémité avant de la banquette gauche, juste en face de la grande ouverture rectangulaire. Au-dessus de chaque porte était accroché un canon de 20 mm orientable, permettant de balayer le sol. Le jour commençait à tomber. Ils avaient environ une heure de vol, jusqu’à leur objectif.

— On y va, annonça le major van Haag.

Il s’assit en face de Malko sur un siège de toile, PM sur les genoux. Visiblement heureux d’abandonner ses tâches bureaucratiques.

Sifflement, hurlement des turbines, le Puma vibrait de tous ses boulons et on s’entendait à peine. Par précaution, les pilotes avaient distribué du coton à tout le monde. Sinon, les tympans risquaient d’y passer… Le Puma roula un peu, s’éleva au-dessus de Zeerust et prit la direction de l’ouest. Très vite, dès qu’il eut franchi les dernières collines, il descendit et se mit à voler à cinquante pieds au-dessus du bush.

C’était impressionnant ! Les arbres clairsemés blanchis par la sécheresse ressemblaient à des moignons décolorés. Pas âme qui vive. De temps à autre, une piste sablonneuse coupait le bush, zigzaguant vers l’infini. Le bruit de l’hélico faisait fuir les animaux. Des impalas, trois girafes courant maladroitement. À perte de vue, il n’y avait que le soi sablonneux plat et désolé. Pas un village. Les guérilleros avaient bien choisi leur endroit. Les rares pistes étaient accessibles seulement par temps sec et avec des véhicules légers.

Parfois, un trou d’air les rapprochait dangereusement du sol qui renvoyait alors les gaz d’échappement au niveau de la cabine. On se serait cru dans un four.

La nuit tomba brutalement. Malko se pencha en avant. Pas une lumière en vue aussi loin que le regard pouvait porter. En face d’eux, c’était le désert du Kalahari, un des pires du monde. Le Puma continuait à foncer au ras du bush, sautant parfois une bosse de terrain, invisible, sauf à très courte distance… Les hommes semblaient somnoler, se concentrant en vue de l’action. Carl van Haag posa une carte sur ses genoux et alluma une mini-torche électrique, faisant signe à Malko.

— Nous allons arriver au Molopo, expliqua-t-il. Nous le franchissons et nous volons au-dessus du Botswana. Jusqu’à ce que nous rencontrions la piste Khakkea-Werda. Nous reprendrons alors la direction du sud, pour retraverser le Molopo. En continuant au même cap, nous trouverons facilement la ferme en question.

La lampe s’éteignit. Au-dessous du Puma apparut une bande plus sombre : le Molopo aussitôt avalé par l’obscurité. Malko admirait le pilote de voler si bas. Au moindre pépin, c’était l’éclatement… Il valait mieux ne pas y penser. Malko se redressa : ils approchaient de l’action. Le vent avait fraîchi. Quelques minutes plus tard, l’appareil vira à gauche. Il fallait vraiment des yeux de lynx pour distinguer la bande plus claire de la piste qui filait, rectiligne, direction nord-sud, à travers le bush. Il lui sembla que le Puma était encore descendu. Il avait l’impression de pouvoir toucher du doigt la cime des épineux.

Une lumière rouge s’alluma à l’avant, doublée d’un klaxon. Les hommes s’ébrouèrent, vérifièrent leurs armes. Il y eut des claquements de culasse, des cliquetis métalliques. La voix du pilote leur parvint quelques secondes plus tard, déformée par le haut-parleur :

— Objectif en vue.

Impossible de descendre plus bas. Le Puma s’inclina légèrement sur le côté, cherchant un endroit où atterrir.

— Véhicule en vue, annonça la même voix.

— Ils sont là ! exulta le major van Haag.

Le Puma était incliné à trente degrés. Malko se pencha en avant, retenu seulement par sa ceinture de sécurité. Avec l’impression d’être prêt à glisser dans le vide. Il vit une masse noire, tranchant sur la pénombre plus claire et tout à coup, une grande flamme rouge venant du sol. Suivie d’une traînée lumineuse qui approchait à toute vitesse.

— Missiel voor[40] ! hurla le pilote.

La gorge de Malko se noua. Quelques hommes crièrent et une fraction de seconde plus tard, une explosion terrifiante au-dessus d’eux ébranla tout l’appareil. L’hélicoptère se mit à tomber comme un ascenseur décroché. Malko avait débouclé sa ceinture pendant la chute. Instinctivement, il se jeta, dans le vide, avant même qu’il ait touché le sol. Il vit le Puma rebondir comme un ballon, aperçut d’autres corps qui en jaillissaient puis le gros hélicoptère rebondit sur le côté et retomba trente mètres plus loin. Malko était encore sur le sol, KO, quand le Puma explosa dans un fracas d’enfer, projetant des débris enflammés à plusieurs dizaines de mètres. Le souffle brûlant lui rôtit le dos.

Puis l’obscurité et le silence retombèrent, troublés seulement par l’incendie. Pas un cri : tous ceux qui se trouvaient à bord avaient péri sur le coup, carbonisés, asphyxiés, déchiquetés. Il se remit debout, regarda autour de lui, aperçut une silhouette qui rampait et courut vers elle. C’était Carl van Haag, hagard, les sourcils brûlés, l’air fou.

— Die vuilgoed ! Die vuilgoed[41] !

C’est tout ce qu’il pouvait répéter. Malko entraîna le major à l’abri d’un arbre. Au passage, ils retrouvèrent un autre officier qui titubait, l’uniforme en lambeaux, et l’emmenèrent. Ceux qui avaient abattu le Puma n’étaient pas loin et pouvaient vouloir les achever… Ils entendirent soudain un véhicule démarrer et s’éloigner. Leurs agresseurs.

— Il faut aller voir nos gars ! cria van Haag.

Ils coururent jusqu’à l’hélicoptère, qui continuait à se consumer. Butant au passage sur le corps d’un des pilotes, carbonisé. Impossible d’approcher des débris du Puma : la chaleur était trop forte. C’était vraisemblablement un Sam 7 qui l’avait touché. Les trois hommes se laissèrent tomber dans l’herbe, regardant l’appareil brûler, anéantis.

Ils se trouvaient à une centaine de kilomètres du poste de police sud-af le plus proche. Heureusement, le contrôle avait dû entendre le cri désespéré du pilote juste avant l’impact. Le fait de ne plus pouvoir entrer en contact avec lui l’alerterait.

Van Haag tourna vers Malko son visage brûlé et murmura :

— Elle nous a bien eus !

Malko ne répondit pas, ivre de rage et de honte. Il se sentait terriblement responsable de ce massacre inutile. Une belle embuscade. Dire qu’ils se sentaient si forts avec leur machine volante dont il ne restait que quelques ferrailles déchiquetées.

C’était déjà un miracle qu’ils aient survécu tous les trois pour raconter ce qui s’était passé. Malko revit la tête écrasée de Ferdi et le cadavre de Johanna. Cette mission était maudite. Ils avaient eu affaire à des adversaires diaboliques et sans scrupules.

Puis, ils demeurèrent silencieux dans une torpeur morbide, regardant brûler ce qui restait du Puma. Parfois, le vent leur apportait une horrible odeur de chair calcinée.


* * *

Il ne restait plus qu’une lueur rougeoyante à l’endroit où le Puma s’était écrasé, lorsqu’un Sikorski 160 surgit de la nuit. L’appareil tourna d’abord lentement au-dessus des débris, puis alluma ses phares, découvrant les trois hommes qui lui faisaient signe. L’hélico se posa à côté d’eux. Il n’y avait que deux hommes à bord : le pilote et un colonel.

Van Haag lui fit le récit succinct de ce qui s’était passé. Même pas la peine de poursuivre les auteurs de l’embuscade : ils avaient dû repasser au Botswana, leur coup fait. Finalement, le Sikorski redécolla pour Kuru-man, la base la plus proche. Malko et van Haag étaient complètement prostrés. Tant de mal pour arriver à ce désastre… Personne n’échangea une parole avant l’atterrissage. Seul, le major devait être soigné, mais il refusa de se faire conduire à l’hôpital. Il n’avait qu’une idée : retourner à l’hélicoptère abattu pour, au moins, récupérer les corps de ses camarades morts. Il s’installa au téléphone afin d’organiser une colonne de secours.


* * *

De la glorieuse expédition, il ne restait plus que vingt sacs de toile verdâtre contenant chacun les restes de ce qui avait été un homme. Un par un, des soldats les chargeaient dans un Puma dont on avait débarrassé les banquettes. Sous le soleil brûlant, les débris de l’autre hélicoptère ressemblaient à une sculpture abstraite. Il leur avait fallu cinq heures de piste pour venir de Kuruman et ils n’avaient rencontré personne. Aucun signe de l’embuscade sauf l’étui d’une fusée Sam 7… Et les traces d’un camion conduisant à un gué sur la rivière.

Bientôt, il ne demeura plus que la carcasse du Puma calcinée dont on avait retiré tous les équipements militaires. Carl van Haag s’approcha de Malko. Avec ses sourcils brûlés et sa peau rose, il avait l’air d’un mutant.

— Je repars sur Gaborone, vous venez ?

Malko avait laissé toutes ses affaires auGaborone Sun. Il prit place dans la Range-Rover. Quelques minutes plus tard, ils franchissaient le petit poste frontière de Bray pour retrouver la piste serpentant en plein désert qui rejoignait Lobatse. Ensuite, il y aurait une route goudronnée jusqu’à Gaborone. Toute cette région, comme l’ensemble du Botswana, était pratiquement inhabitée, avec parfois une ferme isolée, ce qui expliquait sa facilité de transit. Les gens de l’ANC s’y promenaient comme chez eux et ce n’était pas l’armée botswanienne qui allait les poursuivre. Pratiquement pas de route, quelques pistes en mauvais état et le terrible Kalahari.

Les deux hommes n’échangèrent pas une parole durant les trois heures du voyage. Par moments, la Range traversait une piste ensablée et tanguait si fort que les épaules de Malko et du major se cognaient douloureusement. Ces cahots vous vidaient le cerveau et empêchaient de penser. Ce qui valait peut-être mieux. Car la même idée les obsédait : pendant qu’ils se jetaient dans l’embuscade, les explosifs destinés à la campagne de terreur franchissaient la frontière ailleurs.

Bientôt, les bombes allaient de nouveau exploser en Afrique du Sud… En apercevant les premières cahutes de Gaborone, Malko sentit sa gorge se nouer. Onze jours plus tôt, ils arrivaient à trois. Aujourd’hui, il était seul et vaincu.

À côté de lui, Carl van Haag poussa un profond soupir :

— Dînons ensemble ce soir. Nous ferons le point et je crois que vous pourrez repartir demain. Moi, je dois aller dans le nord, vérifier des infiltrations. Ensuite, je vais demander ma mutation au camp Oméga, dans la bande de Kaprivi. J’ai envie de me battre. De me venger de ces salauds…

Malko le comprenait. Le major le déposa auGaborone Sun. Il eut envie de vomir en retrouvant les tristes couloirs.

Van Haag le rejoignit une heure plus tard : les Sud-Afs dînaient tôt… Heureusement, le spectacle n’avait pas encore commencé et ils purent dîner en paix jusqu’au dessert. Au moment de régler, il mit la main dans sa poche et sentit quelque chose de dur : les deux photos qu’il avait pris chez Marcello Dente. Il les examina. Tout à coup, une idée lui vint à l’esprit.

— Carl, dit-il, je me demande s’il n’y a pas une chance minuscule de retrouver ces explosifs.

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