La voiture tourna dans Schubartstraat, puis s’engagea au fond d’un étroit passage entre deux buildings et plongea dans une rampe de ciment menant à une entrée en contrebas. Malko aperçut au bas de la rampe deux soldats en kaki. Uzi à l’épaule, insolites dans ce quartier commercial du centre de Pretoria. L’officier qui était venu le chercher à Jan Smuts, l’aéroport de Johannesburg, exhiba une carte et un des soldats fit aussitôt coulisser une grille métallique. D’autres soldats traînaient dans le parking, réservé aux usagers du 32e étage, siège du Contre-espionnage sud-africain. Le reste de l’immeuble avait des occupants « normaux », banques et sociétés privées. Au 32e, une énorme grille défendait l’accès du service. Son mentor introduisit une carte magnétique dans un boîtier et la porte s’ouvrit sans bruit. Quelques affiches en anglais et en afrikaans incitaient à la prudence, dans un style plutôt naïf. Un planton les amena dans une grande pièce où étaient installés un écran et un projecteur de diapositives. Deux hommes s’y trouvaient déjà.
Malko identifia aussitôt l’un d’eux, à la pomme d’Adam proéminente : John Barter, le nouveau chef de station de la CIA à Pretoria. L’Américain lui broya les phalanges dans une poignée de main presque trop amicale :
— Bon voyage ?
— Parfait, dit Malko.
Venu par le South Afrikan Airways, il avait un peu regretté Air France et ses repas fins. Que ce soit en Première ou en Club, la nourriture et les vins étaient largement à la hauteur de la réputation de la compagnie française. Même fourvoyé en Éco, pour une cause imprévue, il avait trouvé des repas décents.
Malko posa son attaché-case Vuitton et se tourna vers l’autre occupant de la pièce. Un homme à la carrure solide avec des yeux gris et une plaque rougeâtre sur le menton.
— Voici le colonel Ferdinand Koster, annonça John Barter, un de nos homologues. On le connaît surtout sous le nom de Ferdi… Il a mené l’affaire qui vous a conduit ici…
Ferdi serra la main de Malko et hocha la tête, tandis qu’un planton apportait du thé qui se révéla absolument infâme. La porte s’ouvrit alors sur une jeune femme aux cheveux noirs et courts, avec un coquin nez retroussé et des jambes somptueuses moulées de gris. Le pull en cachemire soulignait une poitrine qui avait sa place dansPlayboy Magazine. Pourtant, à cause de ses Rayban et de ses mocassins, elle dégageait une impression de sérieux et même de sévérité. Ferdi se fendit d’un sourire et annonça :
— Miss Johanna Pieterdorf est ma meilleure collaboratrice, elle suit tous les dossiers de l’ANC.
Johanna Pieterdorf s’assit et croisa ses longues jambes, ses yeux sombres détaillant Malko avec l’air froid d’un entomologiste. Ferdi se tourna vers lui :
— Vous avez les photos ?
— Les voilà, dit Malko.
Il sortit de son attaché-case plusieurs diapositives que le colonel sud-africain tendit aussitôt à sa collaboratrice. Celle-ci alluma le projecteur. La photo d’une jeune femme de face, plutôt jolie apparut dans un silence de mort qui se prolongea très longtemps. Enfin, Ferdi laissa tomber, d’une voix déçue :
— Ce n’est pas elle !
— Tant mieux, dit Malko, parce que cette femme est en ce moment en prison à Rome.
L’écran redevint blanc. Autre photo. Cette fois prise de plus loin. Au télé. Ferdi se rapprocha, l’inspecta sous tous les angles, et finalement secoua la tête.
— Je ne crois pas, fit-il, mais je ne suis pas sûr.
— Vous pouvez être certain, dit Malko, celle-là s’est fait abattre par les Israéliens, il y a deux mois, dans une opération palestinienne dans le Sud-Liban. La suivante.
Blanc, clic-clac ; un énorme gros plan d’une très jolie femme avec de longs cheveux bruns cascadant sur les épaules occupa l’écran.
Cette fois, Ferdi n’attendit pas trois secondes pour rugir :
— C’est elle ! C’est elle.
Il s’approcha de l’écran, cacha les cheveux avec ses mains et répéta comme en transe :
— C’est elle !
— Vous êtes sûr ? demanda Malko, plutôt pour la forme.
— Totalement ! Je me rappellerai le visage de cette salope toute ma vie, lâcha Ferdi avec son lourd accent sud-af.
— Son véritable nom est Gudrun Tindorf. Elle est allemande, lesbienne et a appartenu au Mouvement du 2 Juin, un groupe terroriste qui s’est démantelé en 1968 sous les coups du BND, Gudrun a subi un entraînement militaire dans un camp tchèque et est considérée par les Allemands comme une des terroristes les plus dangereuses. C’est d’ailleurs la seule qui ait échappé au coup de filet.
— Qu’est-ce qu’elle fait maintenant ?
Johanna ralluma la lumière. Ferdi était suspendu aux lèvres de Malko.
— Elle tue, dit ce dernier. Pour le compte de tous ceux qui la paient bien. Au cours des dix dernières années, elle a travaillé pour plusieurs groupes terroristes, en Europe et en Amérique du Sud. Son activité au sein du Mouvement du 2 Juin lui a permis de nouer de nombreux contacts dans les milieux terroristes, et d’y jouir de leur confiance. Mais maintenant, elle agit pour son propre compte. C’est une mercenaire, elle ne travaille que pour de l’argent. Peut-être aussi, par orgueil féminin. C’est une excellente professionnelle. Nous avons eu beaucoup de mal à l’identifier avec votre portrait-robot…
Les ordinateurs de la CIA en avaient attrapé la migraine. Sans parler des innombrables informateurs. La femme qui avait déclenché l’explosion de Church Street évoluait forcément dans le milieu du terrorisme et son sang-froid prouvait que c’était une vieille routière. En partant de ces données simples et en communiquant un signalement sommaire aux différents Services de renseignements européens, on avait obtenu une vingtaine de noms. Sans tenir compte de la coiffure ou même de la couleur des yeux. Avec les lentilles de contact, il était facile de la changer. Ensuite, il avait fallu une enquête fastidieuse pour isoler les meilleures « candidates ». Gudrun Tindorf était demeurée la dernière. Ultime élément, son dossier avait révélé qu’elle parlait hollandais. Comme les Africains du Sud.
— Vous n’avez rien de plus sur elle ? demanda Ferdi.
— Rien, avoua Malko. Elle utilise des tas de fausses identités et a accès à des faux papiers de grande qualité.
— Nous allons quand même vérifier avec l’Immigration, dit Ferdi.
— À mon avis, suggéra Malko, elle a dû repartir depuis longtemps. Ce n’est pas le genre de personne à courir des risques.
— Depuis l’attentat, nous avons surveillé Jan Smuts, contra le colonel sud-af, et tous les points de sortie.
— Il y a les bateaux et les exfiltrations clandestines…
Le colonel sud-africain garda le silence quelques instants. Comme s’il hésitait à communiquer une information à Malko. Finalement, il sortit un papier de sa poche et le lui tendit :
— Nous avons reçu ça, il y a deux jours. Peut-être Gudrun Tindorf se trouve-t-elle encore ici.
Malko lut le papier, quelques lignes tapées à la machine en anglais :
Si Nelson Mandela et Walter Sisilu ne sont pas libérés avant la fin de la semaine, il y aura d’autres bombes. Umkhonto We Sizwec.
— Que signifie cette signature et qui sont ces hommes ? demanda Malko.
— Deux militants de l’ANC, expliqua Ferdi, emprisonnés pour vingt ans après avoir commis des attentats terroristes. La signature signifie en zoulou « La lance de la Nation ». C’est le bras armé de l’ANC. Avez-vous jamais entendu parler d’un certain Joseph Grodno ?
— Jamais.
— Dommage. Joseph ou, si vous préférez, Joe Grodno est notre pire ennemi. Un des fondateurs du parti communiste sud-africain et maintenant animateur de l’ANC, un Lituanien. Il est réfugié en Zambie, à Lasaka, et, de là, il dirige toutes les opérations terroristes contre nous. C’est un ancien du Komintern, un homme redoutable. Il nous hait.
Malko avait entendu parler de Joe Grodno, mais préférait faire l’imbécile. Les Sud-africains l’avaient toujours raté, mais sa femme était morte dans des circonstances bizarres dans l’explosion d’une lettre piégée. Incident dont les services spéciaux sud-africains n’étaient peut-être pas complètement innocents.
Malko rendit la lettre à son homologue :
— Vous prenez cette menace au sérieux ?
— Très, répondit Ferdi. Joe Grodno nous avait prévenus qu’il y aurait bientôt des voitures piégées. Il y a eu Church Street. Nous nous trouvons en face d’un complot de grande envergure destiné à faire pression sur notre gouvernement. Si d’autres explosions se produisent, l’opinion publique va exiger la libération de ces deux terroristes.
— Vous n’avez aucun moyen de retrouver Gudrun Tindorf ?
Le colonel Koster secoua la tête.
— Non. Nous avons diffusé un portrait-robot, fouillé les hôtels, les aéroports, donné son signalement à la presse. Personne ne l’a vue.
— Elle doit être hébergée par un de ces salauds de domini[4], coupa Johanna, d’une voix acide.
Son regard croisa celui de Malko et s’adoucit aussitôt.
— J’espère que je ne vous ai pas choqué…
L’Église était contre l’Apartheid et le Conseil Œcuménique des Églises aidait presque tous les mouvements terroristes du monde. Malko voyait cependant mal Gudrun Tindorf chez un prêtre. On savait, chez les Américains, que les Services sud-africains, peu rodés au terrorisme urbain, nageaient complètement dans l’affaire de Church Street. C’est bien pourquoi Malko se trouvait en Afrique du Sud.
La CIA avait été révulsée par la mort atroce de ses deux agents tués en train d’accomplir une mission théoriquement sans risques. Le directeur des opérations de la Company avait piqué une rage noire à la nouvelle du massacre, rejetant sur les Sud-Africains la responsabilité de la mort de Burt Gluckenhaus et de Steve Orbach. Seulement, il fallait les venger et, pour cela, collaborer avec les Services spéciaux sud-afs. Douloureux dilemme résolu par l’envoi de Malko, en Afrique du sud, afin de suivre l’enquête d’une façon pas trop voyante. Malko n’appartenant pas à la Company, personne ne pourrait soupçonner la CIA de collaborer avec les « diables » de Pretoria, maudits par l’ONU.
Le silence était retombé dans la pièce.
— Où peut se trouver cette salope ? murmura Ferdi pour lui-même. J’aimerais lui arracher la tête…
— Vous n’avez aucune piste ? demanda Malko. La voiture des deux terroristes ?
— Elle avait été volée dans les environs de Jo’Burg, une semaine plus tôt, dit Ferdi. À un Blanc. Nous avons tout vérifié. C’est clair.
— Où les auteurs de l’attentat l’ont-ils cachée ?
— Dans le garage où sont arrivés les explosifs. Tenu par un gang de « strollies[5] »… Ils volent les voitures et ils trafiquent sur la « dagga[6] »… Des petits criminels. Ils agissent par goût de l’argent et haine raciale en même temps.
— Et par eux ? Ils ne savent rien ?
Ferdi eut un sourire amer.
— Leurs deux chefs étaient dans la Galant… On n’en a pas retrouvé assez pour remplir un carton à chaussures. Les seuls à connaître les vrais contacts. Ceux-ci sont venus les trouver de la part de l’ANC, d’après ce qu’ils ont dit à leurs complices. Ils étaient tranquilles. On leur avait dit qu’il fallait abandonner la voiture à cinq heures moins le quart. Sans leur parler de cette garce qui allait les faire sauter avec leur truc.
— Vous savez pourquoi ?
— Les responsables de l’opération voulaient se débarrasser d’eux, pour ne pas laisser de témoins. Ça ne les empêchera pas de retrouver toujours des strollies un peu fous qui risqueront leur peau pour mille rands… Même après cette expérience. Ils prétendront qu’il y a eu une fausse manœuvre…
— Et les explosifs ?
— Ce sont vos amis qui nous ont conduits sur leur piste. Ils venaient de Zambie, via le Botswana. Le courrier qui les a amenés a disparu dans la nature. Un Zoulou. Nous l’avons laissé filer pour ne pas donner l’alerte, afin de coincer tout le gang. C’est moi qui ai pris cette décision.
Nouveau silence. Malko se dit que si les menaces contenues dans le message étaient vraies, les Sud-Afs étaient mal partis.
Le chef de station de la CIA contemplait ses ongles d’un air pensif. On resservit du thé froid.
— Et, de votre côté, vous avez une idée ? demanda Ferdi.
— Pas pour le moment, fit Malko. Sinon de retourner à mon hôtel me reposer un peu.
Les Services sud-afs l’avaient mis auHoliday Inn et lui avait attribué une Ford Sierra flambant neuf louée chez Budget, d’un très beau bleu pastel. Pas vraiment discret pour une barbouze.
Le chef de station proposa aussitôt :
— Je serai ravi de vous emmener.
— Dans ce cas, c’est parfait, conclut Malko.
La réunion était terminée.
Ferdi garda la photo de Gudrun Tindorf. Ils refranchirent les grilles actionnées par la carte magnétique de Ferdi. Ce n’est qu’en émergeant dans Schubartstraat que John Barter tourna vers Malko un visage soucieux :
— Je me demande ce que vous allez faire ici. J’espérais qu’ils avaient au moins un début de piste. Ils semblent complètement perdus. Vous pensez que cette fille est encore en Afrique du Sud, malgré les risques que cela représente ?
— Étant donné la campagne de terreur qui se prépare, dit Malko, c’est possible. C’est une professionnelle de la vie clandestine, ne l’oubliez pas.
Ils roulaient dans Schoemanstraat presque déserte. La nuit commençait à tomber.
— Vous pourriez me rendre un service ? demanda Malko.
— Bien sûr.
— Prêtez-moi votre voiture.
L’Américain eut un regard surpris :
— Mais… vous en avez une !
— Exact. Mais je ne veux pas aller auHoliday Inn pour éviter d’être suivi.
Ils venaient de stopper à un feu rouge. L’Américain se tourna vers Malko, intrigué.
— Suivi ? Mais où voulez-vous aller ?
— Je n’ai pas tout dit à nos amis sud-afs, avoua Malko. Nous avons peur que leur désir de revanche ne leur brouille le cerveau.
— Vous avez une information sur cette Gudrun Tindorf ?
— Oui.
— Vous savez où la trouver ?
— Peut-être, si elle a été imprudente ou paresseuse.
— Mais qu’allez-vous faire ? demanda le chef de station, plein d’inquiétude. Vous n’avez pas l’intention de…
Il imaginait toujours les gens de la Division Action prêts à trucider la terre entière.
— Je ne lui ferai rien, promit Malko, mais en la surveillant, on peut sûrement remonter sur quelque chose d’intéressant. Ensuite, on mettra les Sud-Afs sur le coup. Ils ont été tellement traumatisés par ce qui est arrivé qu’ils sont capables de l’arrêter tout de suite si je leur apprends où elle se planque. En plus, rien n’est encore sûr. Je ne veux pas être ridicule, si mon tuyau est crevé.
— Et où est-elle ?
Malko eut un sourire contraint.
— Je ne suis pas autorisé à vous le dire. Vous pouvez vous arrêter ici ?
John Barter se gara au coin d’un complexe de sept cinémas.
— Je pense que vous n’aurez pas de mal à trouver un taxi, dit Malko. Vous pourrez récupérer votre voiture demain matin.
L’Américain ravala sa salive. C’était la règle du jeu.
— Vous êtes armé ?
— Non.
— Cette fille est dangereuse.
— Je sais.
Il se glissa à la place du conducteur et passa en « D ». La Buick démarra en douceur et la silhouette de John Barter, immobile sur le trottoir, fut avalée par l’obscurité.
La Buick filait à toute vitesse sur le N 1, le freeway reliant Pretoria à Jo’Burg. Ses phares éclairèrent un panneau indiquant « Soweto ». Depuis une semaine, les banlieues noires, les « township » comme les appelaient les Sud-Afs, étaient en ébullition. Des bandes de Noirs pillaient, incendiaient et tuaient, sans que la police parvienne à les contenir.
Quarante minutes plus tard, les gratte-ciel de Jo’Burg apparurent sur la gauche du freeway. On se serait cru aux USA. Sauf qu’on roulait à gauche.
Malko regarda son compteur : 155. De quoi faire frémir les policiers sud-afs à cheval sur le règlement. Il se demanda si Ferdi avait deviné sa vraie mission. William Casey, le patron de la CIA, était fou furieux, à la suite de la mort de ses deux agents. Le palmarès de la terroriste allemande, reconstitué d’après l’enquête de la Company était éloquent : une douzaine d’agents américains, israéliens, allemands, froidement exécutés, plus quelques autres broutilles. L’Allemande ne semblait plus motivée politiquement, bien qu’elle ne travaille que pour des commanditaires de gauche. Différents groupes l’utilisaient à tour de rôle, pour des missions ponctuelles et dangereuses. Toujours pour de l’argent.
Gudrun était d’une habileté diabolique. Elle avait récemment glissé entre les doigts des Services hollandais après leur avoir tué un de leurs officiers d’une balle en plein cœur. Ce sont eux qui avaient renseigné la CIA. Grâce à un tuyau récent, ils avaient retrouvé une planque de Gudrun, près de Utrecht, en Hollande, et l’avaient visitée discrètement. Une fille, maîtresse occasionnelle de l’Allemande, y vivait seule. Dans la boîte aux lettres, les Hollandais avaient trouvé une lettre adressée à celle qui vivait là : écrite par Gudrun sur papier à en-tête de l’hôtelCarlton à Johannesburg !
Renseignement de première importance.
Seulement, les Hollandais ne voulaient pas collaborer avec les Sud-Afs. Ils avaient gardé l’information sous le coude pour finalement la donner au chef de poste de La Haye qui avait aussitôt transmis à Langley…
D’où le voyage de Malko en Afrique du Sud avec une mission précise : « terminer Gudrun Tindorf avec un extrême préjudice ». Ce qui, dans le jargon de la CIA, signifiait la liquider physiquement.
Malko n’appréciait pas vraiment ce genre de mission. Son intention secrète était de la livrer tout bonnement aux Sud-Afs, qui la pendraient haut et court. L’attentat de Church Street avait fait dix-huit morts et deux cents quatre-vingt blessés.
Il aperçut sur le freeway un panneau indiquant « Center » et s’engagea dans la rampe. Quelques instants plus tard, il roulait dans le centre de Jo’Burg, le long de Market Street. Cela ressemblait à New York. Le plus modeste building comportait quinze étages. Il tourna à droite et abandonna sa voiture au portier du Carlton, le plus grand hôtel de la ville.
Il n’y avait plus qu’à vérifier si l’information des Hollandais était encore bonne. Ou si c’était un leurre.
Le hall duCarlton grouillait d’animation. Malko s’arrêta en face de la réception et regarda autour de lui. Depuis deux heures, il explorait systématiquement les restaurants, les bars et les couloirs duCarlton, s’imprégnant des lieux. Sans vraiment espérer tomber sur Gudrun Tindorf. Il eût fallu un miracle. Évidemment, un simple coup de fil à Ferdi aurait beaucoup facilité ses recherches. Seulement, excité comme il l’était, le colonel sud-africain était capable d’arriver avec des tanks… Si Malko échouait, il serait toujours temps de faire appel à ses homologues.
La porte à tambour donnant sur la rue s’ouvrit soudain sur une vision qui assécha la gorge de Malko. Une Noire sculpturale de plus de 1,80 m, tout de rouge vêtue : les escarpins, la mini en cuir, le chemisier et une immense capeline qui cachait en partie son visage. Elle se dirigea d’un pas décidé vers les ascenseurs, faisant onduler une croupe qui aurait fait abjurer le pasteur protestant le plus fanatique d’Apartheid. Automatiquement, Malko traversa le hall à son tour. Curieux d’en savoir plus sur cette créature insensée. Il la rejoignit en face des ascenseurs. De près, elle était encore plus impressionnante, avec une poitrine incroyable dont les pointes crevaient le tissu, un visage sensuel à la bouche énorme, et de grands yeux étirés à l’expression volontairement trouble.
Ils pénétrèrent dans la cabine et elle appuya sur le bouton du 22e étage. Tout l’ascenseur se mit à sentir le jasmin. Le regard dissimulé sous le rebord de sa capeline, elle s’absorbait dans la contemplation de ses ongles interminables, rouges eux aussi, bien entendu, sans prêter la moindre attention à Malko. Ils descendirent ensemble au 22e et elle s’engagea dans le couloir désert, balançant ironiquement ses hanches en amphore devant Malko. Ses jambes n’en finissaient pas.
Un peu plus loin, elle s’arrêta à la porte d’une chambre et frappa. Malko la dépassa, se sentant tout à coup un peu idiot. Il fit demi-tour et se trouvait derrière elle lorsque le battant s’ouvrit. Il s’arrêta net, n’en croyant pas ses yeux. Même sans ses Rayban, Johanna, la collaboratrice de Ferdi, était parfaitement reconnaissable. Leurs regards se croisèrent et la jeune femme devint en une fraction de seconde de la couleur d’une tomate bien mûre.