Le silence incrédule de Ferdi se prolongea plusieurs secondes. Malko observait le métis à la lueur du plafonnier. Lyle transpirait à grosses gouttes. Il détourna vivement le regard et se rencogna dans son siège. Ferdi lança :
— Pourquoi Joe Grodno vient-il ici ?
— Pour chercher la Blanche, celle qui… bredouilla le métis.
— Elle sera là aussi ? interrogea Ferdi.
— Oui, oui.
— Comment vient-elle ?
— Je ne sais pas, chef, je vous jure.
Il semblait paralysé de terreur.
— Qu’est-ce que tu as ? demanda Ferdi.
— Les autres, chef, dit le métis, s’ils savent que je vous dis ça, ils me tuent tout de suite.
L’officier sud-africain eut une grimace méprisante.
— Fallait réfléchir avant de te lancer là-dedans… Tu devrais être derrière des barreaux, en ce moment. Alors, estime-toi heureux. Explique-nous un peu comment est organisé ce rendez-vous.
— Ils arrivent demain à Phuduhudu. Les uns de Zambie, les autres de la frontière en traversant le Molopo. Là-bas, il n’y a pas de militaires, ils sont tranquilles, personne ne les verra.
— Où se trouve cet endroit ? demanda Malko au Sud-Africain.
— Environ à trois cents « kils[24] » à l’ouest de Gaborone, expliqua Ferdi, à la lisière du Kalahari. Quelques cahutes en bordure de la piste. Aucun étranger n’y va jamais. C’est à une journée de Gaborone par la piste et j’ignore même si elle est praticable en ce moment, à cause du début des pluies.
Il se tourna de nouveau vers Lyle et l’interrogea d’une voix sévère :
— Comment sais-tu tout cela ?
— Quelqu’un me l’a dit, bredouilla le métis.
— Qui ?
— Un camarade de l’ANC que je connais. Il partait là-bas avec un « bakkie[25] » pour aller chercher des armes et des explosifs. Il était très excité parce qu’il va rencontrer le grand chef.
— Joe Grodno ?
— Oui.
Brusquement, Ferdi abandonna l’anglais pour l’afrikaans et continua la conversation dans cette langue. Lyle devenait nettement plus prolixe… Il se tut enfin et alluma une cigarette. Ferdi semblait moins tendu.
— Cela se tient, lâcha-t-il en anglais. D’après lui, cette vieille crapule de Joe Grodno vient leur donner des armes et leur remonter le moral. Gudrun Tindorf doit être en train de glisser entre nos doigts et va probablement repartir avec lui, sa mission accomplie.
— Mais leurs menaces ?
— Si elle a formé quelques spécialistes, elle n’a plus besoin d’être là. Ou bien, elle estime que le risque est trop grand de rester en Afrique du Sud.
À l’arrière, Lyle s’agita et dit d’une voix geignarde :
— Meneer, il faut me protéger. Si les autres, ils savent, ils me font beaucoup de mal. Je veux venir à l’hôtel avec vous…
Ferdi eut un haut-le-corps.
— Tu es fou. Il n’y a pas de gens comme toi au Gaborone Sun.
— Alors, je dors dans la voiture…
Il semblait vraiment paniqué. Ferdi réfléchit quelques secondes et dit d’une voix plus douce :
— C’est impossible, mais nous te ramènerons demain au pays, après notre petit voyage. Il faut que tu te caches jusque-là.
Lyle plissa son front bas et finit par dire :
— OK,Meneer, mais…
Ferdi mit en route et coupa court :
— Tu me retrouves à la mosquée, demain soir, à la même heure. Si vraiment tout ce que tu me dis est vrai, peut-être bien que tu n’iras pas en prison…
— Merci,Meneer, balbutia Lyle.
Ferdi se retourna et lui glissa un billet de dix pulas dans la main.
— Allez, va te faire pendre, lança-t-il presque jovialement.
Lyle sauta de la voiture et disparut dans l’obscurité du bas-côté. Malko demanda aussitôt :
— Cela vous paraît crédible cette histoire ?
Ferdi frottait son menton envahi par la barbe.
— Ouais. Cela ressemble à une exfiltration de Gudrun Tindorf combinée avec une livraison d’armes. Pour franchir la frontière de Zambie, elle a besoin des gens de Joe Grodno. C’est donc logique qu’ils se retrouvent à mi-chemin. Au Botswana, ils ne risquent pas grand-chose.
— Donc, vous faites confiance à Lyle ?
— Il n’a pas inventé cela tout seul…
— Quelqu’un a pu le faire pour lui.
Ferdi hocha la tête.
— Right. Mais ce n’est pas la première fois que l’on « retourne » un Cafre. Comment croyez-vous que nous ayons des informateurs ?
— Et si c’est un piège ?
— Ce n’est pas exclu, admit le Sud-Africain. Mais nous ne pouvons pas faire l’impasse… Il faut y aller.
— Comment ?
— En avion.
Malko s’aperçut qu’il filait dans la direction opposée auGaborone Sun.
— Où allons-nous ?
— Chez Piet Hertzog, notre chef de poste.
Un chien loup, montrant ses crocs jusqu’aux gencives, bavant de joie à l’idée d’un peu de chair fraîche, pointait son museau à travers la grille. LeChien des Baskerville. Il n’aboyait pas, attendait le moment de bondir à la gorge des visiteurs.
Malko posa néanmoins la main sur la poignée et Ferdi l’arrêta :
— Attendez ! Il vous boufferait les couilles.
D’habitude, il préfère les couilles de Cafres, mais il se ferait une raison.
Il y eut des pas sur le gravier et un homme corpulent apparut, un shot-gun dans la saignée du bras. En même temps, un puissant projecteur les éclaira.
— Piet ! C’est Ferdi.
Le projecteur s’éteignit, le chien disparut et la grille s’ouvrit. Piet Hertzog était impressionnant. Un géant de près de deux mètres, avec une panse de buveur de bière, un visage de prophète et une barbe étalée presque jusqu’à l’estomac. Ferdi fit les présentations, Piet parlait anglais avec un accent à couper au couteau. Ils le suivirent dans un living-room aux murs décorés d’armes de toutes sortes, de la MG 34 à la Stein et de trophées de chasse. Dans un coin, deux magnétoscopes Akaï étaient empilés l’un sur l’autre au-dessus d’une télé. Seule distraction au Botswana, à part la chasse.
Ferdi eut un clin d’œil ironique :
— Piet aime bien chasser. L’impala et le terroriste cafre…
Piet apporta d’autorité des boîtes de bière et du J & B et Ferdi commença son récit. L’autre colonel sud-af l’écoutait pensivement en caressant sa barbe. Puis, il prit la boîte de bière vide dans sa main et se mit à la broyer méthodiquement.
— Ça n’est pas facile de trouver un avion si vite, dit-il, mais je vais essayer…
Il se leva et disparut dans son bureau d’un pas lourd, endormi. Ferdi sourit à Malko, et but un peu de son J & B.
— Ne vous fiez pas à son apparence. C’est un vrai Boer. Il parle le zoulou, l’ovambo et le tswana. Il est malin comme un singe et résistant comme un éléphant. Il habitait la Namibie. Les gens de la SWAPO[26] ont dynamité sa ferme et découpé sa femme à la machette. Alors, il ne les aime pas beaucoup.
Piet revint ; dans ses gros doigts, la boîte de bière n’était plus qu’une petite boule de métal froissé.
— Je crois que j’ai ce qu’il faut. Une copine, Helda. Elle a un Comanche à peu près en bon état. Elle est OK pour partir demain matin très tôt.
— Une femme ? s’étonna Malko.
— Une Rhodésienne, expliqua Ferdi. Son mari était fermier, il a été assassiné. Elle vit ici en faisant du charter. Nous l’utilisons pour pas mal de missions. Elle pilote bien et ferme sa gueule. En plus, elle n’a pas peur et sait tenir une arme…
Piet Hertzog s’était versé une seconde bière. Il en but un peu et laissa tomber :
— Ce putain de Cafre va probablement essayer de nous baiser…
— Vous venez avec nous ? demanda Malko.
Piet sourit pour la première fois.
— Évidemment ! fit-il de sa voix lente. Si je pouvais amener la tête de ce fumier de Joe Grodno pour la clouer sur la porte de ma ferme, je serais le plus heureux des hommes…
— Il y a un terrain d’atterrissage à Phuduhudu ?
— Un terrain ! (Piet rota.) Plutôt une piste, très mauvaise. Ici.
Il se leva et posa un gros pouce sur un point de la carte épinglée au mur.
— À Motokwe. Trente kils. Nous avons un copain là-bas qui a une ferme et un pick-up avec une radio. On l’appellera dès qu’on sera dans le coin et il viendra nous chercher. Ensuite, il nous prêtera une Range-Rover et on ira voir.
— Vous avez un plan ? demanda Malko.
Piet secoua la tête.
— Un plan ! Non. On va discuter avec les gens. C’est le désert là-bas, tout le monde sait ce qui se passe… Je parle leur langue, c’est facile. Pour eux, tous les Blancs se ressemblent. Ils croiront qu’on est avec les autres. Ensuite…
Il eut un geste vague de la main.
— Départ quelle heure ? demanda Ferdi.
— Six heures et demie. Le temps que Helda dépose son plan de vol pour le parc naturel de Gemsbok, ajouta avec un sourire le gros colonel. À propos, vous avez dîné ?
— Non.
— Venez, j’ai duboerekos[27]…
Une femme effacée entra dans la pièce, salua d’un hochement de tête et annonça que le dîner était servi. Avant de s’asseoir à la table, Piet Hertzog inclina la tête et murmura à voix basse une prière brève. Ferdi avait fermé les yeux. Malko se demandait quelle sorte de piège leur avait tendu Lyle. Il ne croyait pas une seconde à la bonne foi du petit métis. Ce dernier avait une façon très simple de se racheter auprès de ses amis de sa prétendue trahison : leur livrer les deux colonels sud-afs et Malko.
On risquait de les attendre avec une mitrailleuse à Phuduhudu…
Ils s’assirent. Le ragoût était bourré de pili-pili. Heureusement, car la viande trop cuite s’effilochait. En quelques instants, la barbe de Piet ne fut plus présentable ; Ferdi échangea un regard de connivence avec Malko et un sourire qui le rajeunissait beaucoup.
— J’espère que demain soir, nous boirons le champagne, dit-il.
— Moi, dit Malko, au risque de doucher son enthousiasme, j’espère simplement que nous ne serons pas étendus morts dans le désert.
Piet Hertzog rota de nouveau et rit joyeusement. Apparemment indestructible. Puis, il ouvrit sa chemise et montra à Malko une énorme cicatrice rougeâtre qui filait de son sternum au bas de sa panse.
— Ça, fit-il, c’est un Cafre qui m’a planté sa machette dans le ventre. Je lui ai fait craquer le cou avant qu’il me coupe les tripes en deux. Il a craché sa langue et ses yeux, et son cerveau s’est mis à bouillir.
Il se rassit et se versa une rasade de J & B qu’il but pur.
Une odeur fade flottait dans le petit casino : la dagga. Toutes les filles fumaient en attendant le client. Ferdi semblait plus éveillé que d’habitude et ses yeux traînaient un peu sur les filles. La bière. Il s’approcha d’une machine à sous, mit une pièce d’un pula et appuya sur le bras latéral.
« Dring-dring-dring… »
Une pluie de pièces ! Heureux comme un enfant, le colonel sud-af recommença à la machine suivante et ainsi de suite. Enfin, il alla changer des poignées de pièces et revint triomphant, brandissant des billets.
— J’ai gagné soixante pulas ! On va aller à la roulette.
Malko changea cent dollars. Ils eurent du mal à trouver une place à l’une des tables de roulette, toutes assiégées. Une vieille Noire, accrochée à son sac, jouait parcimonieusement, pula par pula. Malko et Ferdi se mirent à jouer, misant n’importe quoi, leur date de naissance, le jour du mois, tout ce qui leur passait par la tête. Et cela marchait ! Des tas de jetons s’amoncelaient devant eux.
La jeune croupière en service à la table ouvrit un bouton supplémentaire de son pull et leur adressa un regard langoureux, espérant profiter de cette manne. Heureusement que Johanna dormait. Elle eut été scandalisée de voir son chef flamber ainsi.
Leur table était la plus animée. Soudain, Malko aperçut lapit-girl de la veille qui se frayait un chemin vers eux. Superbe, la croupe insolente de beauté, la même jupe droite d’où émergeaient deux jambes bien moulées de noir et une poitrine qui faisait pâlir toutes celles des alentours. De grands yeux de biche marron la faisaient ressembler à une impala, si étirés vers le haut qu’on avait l’impression qu’elle voyait sur le côté.
Elle adressa à Malko un sourire à liquéfier une banquise.
— You are lucky[28] ! remarqua-t-elle.
Un peu déhanchée, elle observait les deux hommes d’un regard trouble, pointant vers eux ses deux obus… Elle consulta sa montre et ajouta :
— Last ball[29] !
Le casino fermait. Ferdi misa vingt pulas d’un coup sur le sept et le sept sortit. Hurlements de joie ! Toute la table l’avait imité. La croupière paya avec un sourire contraint et Ferdi emmena ses jetons de vingt pulas ; une petite fortune.
— Je vais pouvoir acheter un manteau de fourrure à ma femme, dit-il.
Lapit-girl leur coupa la route au moment où ils partaient et demanda d’une voix douce :
— Avec tout cet argent, vous devriez m’offrir un verre, ma journée est terminée.
Elle s’adressait plus spécialement à Ferdi. Ce dernier lança un regard d’interrogation à Malko qui répondit, amusé :
— Pourquoi pas ?
Dans le bar l’odeur était horrible et une rangée de braillards occupait le comptoir. Ils s’installèrent dans un box et lapit-girl croisa très haut les jambes. Elle était étonnamment sophistiquée pour une Africaine. Au lieu de la sempiternelle bière, elle prit un cognac Gaston de Lagrange, qu’elle savoura lentement, en connaisseuse. Ferdi semblait fasciné par ses fabuleux seins en poire. Ils bavardèrent de choses et d’autres, du casino, du jeu, elle les interrogea sur ce qu’ils faisaient, ils échangèrent leurs prénoms.
— Je m’appelle Louisa, dit la métisse.
Sa bière vidée, Ferdi regarda nerveusement sa montre.
— Nous partons en safari très tôt demain matin, dit-il, je crois que je vais me coucher.
— Moi aussi, dit Malko.
— Ah, c’est merveilleux, fit lapit-girl. Où allez-vous ?
— Dans le parc de Gemsbok, répondit vivement Ferdi.
— Eh bien, j’espère que vous verrez beaucoup d’animaux.
Ferdi était déjà debout, après avoir payé. Lapit-girl l’imita.
— À propos, demanda Malko, vous ne connaissez pas une fille qui s’appelle Wanda et qui travaille ici ?
— Wanda ? Non, je ne vois pas, mais il y en a tellement… Je demanderai…
Elle s’éloigna vers le lobby, laissant derrière elle une traînée de parfum… Malko se promit, si leur mission se passait bien, de mettre la superbepit-girl dans son lit.
Le soleil était à peine levé mais Ferdi avait pris le temps de se raser de près. Johanna les fixait anxieusement. Elle ne faisait pas partie du voyage.
— Faites attention, dit-elle, je n’aime pas cette histoire.
— Avec Piet, il ne peut rien nous arriver, dit Ferdi en riant. Il parle à Dieu tous les jours…
Ils achevèrent leur breakfast et sortirent. Direction la maison de Piet. De jour, sa villa était coquette, entourée de fleurs. Il les attendait dans le jardin, avec deux sacs qu’il posa à l’arrière de la Honda.
— Provisions de route ! annonça-t-il.
Ferdi entrouvrit un des sacs et Malko aperçut trois PM d’un modèle inconnu, très courts, comme l’Ingram, avec des tas de chargeurs.
— Dans l’autre sac, il y a des grenades et quelque chose de plus sérieux, annonça Piet Hertzog. Une MG 34 que j’ai bricolée.
Une mitrailleuse légère !
Il leur fallut cinq minutes pour atteindre le petit aéroport désert et pénétrer sur le tarmac. La pilote, avec ses cheveux courts et sa silhouette trapue, ressemblait à un homme, avec pourtant une poitrine impressionnante. Sa couperose révélait mieux que des mots à quoi elle passait ses soirées…
— Tout est en ordre, dit-elle. On peut y aller.
Ils prirent les sacs contenant les armes et traversèrent la minuscule aérogare pour gagner le bimoteur parqué en face de la tour de contrôle. Il n’y avait qu’une demi-douzaine d’avions privés avec, au loin, trois appareils des Forces Aériennes botswanaises en peinture de camouflage. Un Noir terminait les pleins du Comanche. On chargea les sacs dans les soutes derrière les moteurs et Piet Hertzog commença une inspection complète de l’appareil, faisant fonctionner les volets, sondant les réservoirs, vérifiant tous les endroits où on aurait pu cacher quelque chose, s’attardant aux vis, afin de voir si on ne les avait pas touchées récemment. Rassuré, il fit signe à Malko et Ferdi de prendre place sur la banquette arrière. Lui tenait à peine à la place avant. Il semblait maintenant parfaitement paisible. Malko se tourna vers Ferdi :
— Vous ne craignez pas que notre départ soit repéré ?
— Je ne pense pas. Helda a l’habitude de conduire des gens dans les Game Park, Piet circule beaucoup. C’est un grand chasseur. Ici, il accomplit surtout des tâches administratives…
Avec des PM 9 mm…
— S’ils nous attendent, remarqua Malko, nous allons nous faire massacrer.
Le visage grimaçant et suant de Lyle ne lui inspirait décidément pas confiance, mais, puisque les deux Sud-Africains semblaient si sûrs de leur fait…
Un moteur tourna, puis les deux et on ferma le cockpit. L’appareil avait déjà beaucoup volé, et ça se voyait. Malko jeta un coup d’œil sur le plan de vol. La pilote lui sourit, suivant son regard.
— Je contacterai la tour au dernier moment pour lui dire que nous avons un problème d’instruments et que nous nous posons à Motokwe. Cela arrive souvent.
Elle aussi paraissait parfaitement calme. Malko attacha sa ceinture et se laissa aller à l’euphorie du moment. Le Comanche se mit à rouler de plus en plus vite.
— Dites donc, la fille d’hier soir, elle est drôlement bien foutue ! cria le Sud-Af. Si je n’étais pas marié. Je n’ai jamais eu une Noire…
— Celle-là ne l’est pas vraiment, dit Malko, comme les roues du Comanche quittaient le sol.
L’appareil vira, passant au-dessus de Gaborone, prenant ensuite la direction de l’ouest. En bas, c’était l’immensité du bush, piqueté d’épineux et de quelques collines pelées qui semblaient posées sur le sol ocre. Au loin, les montagnes s’estompaient dans la brume.
Ferdi détacha sa ceinture. Derrière eux, Gaborone n’était plus qu’une tache marron, à peine discernable dans l’immensité du Kalahari. Devant, c’était le désert et ensuite la Zambie. La pilote se retourna :
— L’atterrissage ne sera pas facile, la piste est rongée par la sécheresse là-bas. J’espère que je ne casserai pas le train.
Piet Hertzog caressa sa barbe et sortit une boîte de bière. Ils montaient régulièrement et se trouvaient déjà à trois mille pieds. Malko se détendit. Il revoyait le Sud-Africain inspectant le Comanche sous toutes les coutures, les moindres coins où on aurait pu cacher une machine infernale. De ce côté-là, ils étaient tranquilles.
Soudain, il lui sembla que le moteur gauche faisait un bruit étrange… Il tendit l’oreille : le ronron n’était plus harmonieux, mais saccadé. Il entendit un juron à l’avant, vit la pilote vérifier ses robinets d’essence et le cadran indiquant la « mixture ». Quelques instants plus tard, le moteur gauche s’arrêta et la pilote mit l’hélice en drapeau :
— Il faut faire demi-tour ! cria-t-elle.
Elle entama un large virage à plat. Il n’était pas terminé qu’à son tour, le moteur droit crachouilla, repartit et s’arrêta définitivement. Deuxième hélice en drapeau ! Un silence sinistre s’abattit dans le cockpit, troublé seulement par le sifflement du vent. Malko sentit son estomac se serrer. Le Comanche descendait vers le bush, en vol plané, à plus de cent vingt nœuds[30].
La pilote se retourna, livide :
— Je ne sais pas ce qui se passe ! Je ne comprends pas. Nous ne pouvons pas revenir sur Gaborone !
— Bon Dieu, essayez de remettre en route ! cria Ferdi.
Malko aperçut les épineux qui se dressaient un peu partout, émergeant du sol rocailleux. Rien ne pouvait les empêcher de s’écraser dans le bush.