Chapitre VII

Gaborone…

Malko repéra sur la grande carte épinglée au mur la capitale du Botswana. Un petit point, collé à la frontière de l’Afrique du Sud, pas très loin de l’immense désert du Kalahari, un des endroits les plus désolés du globe. Pratiquement, le Botswana n’était qu’un désert, coincé entre la Zambie, le Zimbabwe et l’Afrique du Sud.

Il revint à la table et but un peu de thé brûlant et amer, tandis que Ferdi compulsait un dossier qu’un planton venait juste d’apporter. Qu’allaient-ils découvrir à Gaborone ; rien ou un maillon de la chaîne qui les mènerait à Gudrun Tindorf et aux terroristes préparant la campagne de terreur contre l’Afrique du Sud ? Il essaya de se mettre dans la peau de l’Allemande. Jusque-là, elle s’était conduite avec une férocité sans défaut. Elle avait sûrement pensé à ce moyen de remonter jusqu’à elle. Donc, ou cette Wanda ne savait rien, ou elle était déjà liquidée. Cependant, on ne pouvait négliger aucune chance.

— Allons à Gaborone, dit-il.

Ferdi ne lisait plus, le regardant d’un air absent. Il repoussa le document et dit pensivement :

— Il y a peut-être quelque chose de mieux à faire à Gaborone… Je viens de lire le procès-verbal d’interrogatoire de Lyle. Il reconnaît qu’il a servi de courrier pour amener les explosifs à Pretoria. Qu’il est allé les chercher au Botswana. Il a d’ailleurs confirmé avoir eu, à Gaborone, des contacts avec des membres de l’ANC. Il devait y retourner.

— Vous a-t-il dit quelque chose sur Gudrun Tindorf ?

— Il prétend ne l’avoir vue que deux ou trois fois. Un de ceux qui ont été tués lui avait dit de lui obéir. C’est pour cela qu’il aurait accepté de vous tuer. Mais il jure ne rien savoir d’autre. Ce qui est peu vraisemblable.

— Quelle est votre idée ? demanda Malko.

— Lui proposer un deal. Si je laisse suivre le cours de la justice, dans quelques mois, il se balancera au bout d’une corde.

— Pourquoi ? demanda Malko choqué par ce raccourci.

— Il fait partie de ceux qui ont introduit dans le pays des explosifs utilisés pour l’attentat de Church Street, expliqua l’officier sud-africain. Il sera donc jugé pour complicité de meurtre, condamné à mort et pendu. Dans notre pays, les juges n’ont pas beaucoup de tendresse pour les individus de son espèce.

— Quelle est l’autre alternative ? demanda Malko.

— Lyle n’a pas encore été formellement inculpé. Dès que vous le reconnaîtrez devant un magistrat, il le sera. D’abord pour tentative de meurtre. Si vous acceptez je peux lui proposer de venir avec nous à Gaborone et de nous mener jusqu’à ceux qui lui ont fourni l’explosif. Cela double nos chances de succès…

Moyennant quoi, je témoignerai auprès du tribunal et il s’en tirera avec cinq ans. Pour possession d’explosifs.

Malko regarda Ferdi, ébahi.

— Mais une fois au Botswana, il va filer immédiatement !

Le colonel sud-africain eut un sourire plein de malice.

— Pas forcément. D’abord, je prendrai certaines précautions. Ensuite, je lui ai promis une mort très désagréable s’il me doublait.

— Pour ma part, je suis d’accord, dit Malko. Mais…

— Bien, dit Ferdi. Qu’on aille le chercher.


* * *

Deux soldats en tenue de combat poussèrent dans la pièce le petit métis, dont les mains étaient attachées dans le dos avec des menottes. Il avait un peu repris figure humaine depuis son arrestation, bien que son visage soit encore boursouflé et son œil droit toujours fermé. Plusieurs sparadraps cachaient les plus vilaines de ses blessures. Il promena un regard sournois et terrifié sur les occupants de la pièce, se recroquevillant en reconnaissant Ferdi. Ce dernier s’approcha de lui et se mit à lui parler à voix basse dans une langue inconnue.

— C’est du zoulou, glissa Johanna à Malko.

Lyle se tassait de plus en plus. Quand Ferdi eut terminé, il redressa un peu la tête et lâcha quelques mots d’une voix geignarde.

Malko croisa le regard de son œil unique et y lut une intelligence inattendue. Aussitôt, le métis détourna la tête comme s’il craignait qu’on l’analyse de trop près. Ferdi se retourna.

— Il accepte, annonça-t-il simplement. Si vous êtes d’accord, nous partons cet après-midi, par la route. Johanna vient avec nous, elle peut être utile.

Malko n’allait pas le démentir.


* * *

Le freeway ultra-moderne reliant Pretoria à Johannesburg sinuait paresseusement dans un paysage vallonné, à moitié désertique, avec de temps à autre la cheminée d’une usine. Presque à chaque kilomètre, il y avait un embranchement. Ferdi tourna à une sortie annonçant « Brits » et la grosse Honda bleue se retrouva sur une route étroite filant vers l’ouest à travers les montagnes du Transvaal. Une région presque exclusivement agricole. Des éventaires improvisés au bord de la route se succédaient, offrant des fruits et des légumes. Il y avait peu de circulation et les camions se rangeaient sagement sur le bas-côté dans des nuages de poussière, pour se laisser doubler. Le paysage était admirable, avec un fond de montagnes sauvages. Quelques Noirs, le béret enfoncé jusqu’aux yeux, cheminaient lentement, sans même chercher à faire du stop.

On se serait cru dans le sud-ouest des États-Unis, tant on avait sensation d’un pays immense, à peine peuplé. Ils ne traversèrent que deux ou trois bourgs sans grâce. Deux cents kilomètres après Pretoria, le ciel gris fit brutalement place à une voûte d’un bleu immaculé, tandis qu’apparaissait la latérite africaine. Lorsqu’ils s’arrêtèrent pour prendre de l’essence, la chaleur tomba sur Malko comme une chape de plomb, picotant sa chair encore à vif à travers son pansement.

Un silence lourd régnait dans la voiture. À l’arrière, Lyle, vêtu de neuf, presque présentable, et Johanna, se tenaient chacun à un bout de la banquette. La jeune femme fumait cigarette sur cigarette.

Ils doublèrent un camion et Ferdi annonça :

— Nous allons bientôt arriver à Zeerust. C’est la dernière ville avant la frontière. Notre ami Lyle va nous quitter là.

Il avait lourdement appuyé sur le mot « ami ». Le métis ne répondit pas. Malko ignorait les détails du plan de Ferdi, et se demanda ce que cela signifiait. Le paysage avait changé, les cultures laissant la place au bush, sorte de savane plate, parsemée d’épineux au milieu de laquelle la route filait toute droite avec un virage tous les trente kilomètres.

Ils trouvèrent un barrage, juste à l’entrée de Zeerust. Un policier filtrait les voitures. La carte de Ferdi leur évita tout contrôle.

Après une descente, ils pénétrèrent dans la ville.

On se serait cru en plein Far-West. Quelques rues se coupant à angle droit, peu de piétons, de rares boutiques et des petites maisons proprettes. On n’était qu’à trois cents kilomètres de Jo’Burg et c’était un autre monde… Pas un taxi, jamais d’étrangers. Ce n’était pas une région touristique et, à part quelques fermiers, il n’y avait guère de visiteurs. Ferdi tourna à gauche, suivant une rue commerçante et ils arrivèrent devant une gare.

— C’est la ligne qui va de Pretoria à Salisbury, au Zimbabwe, en passant par le Botswana, expliqua-t-il. Il y a un train pour Gaborone, dans un quart d’heure. Lyle va le prendre. Nous le retrouverons à Gaborone, mais avant, il y a une petite formalité.

Ferdi sortit de la Honda et le métis l’imita. Il fit signe à Malko de le rejoindre et lui tendit alors un appareil photo :

— Un petit souvenir.

Il se rapprocha de Lyle et lui mit la main sur l’épaule, jovial. Lyle ébaucha une grimace qui pouvait à la rigueur passer pour un sourire. Malko les photographia ainsi. Ferdi, satisfait, récupéra l’appareil et donna une tape dans le dos du métis.

— Demain soir huit heures devant la mosquée. N’oublie pas le numéro de la voiture, dit-il.

On entendit un coup de sifflet dans le lointain. Ferdi remonta en voiture suivi de Malko.

— Vous ne craignez pas, dit Malko, que…

— Non. Ici à Zeerust, il ne ferait pas vingt mètres. La police est prévenue. Évidemment, il peut être tenté de filer jusqu’en Zambie, mais plus tard il aura du mal à expliquer la photo et sa disparition. Ses copains sont beaucoup plus féroces que nous. Ils l’égorgeront comme un veau. Alors, il va tenter sa chance. Je connais ces Cafres. Ils sont « solides d’une oreille à l’autre[19] » et sont vite terrorisés.

Lyle avait disparu dans la gare. Ils traversèrent Zeerust à petite allure, retrouvant tout de suite le désert. Quelques minutes plus tard, Malko aperçut sur la gauche de la route un train roulant parallèlement à eux. De vieux wagons de bois repeints à neuf et décorés du sigle « Zimbabwe Railways ». Lyle se trouvait quelque part dans un de ces wagons qui continuaient ensuite sur le Zimbabwe, après l’arrêt de Gaborone.

Les dés étaient jetés. La route bifurqua et ils perdirent de vue le joli petit train. Une ligne de collines arides bordaient le paysage sur la gauche : la frontière avec le Botswana. La surface de la France et de la Belgique réunies pour une population de huit cent mille habitants. Point de passage obligé entre la Zambie et l’Afrique du Sud. Des fermiers, des réserves d’animaux, des diamants et du désert.

Ferdi appuya sur l’accélérateur et le paysage défila de plus en plus vite… De nouveau, la sensation d’infini devant le bush moutonnant à perte de vue.

— Pourvu que ce Cafre de malheur ne nous double pas ! soupira Ferdi, pris d’une tardive inquiétude.

Personne ne répondit. Johanna s’appuya au dossier de Malko, l’imprégnant de son parfum. Leurs regards se croisèrent dans le rétroviseur et elle lui sourit. Une brusque bouffée de désir l’envahit et il eut envie d’être déjà à Gaborone. Le soleil tapait sur le pare-brise. Ils retrouvaient l’Afrique noire.


* * *

— Cette fois, on y est, lâcha Ferdi.

Un Botswanais, noir d’ébène, venait de lever la barrière de la douane, après des vérifications tatillonnes et le don d’une vignette auto pour la modique somme de un pula, la monnaie locale, équivalent à un peu plus d’un rand. Le paysage était identique, seule différence : des ânes au milieu de la route et quelques carcasses de voitures éclatées dans le bush.

Dix minutes plus tard, ils apercevaient un panneau : Gaborone. Un motel, quelques constructions en plein désert, des villas et un énorme boulevard périphérique brillamment éclairé, d’un modernisme incongru dans un tel paysage, enfermant des cabanes en tôle ondulée. Le soleil couchant accrocha l’or d’un minaret : celui d’une superbe mosquée flambant neuf.

— C’est ici qu’on a rendez-vous demain, commenta Ferdi. Si ce salaud de Cafre tient parole.

Un peu plus loin sur Nyerere Drive, ils trouvèrent leGaborone Sun. Un motel tout en longueur, en contrebas du périphérique. Des dizaines de statues de bois s’alignaient autour du porche. À droite de l’entrée une grosse enseigne lumineuse annonçait : Casino. L’intérieur était plutôt minable avec sa peinture passée et des couloirs qui n’en finissaient pas. Il y régnait pourtant une atmosphère plus chaude qu’en Afrique du Sud. À droite du lobby, des machines à sous cliquetaient joyeusement, avalant les économies de quelques pauvres Noirs et de Blancs plus aisés. L’énorme bar était encore désert. Tous les week-ends des dizaines de Sud-Africains venaient ici s’encanailler, fuyant la rigueur morale de leur pays…

Malko se retrouva seul dans une chambre à un kilomètre de l’entrée, donnant sur le parking, voisine de celles de Ferdi et de Johanna.

Il se demanda ce qui était advenu de Gudrun Tindorf.

Si l’ultimatum de l’ANC n’était pas un bluff, la terroriste allemande devait être au travail : préparant le prochain attentat. La seule chance de l’arrêter était de trouver sa piste à Gaborone et de la remonter ensuite.

— Je vais faire un tour, annonça Malko à Ferdi, au téléphone intérieur.

Son tour s’arrêta en fait à la porte de Johanna. Il frappa et la jeune femme lui ouvrit. En peignoir éponge rose, elle défaisait sa valise. Malko aperçut la crosse d’un pistolet automatique entre la soie de deux combinaisons. Johanna vint s’appuyer contre lui.

— Bienvenue à Gaborone, murmura-t-elle.

Elle se frottait contre lui, de tout son bassin, plus du tout inhibée. Malko écarta le tissu éponge pour caresser un sein. Mais très vite, Johanna reprit ses distances.

— Non, fit-elle à voix basse, Ferdi peut venir. Je ne veux pas qu’il sache.

— Alors, chez moi.

— C’est pareil. On verra plus tard.

Elle le repoussa, le mettant littéralement dehors.

Le supplice de Tantale !


* * *

Presque à chaque table du bar, il y avait une pute noire contemplant une orangeade d’un regard mort, attendant le client. Une plus audacieuse, grande et plutôt belle, juchée sur un tabouret, examinait les nouveaux arrivants avec un sourire canaille, la poitrine moulée d’un pull rouge vif, les fesses tellement serrées dans son jean qu’il semblait peint à même la peau. Malko eut droit à une œillade appuyée. Il battit en retraite. Des dizaines de Blancs étaient alignés le long du bar, en train de se saouler à la bière, en reluquant les filles. Il était encore trop tôt pour que les choix soient faits. Une écœurante odeur de bière flottait dans l’air. Une musique tonitruante filtrait du restaurant-night-club voisin, où un couple de pseudocomiques essayaient de dérider des spectateurs qui ne pensaient qu’aux croupes exotiques du bar… La grande tristesse…

Ferdi et Johanna finissaient de dîner au bord de la piscine, l’endroit le plus agréable duGaborone Sun. Presque à chaque minute, un taxi débarquait deux ou trois putes qui s’installaient un peu partout, y compris dans le hall. Des cerbères noirs veillaient à ce qu’elles ne se répandent pas indûment dans les couloirs…

Malko traversa la salle des machines à sous où d’autres filles attendaient, appuyées à la rambarde dominant les tables de roulette et le 21, en contrebas. Certaines très jeunes et appétissantes.

Les croupières portaient toutes de longues jupes roses avec des pulls de laine bleue, moulant des poitrines impressionnantes. Quelques boutons défaits, afin que les joueurs malheureux aient au moins une compensation à leurs pertes. Le regard de Malko fut attiré par une fille habillée différemment qui évoluait derrière les croupières, les surveillant d’un air hautain. Unepit-girl[20].

De complexion claire, elle arborait un chignon strict, contrastant avec une croupe cambrée, des bas noirs émergeant d’une jupe droite. Elle avait fort à faire, car les croupières étaient très familières avec les joueurs et leurs regards aux gagnants, éloquents. Il ne fallait pas que l’argent sorte de la maison…

Malko examinait les filles : laquelle était Wanda ?

Ferdi allait prendre discrètement contact avec l’officier sud-africain, responsable du poste de Gaborone. Malko regagna le patio.

Après le bruit des machines à sous et l’odeur de la bière, le jardin lui parut délicieux. Dès qu’il fut assis, la jambe de Johanna toucha la sienne. Ils en étaient au dessert. Ferdi leva son verre et dit d’un ton grave :

— Je bois à ma femme, Lily.

Touchant. Johanna appuya sa jambe un peu plus contre celle de Malko. Deux putes passèrent, bras dessus bras dessous, cherchant des proies, et rentrèrent. Il faisait frais comme toujours le soir dans le désert.

— On pourrait demander cette Wanda au concierge, suggéra Ferdi.

— Cela risque d’attirer l’attention, dit Malko. J’irai traîner un peu tout à l’heure, bavarder avec les filles. Quelquefois le hasard fait bien les choses.

Johanna se pencha pour ramasser sa serviette, sa main se posa sur la cuisse de Malko et le pinça très fort. Apparemment, elle n’aimait pas la concurrence. Malko se tourna vers elle :

— Johanna, vous m’accompagnez ?

— Non, fit-elle, seul, vous serez plus à l’aise.


* * *

Le bar était encore plus bruyant et la bière coulait à flots. Dans un box, trois croupières étaient enroulées autour d’un des « comiques », devant une montagne de bouteilles de bière vides… Une autre dardait une langue rose dans l’oreille de son voisin ivre-mort qui lui pétrissait machinalement la cuisse. Les dernières esseulées du bar commençaient à s’affoler sérieusement, n’ayant pas trouvé preneur. L’une vint carrément se frotter contre Malko et demanda d’une voix douce :

— Please, give me a lift[21].

— Je n’ai pas le temps, dit Malko pour s’en débarrasser.

— Ce n’est pas loin, insista-t-elle, accrochée à son regard. Juste de l’autre côté de Nyerere Drive. Mais j’ai peur seule, il y a toujours des voyous…

Malko eut une brusque inspiration.

— Je cherche une fille qui s’appelle Wanda, dit-il. Elle n’est pas là, ce soir ?

La pute se rembrunit et retourna à son tabouret. Le casino venait de fermer et son personnel féminin était venu prêter main-forte aux putes du bar. D’autres attendaient à l’entrée de l’hôtel pour se faire raccompagner.

L’odeur de bière dans le bar était intenable. Une autre pute fonça sur Malko qui l’évita.

Une voix derrière lui, le fit sursauter :

— Vous avez fait votre choix ?

Johanna le fixait avec un sourire ironique. Il eut un choc agréable. Sa taille était étranglée par une large ceinture de cuir noir, elle portait un chemisier rouge sang de bœuf, moulant ses seins superbes et une jupe de cuir noir lacée par-derrière qui donnait envie de la saisir à pleines mains.

Les putes la regardaient d’un air franchement hostile. Elle allait se faire lyncher. Malko lui prit le bras et l’entraîna vers le couloir.

— Vous êtes folle ! Qu’est-ce que vous faites ici ?

— Je ne pouvais pas dormir. Alors, vous avez trouvé cette Wanda ?

— Non.

— Elle a dû filer depuis longtemps. Tous ces Cafres ne sont pas si idiots qu’on le croit…

— Et Lyle ?

— Ferdi est trop naïf, on ne le reverra pas non plus.

Le moins qu’on puisse dire, c’est qu’elle n’était pas très optimiste. Les putes refluèrent dans le lobby : le bar fermait. Quelques ivrognes, bière au poing, entourèrent Johanna, louchant sur le cuir noir. Elle eut un sourire ambigu.

— On dirait que j’ai du succès.

Par une porte ouverte, ils aperçurent un ivrogne foudroyé qui ronflait sur son lit ; Malko, en riant, poussa Johanna dans la pièce.

— Vous êtes fou ! chuchota-t-elle.

— Ferdi ne viendra pas nous chercher ici, dit-il.

Elle se laissa embrasser. Puis, centimètre par centimètre, Malko releva la jupe de cuir, faisant apparaître des bas noirs avec les longs serpents des jarretelles. Johanna n’avait rien d’autre. Malko la retourna, l’appuya au mur et la prit ainsi rapidement, explosant très vite dans sa croupe consentante. L’ivrogne ne se réveilla pas.

Ils ressortirent de la chambre, et se quittèrent sur un baiser silencieux.


* * *

Le soleil était tombé brutalement sur le désert du Kalahari, comme avalé par une trappe, ne laissant traîner que quelques rayons sur la coupole d’or de la mosquée, au coin de Notwane Drive. Ferdi et Malko, immobiles dans la Honda, écoutaient la radio en silence. La journée avait passé lentement. D’abord à la piscine de l’hôtel, puis en ville où Ferdi était allé de nouveau rendre discrètement visite à son chef de poste, qui ne savait rien. Les autorités botswanaises ne seraient pas d’une grande aide, ne voulant pas se mêler des querelles des Sud-Afs, ni trahir leurs frères de race.

— Il est en retard, le porc ! soupira Ferdi.

Une demi-heure. À tout hasard, l’officier sud-af avait posé un Browning sur ses genoux. Il y avait peu de circulation, à part quelques camions. Malko doutait que le Cafre se montre. Pas fou. Une heure s’écoula. Ferdi se trémoussait en grognant sur son siège. Il n’y avait qu’eux, arrêtés sur le large bas-côté de Nyerere Drive.

Soudain, une silhouette avec un béret surgit et Ferdi fit un appel de phares.

— God verdomp ! C’est lui !

Malko n’en croyait pas ses yeux. C’était bien le visage plat de Lyle. Le métis monta à l’arrière et ôta son béret. Il semblait affolé et fatigué. Ferdi dit sévèrement :

— Alors, Lyle, tu es en retard.

— Je me suis trompé desequel[22], dit le Noir.

— Tu as retrouvé tes amis ?

— Quelques-uns…

Ferdi démarra. Inutile d’attirer davantage l’attention. Il se mit à rouler lentement sur le périphérique désert qui ceinturait Gaborone. Lyle alluma une cigarette de dagga dont l’odeur fade remplit la voiture. Le métis se pencha en avant et lâcha d’une voix pressée :

— Meneer[23], j’ai appris quelque chose de très bon.

— Ah, fit Ferdi d’une voix volontairement indifférente. Ce ne sont pas des conneries ?

— Non, non,Meneer, vous allez être content.

— Quoi ? La fille est ici ?

— Non,Meneer. Pas la fille. Mais il y a un convoi qui va arriver du nord jusque dans un village au bord du Kalahari. Demain soir. Ils viennent de Zambie et ils amènent des explosifs et des armes. Pour passer de l’autre côté de la frontière.

— Goete God ! jura le Sud-Af. Tu es sûr ?

— Oui,Meneer, et il y a un grand chef blanc qui vient pour rencontrer ceux de ton pays.

— Un grand chef blanc. Qui ?

— Il s’appelle Joe. Il vient de Zambie.

— Joe ?

Ferdi donna un violent coup de frein et se gara sur le bas-côté, tournant la tête vers le métis :

— Joe Grodno ?

Lyle grimaça un sourire veule :

— Oui,Meneer, c’est ça, c’est bien le nom.

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