Londres

Sir Ashton regroupa la série de photographies alignées sur son bureau. Il les rangea dans une pochette et referma le rabat du dossier.

– Vous êtes très belle sur ces photos, Isabel. Le deuil vous va à merveille.

– Ivory n'est pas dupe.

– Je l'espère bien, il s'agissait de lui adresser un message.

– Je ne sais pas si vous avez...

– Je vous ai demandé de choisir entre Vackeers et les deux jeunes scientifiques, vous avez choisi le vieillard ! Ne venez pas maintenant me faire des reproches.

– Était-ce bien nécessaire ?

– Je ne comprends même pas que vous vous posiez encore la question ! Suis-je le seul à véritablement mesurer les conséquences de ses actes ? Vous rendez-vous compte de ce qu'il adviendrait si ses deux protégés arrivaient à leurs fins ? Croyez-vous que l'enjeu ne vaille pas de sacrifier les dernières années d'un vieillard ?

– Je sais, Ashton, vous me l'avez déjà dit.

– Isabel, je ne suis pas un vieux fou sanguinaire, mais quand la raison d'État l'exige, je n'hésite pas. Aucun de nous, vous y compris, n'hésite. La décision que nous avons prise sauvera peut-être quantité de vies, à commencer par celle de ces deux explorateurs, si toutefois Ivory se décide enfin à renoncer. Ne me regardez pas comme ça, Isabel, je n'ai jamais agi autrement que dans l'intérêt du plus grand nombre, ma carrière ne m'ouvrira peut-être pas les portes du paradis, mais...

– Je vous en prie, Ashton, ne soyez pas sarcastique, pas aujourd'hui. J'aimais vraiment beaucoup Vackeers.

– Je l'appréciais également, même si nous avons eu parfois nos mots. Je le respectais et je veux espérer que ce sacrifice qui me coûte autant qu'à vous aura les résultats escomptés.

– Ivory semblait terrassé hier matin, je ne l'avais jamais vu dans un tel état, il a pris dix ans en une nuit.

– S'il pouvait en prendre dix de plus et passer de vie à trépas, cela nous arrangerait bien.

– Alors pourquoi ne pas l'avoir sacrifié, lui, au lieu de s'en être pris à Vackeers ?

– J'ai mes raisons !

– Ne me dites pas qu'il a réussi à se protéger de vous, je vous croyais intouchable ?

– Si Ivory venait à décéder, cela redoublerait les motivations de cette archéologue. Elle est impétueuse et trop futée pour croire à un accident. Non, je suis certain que vous avez fait le bon choix, nous avons retiré le pion qu'il fallait ; mais je vous préviens, si la suite des événements vous donnait tort, si les recherches continuaient, je n'ai pas besoin de vous nommer les deux prochains qui se retrouveraient dans notre ligne de mire.

– Je suis certaine qu'Ivory aura compris le message, soupira Isabel.

– Dans le cas contraire, vous en seriez la première avertie, vous êtes la seule à qui il accorde encore sa confiance.

– Notre petit numéro à Madrid était bien réglé.

– Je vous ai permis d'accéder à la tête du conseil, vous me deviez bien cela.

– Je n'agis pas par reconnaissance envers vous, Ashton, mais parce que je partage votre point de vue. Il est trop tôt pour que le monde sache, bien trop tôt. Nous ne sommes pas prêts.

Isabel prit sa sacoche et se dirigea vers la porte.

– Devons-nous récupérer le fragment qui nous appartient ? demanda-t-elle avant de sortir.

– Non, il est parfaitement en sécurité là où il se trouve, peut-être encore plus maintenant que Vackeers est mort. Et puis, personne ne saurait comment y accéder, c'est bien ce que nous souhaitions. Il a emporté son secret dans la tombe, c'est parfait ainsi.

Isabel hocha la tête et quitta Sir Ashton. Pendant que le majordome la raccompagnait à la porte de l'hôtel particulier, le secrétaire de Sir Ashton entra dans son bureau une enveloppe à la main. Ashton la décacheta et releva la tête.

– Quand ont-ils obtenu ces visas ?

– Avant-hier, monsieur, à l'heure qu'il est, ils doivent se trouver dans l'avion, en fait non, rectifia le secrétaire en regardant sa montre, ils se sont déjà posés à Sheremetyevo.

– Comment se fait-il que nous n'ayons pas été avertis plus tôt ?

– Je n'en sais rien, je diligenterai une enquête si vous le souhaitez. Voulez-vous que je rappelle votre invitée, elle est encore dans nos murs ?

– N'en faites rien. En revanche, prévenez nos hommes sur place. Ces deux oiseaux ne doivent en aucun cas voler au-delà de Moscou. J'en ai plus qu'assez. Qu'ils abattent la fille ; sans elle, l'astrophysicien est inoffensif.

– Après la fâcheuse expérience que nous avons connue en Chine, vous êtes sûr de vouloir agir de la sorte ?

– Si je pouvais me débarrasser d'Ivory, je n'hésiterais pas une seconde, mais c'est impossible, et je ne suis pas certain que cela réglerait définitivement notre problème. Agissez comme je vous l'ai demandé, et dites à nos hommes de ne pas lésiner sur les moyens, cette fois je préfère l'efficacité à la discrétion.

– Dans ce cas, devons-nous prévenir nos amis russes ?

– Je m'en chargerai.

Le secrétaire se retira.

Isabel remercia le majordome qui lui ouvrait la portière du taxi. Elle se retourna pour regarder la majestueuse façade de la demeure londonienne de Sir Ashton. Elle demanda au chauffeur de la conduire à l'aéroport de la City.

Assis sur un banc dans le petit parc qui se situait juste en face de la maison victorienne, Ivory regarda la voiture s'éloigner. Une pluie fine s'était mise à tomber, il s'appuya sur son parapluie pour se redresser et s'en alla à son tour.

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