La Jaguar roulait à vive allure sur la petite route qui menait au manoir. Assis à l'arrière, à la lumière de la veilleuse du plafonnier, Sir Ashton parcourait un dossier. Il le referma en bâillant. Le téléphone de bord sonna, son chauffeur annonça un appel en provenance de Moscou et le lui passa.
– Nous n'avons pas réussi à intercepter vos amis en gare d'Irkoutsk, je ne sais pas comment ils ont fait, mais ils ont échappé à la vigilance de nos hommes, expliqua Moscou.
– Fâcheuse nouvelle ! s'agaça Ashton.
– Ils sont sur le lac Baïkal dans la demeure d'un trafiquant d'antiquités, reprit MOSCOU.
– Alors qu'attendez-vous pour les interpeller ?
– Qu'ils en ressortent. Egorov a ses appuis dans la région, sa datcha est protégée par une petite armée, je ne souhaite pas qu'une simple arrestation tourne au bain de sang.
– Je vous ai connu moins précautionneux.
– Je sais que vous avez du mal à vous y faire, mais nous avons tout de même des lois dans notre pays. Si mes hommes interviennent et que ceux d'Egorov ripostent, il sera difficile d'expliquer aux autorités fédérales les raisons d'un tel assaut au milieu de la nuit, surtout sans avoir demandé de mandat au préalable. Après tout, d'un point de vue légal, nous n'avons rien à reprocher à ces deux scientifiques.
– Leur présence dans la maison d'un trafiquant d'antiquités n'est pas suffisante ?
– Non, ce n'est pas un délit. Soyez patient. Dès qu'ils sortiront de leur tanière, nous les cueillerons sans que cela fasse le moindre bruit. Je vous promets de vous les expédier par avion demain soir.
La Jaguar fit une sérieuse embardée, Ashton glissa sur la banquette et faillit en lâcher le combiné. Il se rattrapa à l'accoudoir, se redressa et cogna à la vitre de séparation pour manifester son mécontentement à son chauffeur.
– Une question, poursuivit MOSCOU : vous n'auriez pas tenté quelque chose sans me prévenir, par hasard ?
– À quoi faites-vous allusion ?
– À un petit incident qui s'est produit dans le Transsibérien. Une employée de la compagnie a été violemment frappée à la tête. Elle se trouve encore à l'hôpital, avec un sérieux traumatisme crânien.
– Je suis désolé de l'apprendre, mon cher. Frapper une femme est un acte indigne.
– Si votre archéologue et son ami ne s'y étaient pas trouvés, je ne douterais pas de votre sincérité, mais il s'avère que cette agression inqualifiable s'est produite dans le wagon qu'ils occupaient. J'imagine que je dois voir là une coïncidence et rien d'autre ? Vous ne vous seriez jamais autorisé à agir dans mon dos et encore moins sur mon territoire, n'est-ce pas ?
– Bien sûr que non, répondit Ashton, le seul fait que vous le suggériez m'offense.
La voiture se balança à nouveau violemment. Ashton ajusta son nœud papillon et cogna une nouvelle fois sur la vitre en face de lui. Quand il reprit le téléphone en main, MOSCOU avait raccroché.
Ashton appuya sur un bouton, la cloison vitrée s'abaissa derrière le fauteuil de son chauffeur.
– Vous avez fini de me secouer ainsi ? Et puis pourquoi conduisez-vous aussi vite ? Nous ne sommes pas sur un circuit automobile, que je sache !
– Non, monsieur, mais nous descendons une côte dont la pente n'est pas négligeable et les freins ont lâché ! Je fais de mon mieux, mais je vous invite à boucler votre ceinture, je crains de devoir nous faire avaler un fossé dès que cela sera possible, si je veux arrêter cette satanée berline.
Ashton leva les yeux au ciel et fit ce que son chauffeur lui avait demandé. Ce dernier réussit à aborder convenablement le virage suivant mais il n'eut d'autre choix que de quitter la route et de s'enfoncer dans un champ afin d'éviter le camion qui arrivait en face.
La berline immobilisée, le chauffeur ouvrit la portière de Sir Ashton et s'excusa du désagrément. Il n'y comprenait rien, la voiture sortait de révision, il était allé la chercher au garage juste avant de prendre la route. Ashton lui demanda s'il y avait une lampe de poche à bord, le chauffeur ouvrit la trousse de secours et lui en présenta une aussitôt.
– Eh bien, allez voir sous le châssis ce qui s'est passé, bon sang ! ordonna Ashton.
Le chauffeur enleva sa veste et s'exécuta. Il n'était pas aisé de se faufiler sous le véhicule mais il y parvint en passant par l'arrière. Il reparut quelques instants plus tard, crotté des pieds à la tête, et annonça, fort embarrassé, que le carter du circuit de freinage avait été perforé.
Ashton eut un moment de doute, il était impensable que quelqu'un s'en prenne à lui de façon aussi délibérée et grossière. Puis il repensa à la photographie que lui avait montrée son chef de la sécurité. Assis sur son banc, Ivory semblait fixer l'objectif et, de surcroît, il souriait.
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