Ça fait du bien de retrouver l’air de la capitale. Je m’en mets plein les trous de nez.
Je parie que vous avez des idées bien arrêtées sur la conduite que je vais tenir ? Vous pensez que je vais emboucher le cor de chasse pour sonner l’hallali… Vous me voyez déjà bousculer les pots de fleurs pour retrouver le solde de la bande des kangourous… Eh bien, si vous pensez tout ça vous vous faites des idées de midinettes. De retour à Paris, je rentre dans un bar pour boire quelques grogs très costauds, après quoi je vais au cinéma. Parfaitement, au ciné ! et si quelqu’un trouve à y redire, il a qu’à amener son menton, je m’en vais lui le rectifier d’urgence.
Ce que je joue en ce moment, c’est ma peau et celle de Gisèle. Ça mérite qu’on prenne des précautions, non ? C’est pas en faisant du zèle qu’on obtient des résultats plus probants. Je veux agir à coup sûr. J’ai une idée qui me trotte dans le caberlot, et il faut que je la laisse éclore convenablement. C’est quand elle sera bien mûre que je la cueillerai.
Je vais grailler à Dupont Montmartre, puis je me mets en quête d’un hôtel où les puciers sont confortables. J’en dégauchis un du côté de la porte Saint-Martin. C’est plein de tapineuses dans ce coin, mais tant pis, je suis pas conformiste. Une vieille morue pensionnée de l’État me demande si une piaulette au troisième me va. Je lui dis que oui, je règle ma chambre et je grimpe les escadrins. La vieille me rappelle pour me demander à quelle heure on doit me réveiller demain. Je lui dis de ne pas perdre ses globules rouges à ce sujet et de me laisser roupiller trente-quatre ans si c’est nécessaire.
Je ne mets pas longtemps pour me désaper et piquer une tête dans les plumes. Le lit est la plus belle conquête de l’homme après le cheval et le chewing-gum.
Je ronfle bientôt comme une escadrille.
Et voilà que je me mets à rêver. Je me vois dans un train avec la môme Gigi. Je lui explique le principe des vases communicants. On ne s’ennuie pas ! Tout à coup, y a un tamponnement. Nous sommes engloutis sous une montagne de ferraille.
Je me débats… Je ne sais pas bien si je viens de me réveiller ou bien si mon rêve prend une autre tournure. Je n’hésite pas longtemps : pour être réveillé je le suis, mais savoir si je le resterai longtemps, that is the question, comme dirait mon pote Shakespeare. Figurez-vous qu’y a un gnaf dans ma piaule qui est en train de me taper sur la calebasse avec ce que le médecin légiste appellera demain un instrument contondant. Heureusement pour ma praline, je l’avais carrée sous l’oreiller. Dans l’obscurité, l’agresseur ne s’en est pas rendu compte. Tout étourdi je me remue. J’y vais avec les pieds, avec les mains… Je veux pas me laisser posséder de cette façon-là. Moi j’aime bien voir les types qui essaient de me refiler des billets de repos éternel. Enfin j’arrive à me dégager. Au moment où je peux sortir la tête de sous ce providentiel oreiller, j’en prends un dans le naze qui me fait voir la Croix du Sud. Ça se met à pisser sur ma bouche. Je saigne comme un goret à l’abattoir. Un autre coup arrive à bon port sur ma pommette droite. Cette fois, c’est un Constellation qui s’épanouit sous ma voûte. Un feu d’artifice. Oh, la belle bleue ! Vive Monsieur le Maire ! Le cannibale doit se servir d’un fer à repasser, je peux garantir en tout cas qu’il ne me cogne pas avec une fleur en papier gaufré. C’est inouï tout ce qui vous passe dans la tête en pareil cas. Et des choses ahurissantes, parole ! Je me dis que je dois être solide comme le granit pour tenir le coup sous un tel martelage. Oh ! ma douleur ! quelle distribution. Je vais finir par me fâcher. Je me protège des deux bras afin de me donner le temps de surmonter ce knock-down. Je respire un grand coup, je renifle mon raisiné et je me jette en avant.
Me voilà enfin hors du lit. Le gars ne s’arrête toujours pas de frapper. Je le reconnais à sa taille : c’est le nain !
Alors je me dis qu’il y a une pointe d’abus ! Je ne vais toute ma vie encaisser des danses de ce petit truc hargneux. S’il a échappé aux Fridolins, il n’aura pas eu la possibilité d’utiliser longtemps sa liberté. Bougre ! Je lui bondis sur le poil et le culbute. Il lâche l’objet qui lui servait de pilon. Je m’en empare à tâtons. Il s’agit d’une clef de fer dont se servent les balayeurs pour ouvrir et fermer les conduites de flotte. Il profite de cet effort que je fais pour me mettre un coup de pompe dans le creux de l’estomac. Une nausée effroyable me noue la gorge. J’ai le souffle coupé. Je tiens bien une des branches de la clef mais je suis incapable de la soulever. Ce serait une cuillère à café, je ne pourrais pas davantage.
Le nain se couche sur moi et me saisit le cou. Je le laisse faire. Ses mains de gamin ont une puissance effrayante. Il va me pulvériser le larynx ! Alors si je comprends bien, c’est le moment d’essayer quelque chose. Je me laisse aller et m’applique à devenir tout flasque. Il relâche son étreinte. C’est ce que j’attendais avec une impatience facile à deviner. D’une suprême détente je le repousse, après quoi je lève la clef et l’abats de toutes mes forces sur le nabot. Je n’ai pas visé, mais je pense que sur quelque partie que ce soit qu’il reçoive cette beigne, elle lui donnera matière à réflexion.
Un choc sourd, puis plus rien !
Je me relève et j’allume. Le spectacle n’est pas des plus beaux. Le nain est bon à jeter à la poubelle. Son crâne a éclaté comme une coquille de noix. J’y suis allé de trop bon cœur. Néanmoins je n’ai pas de regrets. C’était ou lui ou moi. Je préfère que ce soit lui.
Je vais à la porte et examine la serrure : elle est intacte et la targette est tirée. Je me dirige du côté de la fenêtre et je constate qu’elle est ouverte. Elle donne sur le balcon qui longe la façade. Je suis ce balcon et m’arrête devant chaque fenêtre. Enfin je trouve ce que je cherche : une chambre vide. Justement sa fenêtre est ouverte ce qui n’est pas commun au mois de décembre. Je pénètre dans la pièce. Une paire de souliers m’indique qu’il s’agit bien de la chambre du nain. Je fais un paquet des effets du petit homme et j’emporte le tout dans ma chambre.
Pas besoin de se gaver de phosphates pour comprendre que le nain m’a suivi dans l’après-midi et s’est débrouillé pour obtenir une chambre au même étage que moi. Il faudra que j’éclaircisse cette question demain. Ou plutôt tout à l’heure, car il est près de deux heures du matin.
Je roule le nain et ses effets dans la carpette et je repousse le tout sous mon lit. Ensuite je ferme soigneusement la croisée et la bloque avec une chaise. Puis je mets du papier journal froissé devant la porte, afin de ne pas être surpris, au cas ou un autre mec essaierait de me dessouder.
Je me recouche et me rendors.