Pas tant de manières !

Je pionce sans escale jusqu’au matin. Ça vous la coupe parce que vous pensez au cadavre du nain sous mon paddock. Il vous semble qu’il est impossible d’en écraser avec un passager de cette nature sous son dodo ; mais détrompez-vous : je n’ai pas plus peur d’un macchabée que d’une petite fille coiffée à l’ange. L’avantage que les morts offrent sur les vivants, c’est qu’ils ne vous brisent pas la nénette. Y a rien de plus tranquille… Quant aux fantômes, si jamais y en avait un qui prenne la fantaisie de venir me faire tartir, je gueulerais si fort qu’il se sauverait en courant et qu’il irait se barricader dans un bon vieux château écossais en ruine.

Je fais ma toilette et je me réunis pour statuer sur la situation. Ce cadavre ne me trouble pas, mais il m’encombre.

Si jamais le garçon d’étage le découvre en passant l’aspirateur, il va attraper une jaunisse tellement carabinée que les clients le prendront pour le mikado. Bien sûr, j’aurais la ressource de prévenir Guillaume, mais je ne tiens pas à entrer en contact avec mes collègues. Ce qu’il me faut avant toute chose, c’est la tranquillité et le repos.

Je décroche le bigophone et je demande le numéro de la tante Amélie chez qui maman s’est réfugiée. Justement c’est Félicie qui répond.

— Ah ! c’est toi, mon grand, elle fait. J’étais en soucis, tu sais… Tu devrais me donner signe de vie plus souvent.

Je lui explique que je n’ai pas pu et que, du reste, il vaut mieux que les Allemands ignorent mon adresse. Or rien n’est moins sûr que le téléphone en ce moment.

— Dis donc, M’man, tu as la grande valise chez tante ?

— Oui.

— J’en ai besoin ; un besoin urgent.

— Tu pars en voyage ?

— Ça se pourrait, mais je te donnerai de mes nouvelles, n’aie pas peur. Pourrais-tu me faire livrer cette valise tout de suite ?

Elle acquiesce et je lui refile l’adresse de mon hôtel.

— À bientôt, M’man, te fais pas de mouron.

Il ne me reste plus qu’à attendre l’arrivée de la valise. Si au moins j’avais une cigarette pour passer le temps !

Je fouille dans les poches du nabot et je découvre un paquet de sèches égyptiennes.

— C’est vilain de fumer, quand on est un petit garçon, lui dis-je en empochant le pacson.

Une heure plus tard on frappe à ma porte. J’ouvre : c’est Félicie avec sa grande valtouse.

Je lui fais une sortie du diable.

— Dis, M’man, t’es complètement sinoquée de t’amener ici. Je t’ai dit…

Elle me saute au cou et le reste de mes protestations se perd dans la fourrure de son renard. Ce renard, je le lui ai toujours vu sur les épaules l’hiver. C’t’un vieux copain. Il est rigolo avec ses yeux de verre et son museau pointu. Je l’appelais Alfred quand j’étais lardon.

— Tu ne penses pas que j’allais manquer cette occasion de t’embrasser, mon grand.

— Mais y a du danger !

— Y a jamais de danger pour une maman qui veut voir son garçon.

Ce qu’elle est chouillarde cette vieille ! J’en ai le palpitant tout déglingué.

Elle pose la valise sur le lit.

— Tu vas où ? demande-t-elle.

— Ben…

— Dis donc, tu as pas l’air d’être très fixé sur la direction…

— C’est-à-dire, Maman…

C’est fou ce que je peux me déballonner facilement devant ma mère… Je suis le petit moujingue…

— Allons, fait-elle en soupirant, puisque tu ne veux rien me dire je n’insiste pas. Où sont tes effets, je vais te préparer ta valise car, comme je te connais, tu vas tout mettre en vrac.

Ça c’est le coup dur.

— Te donne pas c’te peine, M’man, d’abord il faut que j’achète des fringues…

— Mais tu n’y penses pas ! s’exclame-t-elle. Tu as deux costumes tout neufs à la maison. Je vais les faire prendre…

Alors je me décide à la mettre dans la combine. J’ouvre la valise et je me penche. Je ramène de sous le lit ce que vous savez… Félicie écarquille les châsses comme si on lui montrait la tête d’Adolf accommodée avec du persil.

— Te trouve pas mal, petite mère. C’est pas un gosse, c’est un salopard de nain qui a cherché à me buter cette nuit.

Je lui raconte par le menu, l’attentat dont j’ai été victime.

— Tu comprends, dis-je pour conclure, il faut absolument que j’évacue ce truc-là de l’hôtel sans provoquer un attroupement ; alors je me suis dit que cette valise ferait bien l’affaire.

Tout en parlant j’y fourre le corps du nain. Il tient au petit poil. Y a des cercueils sur mesure qui vont moins bien à leur propriétaire !

— Maintenant sauve-toi !

Je l’embrasse une paire de fois et elle se tire sans protester, elle est toute chavirée, la pauvre.

— Fais bien attention ! supplie-t-elle en s’éloignant.

J’attends qu’elle ait pris du champ et je sors de ma piaule à mon tour.

Comme je passe devant la caisse, la vieille morue pensionnée de l’État m’arrête.

— Vous savez qu’un de vos amis, un tout petit monsieur est venu vous demander, hier au soir ?

— Oui, je sais.

— Il a voulu que je lui donne une chambre à proximité de la vôtre.

— Oui, oui. Il est reparti ce matin.

Elle me regarde, incrédule.

— Mais je n’ai pas bougé de ma caisse, je l’aurais vu passer…

— Il a dû filer en douce : c’est sa grande astuce. Que voulez-vous, avec son infirmité, il faut bien qu’il se distraie un peu…

— Bien sûr, reconnaît-elle en torchant une larme.

« Vous conservez votre chambre ?

— Mais évidemment.

Je me taille en vitesse. Où vais-je bien pouvoir déposer mon colibard ? Je peux pourtant pas faire de la représentation avec ce que contient ma valise…

D’autre part, je ne veux pas m’en débarrasser tout de suite, car il peut m’être utile.

Le mieux est que je cherche un autre hôtel où je déposerais ma valise. J’ai dit à la vieille-morue-pensionnée-de-l’État que je conservais ma piaule, mais c’est du flan ! Si j’ai agi de la sorte c’est pour dépister les recherches que ne manqueront pas d’entreprendre les autres kangourous en ne voyant pas revenir leur lilliputien.

Je prends le métro et dans le quartier de la Bourse, je trouve une crèche convenable et y laisse mon corbillard portatif après l’avoir soigneusement fermé à clef.

Je m’inquiète de l’heure : il n’est pas loin de midi. Va falloir que je me remue le panier si je veux mettre au point mon petit numéro. Cette fois il s’agit de travailler avec tact et méthode.

Je me regarde dans la vitrine d’un chapelier et je fais une grimace qui pourrait servir pour l’annonce des pilules contre la constipation. Ma pommette est enflée et luisante comme une aubergine et mon nez ressemble à celui de Joe Louis. Qu’est-ce que le nabot m’a collé dans la physionomie !.. C’est maintenant, au froid, que ça commence à prendre des proportions inquiétantes. Faut pas que je compte faire virer le dôme des grognasses aujourd’hui car elles auront un drôle d’argument pour m’envoyer peigner la girafe… Ça me tarabuste parce que j’ai le ranque avec cette enfant de garce de Greta et qu’elle va se gondoler en voyant que mon renifleur ressemble à celui d’un hippopotame.

Mais tant pis, un amphibie dans mon genre, a, Dieu merci, d’autres arguments que son physique pour charmer.

Je passe un coup de tube à Bravard. Bravard est un pote à moi à qui j’ai rendu un vache de service autrefois et qui se déguiserait en échelle de pompiers si ça pouvait me faire plaisir.

— Mince ! s’exclame-t-il. C’est vous, monsieur le commissaire. Qu’est-ce que je peux faire pour vous ?

Avant que je vous fasse assister à notre conversation, faut que je vous apprenne que Bravard travaille à la radio comme ingénieur du son.

— Ma petite tête de hareng fumé, je lui fais. J’ai besoin, pour tantôt d’un appareil à enregistrer le son, ni plus ni moins. Ce machin-là, j’aimerais qu’il soit un peu moins gros qu’une locomotive parce que c’est dans ma chambre que je voudrais l’installer. Est-ce que tu pourrais me trouver ça dans tes tiroirs ?

Il me répond « parfaitement, bien sûr ». Il va prendre un des appareils qui lui servent pour les interviews à domicile et il va amener ses os et son matériel.

Je lui refile l’adresse de mon hôtel et je demande confidentiellement au garçon d’étage si, moyennant une honnête rétribution, il pourrait me dégauchir une bouteille de Martini acceptable.

Il secoue la tête d’un air douloureux et s’éclipse.

Je le vois revenir avec un litre de Cinzano. C’est tout ce qu’il a pu trouver. Ce zigoto a dû être baptisé au sécateur car il s’y connaît question commerce. Je paie la bouteille de Cinzano le prix d’un vélo de course et je commence illico à lui dire deux mots. On s’entend si bien, elle et moi, que je l’ai à moitié tuée lorsque Bravard arrive.

Il trimbale une valtouse aussi grande que la mienne. Seulement il y charrie avec elle du fret d’une autre nature. C’est un dégourdi. On carre la valise sous mon plume et on installe le micro dans un vase de fleurs. Le fil est habilement camouflé.

Bravard m’explique comment il faut s’y prendre pour déclencher ce bastringue. C’est aussi facile que de faire des ronds dans l’eau. Je lui fais finir le litron et lui dis qu’il pourra repasser prendre l’appareil dans la soirée.

On se sépare et je me dirige vers le plus proche restaurant car, on a beau dire, mais midi est une heure qu’il faut respecter comme son vieux grand-père.

Загрузка...