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Louis, en ces derniers jours de septembre 1789, chasse. Et ses longues chevauchées dans les forêts aux chaudes couleurs d’automne le rassurent.

Il se sent vigoureux. Il éperonne, il tire sur les rênes, il cabre sa monture. Il force des sangliers et des cerfs. Il les abat d’une main qui ne tremble pas.

Et dans le crépuscule, d’un pas lent, il passe entre les pièces alignées côte à côte sur l’herbe humide.

Elles sont plusieurs dizaines. Il s’arrête devant les plus puissantes qu’il a parfois lui-même affrontées le coutelas à la main. Comme il l’a toujours fait.

Il lui semble un instant même que rien n’a changé, que rien ne changera, que rien ne doit changer.

Il l’a écrit à l’archevêque d’Arles, il y a deux mois : les événements ont glissé sur son âme.

Il est toujours le roi, décidé à enfoncer sa tête dans les épaules quand la tempête souffle, mais à ne rien céder ; sinon en apparence.

D’ailleurs, la Providence est la grande ordonnatrice, et il ne sert à rien de vouloir échapper à sa loi.

Il rentre au château.

Le régiment de Flandre, fidèle, est arrivé le 23 septembre à Versailles. Cela aussi desserre cette angoisse qui par moments l’étouffait.

Peut-être, comme il l’espère depuis de nombreuses semaines, les choses rentrent-elles dans l’ordre ?

Necker a réussi à faire accepter une contribution extraordinaire, patriotique, qui représenterait le quart du revenu et du capital de chaque citoyen, et c’est un discours de Mirabeau qui, le 26 septembre, a convaincu l’Assemblée de voter ce nouvel impôt.


Louis a dû reconnaître le talent de ce tribun, dont il se méfie, et Marie-Antoinette encore plus que lui.

Mais le peuple aime Mirabeau, l’appelle « notre bonne petite mère », et les députés ont tremblé quand Mirabeau a évoqué « la hideuse banqueroute, elle menace de consumer, vous, vos propriétés, votre honneur… Gardez-vous de demander du temps, le malheur n’en accorde jamais… ».

L’Assemblée s’est levée et a voté le décret créant l’impôt à l’unanimité.

Peut-être pourra-t-on échapper à ce gouffre des finances royales, cause de tous les maux depuis deux siècles, a dit Mirabeau.


Mais peut-il se fier à cet homme qui serait au service et à la solde du duc d’Orléans, ou de Monsieur, le comte de Provence ?

Et c’est lui pourtant qui ne cesse de proposer des plans à Louis pour sauver la monarchie. Son intermédiaire est le comte de La Marck, un grand seigneur et grand propriétaire terrien en Flandre française et autrichienne, partisan de la révolution qui secoue Bruxelles, et député de la noblesse aux États généraux.

Louis le reçoit. Mirabeau se fait pressant, n’hésitant pas à dire, en cette fin septembre : « Oui, tout est perdu, le roi et la reine périront et, vous le verrez, la populace battra leurs cadavres. »


Louis redevient sombre. La joie de la chasse se dissipe.

Il y a tant de conjurations qui se trament contre lui. Celle du duc d’Orléans, celle du comte de Provence, et celle de La Fayette, promu général de la garde nationale, Gilles César, ainsi que l’appelle Mirabeau.

Mirabeau qui aspire sans doute à remplacer Necker. Et La Fayette voudrait devenir lieutenant général du royaume, le trône ayant été dévolu au dauphin, un enfant de quatre ans. Et Louis se demande même si le comte de Provence, son propre frère, n’a pas les mêmes ambitions !

Et c’est pourquoi Louis hésite chaque fois qu’on lui propose de quitter Versailles – de s’enfuir, pour dire le mot juste –, de gagner Metz ou Rouen. Et l’on profiterait alors de son départ, de ce qu’il ressent comme un abandon de ses devoirs, de son peuple, pour prononcer sa déchéance au bénéfice du dauphin et d’un lieutenant général.

Mais Louis chaque fois est tenté de céder, de répondre, en partant, au vœu de la reine. Elle voudrait le convaincre de fuir, mais elle restera auprès de lui, s’il demeure en France.

Et cependant, depuis le 25 septembre, elle voit, elle écoute Axel Fersen, qui s’est installé à Versailles, et voudrait que Marie-Antoinette échappe à ces poissardes, à ces « enragés du Palais-Royal » qui la haïssent.

Mais Louis a confiance. Marie-Antoinette fera face, comme lui. Et ce jeudi 1er octobre 1789, Louis est satisfait. Il a tué deux cerfs, dans les bois de Meudon. Et ce soir, les officiers des gardes du corps ont invité à dîner les officiers du régiment de Flandre, et le banquet de deux cent dix convives se tiendra dans la salle de l’Opéra du château.


Lorsque le roi, la reine et le dauphin paraissent dans leur loge, on les acclame.

La reine porte le dauphin dans ses bras et, accompagnée du roi, elle fait le tour de la longue table en fer à cheval.

On scande : « Vive le roi ! », « Vive la reine ! », « Vive le dauphin ! »

On chante : « Ô Richard ! Ô mon roi l’univers t’abandonne ! »

Plus tard, des officiers escaladent la loge royale. Puis, quand la famille royale s’est retirée, les officiers se rassemblent dans la cour de Marbre, au pied des appartements royaux. Deux ou trois d’entre eux grimpent jusqu’au balcon doré.

« C’est ainsi, Sire, qu’on monte à l’assaut, nous nous vouons à votre service seul », disent-ils.

Un officier crie : « À bas les cocardes de couleur, que chacun prenne la noire, c’est la bonne ! »

Il s’agit de la cocarde autrichienne. La reine paraît enchantée.


Le samedi 3 octobre, les officiers de la garde nationale refusent l’invitation que leur lancent les officiers du régiment de Flandre. Le dimanche 4, les dames de la Cour distribuent des cocardes blanches : « Conservez-la bien, c’est la seule bonne, la triomphante. »

Et à ceux qui l’acceptent elles donnent leur main à baiser.

Les gardes nationaux rejettent l’offre.

La reine est heureuse, le regard plein de défi.


Louis se tait.

Comme Marie-Antoinette et les dames de la Cour, comme tous ceux présents à ce banquet, il a été emporté par l’enthousiasme, l’ardeur des officiers, leur ivresse, mais quand il a vu certains officiers, des gardes du corps et du régiment de Flandre, arracher les cocardes tricolores et les fouler aux pieds, crier « Foutre de l’Assemblée ! », il a été dégrisé.

Il a eu la certitude que le destin inexorablement venait une nouvelle fois de les entraîner tous vers leur perte. Et qu’il ne lui restait plus qu’à être fidèle à ses engagements sacrés de souverain, choisi par Dieu.

Dieu déciderait.

Et Louis s’est tu.

Il n’a pas été surpris, quand, dès le samedi 3 octobre, puis le dimanche 4, on lui a rapporté qu’au Palais-Royal, dans les districts parisiens des Corde-ers, du faubourg Saint-Antoine, la tempête s’était levée, pour répondre aux défis du banquet.

On siégeait en permanence. Un jeune avocat, Danton, aux Cordeliers, faisait voter que tout citoyen sous peine d’être accusé de trahison envers la patrie devait porter la cocarde tricolore.

Il affirmait que « la patrie est dans la plus forte crise », puisque Paris est affamé, que la Cour prépare la fuite du roi, que le monarque refuse de sanctionner les arrêtés du 4 août, la Constitution et la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.


Le journal de Loustalot, Les Révolutions de Paris, celui de Desmoulins, Les Révolutions de France et de Brabant, et surtout L’Ami du peuple de Marat, « qui a fait autant de bruit que les trompettes du jugement dernier », appellent à la riposte.

Il faut marcher sur Versailles, exiger du roi qu’il approuve les décrets, la Constitution, la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.

Il faut désarmer le régiment de Flandre, les gardes du corps, contraindre la famille royale à vivre sous la surveillance du peuple de Paris.

« Tous les citoyens doivent s’assembler en armes », écrit Marat.

« Ô Français ! Peuple libre et frivole, ne pressentirez-vous donc jamais les malheurs qui vous menacent ? Vous endormirez-vous donc toujours sur le bord de l’abîme ? »

« Portons enfin la cognée à la racine ! » lance encore Marat.

« Il faut, précise Loustalot, un second accès de révolution. »

On dit que de l’argent est distribué, pour attiser la révolte, organiser une manifestation de femmes, qui marcheraient sur Versailles en réclamant du pain, et cela s’est fait déjà aux temps anciens en 1775, pendant la guerre des Farines.

On envoie des filles, pour « travailler » à Versailles les soldats du régiment de Flandre.

Et sans même avoir besoin d’y être invitées, les femmes se rassemblent.

Elles veulent du pain. Elles s’indignent de ces banquets offerts par cette Autrichienne, de la cocarde noire, celle de cette drôlesse couronnée, qui a été arborée.


Et autour de ces portières, de ces couturières, de ces poissardes, de ces femmes sans souliers et de ces autres bien mises, révoltées aussi, s’agglomèrent des mendiantes, des vagabondes, des filles, et aussi, dit-on, des hommes grimés en femmes, qui crient le plus fort : « Du pain et à Versailles ! »

Maillard, l’un des « vainqueurs de la Bastille », bat le tambour. On se met en route et peu importe s’il pleut.

Et on cherche à entraîner, après des heures de palabres, le général La Fayette réticent.

On dit qu’il faut amener à Paris « toute la sacrée boutique ».

Le tocsin sonne. On presse La Fayette, « plus mort que vif », de choisir « Versailles ou la lanterne ».

Il se met enfin en route avec quinze mille gardes nationaux, suivis de quinze mille volontaires armés de fusils et surtout de piques.

Il pleut sur la route, mais le lundi 5 octobre 1789, en fin d’après-midi, ces femmes, ces volontaires, ces gardes nationaux approchent de Versailles.


Louis chasse du côté de Châtillon.

Il pleut à verse mais il abat bête sur bête, quatre-vingts pièces. Un cavalier surgit, crotté, fourbu, annonce que le peuple de Paris marche sur Versailles.

Il faut arrêter la chasse, rentrer au château, écrire dans son Journal : « Lundi 5 octobre : interrompu par les événements. »

C’est le destin qui roule, entraîne.

Louis n’a pas voulu fuir. Il a refusé d’accepter les décrets.

Il a lu le discours de ce jeune député Maximilien Robespierre qui, à la tribune de l’Assemblée, a déclaré :

« La réponse du roi est contraire aux droits de la nation. Ce n’est pas au roi à censurer la Constitution que la nation veut se donner. Il faut donc déchirer le voile religieux dont vous avez voulu couvrir les premiers droits de la nation. »

Et les femmes de Paris, trempées, jupons boueux, arrivent, pénètrent en force dans l’Assemblée, crient : « À bas les calotins », invectivant les prêtres, interrompant les orateurs.

Elles veulent entendre Mirabeau, « notre bonne petite mère ».

Elles crient : « Assez de phrases ! Du pain ! »

Elles hurlent :

« Voyez comme nous sommes arrangées, nous sommes comme des diables, mais la bougresse nous le paiera cher. Nous l’emmènerons à Paris, morte ou vive. »


Le roi va recevoir une députation de l’Assemblée et ces Parisiennes.

Et l’une des femmes – elle a dix-sept ans – qui doit parler au souverain s’évanouit. Le roi lui donne à boire. Il est bienveillant. Les femmes ressortent conquises.

On leur crie : « Coquines, elles sont vendues à la Cour, elles ont reçu vingt-cinq louis, à la lanterne. »

Les gardes du corps les arrachent à la furie de leurs compagnes. Elles retrouvent le roi qui leur promet par écrit de faire venir des blés de Senlis et de Noyon, puis elles repartent avec Maillard dans les voitures que le roi leur a fait donner. Mais ce n’est qu’une poignée : les autres continuent d’assiéger le château, l’assemblée ne se calmant que peu à peu, quand arrivent les gardes nationaux, les volontaires et La Fayette. Le général se présente au roi. Les courtisans l’insultent, le traitent de

Cromwell, mais La Fayette assure le roi de sa fidélité, lui garantit la protection des gardes nationaux.

Il faut, dit-il, et le président de l’Assemblée, Mounier, insiste aussi, sanctionner les décrets pour calmer ce peuple de Paris. Et le roi, larmes aux yeux, écrit : « J’accepte purement et simplement les articles de la Constitution et la Déclaration des droits. »


Dehors, les femmes crient, l’une dit qu’elle veut les cuisses de Marie-Antoinette et l’autre ses tripes.

On danse, on chante : « Nous avons forcé le bougre à sanctionner. »

Elles réclament du pain. On leur en apporte avec du vin. Puis la fatigue, l’ivresse, la première victoire obtenue, l’arrivée des gardes nationaux, semblent apporter le calme.


Autour du roi, on a connu des instants de panique, discuté de projets de fuite. Mais Louis a refusé, murmurant qu’il ne pouvait pas être un « roi fugitif ». Et il a répété, comme écrasé par son destin, en secouant la te : « Un roi fugitif, un roi fugitif. »

Il ne le peut pas. Il ne le veut pas.

Il est épuisé. Le silence s’est établi autour du château, Louis dit qu’on peut aller se reposer. Et il se couche.

Et, dans Versailles, La Fayette rassuré en fait de même.


Mais à six heures du matin, les tambours du peuple réveillent les femmes. Elles se rassemblent sur la place, face au château, avec des hommes armés. Puis la foule se divise en colonnes, insulte les gardes du corps. Les grilles sont fermées, et tout à coup, l’une de ces colonnes trouve les grilles de la chapelle ouvertes, non gardées.

Elle s’y engouffre.

Elle court dans les escaliers, brise les portes, tue les gardes du corps, s’enfonce dans les corridors, saccage, cherche et trouve les appartements de la reine.

« Nous voulons couper sa tête, arracher son cœur, fricasser ses foies, et cela ne finira pas là. »

« Sauvez la reine », crie un garde du corps, abattu à coups de crosse, laissé pour mort.

La reine, réveillée, fuit affolée avec ses enfants.

Le roi la cherche, la trouve enfin.

Ils s’enlacent. Ils entendent les hurlements, ces aboiements comme lorsque les chiens traquent le gibier blessé. Ils sont des proies, pour la première fois de leur vie.

« Mes amis, mes chers amis, sauvez-moi », répète la reine.

Les gardes du corps se battent, sont désarmés. On lève la hache sur eux, mais des grenadiers des gardes françaises les arrachent aux femmes, aux hommes sauvages.

Le bruit se répand : « Le duc d’Orléans, en frac gris, chapeau rond, une badine à la main, se promenait d’un air gai au milieu des groupes qui couvrent la place d’Armes et la cour du château. »

Qui l’a vu ? On entend des cris : « Notre père est avec nous, Vive le duc d’Orléans ! »

Deux gardes du corps sont jetés à terre. On tranche leurs têtes, on trempe ses mains dans le sang des victimes, puis on plante les têtes au bout des piques.


On a réveillé La Fayette, il accourt. On entend la foule qui crie « À Paris, à Paris ».

Il faut céder au peuple, dit-il, accepter de se rendre à Paris, d’y demeurer.

Les gardes nationaux fraternisent avec les gardes du roi, les protègent.

Le roi apparaît au balcon, puis la reine avec ses enfants, et la foule crie : « Pas d’enfant. »

Un homme met la reine en joue mais ne tire pas. Des insultes fusent. Elle rentre, reparaît avec La Fayette. La foule s’apaise.

Le roi promet : « Mes amis, j’irai à Paris avec ma femme et mes enfants. »

On crie : « Vive le roi ! », « Vive le général ! » et même « Vive la reine ! ».

Les députés décident que l’Assemblée suivra le roi à Paris.


À une heure, ce mardi 6 octobre 1789, le cortège de plus de trente mille hommes et femmes s’ébranle vers Paris.

Les gardes nationaux, chacun portant un pain au ut de sa baïonnette, ouvrent la marche, devant des chariots de blé et de farine entourés de femmes et de forts des halles.

On porte des piques, des branches de peuplier. Puis viennent des femmes à califourchon sur les chevaux des gardes nationaux, et les gardes du corps désarmés encadrés de gardes nationaux, et enfin, le régiment de Flandre, les Suisses.

Puis le roi, la reine, le dauphin, leur fille, Madame Royale, la sœur cadette de Louis XVI, Madame Élisabeth, et la gouvernante, Madame de Tourzel.

Et cent députés de l’Assemblée, et la foule et la garde nationale.

Il pleut et on patauge dans la boue qui gicle.

On chante : « Nous ramenons le boulanger, la boulangère, et le petit mitron. »

Des femmes s’approchent du carrosse royal, veulent voir « la sacrée boutique » et surtout « la sacrée coquine », cette reine qui est « la cause de tous les maux que nous souffrons », et qu’il « aurait fallu écarteler », et dont on avait promis « qu’elle serait égorgée et qu’on ferait des cocardes avec ses boyaux ».

Mais, puisqu’elle sera à Paris, on l’empêchera de nuire. Et qu’elle regarde ces têtes coupées, celles de deux gardes du corps, brandies au bout des piques, comme un emblème.

On les incline. On rit.

On s’est arrêté chez un perruquier de Sèvres pour les faire poudrer et friser.


La famille royale s’installe aux Tuileries. L’Assemblée siégera dans le bâtiment du Manège, tout proche de là.

Le 10 octobre, elle décrétera que Louis XVI ne s’appellera plus « roi de France et de Navarre », mais « par la grâce de Dieu et la loi constitutionnelle de l’État, roi des Français ».

Et un député du tiers état de Paris, le docteur Guillotin, propose un nouveau mode d’exécution de la peine capitale, une machine efficace, qui tranchera le cou des condamnés, selon le principe d’égalité.


Louis subit avec le double sentiment de ne pouvoir arrêter la marche inexorable vers l’abîme, et la certitude qu’il ne faillira pas à ses principes sacrés.

C’est sa fatalité, de paraître se soumettre, d’y être contraint et d’être au fond de soi indestructible. Et d’ignorer la peur même quand il cède à l’angoisse. Il observe les événements comme s’il n’en était que le jouet et non l’acteur.

Il apprend que plus de cent députés donnent leur démission.

Il lit sous la plume de Mallet du Pan que « c’est le fer à la main que l’opinion dicte aujourd’hui ses arrêts. Crois ou meurs, voilà l’anathème que prononcent les esprits ardents et ils le prononcent au nom de la liberté. La modération est devenue crime ».


Il reçoit le comte de La Marck, qui propose au nom de Mirabeau un projet de fuite à Rouen, car « Paris sera bientôt un hôpital certainement et peut-être un théâtre d’horreurs ».

Mirabeau veut persuader « le roi et la reine que la France et eux sont perdus si la famille royale ne sort pas de Paris ».

« Je m’occupe d’un plan pour les en faire sortir », ajoute Mirabeau.


Mais Louis ne veut pas être « un roi fugitif ».

Il partage le sentiment du député Malouet : « La révolution depuis le 5 octobre fait horreur à tous les gens sensés de tous les partis, mais elle est consommée, irrésistible. »

Alors, comment s’y opposer ?


Louis sait que certains l’accusent de ne pas se battre. Il accepte qu’on porte sur lui ce jugement sévère.

Il connaît celui de Mirabeau qui le décrit « indécis et faible, au-delà de tout ce qu’on peut dire, son caractère ressemble à ces boules d’ivoire huilées qu’on s’efforcerait vainement de retenir ensemble ».

Ceux-là, qui le jugent, ignorent ce qu’il ressent.

L’horreur, quand il a appris que les émeutiers qui ont pénétré dans la chambre de la reine se sont acharnés sur son lit, « déchirant les draps à coups d’épée » et, ajoute un témoin, « quelques-uns pissèrent dedans, d’autres firent pis encore ».

Ce déferlement de haine accable Louis, mais ceux qui le jugent ne se fient qu’aux apparences. Ils ignorent qu’il n’est pas homme à plier.


Le 12 octobre, il confie à l’abbé de Fontbrune une lettre pour le roi d’Espagne.

Il a écrit :

« Je me dois à moi-même, je dois à mes enfants, je dois à ma famille et à toute ma maison de ne pouvoir laisser avilir entre mes mains la dignité royale qu’une longue suite de siècles a confirmée dans ma dynastie…

« J’ai choisi Votre Majesté, comme chef de la seconde branche pour déposer en vos mains la protestation solennelle que j’élève contre tous les actes contraires à l’autorité royale, qui m’ont été arrachés par la force depuis le 15 juillet de cette année, et, en même temps, pour accomplir les promesses que j’ai faites par mes déclarations du 23 juin précédent. »


Dieu et les hommes, quoi qu’il advienne, entendront un jour sa protestation, son refus.

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