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Louis s’est affaissé dans son fauteuil, face à la cheminée de ce petit salon des Tuileries où il a l’habitude de se tenir en fin de journée.

Il ferme les yeux. Il somnole. Il voudrait s’endormir mais l’angoisse le tenaille. Et il en est ainsi depuis le début de cette année 1792.


Chaque jour, un événement, ou bien un discours, un article, une lettre, le propos d’un proche ou d’un visiteur, a rendu plus aigu, plus insoutenable le pressentiment que les mois à venir seraient ceux de l’affrontement décisif entre lui et ces « patriotes » enragés pour qui il n’est plus que Monsieur Veto.

On le dit prêt « à faire égorger les citoyens, leurs femmes et leurs enfants par tous les ministres d’outre-Rhin ».

Ils accusent Marie-Antoinette, Madame Veto, d’avoir créé un « cabinet autrichien » aux Tuileries, afin de transmettre des informations à son frère l’empereur Léopold II, et, après le décès de celui-ci, à François II son neveu.

On assure que la reine fait passer à Vienne le plus d’argent qu’il est possible. Et c’est, à en croire les journaux patriotes, un ouvrier ayant confectionné les cassettes, puis aménagé des cachettes dans les berlines, qui l’a révélé secrètement.


Louis a ainsi le sentiment que le piège autour de lui se referme.

On dit que quatre-vingt mille nobles ont quitté le royaume ces derniers mois ! Et l’on apprend que dans le faubourg Saint-Antoine, on fabrique jour et nuit des piques que l’on distribue en grande quantité aux citoyens, et qu’on dénombre déjà plus de 100 000 de « ces armes simples et faciles à manier ».

Que peut faire la garde du roi, dont la création était prévue par la Constitution ?

Le colonel de Brissac qui la commande ne réussit même pas à s’en faire obéir.

Il a voulu séparer par une cloison, dans la salle des gardes, ses hommes des grenadiers de la garde nationale. Ceux-ci l’ont saisi au collet, et quand Brissac a crié « Aux armes ! », faisant appel à ses soldats, ceux-ci ont déclaré qu’ils sont citoyens comme les gardes nationaux et qu’ils ne s’en sépareraient point ! Et la cloison a été abattue, le poste d’honneur attribué à la garde parisienne, qui monte à droite à la porte du roi, la garde royale montant à gauche.


Ce n’est qu’un petit incident en apparence, mais qui affecte Louis. Est-il encore le roi ?

Le procureur général syndic lui a annoncé qu’il était enregistré au nombre des contribuables, comme n’importe quel citoyen. Il paiera sur les quarante millions de la liste civile qui lui est attribuée par l’Assemblée quinze millions pour l’année 1792, et il doit autant pour l’année 1791 !

Et on écrit dans les journaux : « Le roi s’amuse tantôt à rire et à claquer les fesses dartreuses de sa sœur Élisabeth, et tantôt à jurer, à briser ses porcelaines quand on le met au rang des contribuables. »

Louis s’indigne.

Ce n’est pas la ponction d’argent qui l’affecte, mais l’humiliation, la négation de son rang et du caractère sacré de la monarchie !

Et l’angoisse qui le ronge vient de ce qu’il pressent que c’est au cours de cette année 1792 que la question devra être tranchée.


Il avait cru durant quelques semaines, à l’automne 1791, que le pays s’apaisait. Les journaux « exagérés », ceux de Desmoulins et de Marat, avaient même un temps cessé de paraître faute de lecteurs.

Les modérés semblaient l’emporter. Le club des Feuillants, avec les frères Alexandre et Charles Lameth, La Fayette et Duport, dominait l’Assemblée. Et Barnave conseillait la reine, lui écrivait et la rencontrait régulièrement et secrètement.

Mais dans les premiers jours du mois de janvier 1792, Barnave, comme s’il avouait son échec devant la violence qui à nouveau s’emparait du pays, avait quitté Paris, regagné le Dauphiné où, disait-on, il écrivait une histoire de la Révolution !

Le club des Feuillants s’affaiblissait. Et les Jacobins arboraient dans leur séance ce bonnet rouge que Louis, lorsqu’il quittait les Tuileries pour une promenade dans Paris, voyait de plus en plus souvent porté par des citoyens.

Bonnet rouge, pique, galoches, pantalon rayé, cocarde tricolore : c’était la tenue de ceux qui se nommaient avec arrogance et fierté « sans-culotte ».

Comment les combattre ?

Louis s’interroge avec inquiétude.

Ce choix qu’il a fait, et Marie-Antoinette l’y a incité, de pousser la France dans la guerre, contre les princes et l’empereur, et même le roi de Prusse, afin de voir leurs armées briser cette « faction sanguinaire et furieuse », cette « Jacobinière », cette « secte pernicieuse », est-il le bon ?

L’angoisse lui tord le ventre comme une faim douloureuse et insatiable. Il sait que, le voudrait-il, il ne peut plus reculer.

Louis se souvient de cette confidence apeurée de l’évêque Le Coz, constitutionnel et député il est vrai, mais homme modéré : « La guerre ! la guerre ! la guerre ! a dit Le Coz, voilà le cri qui de toutes les parties du royaume vient frapper mes oreilles. »

Et si cette guerre à venir au lieu d’être bénéfique à la monarchie se retournait contre elle ?


Louis essaie de se convaincre qu’il ne s’agit là que d’un cauchemar qui ne peut se réaliser, que des Jacobins comme Billaud-Varenne, Camille Desmoulins et même Danton et surtout Robespierre s’opposent à la guerre parce qu’ils sont persuadés qu’elle se conclura par la défaite, et donc par la victoire du roi.

Robespierre a cinglé Brissot, le partisan le plus déterminé d’un ultimatum à adresser à l’empereur et aux princes allemands.

« Votre opinion, lui a-t-il lancé, n’est fondée que sur des hypothèses vagues et étrangères ! Que nous importent vos longues et pompeuses dissertations sur la guerre américaine !… Comme les routes du patriotisme sont devenues faciles et riantes !… Pour moi j’ai trouvé que plus on avançait dans cette carrière plus on rencontrait d’obstacles et d’ennemis… Je décourage la nation, dites-vous, non je l’éclaire. »

Mais Louis entend aussi Couthon, le Jacobin paralytique, déclarer :

« Peut-être la Révolution a-t-elle besoin de la guerre pour se consolider. »


Il est glacé par les propos du député Hérault de Séchelles qui envisage de créer « une dictature de salut public ».

« Le moment est venu, déclare Hérault, de jeter un voile sur la statue de la liberté ! »

Qui subirait cette dictature, sinon le roi et la famille royale ?

Déjà circule une pétition des « dix mille piques de Paris », et Couthon précise : « Le plus grand nombre est pour la guerre et je crois que c’est ce qui convient le mieux. »

Louis est une nouvelle fois saisi par le doute.

Se peut-il que l’intérêt de Couthon, de Vergniaud, coïncide avec celui de la Cour alors qu’ils expriment des espérances contraires ?

Louis espère que les troupes étrangères réussiront comme elles l’ont fait en 1787 aux Pays-Bas, en 1790 en Belgique, à rétablir l’ordre, et les « patriotes » pensent que la guerre leur permettra d’en finir avec la monarchie, fut-elle constitutionnelle, de donner par la guerre un nouvel élan à la Révolution. Et c’est pourquoi Brissot a dit que les patriotes ont besoin de « grandes trahisons ». Et Brissot, Louis ne peut en douter, souhaite la « trahison » du roi.

Déjà certains « patriotes », évoquant le « comité autrichien » qu’animerait Marie-Antoinette, dénoncent les « infâmes traîtres à la patrie, coupables de crime de lèse-nation ».

Et Louis, lorsqu’il lit le discours du député de Bordeaux, Vergniaud, ce « Girondin », n’a aucun doute sur ce qui peut arriver à la famille royale.

« De cette tribune, s’écrie Vergniaud à l’Assemblée, en tendant le bras vers les Tuileries, on aperçoit le palais où des conseillers perfides égarent le roi… La terreur et l’épouvante sont souvent sorties de ce palais. Qu’elles y rentrent aujourd’hui au nom de la loi… La loi y atteindra sans distinction tous les coupables et il n’y a pas une tête qui convaincue d’être criminelle puisse échapper à son glaive. »

Louis le comprend : l’enjeu de la guerre, c’est pour lui la vie ou la mort.


Mais la guerre est déjà là.

À Paris, à quelques pas des Tuileries, on pille les épiceries.

« Les femmes du faubourg Saint-Marceau se sont en grand nombre répandues dans divers quartiers de la ville. »

On a entendu leurs cris rue Saint-Honoré, dans les rues autour de la place Louis-XV. Elles cherchent du café et du sucre, devenus rares et d’un prix exorbitant, depuis que les Noirs de Saint-Domingue et des Antilles se sont soulevés contre les colons, et ont brisé leurs chaînes d’esclaves.

Elles dénoncent l’« accaparement ». Et elles réclament la taxation des prix du sucre et du café, mais surtout de la viande et du pain. Elles entraînent derrière elles les vagabonds, les indigents. Et les gardes nationaux pactisent avec elles.

Tous les jours, des émeutes éclatent, faubourgs Saint-Antoine et Saint-Marceau.

Dans les provinces, les subsistances manquent. La récolte de grains a été médiocre dans le Centre et le Midi. Les habitants des villes et des villages proches de Paris refusent de laisser partir leurs grains vers la capitale. Partout c’est la même inquiétude, les mêmes scènes : voitures chargées de grains arrêtées, pillées, boulangeries saccagées, pain taxé. Et la garde nationale l’arme au pied, et jamais le recours à la loi martiale.


Et pourtant l’on tue.

À Étampes, le 3 mars 1792, les habitants veulent arrêter les convois de grains qui traversent leur ville. Ils les pillent, exigent une taxation du pain.

Le maire, Simoneau, s’avance, accompagné d’un détachement de cavalerie, tente d’expliquer que la libre circulation des grains est voulue par la Constitution, que la liberté du commerce permettra que l’on obtienne un juste prix, qui satisfera consommateurs et fermiers. Mais des coups de feu partent des rangs des émeutiers et Simoneau est tué.

L’Assemblée lui rendra hommage. Il est le « martyr de la loi et de la liberté ». Louis s’associe à cette célébration, mais derrière les barrières, ceux qui regardent passer le cortège des députés qui accompagne le cercueil de Simoneau – martyr – sont bien peu nombreux.


Et l’anarchie, les émeutes ne cessent pas.

À Noyon, le peuple empêche le départ de quatre bateaux chargés de grains.

À Beauvais, les troupes interviennent pour permettre à un convoi de grains de partir pour Paris. Mais à Béthune les soldats du 14e régiment d’infanterie se mutinent et refusent d’obéir à leurs « officiers aristocrates ».

À Dunkerque, le peuple dévaste les magasins des négociants du port. Il y a quatorze tués et soixante blessés.


Et pendant ce temps-là, les Jacobins s’engagent dans un grand élan enthousiaste à ne plus consommer de sucre et de café !

Comme si cela pouvait permettre le rétablissement de l’ordre, la fin de l’anarchie, alors qu’au contraire, les violences gagnent tout le pays. Dans les départements de l’Ouest les prêtres jureurs sont isolés, condamnés, frappés !

On se bat dans le sud du pays entre catholiques « aristocrates » et protestants patriotes !

Les « patriotes » de Marseille s’en vont massacrer les aristocrates d’Arles. Et à ces désordres s’ajoute la crise financière : les assignats perdent chaque jour de leur valeur, et c’est avec ce papier-monnaie que sont payés les salaires, alors que tous les prix montent. Et les impôts ne rentrent pas !

Le procureur-syndic du département de Paris dénonce une « insurrection patricienne » contre le paiement des impôts et il fait afficher la liste des contribuables en retard !

Autant de suspects décrétés aristocrates et menacés !

Et Louis sent monter la peur autour de lui, une sorte de fébrilité qu’il constate chez les gardes nationaux qui font leur service aux Tuileries.

Les journaux rapportent les séances du club des Jacobins, où Robespierre prononce un grand discours sur les Moyens de sauver l’État et la liberté.

Il faut, dit Maximilien, « épurer » les cadres de l’armée, « purger » le pays, mettre les sections en permanence, prêtes à agir contre les « aristocrates ».

Il faut unir les patriotes de Paris et des départements.

« Je suis du peuple, martèle Robespierre, l’amour de la justice, de l’humanité, de la liberté est une passion comme une autre. Quand elle est dominante on lui sacrifie tout ; quand on a ouvert son âme à des passions d’une autre espèce, comme à la soif de l’or et des honneurs, on leur immole tout et la gloire et la justice, et l’humanité, et le peuple et la patrie. Voilà tout te secret du cœur humain ; voilà toute la différence qui existe entre le crime et la probité, entre les tyrans et les bienfaiteurs du genre humain. »


Comment faire vivre dans le même royaume des hommes qui s’accusent les uns les autres d’être le Bien et le Mal ? Comment apaiser les tensions ? Comment éviter la guerre civile entre eux ? Et comment ne rechercheraient-ils pas les uns et les autres, dans la guerre avec l’étranger, le moyen de terrasser ici leurs ennemis ?

Pour les uns, les aristocrates, pour les autres, les révolutionnaires. Et ces derniers espèrent que la guerre propagera parmi les peuples les idées de liberté de la Déclaration des droits de l’homme.

Et que les émigrés seront vaincus et dispersés, les monarques renversés par leurs peuples. Et la nation française, rayonnant, et puisant dans les caisses des riches États, de la Hollande, aura de quoi combler le déficit qui se creuse, et renflouer l’assignat qui perd chaque jour de sa valeur.

Avenir sombre ! Que faire ?

Louis et Marie-Antoinette reçoivent Fersen venu clandestinement à Paris. Le roi de Prusse Frédéric-Guillaume II, explique le comte suédois, a mis au point avec le duc de Brunswick un plan d’offensive qui devrait conduire les troupes prussiennes, en quelques semaines, à Paris. L’ordre sera rétabli, et le roi disposera à nouveau de tous ses pouvoirs légitimes.


Louis ne commente pas les propos de Fersen. Il reste silencieux alors que Marie-Antoinette manifeste sa détermination, se félicite de ce que tous les journaux royalistes – Les Amis du roi, La Gazette universelle, Le Journal de M. Suleau – publient la diatribe du chancelier d’Autriche Kaunitz contre les Jacobins, « factieux, républicains, dissolvateurs de la monarchie, boute-feux », et les journalistes ajoutent « gens à pendre, à écarteler, à brûler ».

Pour se réjouir de telles attaques, d’une telle violence, il faudrait être sûr de vaincre, et Louis s’il estime que les armées des souverains d’Europe écraseront les troupes françaises, divisées, désertées par leurs officiers, se demande si cette victoire viendra assez tôt pour éviter que la « populace » ne s’en prenne à la famille royale.


Il a avec accablement, et aussi un sentiment de révolte, appris que les soldats suisses du régiment de Châteauvieux qui s’étaient rebellés à Nancy et que le marquis de Bouillé avait châtiés, ont été libérés du bagne, et qu’une fête de la liberté sera célébrée en leur honneur à Paris. Les Jacobins et les journaux patriotes saluent ces mutins comme des héros. Et se moquent du général La Fayette – « Blondinet » – qui avait été favorable à la répression des rebelles.

La fête a eu lieu le 15 avril. Les Suisses défilent, accompagnés par une foule enthousiaste, et Le Père Duchesne peut exulter :

« Ah foutre ! Le beau jour ! Quelle fête ! Quelle joie !

« Jamais il n’y a eu sous le ciel un aussi beau spectacle. Jamais le peuple n’a été plus grand, plus respectable… Il était tout ce qu’il devait être, véritablement souverain, il ne recevait d’ordre de personne… Les mouchards de Madame Veto s’étaient vantés d’avance qu’il arriverait malheur… Je leur avais bien dit, foutre, que ça irait. Quand le faubourg Saint-Antoine, quand les braves gens sans-culottes, quand Le Père Duchesne veulent quelque chose, y a-t-il quelque puissance dans le monde qui puisse l’empêcher ?

« Ainsi donc, foutre, Madame Veto a eu beau remuer de cul et de tête pour faire manquer notre fête, tous les mouchards de Blondinet et Blondinet lui-même ont été impuissants. »

Louis veut savoir qui est cet Hébert, qui signe « Père Duchesne », quel est cet homme qui prétend avoir fait rebrousser chemin à Blondinet-La Fayette hostile à ce sacre de la mutinerie militaire, car le général serait revenu à Paris pour tenter un coup d’État.

Et Hébert conclut, si sûr de lui : « Mais laissons là cette foutue canaille qui ne mérite pas seulement qu’on s’en occupe. Nous sommes assez vengés d’avoir foutu un pied de nez à tous ces jean-foutre… les aristocrates noient leur chagrin dans des flots de vin muscat et nous, foutre, avec du vin de Suresnes, nous nous élevons au-dessus de tous les trônes de l’univers. »

Et cet Hébert qui prône la haine des aristocrates, de la reine, des prêtres et veut que la France soit la terre et le modèle de la déchristianisation, est un ancien élève du collège des Jésuites d’Alençon, fils d’un honnête joaillier. Il a traîné dans tous les estaminets de Paris. C’est un misérable auquel l’invective, la grossièreté, la haine, ce parler sans-culotte, ont donné notoriété et pouvoir d’influence, et revenus !

Car Le Père Duchesne est un journal qu’on s’arrache, qu’on lit dans toutes les sections du club des Jacobins, et dont l’avis pèse à l’Assemblée nationale, parce que les spectateurs des tribunes l’ont lu !


Louis tient encore les dés de l’avenir dans son poing. Il sait que s’il les lance, il n’est pas sûr de gagner. Ce sera la guerre, avec ses incertitudes, mais le jeu est ouvert. Les troupes prussiennes du duc de Brunswick, les émigrés du prince de Condé, et les Autrichiens de l’empereur François II, devraient l’emporter.

Mais s’il ne fait pas rouler les dés de la guerre, alors ce sont Hébert et Marat, les enragés, qui entraîneront derrière eux tous les mécontents, les vagabonds, les indigents, les affamés, les infortunés, ceux des paysans qui ont recommencé à attaquer les châteaux : et il n’y a aucun moyen de les arrêter, de les battre, leur victoire est certaine.

Alors Louis fait rouler les dés de la guerre.


Il renvoie ses ministres, constitue un ministère « girondin », avec le général Dumouriez au passé d’aventurier, comme ministre des Affaires étrangères, avec Roland de La Platière au ministère de l’intérieur et, deux mois plus tard, le colonel Servan à la Guerre.

Avec ces hommes-là, on ne le suspectera pas de ne pas vouloir la guerre et la victoire.

Dumouriez s’en va parler au club des Jacobins avec le bonnet rouge enfoncé jusqu’aux oreilles, et les Jacobins l’acclament et coiffent à leur tour le bonnet.

Et il faut que Robespierre s’exclame : « C’est dégrader le peuple que de croire qu’il est sensible à ces marques extérieures » pour qu’ils enfouissent leur bonnet rouge dans leur poche !


Que les Jacobins s’étripent entre eux ! Et que Le Père Duchesne et L’Ami du peuple jugent compromis ceux qui ont accepté d’être ministres de Monsieur Veto !

La division sert la couronne, affaiblit l’Assemblée ! Et l’honnête Roland de la Platière n’y peut rien.

Et Manon Roland son épouse peut bien tenir, au 5 de la rue Guénégaud, un salon où journalistes patriotes, ministres, se réunissent, préparent en fait les décisions que l’Assemblée votera et qu’ils comptent imposer au roi, une fracture s’approfondit, entre les brissotins ministres, qu’on appelle Girondins, et le peuple des sans-culottes, pour qui ces bourgeois et même ce général Dumouriez ne sont que des « Jacobins, des patriotes, des révolutionnaires simulés ! ».

Pétion, le maire de Paris, écrit : « Le peuple s’irrite contre la bourgeoisie, il s’indigne de son ingratitude, et se rappelle les services qu’il lui a rendus, il se rappelle qu’ils étaient tous frères dans les beaux jours de la liberté. Les privilégiés fomentent doucement cette guerre qui nous conduit insensiblement à la ruine. La bourgeoisie et le peuple réunis ont fait la Révolution ; leur réunion seule peut la conserver. »


Mais la guerre étrangère, l’anarchie, vont élargir ces failles entre « patriotes ».

Louis apprend que « le parti de Robespierre dans les Jacobins est contre le ministère, et ce qu’on appelle la Montagne dans l’Assemblée suit la même ligne ».

Jacobins robespierristes et Montagnards se méfient des généraux Rochambeau, Luckner, La Fayette, auxquels Dumouriez, « Jacobin simulé », a donné le commandement des trois armées qui protègent les frontières du Nord et de l’Est.


Dans les campagnes, les troubles paysans se multiplient.

Le Quercy, le Gard, l’Ardèche, l’Hérault sont touchés. Les gardes nationaux incendient eux-mêmes les châteaux des émigrés dans le Cantal, le Lot, la Dordogne. On démolit les « pigeonniers seigneuriaux ».

On prélève des « contributions forcées » sur les « aristocrates ». Personne n’est en sûreté !

Alors il faut pousser le pays dans la guerre, prendre de vitesse Marat et Robespierre qui mettent en évidence les dangers du conflit : Marat annonce les défaites, les intrigues des généraux, et Robespierre craint que l’un d’eux ne s’empare du pouvoir.


Alors la guerre, vite.

Le 20 avril 1792, Louis XVI se présente à l’Assemblée nationale législative et annonce devant les députés enthousiastes que « la France déclare la guerre au roi de Hongrie et de Bohême ». Car François II n’a pas encore été couronné empereur et on veut essayer de laisser l’Allemagne et la Prusse en dehors du conflit.

Seuls sept députés – fidèles aux Lameth et aux Montagnards – refusent de voter le décret. « Le peuple veut la guerre », a lancé un député « girondin » et un autre s’est écrié : « Il faut déclarer la guerre aux rois et la paix aux peuples. »

Dans les tribunes de l’Assemblée, dans les rues voisines de la salle du Manège, la foule acclame les députés. Louis entend les cris de joie.

Cette déclaration de guerre est pourtant pleine d’arrière-pensées.

Les brissotins veulent, avec la guerre, briser la monarchie.

Et la guerre peut permettre de relancer la Révolution.

Et la guerre peut permettre au roi de retrouver tous ses pouvoirs.


L’enjeu est pour chaque camp immense.

Louis y pense sans cesse : c’est une question de vie ou de mort.

Il se doute que la reine informe les souverains étrangers de la situation française et même des mouvements des troupes. Louis l’accepte.

Trahison ? Ce mot n’a pas grand sens pour elle, pour lui.

Ils sont fidèles à la monarchie.

« Voici ce que la reine vient de me faire parvenir, en chiffre, écrit Mercy-Argenteau au chancelier d’Autriche Kaunitz. Monsieur Dumouriez a le projet de commencer le premier par une attaque en Savoie et une autre par le pays de Liège. C’est l’armée de Monsieur de La Fayette qui doit servir à cette dernière attaque. Voilà le résultat du Conseil d’hier. Il est bon de connaître ce projet pour se tenir sur ses gardes ; selon les apparences cela s’effectuera promptement. »


Louis cependant doute.

Il lui suffit de croiser les gardes nationaux dans les couloirs et les salons des Tuileries pour mesurer que l’enthousiasme patriotique et la volonté de se battre ont chassé le doute et la peur. Le peuple est résolu.

Dans les rues voisines du palais, la foule défile et chante.


Le 25 avril 1792 à Strasbourg, un jeune officier du génie, Rouget de L’Isle, né à Lons-le-Saunier, entonne, dans le salon du maire de la ville, Dietrich, un « Chant de guerre pour l’armée du Rhin » qu’il vient de composer.

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