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En ces derniers jours du mois de juin 1791, Paris est écrasé par une chaleur lourde et orageuse.

Et Louis souffre d’être prisonnier dans les appartements des Tuileries, de ne pouvoir se promener dans les jardins, sur les terrasses, ni naturellement chevaucher et chasser dans les forêts.

Les gardes nationaux, soldés ou volontaires, ont dressé des tentes sur les pelouses. Des sentinelles patrouillent sans relâche. Les portes des chambres – y compris celle de la reine – doivent rester ouvertes, afin que les gardes puissent à tout instant s’assurer de la présence des souverains.

Louis a joué un tour à ces patriotes. Il s’est caché derrière une tapisserie, laissant l’inquiétude gagner ses gardiens, qui ont appelé en renfort deux sapeurs et douze grenadiers, afin qu’ils brisent les portes dont ils ne possèdent pas la clé.

— Eh bien me voilà, a lancé le roi, en soulevant le coin de la tapisserie.


Il lui plaît de constater le malaise de ces « patriotes » venus l’interroger, qu’ils soient gardes nationaux, commissaires de l’Assemblée ou même qu’il s’agisse du général La Fayette.


La Fayette et les commissaires, qui reflètent l’opinion de la majorité de l’Assemblée, n’utilisent jamais le mot de fuite mais parlent soit d’enlèvement, soit de voyage.

S’ils font mention de la Déclaration adressée aux Français qu’il avait laissée dans la chambre avant de quitter les Tuileries, c’est pour dire qu’il s’agit d’un brouillon sans valeur, qu’aucun ministre n’a signé, et qui n’engage pas le souverain.

Ils répètent que le roi est inviolable, qu’on ne peut donc le juger, et qu’il ne restera suspendu que jusqu’au moment où il aura de nouveau prêté serment à la Constitution.


Louis, peu à peu, se rassure.

Il mesure combien cette majorité de députés est inquiète à l’idée que le peuple, et les membres du club des Cordeliers – Danton, Desmoulins –, et la partie des Jacobins qui suit Robespierre pourraient imposer la République, ou une régence de Philippe d’Orléans.

Le duc s’est choisi le nom de Philippe Égalité. Il fait mine d’avoir renoncé à toute ambition personnelle, mais ses partisans – l’écrivain Choderlos de Laclos, Danton -continuent de mener campagne pour la déchéance du roi, qui permettrait de faire de Philippe d’Orléans le successeur, le régent ou le lieutenant général du royaume.

Sinon, un César imposerait sa dictature. Ce pourrait être La Fayette, ou bien un marquis de Bouillé, qui, depuis le Luxembourg, a écrit à l’Assemblée pour menacer Paris d’une destruction « pierre après pierre », si le roi ou les membres de la famille royale étaient maltraités. Et le marquis de Bouillé a assuré qu’il était responsable de l’enlèvement du roi.

Louis s’étonne de voir la majorité de l’Assemblée accepter cette thèse et, peu à peu, il se persuade que la situation peut encore se retourner.

Il doit être patient, faire croire à ces députés qui ne veulent pas l’accabler, qui l’écoutent avec déférence, qu’il est prêt à accepter la Constitution.

« J’ai bien reconnu dans ce voyage, dit-il à La Fayette, que je m’étais trompé et que l’attachement à la révolution est l’opinion générale. »

Il encourage Marie-Antoinette à écouter Barnave, qui tout au long du trajet de retour s’est montré soucieux de protéger la reine.

Cet homme, séduit, aspire à conseiller Marie-Antoinette, à prendre la place de feu Mirabeau.

Pourquoi pas ?

Barnave a déclaré à l’Assemblée :

« Tout le monde doit sentir que l’intérêt commun est que la révolution s’arrête. Ceux qui ont perdu doivent savoir qu’il est impossible de la faire rétrograder ; qu’il ne s’agit plus que de la fixer… »

Il faut conforter Barnave. Il est avec Duport, Lameth, La Fayette et même Sieyès, de ceux qui s’opposent aux « patriotes exaltés », à ces « tigres ».


Et Louis, chaque jour depuis son retour aux Tuileries, entend ces « bêtes fauves » hurler des injures.

Ils sont derrière les grilles. Ils se rassemblent place Louis-XV. Les gardes nationaux ne peuvent, ou ne veulent pas, les repousser, les disperser, les faire taire.

Et lorsque, à la fin de la journée, Louis s’approche d’une fenêtre, pour profiter de la fraîcheur de la brise, les insultes fusent, hurlées.

« Imbécile », « Cochon », « Perfide », « Lâche ».

On menace de le saigner, de le dépecer, de lui dévorer le cœur.

Et lorsque la reine s’approche, les hurlements redoublent contre « la putain Toinon, l’Autrichienne, qu’il faudra fouetter, écorcher ».

On veut les juger. On crie que la nation n’a pas besoin d’un roi. Et parfois jaillit le mot de république.


« Le peuple est furieux, note un témoin, depuis l’Assemblée nationale même, jusque dans les derniers cafés : cela ressemble à ces vents qui frisent la terre, une heure avant l’ouragan dévastateur. »


Qui le déchaînera ? Louis lit avec attention les propos de ce Jacobin, Maximilien Robespierre, qui dès le dimanche 26 juin a réclamé qu’un tribunal soit chargé d’entendre les deux souverains :

« La reine n’est qu’une citoyenne, a-t-il dit, et le roi en qualité de premier fonctionnaire du royaume est soumis aux lois. »

Habile et prudent, ce Robespierre !

Il laisse Danton, Laclos, Camille Desmoulins évoquer la République, ou bien un « moyen constitutionnel » permettant de remplacer Louis XVI – et chacun comprend qu’ils pensent à un régent, qui serait Philippe d’Orléans –, mais Robespierre ne se prononce pas. Il dit seulement que si le roi est inviolable, le peuple l’est aussi. Qu’on doit donc interroger le roi, et la citoyenne Marie-Antoinette.

Louis n’a jamais relevé une injure dans la bouche de Robespierre. C’est Pétion qui dit que le roi est un « monstre » et un autre député, Vadier, qui lance un « brigand couronné ».

Robespierre ne signe pas la pétition des cordeliers qui réclament la « déchéance du Roi ».

Il ne participe ni à la manifestation de trente mille ouvriers qui se réunissent place Vendôme, le 24 juin, ni à ce grand rassemblement devant l’Assemblée, rue Saint-Honoré, en faveur de la déchéance du roi, mais aussi contre toute idée de remplacement du Bourbon par un Orléans, et contre l’institution d’une régence.

« Plus de monarchie », « plus de tyran », crie-t-on.

Et Robespierre ne suit pas Condorcet ou l’écrivain américain Thomas Paine qui s’affirment républicains.


Louis observe. Il médite les propos de Barnave, qui conseille la reine, répète qu’une majorité de députés va se prononcer contre la déchéance, que l’Assemblée est prête à mettre fin à la suspension du roi dès lors qu’il approuverait la Constitution.

Et cependant, Louis est inquiet. L’Assemblée décide de recruter mille volontaires nationaux, qui formeront une armée fidèle à la Constitution. Et les soldats éliront leurs sous-officiers et leurs officiers.

Il faut aussi assister à ce défilé d’un cortège qui accompagne les cendres de Voltaire qu’on transfère au Panthéon.

Et Louis est assis, jambes croisées devant sa fenêtre, pour le regarder passer sur le Pont-Royal. Puis le cortège s’immobilise devant le pavillon de Flore plus de trois quarts d’heure. Marie-Antoinette entre dans la chambre et fait fermer les stores !

Mais on entend chanter :

Peuple réveille-toi, romps les fers

Remonte à ta grandeur première

La Liberté t’appelle

Tu naquis pour elle

L’affreux esclavage

Flétrit le courage

Mais la liberté

Relève sa grandeur et nourrit sa fierté

Liberté, liberté !

Louis s’efforce d’accepter tout cela placidement.

Il faut laisser la révolution s’étendre comme un fleuve en crue, qu’il ne sert à rien de vouloir endiguer, mais qui un jour s’asséchera, rentrera dans son lit.

Et c’est la tentative de fuite, la nuit passée à Varennes-en-Argonne, qui lui donnent cette sagesse.

C’est le mouvement du fleuve lui-même qui rendra toute sa place à la monarchie. Alors, peu importe que l’Assemblée prenne des mesures contre les émigrés, triplant l’imposition sur leurs biens s’ils ne rentrent pas dans les deux mois, ou bien qu’on célèbre, au Champ-de-Mars, le deuxième anniversaire de la prise de la Bastille, en grande pompe, et par grand soleil. Et l’évêque de Paris dit la messe sur l’autel de la Patrie, et entonne un Te Deum.

Et c’est sur cet autel que les Cordeliers veulent déposer une pétition, pour la déchéance, le 17 juillet. Ils ont déjà recueilli six mille signatures.

Mais ils sont dans l’illégalité, puisque l’Assemblée souveraine a refusé de voter la déchéance du roi, et au contraire l’a innocenté.


C’est Barnave qui, le 15 juillet, a emporté la décision, dans un grand discours où l’homme qui a ouvert à

Grenoble et à Vizille, en 1788, la période révolutionnaire souligne les dangers de continuer la révolution.

« Ce que je crains, dit Barnave, c’est notre force, nos agitations, c’est le prolongement indéfini de notre fièvre révolutionnaire. Allons-nous terminer la révolution ? Allons-nous la recommencer ? Si la révolution fait un pas de plus elle ne peut le faire sans danger ; c’est que dans la ligne de la liberté, le premier acte qui pourrait suivre serait l’anéantissement de la royauté ; c’est que dans la ligne de l’égalité, le premier acte qui pourrait suivre serait l’attentat à la propriété… Pour ceux qui voudraient aller plus loin, quelle nuit du 4 août reste-t-il à faire, si ce n’est des lois contre les propriétés ? »


C’est comme si le fleuve de la Révolution se divisait en deux courants.

L’un veut fixer la Révolution.

L’autre veut se laisser porter par le fleuve, et au bout il y a, en effet, les « partageux », qui veulent – et leurs voix se sont déjà fait entendre –, au-delà du roi, s’en prendre aux riches, aux propriétés.

Et Louis mesure qu’il est aux yeux d’un Barnave, d’un La Fayette, d’un Duport et d’un Sieyès, un rempart.

Et un obstacle pour les autres, Marat, Maréchal, Hanriot, et ce Gracchus Babeuf, un Picard qui rêve au partage des terres, comme ce jeune Saint-Just.

Et les Cordeliers, avec l’imprimeur Momoro, le poète Fabre d’Églantine, maintiennent, en dépit des décisions de l’Assemblée, leur décision de déposer leur pétition sur l’autel de la Patrie, au Champ-de-Mars, le 17 juillet.


Tension au club des Jacobins.

Maximilien Robespierre, prudemment, se tait.

Il craint l’« illégalité », les mesures de force que l’Assemblée peut décider.

Il met en garde contre les dangers d’une pétition, mais il dit aussi :

« Le moment du danger n’est pas celui de la pusillanimité… Je suis prêt à mourir pour le salut du peuple sensible et généreux. »

Et une partie des Jacobins se rallie à la pétition.

C’en est trop pour Barnave, La Fayette, Duport, Lameth.

Ils quittent la séance, le club des Jacobins. Ils décident de créer non loin de là, dans le couvent des Feuillants, toujours rue Saint-Honoré, un autre club, « modéré », celui des Feuillants.


Le parti des patriotes s’est bien déchiré.

Le 16 juillet, les Cordeliers, les Jacobins, s’en vont déposer une pétition sur l’autel de la Patrie.

Elle déclare le décret de l’Assemblée « contraire au vœu du peuple souverain », demande le « jugement d’un roi coupable » et le « remplacement et l’organisation d’un nouveau pouvoir exécutif ». Et ils appellent le peuple à venir signer la pétition, demain 17 juillet, un dimanche.


On devait se réunir place de la Bastille et se rendre en cortège au Champ-de-Mars.

Mais les gardes nationaux sont là, qui empêchent le rassemblement. On dit que Bailly et la municipalité ont décidé d’empêcher tout rassemblement et de faire appliquer la loi martiale.

Les bataillons de la garde nationale, soldés et volontaires bourgeois, sont sous les armes, avec leurs drapeaux rouges, qu’on arbore aussi aux fenêtres de l’Hôtel de Ville.

Mais les dix mille pétitionnaires, parmi lesquels de nombreuses femmes avec enfants, qui se retrouvent au Champ-de-Mars où ils se sont rendus par petits groupes ne peuvent imaginer que la garde nationale tirera sur eux, même quand ils la voient arriver, avec ses fusils, ses baïonnettes et des canons.

La tension monte cependant.


On découvre, sous l’estrade de l’autel de la Patrie, deux hommes qui assurent qu’ils voulaient percer des trous dans les planches pour voir les jambes et les culs des femmes.

On ne les écoute pas. Ils sont à la solde des aristocrates, assure-t-on. Ils veulent placer une machine infernale. On les frappe. On les pend. On tranche leurs cous. On plante leurs têtes au bout des piques. Maillard, le commandant des « vainqueurs de la Bastille », et le peintre David sont là, parmi la foule qui peu à peu se réduit à quelque quatre ou cinq mille personnes.

Elles narguent les bataillons de La Fayette qui avancent, malgré une grêle de cailloux lancés par la foule qui crie : « À bas le drapeau rouge ! », « À bas les baïonnettes ! ».

Les drapeaux rouges sont déployés.

Les soldats tirent une première salve en l’air, puis font feu sur la foule que chargent les cavaliers.

La fusillade continue de crépiter.

Les gardes nationaux poursuivent les fuyards, hors du Champ-de-Mars, « dans les jardins, les gazons, les prairies alentour, la baïonnette dans les reins, et tuent bon nombre de femmes, d’enfants, de vieillards ».

« On compte douze à quinze cents morts par la balle et la baïonnette », dit la rumeur.

Ils ne seront pas cent.


Mais la Seine coule comme un flot de sang.

Elle sépare modérés et républicains.

La Fayette et Bailly ne sont plus pour le peuple que des « massacreurs ».

Et les gardes nationaux qui ont tué ont exprimé leur volonté d’en finir avec les désordres, les émeutes, les pillages, les assassinats, les têtes au bout des piques.

Chez les « patriotes », on craint la répression. Danton se réfugie chez sa mère à Arcis-sur-Aube puis passe en Angleterre, Desmoulins et Marat se cachent. On brise les presses de L’Ami du peuple. Les Révolutions de France et de Brabant cessent de paraître.

Robespierre ne rentre pas chez lui rue de Saintonge, mais couche plusieurs nuits chez son ami le menuisier Duplay qui possède une maison rue Saint-Honoré.

Il craint une « Saint-Barthélemy des patriotes ».

Car le drapeau rouge de la loi martiale restera suspendu sur la façade de l’Hôtel de Ville jusqu’au 25 juillet.


« J’ai le cœur navré de chagrin de voir les choses tournées ainsi, écrit le 26 juillet le libraire Ruault… Ainsi nous allons voir, et nous avons déjà, deux opinions politiques entre lesquelles les Français vont se partager… Je perçois le malheur sans fin si la division commencée la semaine dernière continue plus longtemps… »

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