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Il est à peine minuit passé de dix minutes, ce mardi 21 juin 1791, quand Louis, vêtu comme un valet de chambre d’une redingote brune peluchée et portant perruque et chapeau rond galonné, monte dans une « citadine », cette voiture de ville qui attend, rue Saint-Honoré, non loin du château des Tuileries.

Il vient de sortir seul par la grande porte sans que tes factionnaires prêtent attention à cette silhouette débonnaire commune de domestique.

L’un des souliers du roi s’est défait et Louis l’a remis sans hâte. Dans la voiture il trouve ses deux enfants, le dauphin Louis, âgé de six ans, et Madame Royale – Marie-Thérèse – qui a treize ans. Is sont accompagnés de leur gouvernante, Madame de Tourzel.

Il y a aussi la jeune sœur du roi, Madame Élisabeth, d’à peine vingt-sept ans.

Le comte Fersen, qui a préparé la fuite de la famille royale, « jouait parfaitement le rôle de cocher de fiacre, sifflant, causant avec un soi-disant camarade qui se trouvait là par hasard, et prenant du tabac dans sa tabatière ».

Il faut attendre la reine qui, comme Louis, a fait mine de se coucher selon le rituel habituel.

Puis elle a revêtu une robe austère de gouvernante, et elle rejoint la citadine vers minuit trente. Elle a croisé la voiture de La Fayette sans que celui-ci la reconnaisse sous son déguisement.

« Dès que la reine fut montée dans la voiture, raconte Madame de Tourzel, Louis la serre dans ses bras, l’embrassant et répète “que je suis content de vous voir arrivée”. »


La citadine peut alors rouler jusqu’à la barrière Saint-Martin, à l’entrée de la route de Metz, où l’attend une grosse berline vert foncé, aux immenses roues jaunes, aux nombreux coffres et que surveillent trois fidèles gardes du corps.

La famille royale et Madame de Tourzel prennent place à son bord.

La berline a été construite en vue de cette fuite. Elle est confortable, capitonnée de velours blanc, munie de « vases de nécessité » prévus pour les longs voyages.

Fersen va la conduire jusqu’au premier relais à l’orée de la forêt de Bondy. Là, à la demande de Louis, il est entendu qu’il quittera les fugitifs, qui sont déjà en retard d’une heure et demie sur l’horaire établi entre Fersen et le marquis de Bouillé, l’homme qui a maté la révolte de la garnison de Nancy.


La route est longue.

On va se diriger vers Montmirail, Châlons-sur-Marne, Sainte-Menehould, Clermont-en-Argonne, Varennes, un petit village sur la rivière l’Aire.

De là on gagnera Montmédy, but du voyage, non loin de la frontière avec la Belgique, territoire impérial. Et là, attendent dix mille soldats autrichiens qui, si nécessaire, pourront prêter main-forte à Louis XVI. Mais le roi compte que la menace suffira.

D’ailleurs, il disposera des troupes du marquis de Bouillé qui a placé des hussards, des dragons, des cavaliers du Royal-Allemand, en plusieurs points, après Châlons-sur-Marne. Ils sont chargés de protéger la famille royale, et de couper les communications avec Paris.

Les soldats ignorent qu’ils devront escorter le roi et famille. On leur a expliqué qu’ils attendent un « trésor » destiné au paiement de la solde des régiments de la frontière.

Le marquis de Bouillé et ses officiers – le comte de Choiseul, le colonel de Damas – ne sont pas sûrs de l’état d’esprit de ces sept cent vingt-trois hommes qui pourraient refuser d’obéir, si la population, les municipalités manifestaient leur opposition au roi.

La seule manière d’éviter cette « fermentation », cette rébellion, c’est de faire vite.

Or, à Montmirail, la berline qui a été rejointe par un cabriolet où ont pris place les deux femmes de chambre de la reine a déjà trois heures de retard sur l’horaire prévu.

Il est onze heures, ce mardi 21 juin.


On sait à Paris, depuis plus de trois heures, que le roi s’est enfui.

C’est à sept heures que Lemoine, le valet de chambre du roi, a constaté que Louis n’était plus dans son lit et que la famille royale avait disparu. Il a donné l’alerte et dès huit heures la nouvelle est connue dans tout Paris.

L’Assemblée se réunit, présidée par Alexandre de Beauhamais.


On découvre une Déclaration adressée à tous les Français, que le roi a laissée en évidence dans sa chambre.

Louis s’y plaint de tous les outrages subis. Seule récompense de ses sacrifices : « la destruction de la royauté, tous les pouvoirs méconnus, les propriétés violées, la sûreté des personnes mise partout en danger, une anarchie complète ».

Il dénonce ces « Sociétés des Amis de la Constitution, une immense corporation plus dangereuse qu’aucune de celles qui existaient auparavant… Le roi ne pense pas qu’il soit possible de gouverner un royaume d’une aussi grande étendue et d’une aussi grande importance que la France par les moyens établis par l’Assemblée nationale ».

Et Louis XVI invite les habitants de sa « bonne ville » de Paris, tous les Français, à se méfier des « suggestions et des mensonges de faux amis ; revenez à votre roi, il sera toujours votre père, votre meilleur ami ; quel plaisir n’aura-t-il pas à oublier toutes ses injures personnelles et de se revoir au milieu de vous, lorsqu’une Constitution qu’il aura acceptée librement fera que notre sainte religion sera respectée, que le gouvernement sera établi sur un pied stable… et qu’enfin la liberté sera posée sur des bases fermes et inébranlables ».


« Tout Paris est en l’air. »

On s’indigne. L’Assemblée siège en permanence. Le club des Cordeliers lance une pétition en faveur de la République.

On brise les bustes du roi, on macule son nom, tout ce qui rappelle la royauté.

Louis a donc menti.

On se souvient de ce qu’écrivait Marat, dans L’Ami du peuple. On se rappelle qu’un nouveau journal, Le Père Duchesne, avait affirmé dès février que « la femme Capet veut se faire enlever avec le gros Louis par La Fayette et les chevaliers du poignard ».

On se scandalise, que ce même La Fayette, suivi par la majorité des députés, évoque « les ennemis du roi enlevant le roi ».

Robespierre s’insurge contre ce conte de l’enlèvement de Louis XVI. Et aux Jacobins, il attaque les députés, les Barnave, les Duport, les La Fayette, les Lameth.

« Ils ont dans vingt décrets appelé la fuite du roi un enlèvement. Voulez-vous d’autres preuves que l’Assemblée nationale trahit les intérêts de la nation ? »

II rappelle qu’il a fait voter, le 16 mai, une loi selon laquelle aucun des députés de l’Assemblée constituante ne pourra être élu dans la future Assemblée législative.

Il avait voulu ainsi exclure ces députés modérés qui ne sont que « modérément patriotes ».

« Je soulève contre moi tous les amours-propres, dit-il. J’aiguise mille poignards et je me dévoue à toutes les haines. Je sais le sort qu’on me garde… Je recevrai presque comme un bienfait une mort qui m’empêchera d’être témoin des maux que je vois inévitables. »

Les Jacobins se dressent : « Nous mourrons tous avec toi ! », « Nous jurons de vivre libres ou mourir ! » crient-ils.

Mais Barnave intervient, et c’est sa motion qu’on vote :

« Le roi égaré par des suggestions criminelles s’est éloigné de l’Assemblée nationale. »

Cependant dans les rues, aux carrefours, au Palais-Royal, des orateurs clament les propos de Robespierre. Camille Desmoulins les diffuse. Ils enflamment le jeune Saint-Just. Certains veulent que Robespierre soit proclamé « dictateur ».


L’opinion s’embrase.

« On peut se passer de roi », crie-t-on.

Dans les faubourgs, on dit qu’il faut saigner « le gros cochon », « Louis le faux ».

On efface, on arrache les effigies du roi, de la reine, des princes !

On apprend que le comte de Provence, frère du roi, s’est lui aussi enfui, mais que Philippe duc d’Orléans s’est inscrit au club des Jacobins.

On soupçonne des intrigues, des manœuvres, le duc remplaçant le roi, un Orléans un Bourbon.

Mais on n’accorde guère attention à cette hypothèse.

On écoute et amplifie les rumeurs selon lesquelles les armées autrichiennes marcheraient sur Paris.

Puis on se précipite aux Tuileries où tous les appartements sont ouverts. On ne vole rien. Seul un portrait du roi disparaît, et on déchire les exemplaires des journaux royalistes, Les Actes des apôtres, L’Ami du roi, trouvés sur un guéridon. Et on se retire quand les scellés, à deux heures de l’après-midi ce mardi 21 juin, sont posés.

Après, dans les mes, on passe au noir de fumée les mots « roi » ou « royal ».

« Le soir, note un témoin, dans le jardin des Tuileries et celui du Palais-Royal, on faisait d’un air tranquille et rassuré les motions les plus injurieuses au roi et à la royauté. Imaginez ce que l’on peut dire de plus avilissant vous serez encore au-dessous. »

On entend : « Capet est assez gras pour ce que l’on veut en faire ! »

« On fera des cocardes avec les boyaux de Louis et d’Antoinette et des ceintures avec leurs peaux. On réclame leurs cœurs et leurs foies pour les cuire et les manger. »

Sur une pancarte accrochée aux grilles, on lit : « Il a été perdu un roi et une reine, récompense honnête à qui ne les retrouvera pas. »

« Le roi s’est détrôné », commente un évêque constitutionnel.

Et Gouverneur Morris évoque « la nature basse et cruelle du roi. Il est brutal et hargneux. Il n’est pas étonnant qu’un pareil animal soit détrôné ».

L’Ami du peuple et Le Père Duchesne sont impitoyables.

« Voici le moment de faire tomber les têtes des ministres et de leurs subalternes », écrit Marat.

« Bougre de lâche ! Foutu tartufe ! Je savais que tu n’étais qu’une bougre de bête, mais je ne te croyais pas le plus scélérat, le plus abominable des hommes », martèle le Père Duchesne.

Pourtant, l’Assemblée dans sa majorité s’inquiète de cette « nouvelle révolution » qui semble commencer.

Il faut éviter ce saut dans l’inconnu. Maintenir contre l’évidence que le roi a été enlevé, qu’il pourrait être suspendu, mais non détrôné.

La Fayette, qui envoie des courriers dans toutes les directions pour se saisir de la famille royale afin de la ramener à Paris, ne parle dans les ordres qu’il donne que de roi enlevé.

Mais Le Père Duchesne écrit :

« Bougre de Capet, tu seras trop heureux si tu ne laisses pas ta tête sur l’échafaud… Ah je me doute bien que tu vas encore faire le bon apôtre et que secondé des jean-foutre du Comité de Constitution, tu vas promettre monts et merveilles. On veut encore te foutre la couronne sur ta tête de cerf, mais non, foutre, ça ne sera pas ! D’un bout à l’autre de la France il n’y a qu’un cri contre toi, contre ta foutue Messaline, contre toute ta bougre de race. Plus de Capet, voilà le cri de tous les citoyens… Nous te foutrons à Charenton et ta garce à l’hôpital. »


Sur la route, la berline a déjà quatre heures de retard à Châlons-sur-Marne.

Les dragons du marquis de Bouillé se sont repliés.

Les paysans armés de piques et de bâtons, la garde nationale avec des fusils, les ont entourés, inquiets de la présence de ces troupes.

À huit heures moins cinq du soir, au relais de Sainte-Menehould le maître de poste Drouet, qui a servi à Versailles dans les dragons, croit reconnaître la reine, qu’il a souvent vue, et le roi, en la personne de ce valet de chambre dont le profil ressemble à celui gravé sur les écus et frappé sur les assignats.

Il observe, il doute, il se tait, laisse la grosse berline et le cabriolet repartir.

Il est huit heures dix, ce mardi 21 juin.

Et tout à coup deux courriers, qui traversent Sainte-Menehould. Ils arrivent de Paris. Ils annoncent la fuite du roi.

Les dragons ne les ont pas arrêtés.

Drouet s’élance avec un autre ancien dragon, Guillaume.

Ils passent à Clermont-sur-Argonne, où les hussards au lieu d’escorter les voitures royales ont crié avec les paysans : « Vive la nation ! », et ont refusé d’exécuter les ordres concernant ces voitures suspectes, cette berline énorme, pleine comme un œuf sans doute d’émigrés.

Les hussards sont désarmés, et Drouet et Guillaume, par des chemins de traverse qui sinuent dans la forêt, gagnent Varennes-en-Argonne, où ils découvrent la berline à l’arrêt dans le haut du village. Ils avertissent le procureur-syndic, l’épicier Sauce, le décident à établir une barricade sur le pont qui enjambe l’Aire. Les voitures arrivent, s’immobilisent.

Le procureur exige que les voyageurs descendent, entrent chez lui. Le tocsin sonne. Les paysans, la garde nationale se rassemblent. Le procureur est allé chercher le juge Destez qui a vécu à Versailles.

Pendant ce temps, Drouet compare le visage du valet de chambre avec le profil royal figurant sur les monnaies.

« C’est le roi, dit-il, qui d’autre d’ailleurs aurait eu le pouvoir de rassembler autant de troupes ! »

« Si vous pensez que c’est votre roi, vous devriez au moins le respecter davantage », s’écrie la reine.


Voici le juge.

Il avance dans la petite pièce envahie par la foule.

Et brusquement, il se jette à genoux : « Ah ! Sire ! » s’exclame-t-il.

Louis hésite, se lève.

« Eh bien oui, je suis votre roi. Voici la reine et la famille royale. »

Il embrasse le procureur-syndic, le juge-syndic puis tous ceux qui l’entourent.

Il est minuit et demi, le mercredi 22 juin.


Lorsque cent cinquante hussards arrivent à Varennes, il est trop tard.

Les paysans occupent la rue. La garde nationale a mis deux canons en batterie. Drouet lance : « Vous n’aurez le roi que mort. »

Les hussards se replient, menacés d’être pris entre deux feux, et les femmes sur l’ordre de Drouet sont remontées dans les maisons et sont prêtes à lapider les soldats.

« Les hussards confèrent ensemble, raconte Drouet, et l’instant d’après viennent se jeter dans les bras de la garde nationale. Leur commandant s’est échappé. »

On crie : « Vive la nation ! »

« Ils eurent bien tort de céder si facilement, conclut Drouet, les canons dont on les menaçait n’étaient pas chargés. »

Mais de tous les villages voisins, des paysans armés de faux, de piques, de fusils et de bâtons arrivent, éclairés par des torches.

Le tocsin de toutes les églises sonne.

Il y aura bientôt dix mille paysans à Varennes.

À cinq heures du matin, ce mercredi 22 juin, les courriers de La Fayette arrivent et présentent au roi le décret ordonnant le retour du roi et de la famille royale à Paris.

« Il n’y a plus de roi de France », dit Louis.

Louis voudrait retarder l’instant du départ. Il espère encore l’arrivée des troupes du marquis de Bouillé, ces trois cents hommes du Royal-Allemand.

Il feint de dormir. On le réveille. Les paysans, les gardes nationaux, les autorités municipales souhaitent qu’on se mette aussitôt en route pour Paris, car ils craignent le massacreur de Nancy, ce marquis de Bouillé.

Mais le pays tout entier est soulevé, et le Royal-Allemand n’interviendra pas. Le marquis de Bouillé, après s’être replié à Montmédy, préfère s’enfuir au Luxembourg.

Le roi et la famille royale n’ont plus qu’à se soumettre, à entendre les cris de la foule venue s’entasser le long de la route qui conduit à Sainte-Menehould, à Châlons-sur-Marne.


Les voitures royales roulent lentement, escortées d’une dizaine de milliers d’hommes à pied et à cheval.

Les injures, les menaces, toute une violence accumulée depuis des siècles, refoulée, explose, éruption vengeresse. Et Louis ne sait que répéter : « Je ne voulais pas sortir du royaume. »

La chaleur de cette journée du mercredi 22 juin 1791 est torride. Un peu avant Châlons, un homme à cheval apparaît, tente de s’approcher de la berline. Vite désarçonné, il est piétiné, poussé dans un fossé.

C’est le comte de Dampierre qui voulait saluer le roi mais que les paysans détestent pour son âpreté dans la perception des droits féodaux.

« Qu’est-ce ? » demande Louis XVI qui a vu le tumulte.

« Ce n’est rien, c’est un homme que l’on tue. »

On arrive à Châlons-sur-Marne à onze heures du soir.

On en repartira le jeudi 23 juin à neuf heures.


Chaleur et outrages.

On crache au visage du roi. On malmène la reine dont la robe est déchirée.

« Allez ma petite belle, on vous en fera voir bien d’autres », lance une femme.

« La reine baisse la tête, presque sur ses genoux. »


Entre Épernay et Dormans, vers sept heures du soir, les trois commissaires que l’Assemblée nationale a désignés pour ramener le Roi rejoignent la berline.

Barnave et Pétion montent avec la famille royale, La Tour Maubourg s’installe dans l’autre voiture, en compagnie du colonel Mathieu Dumas.

La foule accueille les commissaires avec ferveur.

« Je ne puis peindre le respect dont nous fûmes environnés, dit Pétion. Quel ascendant puissant, me disais-je, a cette Assemblée ! »

Barnave s’est installé entre le roi et la reine. Pétion entre Madame de Tourzel et Madame Élisabeth.

Il semble à Pétion que la sœur du roi s’abandonne contre lui.

« Madame Élisabeth serait-elle convenue de sacrifier son honneur pour me faire perdre le mien ? » se demande-t-il tout en observant Barnave qui chuchote avec la reine.

La chaleur est étouffante.

« Le roi n’a pas voulu sortir de France », répète Madame Élisabeth.

« Non, Messieurs, dit le roi en parlant avec volubilité, je ne sortais pas, je l’ai déclaré, cela est vrai. »


On arrive à Meaux le vendredi 24 juin.

On repartira pour Paris vers sept heures du matin, le samedi 25 juin.


Louis feuillette son Journal, relit ce qu’il a écrit, jour après jour, au fil de ces heures qui, et il s’en étonne, ne lui laissent aucun regret pour lui-même.

Il souffre pour la reine et les enfants, pour sa sœur et ses trois gardes du corps, insultés, et pour Madame de Tourzel.

Il songe à cet homme, sans doute un noble fidèle, égorgé dans un fossé.

Il a appris que le comte de Provence a atteint la Belgique sans encombre.

Dieu décide du sort qu’il réserve à chacun.

Louis a noté :

« Jeudi 21 juin : départ à minuit de Paris, arrivé et arrêté à Varennes-en-Argonne, à onze heures du soir.

22 : Départ de Varennes à cinq ou six heures du’matin, déjeuner à Sainte-Menehould, arrivé à dix heures à Châlons, y souper et coucher à l’ancienne Intendance.

23 : À onze heures et demie on a interrompu la messe pour presser le départ, déjeuner à Châlons, dîner à Épernay, trouvé les commissaires de l’Assemblée auprès du port à Buisson, arrivé à onze heures à Dormans, y souper, dormi trois heures dans un fauteuil.

24 : Départ de Dormans, à sept heures et demie, dîner à la Ferté-sous-Jouarre, arrivé à onze heures, à Meaux, souper et coucher à l’Évêché.

Samedi 25 : Départ de Meaux à six heures et demie… »


Il ajoutera à cette journée du samedi 25 juin : « … arrivé à Paris sans s’arrêter. »


Il ne dit rien de la foule immense dans la chaleur, des cris, du tour de Paris par les « nouveaux boulevards », pour éviter les manifestations violentes.

Puis les Champs-Elysées, la place Louis-XV.

La garde nationale forme la haie, crosse en l’air. Et la foule crie, quand la reine descend de voiture dans la cour des Tuileries : « À bas l’Autrichienne. »

On se précipite pour tenter de s’emparer des trois gardes du corps habillés en courriers. Les commissaires les arrachent à ces « tigres » – comme les nomme Barnave – qui déjà, dans la forêt de Bondy, puis à Pantin, ont voulu prendre la berline d’assaut. Les femmes étaient les plus haineuses, « tigresses », qui menaçaient de dépecer la reine, de l’écarteler.

On a crié : « La bougresse, la putain, elle a beau nous montrer son enfant, on sait bien qu’il n’est pas de lui. »

C’est la garde nationale qui les a repoussées, et le fait encore devant les Tuileries. Mais les soldats n’appliquent pas l’ordre qui a été donné par l’Assemblée :

« Quiconque applaudira le roi sera bâtonné, quiconque l’insultera sera pendu. »

Mais le roi reste le roi : il n’a été que suspendu.


Dans les appartements royaux, les valets en livrée s’affairent autour de Louis, font sa toilette.

« En voyant le roi, écrit Pétion, en le contemplant, jamais on n’aurait pu deviner tout ce qui venait de se passer ; il était tout aussi flegme, tout aussi tranquille que si rien n’eût été. Il se mit sur-le-champ en représentation. »

À La Fayette qui vient prendre ses ordres, Louis répond en riant : « Il me semble que je suis plus à vos ordres que vous n’êtes aux miens. »

Et Louis note le lendemain dans son Journal :

« Dimanche 26 : Rien du tout, la messe dans la galerie. Conférence des commissaires de l’Assemblée. »

Ce matin-là, la reine ayant ôté son bonnet de nuit devant sa femme de chambre, celle-ci constata que les cheveux de Marie-Antoinette étaient devenus tout blancs « comme ceux d’une femme de soixante-dix ans ».


Dans son Journal, le surlendemain, Louis XVI écrit : « 28 : J’ai pris du petit-lait. »

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