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Louis, au château de Saint-Cloud, où la famille royale est rentrée au soir de ce 14 juillet 1790, s’interroge.

Que valent ces acclamations du peuple qui ont accompagné le carrosse du roi, tout au long de la traversée de Paris, alors que sous les averses, la foule continuait de festoyer ?

Louis est perplexe, exténué, comme si ce serment qu’il a prêté, et auquel le peuple a répondu en lui jurant fidélité, avait été une épreuve aux limites de ses forces. Et de même, Marie-Antoinette a paru épuisée, ne recommençant à parler et à sourire au dauphin que lorsque le carrosse est arrivé dans la cour du château.

Ici, à Saint-Cloud, on échappe à la foule, à la surveillance qu’elle exerce aux Tuileries, aux questions, aux injures et aux assauts qu’elle peut lancer.

Mais c’est le même peuple qui a crié : « Vive le roi ! », « Vive la reine ! », « Vive le dauphin ! ».

Comment se fier à lui, comment l’apaiser ? Est-ce possible ?

Ou bien faut-il fuir ?

Les questions lancinantes reviennent.

Fersen continue de les poser.

Il a assisté à la fête de la Fédération.

« Il n’y a eu que de l’ivresse et du bruit, dit-il, orgies et bacchanales, la cérémonie a été ridicule, indécente, et par conséquent pas imposante. »

Louis ne répond pas. Il songe que demain dès l’aube il chassera, et il espère qu’il débusquera du gros gibier, qu’il rentrera épuisé après plusieurs heures de course, ayant oublié ces questions dont on le harcèle.


Et dans les jours qui suivent, il chasse furieusement, mais à peine descend-il de cheval que son frère le comte de Provence, la reine, ou tel de ses ministres, Saint-Priest ou la Tour du Pin, l’interpellent, évoquant ces articles de Marat, lui tendent ce journal, L’Ami du peuple, dont l’audience, dit-on, s’accroît.


Chaque phrase de Marat est comme un coup de hache.

Il critique la fête de la Fédération, ce piège, cette illusion qu’on a offerte au peuple.

« Vous avoir fait jurer fidélité au roi, dit-il, c’est vous avoir rendu sacrés les ennemis qui ne cessent de conspirer sous son nom contre votre liberté, votre repos, votre bonheur. »

Louis a l’impression que Marat trempe sa plume dans le sang.

Il brandit chaque article comme une tête au bout d’une pique.

« La fuite de la famille royale est concertée de nouveau, écrit-il… Cessez de perdre votre temps à imaginer les moyens de défense. Il ne vous en reste qu’un seul : une insurrection générale et des exécutions populaires.

Commencez donc par vous assurer du roi, du dauphin et de la famille royale : mettez-les sous forte garde et que leurs têtes vous répondent de tous les événements… Passez au fil de l’épée tout l’état-major parisien de la garde nationale, tous les “noirs” et les ministériels de l’Assemblée nationale. Je vous le répète, il ne vous reste que ce moyen de sauver la patrie. Il y a six mois que cinq ou six cents têtes eussent suffi pour vous retirer de l’abîme… Aujourd’hui peut-être faudra-t-il en abattre cinq à six mille, mais fallût-il en abattre vingt mille il n’y a pas à balancer un instant… »

Et quelques semaines plus tard, dans un nouvel article il se reprend :

« Il y a dix mois que cinq cents têtes abattues auraient assuré votre bonheur, dit-il ; pour vous empêcher de périr vous serez peut-être forcés d’en abattre cent mille après avoir vu massacrer vos frères, vos femmes et enfants… »


Louis se tasse. Il laisse tomber sa tête sur sa poitrine. Comment ne pas fuir un pays où de tels articles peuvent être publiés impunément ?

Et toutes les tentatives faites par Bailly, pour saisir les presses de L’Ami du peuple ou poursuivre Marat, ont échoué. Le peuple le défend.

Des députés, tel ce Maximilien Robespierre, le soutiennent et partagent ses vues.

Certes, des journalistes lui répondent, le dénoncent :

Marat, dites-vous, l’assassin,

Veille au salut de la patrie.

Le Monstre ! Il veille dans son sein

Comme un tigre affamé dans une bergerie.

Mais les membres du club des Cordeliers, que préside Danton, de nombreux Jacobins, le lisent, le suivent. Et on fait de ses articles des lectures publiques dans les jardins du Palais-Royal ou dans le faubourg Saint-Antoine.

« Les pages de sang qui chaque jour circulent dans le peuple, sous le nom du Sieur Marat, en indignant les gens éclairés, portant la terreur dans l’âme des citoyens pacifiques, alimentent sans cesse le délire forcené de la multitude, écrit un bourgeois parisien. Les faubourgs surtout sont le plus violemment saisis de cet esprit de vertige que le prétendu Ami du peuple a soufflé parmi des hommes simples et crédules. »


Louis se souvient du visage de ces hommes et femmes du peuple qui, le 6 octobre 1789, ont fait irruption à Versailles dans la chambre de la reine.

Au Châtelet, un procès leur a été intenté. Mais comment osera-t-on les condamner ? De même la loi martiale a été votée, mais dans les villes où des émeutes se produisent aucune municipalité n’ose la décréter.

À Paris, la foule a envahi et saccagé la maison du duc de Castries, dont le fils a blessé en duel régulier Charles Lameth, député et Jacobin.

« Tout a été cassé et brisé, constate un témoin. Ce Monsieur de Castries en sera pour ses meubles et pour ses glaces : quel procès peut-on faire à la multitude ?

« La même foule s’est portée chez Monsieur de Montmorency pour le forcer à ôter ses armoiries de dessus sa porte et à combler le fossé qui empiétait sur le boulevard et rétrécissait le chemin du peuple ou des piétons. Ce peuple vainqueur fait impitoyablement la guerre. »

La guerre.

Ce mot, Louis ne voudrait pas le lire, l’entendre. Mais il le rencontre à chaque instant.

Son frère le comte d’Artois a quitté Turin pour s’installer à Coblence. Il rassemble les émigrés dans l’espoir de constituer une armée.

En Ardèche vingt mille hommes armés se sont rassemblés au camp de Jalès, décidés à combattre pour le roi et les principes sacrés de la monarchie, à abolir la Constitution.

À Lyon, les royalistes s’organisent et les envoyés du comte d’Artois envisagent de soulever toute la région, de la Bourgogne à la Provence.

Et Fersen comme Marie-Antoinette pensent qu’il faut demander l’aide de l’empereur Léopold II, frère de la reine, qui vient d’écraser à Bruxelles, et à Liège, les patriotes qui avaient fondé les États belgiques unis.

L’Europe des rois fait « cause commune », s’inquiète de la « contagion » révolutionnaire.

À Londres, un parlementaire favorable pourtant à la révolution américaine, Edmund Burke, publie des Réflexions sur la révolution de France, traduites en français en novembre 1790, et qui sont un réquisitoire contre ce qui s’est accompli depuis 1789.

Pour la première fois, la voix d’un « contre-révolutionnaire » se fait entendre avec force, influence l’opinion, et d’abord celle des souverains et des aristocrates européens.

Aideront-ils par une intervention armée la cour de France à retrouver son pouvoir ?

Louis a lu la lettre que Marie-Antoinette adresse au nouveau gouverneur autrichien à Bruxelles, Mercy-Argenteau, qui fut longtemps son conseiller à Versailles :

« Nous ne demandons à aucune puissance, écrit la reine (à moins d’un événement pressant) de faire entrer leurs troupes dans ce pays-ci. Nous désirons seulement qu’au moment où nous serions dans le cas de les réclamer, nous pourrions être assurés que les puissances voudront bien avoir des troupes sur leurs frontières bordant la France en assez grand nombre pour servir de soutien et de ralliement aux gens bien intentionnés qui voudraient nous rejoindre… »


La guerre.

C’est un mot que Louis retrouve aussi dans les propos de Mirabeau que le comte de La Marck rapporte.

Le comte, député de la noblesse, voit dans la guerre civile le seul moyen de rétablir l’autorité du roi et d’éviter que « la foule ne devienne l’instrument aveugle des factieux ».

Et comme La Marck lui rappelait que le roi ne dispose pas d’argent pour attirer des partisans, Mirabeau a répondu :

« La guerre civile se fait toujours sans argent et d’ailleurs dans les circonstances présentes, elle ne serait pas de longue durée. Tous les Français veulent des places et de l’argent ; on leur ferait des promesses et vous verriez bientôt le parti du roi prédominant partout. »


Louis se lève, marche lourdement.

Même lors des chevauchées matinales, et même quand il traque un cerf, il reste préoccupé.

Il se persuade chaque jour davantage que loin de s’apaiser, la révolution s’approfondit, que les jours les plus sombres sont à venir.

Et que la haine se répand partout, comme une peste sociale qui n’épargne personne. Les royalistes haïssent les Jacobins.

« Le Jacobin participe de la nature du tigre et de l’ours blanc, écrit le journaliste Suleau. Il a l’air taciturne, l’encolure hideuse, le poil ras ; féroce et carnassier, il égorge pour le plaisir d’égorger, aime passionnément la chair humaine et vit dans un état de guerre perpétuelle avec tout ce qui n’est pas de son espèce à l’exception des démocrates… »

Suleau cite les noms de Robespierre, Danton, Brissot, Marat, Laclos.

Camille Desmoulins et Fabre d’Églantine seraient moins « carnassiers », plus démocrates…


Quant aux « patriotes » après avoir fait voter les décrets sur la Constitution civile du clergé, exigé le serment des prêtres, la fermeture des couvents, ils ridiculisent et pourchassent les « calotins ».

Les dames de la Halle fouettent les religieuses qui s’obstinent à rester fidèles à leurs vœux.

On les voit, dénudées, représentées sur une gravure portant pour légende : « D’après un relevé exact il s’est trouvé 621 fesses de fouettées, total 310 culs et demi attendu que la trésorière des Miramines n’avait qu’une seule fesse… »

Et les révolutionnaires suspendent des verges à la porte d’une église située sur les quais, entre la rue du Bac et la rue des Saints-Pères, où des « prêtres réfractaires » refusant le serment ont obtenu l’autorisation de célébrer la messe : « Avis aux dévotes aristocrates, médecine purgative distribuée gratis le dimanche 17 avril », préviennent-ils. Et la police ne peut les empêcher de fouetter quelques femmes.

Au Palais-Royal, on brûle l’effigie du pape Pie VI qui a condamné la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, et, surtout, la Constitution civile du clergé.

Nombre de prêtres qui avaient prêté serment – les prêtres jureurs – se rétractent, deviennent eux aussi réfractaires. Et la « guerre » entre les deux Églises, la haine entre les croyants qui suivent l’une ou l’autre, devient un des ressorts majeurs des affrontements entre citoyens. Louis le pressent d’abord puis le constate.

Et il est déchiré, comme fidèle catholique, d’avoir accepté de sanctionner les décrets sur le serment des prêtres.

« J’aimerais mieux être roi de Metz que de demeurer roi de France dans une position pareille, dit-il, mais cela finira bientôt. »


Car il semble à Louis que ni lui ni le royaume ne pourront supporter longtemps ce désordre, ces violences, cette remise en question de tout ce qui a été bâti au cours des siècles, et même de l’Église de Dieu.

Et ce n’est plus seulement les privilèges que l’on conteste, mais les propriétés.

« Je n’aime pas les rois mais j’aime encore moins les riches », écrit un certain Sylvain Maréchal, auteur d’un livre intitulé L’Homme sans Dieu.

« Vous décrétez l’abolition de la noblesse, continue-t-il, mais vous conservez l’état respectif des pauvres et des riches, des maîtres et des valets ; vous défendez aux premiers les armoiries, vous déchargez les seconds de leurs livrées mais ces distinctions ne sont que des simulacres, vous ne touchez point aux réalités… »

C’est aussi ce que disent Marat et Robespierre.

Et celui-ci est de plus en plus écouté au club des Jacobins.

Un jeune homme de vingt-cinq ans, Saint-Just, lui écrit de Picardie :

« Vous qui soutenez la patrie chancelante contre le torrent du despotisme et de l’intrigue, vous que je ne connais que, comme Dieu, par des merveilles… Vous êtes un grand homme. Vous n’êtes point seulement le député d’une province, vous êtes celui de l’Humanité et de la République. »


Louis est atteint au plus profond de ses convictions par ce qu’il est contraint d’accepter.

Il s’interroge encore. Sur quelles forces peut-il compter ?

On intrigue autour de lui, il le sait.

Le duc Philippe d’Orléans, un temps exilé à Londres, vient de rentrer à Paris, dans quel but, sinon de se présenter comme un successeur possible des Bourbons ?

Les frères de Louis, les comtes d’Artois et de Provence, ont chacun leurs visées.

La Fayette, malgré ses déclarations, ne peut être un allié sûr.

L’armée est déchirée par la rébellion des soldats contre leurs officiers aristocrates.

La garde nationale est « patriote », et hésite à rétablir l’ordre parce qu’elle est ouverte aux idées des émeutiers.

À Nancy, même les mercenaires suisses, du régiment de Châteauvieux, se sont dressés contre leurs chefs.

Et c’est le marquis de Bouillé – un cousin de La Fayette – qui est venu depuis Metz, à la fin août 1790, rétablir l’ordre. La reconquête de Nancy contre les Suisses, soutenus par les gardes nationaux et les Jacobins, a fait près de quatre cents morts.

Bouillé a châtié durement : quarante et un condamnés aux galères, trente-trois exécutions capitales, pendus ou roués.

L’Assemblée d’abord le félicite. La Fayette fait voter un décret contre toute insubordination des soldats, et interdit les clubs dans les régiments. Mais sous la pression des « enragés du Palais-Royal », des journaux, du peuple des tribunes de l’Assemblée, ces mesures sont annulées ou jamais appliquées.


Faudrait-il quitter le royaume ? Et le reconquérir ?

Louis ne peut même plus se tourner vers Mirabeau, mort le 2 avril 1791, et que trois cent mille Parisiens accompagnent à l’église Sainte-Geneviève, devenue Panthéon, et où l’on se propose de déposer les cendres de Voltaire.

Ce Voltaire qui voulait « écraser l’infâme » et auquel Louis n’a jamais accordé une audience.

Et maintenant, Louis sanctionne les décrets que condamne le pape et qui réalisent le souhait de Voltaire !

Louis ne peut plus accepter cette abdication de soi.

Fuir alors comme le souhaite Marie-Antoinette, que Louis se reproche de mettre en danger, ainsi que leurs enfants.

Mais quitter les Tuileries, où la famille royale s’est réinstallée, ne sera pas aisé.

Louis a la certitude que Marat et quelques autres ont percé à jour ses intentions.

Ainsi, Marat appelle le peuple à la vigilance :

« Citoyens, armez-vous de haches et de piques ; grande illumination pendant trois jours, forte garde autour du château des Tuileries et dans les écuries. Arrêtez toutes les voitures qui voudraient sortir de Paris. Visitez les vêtements de tous les officiers supérieurs de l’armée parisienne, de tous les hommes qui ont l’air étranger, de tous les soldats… et si vous y trouvez la cocarde blanche, poignardez-les à l’instant. »


Louis sent que la tension, en ces premiers mois de 1791, est à nouveau extrême, comme à la veille du 14 juillet et des 5 et 6 octobre 1789.

Mais désormais, on parle de tuer les membres de la famille royale. Il comprend, il approuve que ses tantes, Mesdames Adélaïde et Victoire, filles de Louis XV, aient décidé d’émigrer.

On leur a délivré régulièrement des passeports, mais la garde nationale les arrête à Saulieu, puis à Amay.

Le peuple s’est rassemblé autour de leur voiture, et ce n’est que sur l’intervention du président des Jacobins de Dijon qu’elles sont autorisées à poursuivre leur voyage.


Mais la nouvelle, connue à Paris, déclenche une émeute.

La foule veut démolir le donjon de Vincennes, qu’on dit destiné à être utilisé comme une nouvelle Bastille. La Fayette disperse les émeutiers, puis, aux Tuileries, il fait arrêter des nobles qui se sont rassemblés, portant poignards et épées pour défendre le roi.

La garde nationale désarme ces « chevaliers du poignard », soupçonnés de vouloir favoriser l’évasion du roi.

« Il fallait voir tous ces messieurs, raconte un témoin, sortir des appartements royaux entre une haie de gardes nationaux, soldés et volontaires, qui les conspuaient, moquaient, battaient, souffletaient au cul et au visage avec de grands éclats de rire et sans qu’un seul d’entre eux n’ose rétorquer ou répondre… »


Louis est humilié une nouvelle fois.

Il n’a pu défendre l’honneur de ceux qui étaient prêts à mourir pour lui.

Il est hanté par cette dernière phrase prononcée par Mirabeau, et recueillie par l’évêque Talleyrand qui le veillait :

« J’emporte avec moi les derniers lambeaux de la monarchie. »

Louis ne veut pas être le fossoyeur de sa dynastie. Il est au bout du chemin. Il a choisi.

Il écrit au marquis de Bouillé, le félicite d’avoir rétabli l’ordre à Nancy, après cette « fête de la Fédération qui a empoisonné les troupes ».

« Soignez votre popularité, lui mande Louis, elle peut m’être bien utile et au royaume. Je la regarde comme l’ancre de salut et que ce sera elle qui pourra servir un jour à rétablir l’ordre. »

Il fait parvenir au roi d’Espagne une lettre dans laquelle il déclare qu’il ne reconnaît pas la Constitution civile du clergé, qu’il a pourtant sanctionnée. Mais, dit-il, il est le fils fidèle de l’Église et du souverain pontife.

Il adresse les mêmes missives à Catherine II, à l’empereur et au roi de Suède.

Et Marie-Antoinette lui transmet la réponse de l’impératrice de Russie :

« Les rois doivent suivre leur marche sans s’inquiéter des cris des peuples, comme la lune suit son cours sans être arrêtée par les aboiements des chiens. »


Mais le peuple de France, Louis ne l’ignore pas, sait faire entendre ses cris !

Henri IV, et même Louis XIV, ont dû l’écouter.

La Bastille a été détruite par ce peuple. L’Assemblée nationale a, le 21 septembre 1790, décrété que le drapeau tricolore serait partout substitué au drapeau blanc.

Des clubs se sont créés, Jacobins, Cordeliers, Cercle social.

À l’Assemblée, lors de la discussion sur les droits des princes allemands en Alsace, le député Merlin de Douai a déclaré :

« Aujourd’hui les rois sont reconnus pour n’être que les délégués des nations… Qu’importent au peuple d’Alsace et au peuple français les conventions qui dans les temps du despotisme ont eu pour objet d’unir le premier et le second ? Le peuple alsacien s’est uni au peuple français parce qu’il l’a voulu… »

Et par la voix du député de la Corse, Saliceti, les Corses ont choisi dès le 30 novembre 1789 de faire partie de la France. Et les habitants du Comtat Venaissin, les Avignonnais, sujets du pape, ont formulé le même vœu.

En même temps, l’Assemblée a dans un décret affirmé « que la nation française renonce à entreprendre aucune guerre dans la vue de faire des conquêtes et déclare qu’elle n’emploiera jamais ses forces contre la liberté d’aucun peuple ».

Mais que devient le pouvoir sacré du souverain, si le roi n’est que le « délégué » de la nation ?

Que devient la responsabilité que Dieu lui a confiée, et que le sacre a manifestée ?

Et où est ma liberté ? s’interroge Louis.

Et que devient ma foi ?


Le 17 avril 1791, jour des Rameaux, Louis décide d’assister dans sa chapelle à la messe dite par un prêtre réfractaire. Et aussitôt un garde national en avertit le club des Cordeliers qui s’indigne, « dénonce aux représentants de la nation le premier fonctionnaire public, le premier sujet de la loi, comme réfractaire aux lois constitutionnelles qu’il a juré de maintenir et comme autorisant à la désobéissance et à la révolte… ».

Le lendemain, 18 avril, Louis décide de se rendre au château de Saint-Cloud.

La foule s’est rassemblée place Louis-XV et jusque sur la route du château.

Quand le roi et la famille royale sortent en carrosse de la cour des Tuileries, on crie, on hurle. Les brides des chevaux sont saisies.

Les gardes nationaux refusent d’obéir à Bailly et à La Fayette qui ordonnent de laisser le passage au roi.

« Nous ne voulons pas qu’il parte ! Nous faisons serment qu’il ne partira pas ! »

On accuse Louis XVI de préparer sa fuite.

Il s’étonne qu’après avoir donné la liberté à la nation, « je ne fusse pas libre moi-même ».

Il reste dans son carrosse plus d’une heure et demie, puis il en descend.

« On ne veut pas que je sorte ? Il n’est donc pas possible que je sorte ? Eh bien je vais rester ! »


Le lendemain, il se rend à l’Assemblée protester contre ce coup de force.

Il prête serment de nouveau à la Constitution dont, dit-il, « la Constitution civile du clergé fait partie ».

Il charge les ambassadeurs de déclarer aux souverains auprès desquels ils représentent le roi qu’il est libre…

Mais Louis envoie secrètement des lettres qui confirment son opposition à ces textes et la contrainte qu’il subit.

Mensonge ?

Louis doit aux siens, à sa fonction, à son royaume, cette duplicité.

C’est son droit de souverain d’agir selon ce que lui dictent ses principes.


Mais il est désormais résolu à quitter cette prison des Tuileries. Il reçoit le fils du marquis de Bouillé. Et Fersen prépare, en relation avec le marquis, les conditions de la fuite en direction de Montmédy.

Louis s’inquiète des propos de Marat qui dénonce un « prince hypocrite révolté contre la nation… Vous seriez, Parisiens, vous seriez les bourreaux de trois millions de vos frères si vous aviez la folie de lui permettre de s’éloigner de vos murs… ».

Mais les jeux sont faits.


Le 18 juin 1791, Louis XVI dénonce à Bailly les « malveillants » qui répandent le bruit de son enlèvement.

Le 19 juin, Marie-Antoinette fait parvenir un courrier à Mercy-Argenteau, le gouverneur autrichien à Bruxelles :

« Tout est décidé, nous partons lundi 20 à minuit. Rien ne peut plus déranger ce plan. Nous exposerions tous ceux qui nous servent dans cette entreprise, mais nous sommes fâchés de ne pas avoir la réponse de l’empereur. »


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