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Il faut voter.
Et d’abord choisir entre la culpabilité et l’innocence de Louis Capet, ci-devant roi de France.
Le 15 janvier 1793, le vote commence sur cette première question.
La Convention déclare Louis Capet coupable de conspiration contre la liberté publique par sept cent sept voix contre zéro.
Ce même jour, il faut voter une seconde fois pour confirmer que le jugement de la Convention ne sera pas soumis à la ratification du peuple.
« Peuple, s’écrie Robespierre, c’est à nous seuls de défendre ta cause. Plus tard, lorsque les vertueux auront péri, alors venge-les si tu veux. »
Par quatre cent vingt-quatre voix contre deux cent quatre-vingt-sept, la Convention rejette l’appel au peuple.
Maintenant, il faut voter par appel nominal, sur la question capitale :
« Quelle peine infligera-t-on à Louis Capet ? »
Chaque député doit monter à la tribune et expliquer à haute voix son vote. Les députés en mission s’exprimeront par écrit.
Le vote commence le mercredi 16 janvier 1793, à huit heures du soir. Les députés votent dans l’ordre alphabétique des départements et pour chacun dans l’ordre de l’élection.
La lettre G a été tirée au sort, et le premier département sera la Haute-Garonne… les représentants du Gard votant les derniers. On sait que Vergniaud, député de Bordeaux, a déclaré, la veille :
« Je resterais seul de mon opinion que je ne voterais pas la mort. »
Et les députés girondins sont favorables à l’indulgence, craignant les conséquences de la mort du roi.
Mais Vergniaud, qui préside, vote la mort. Et huit des députés de Bordeaux votent comme lui.
Pas de surprise avec les Montagnards.
Robespierre, plus poudré que jamais, parle longuement pour expliquer son vote :
« Tout ce que je sais, dit-il, c’est que nous sommes des représentants du peuple envoyés pour cimenter la liberté publique par la condamnation du tyran, et cela me suffit.
« Le sentiment qui m’a porté à demander, mais en vain, à l’Assemblée constituante l’abolition de la peine de mort est le même qui me force aujourd’hui à demander qu’elle soit appliquée au tyran de ma patrie et à la royauté elle-même dans sa personne. Je vote pour la mort. »
Le vote se poursuit dans la nuit du 16 au 17 janvier.
On attend Danton. Il monte à la tribune vers quatre heures du matin.
Les partisans du roi espèrent de sa part un mouvement d’indulgence.
« Je ne suis point de cette foule d’hommes d’État qui ignorent qu’on ne compose point avec les tyrans, déclare Danton. Ils ignorent qu’on ne frappe les rois qu’à la tête. Ils ignorent qu’on ne doit rien attendre de ceux de l’Europe que par la force de nos armes ! Je vote pour la mort du tyran ! »
Voici un autre Montagnard, Philippe Égalité, ci-devant duc d’Orléans, le corps lourd, disant d’une voix assourdie, qu’uniquement occupé de son devoir, il vote pour la mort de Louis, son cousin.
Et Desmoulins et Fabre d’Églantine, et le peintre David, et Marat, font le même choix.
Et quand, le 17 janvier à huit heures du soir, Vergniaud donne le résultat, il y a trois cent quatre-vingt-sept régicides contre trois cent trente-quatre voix.
La mort n’a donc été votée qu’à la majorité de cinquante-trois voix ! Et parmi les députés qui ont voté la mort, certains ont demandé qu’il soit sursis à l’exécution.
Le lendemain, vendredi 18 janvier, de nombreux députés contestent les résultats du scrutin de la veille.
On procède à un nouveau scrutin qui donne trois cent soixante et une voix pour la mort contre trois cent soixante !
La mort de Louis XVI a donc été décidée à une voix de majorité ; alors que la salle du Manège, où siégeait la Convention, était cernée de sans-culottes armés de piques.
« Tandis que les citoyens honnêtes de cette ville attendent dans un calme profond le jugement de Louis XVI, peut-on lire dans les Annales républicaines du 18 janvier, toutes les avenues de la Convention sont entourées d’une foule inconnue d’agitateurs dont les vociférations se font entendre jusque dans le temple législatif, et semblent vouloir influencer les opinions de nos mandataires. On les entend beugler de toutes leurs forces que si Louis XVI n’est pas condamné à mort, ils iront eux-mêmes l’assassiner. Quelques députés en entrant hier dans la salle ont été menacés d’être massacrés s’ils ne votent pas pour la mort.
« Quelque inaccessibles que soient nos représentants à toute impulsion de crainte, on aurait dû réprimer cette horde audacieuse et ôter aux malveillants tout prétexte de pouvoir dire que les opinions n’ont pas été parfaitement libres. »
Il faut encore voter le samedi 19 janvier sur la question du sursis, que les députés girondins ont demandé.
Mais ceux de la Plaine hésitent. Ils entendent les cris de la foule autour de la Convention.
Dans les tribunes, on guette et note leur choix. On les menace au moment où ils entrent dans la salle. Et ils veulent en finir.
Des ennemis de la Révolution ont assassiné à Rome un diplomate français. Les émeutiers ont tenté d’incendier le ghetto de la ville, accusant les Juifs d’être complices de la Révolution française.
Les Montagnards refusent le sursis comme Danton, et comme Philippe Égalité, qui se réitère « convaincu que tous ceux qui ont attenté ou attenteront par la suite à la souveraineté des peuples, méritent la mort ». Immédiatement.
À deux heures du matin, le dimanche 20 janvier 1793, le sursis est rejeté par trois cent quatre-vingts voix contre trois cent dix.
Louis n’est pas surpris.
« Je ne cherche aucun espoir, dit-il à Cléry, mais je suis bien affligé de ce que Monsieur d’Orléans, mon parent, a voté ma mort. »
À deux heures de l’après-midi, le dimanche 20 janvier 1793, Louis ne sursaute pas quand lés membres du Conseil exécutif, le maire, les autorités du département, soit une quinzaine de personnes, entrent dans sa chambre et que Garat, ministre de la Justice, lit les décrets de la Convention : « Louis Capet, coupable de conspiration contre la liberté de la nation, est condamné à mort. »
Louis plie les décrets, les range dans son portefeuille.
Il a préparé une lettre à la Convention. Il demande trois jours pour se préparer à paraître devant Dieu, la levée de cette surveillance perpétuelle, le droit de voir sa famille et celui de recevoir son confesseur, l’abbé Edgeworth de Firmont. Il recommande à la nation ceux qui lui ont été attachés, et qui ne peuvent être persécutés pour cela.
« Je les recommande à la bienfaisance de la nation…
« Il y en a beaucoup qui avaient mis toute leur fortune dans leurs charges et qui, n’ayant plus d’appointements, doivent être dans le besoin, et de même celles qui ne vivaient que de leurs appointements ; dans les pensionnaires il y a beaucoup de vieillards, de femmes et d’enfants, qui n’avaient que cela pour vivre. »
À six heures du soir, Garat revient.
Louis pourra recevoir sa famille, recevoir son confesseur, mais on lui refuse le délai de trois jours.
Le décret de mort sera exécuté dès demain 21 janvier 1793.
Louis reste impassible.
Il ne s’est irrité qu’au moment du dîner, quand on lui a retiré fourchettes et couteaux.
« Me croit-on assez lâche pour que j’attente à ma vie ? » a-t-il dit.