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Ce 1er septembre 1792, et alors que les volontaires parisiens marchent vers les frontières, on dit à Paris que les Prussiens ont investi la ville de Verdun.

Si elle tombe entre leurs mains, la route de Paris sera ouverte, et le duc de Brunswick a répété que la ville sera soumise à « une exécution militaire » et qu’on égorgera tous les patriotes, que ce sera « la Saint-Barthélemy des sans-culottes ».


Ils se sont rassemblés aux carrefours.

Les femmes entourent les porteurs de sabres et de piques.

Un homme monté sur la borne brandit une brochure, qu’on distribue : « Grande trahison de Louis Capet. Complot découvert pour assassiner dans la nuit du 2 au 3 de ce mois tous les bons citoyens. »

On assure que dans les prisons, celle des Carmes, rue de Vaugirard, à l’Abbaye, près de Saint-Germain-des-Prés, au séminaire Saint-François, rue Saint-Victor, où l’on entasse des suspects, à la Conciergerie, à la Salpêtrière, à la Grande et à la Petite Force, rue Saint-Antoine, à Bicêtre, au sud de Paris, les prêtres réfractaires, les aristocrates, les Suisses et les assassins détenus sont armés, vont se répandre dans Paris, empêcher toute défense contre les Prussiens.


On écoute les crieurs de journaux patriotes, L’Ami du peuple, Les Révolutions de Paris, L’Orateur du peuple de Fréron. Ce dernier, plus sans-culotte même que le journal de Marat, comme si Stanislas Fréron, fils de l’ennemi de Voltaire, voulait faire oublier son ascendance et être le plus pur des patriotes, l’égal de Robespierre et de Camille Desmoulins, dont il fut le condisciple au collège Louis-le-Grand.

Et les crieurs répètent qu’il faut se porter en armes à l’Abbaye, en arracher les traîtres et les passer au fil de l’épée. Et quelle folie de vouloir faire leur procès ! Il est tout fait.

« Vous avez massacré les soldats suisses aux Tuileries, pourquoi épargnerions-nous leurs officiers, infiniment plus coupables ! Ils méritent d’être écartelés, comme Louis Capet et sa putain d’Autrichienne. » Et le même sort doit être réservé aux députés, ces « gangrenés de l’Assemblée ». Il ne faut faire confiance qu’à la Commune insurrectionnelle et au Comité de surveillance qu’elle a créé et dans lequel siège Marat !

Et demain s’ouvre le scrutin pour élire les députés à la Convention !

Élisons des Montagnards, chassons les Girondins ! Vive la nation !


On patrouille toute la nuit. On contrôle les passants. On arrête les « suspects ». On boit. On écoute ceux qui disent – et l’Anglais Moore rapporte leurs propos :

« C’est bien terrible que les aristocrates veuillent tuer tout le peuple en faisant sauter la ville. »

Un autre ajoute : « Il y a des chefs et des troupes royalistes cachés dans Paris et aux environs. Ils vont ouvrir les prisons, armer les prisonniers, délivrer le roi et sa famille, mettre à mort les patriotes de Paris, les femmes et les enfants de ceux qui sont à l’armée. »

On brandit les piques. Les femmes hurlent.

« N’est-il pas naturel à des hommes de pourvoir à la sûreté de leurs enfants et de leurs femmes et d’employer le seul moyen efficace pour arrêter le poignard des assassins ? »

Les tuer ?


L’aube se lève le 2 septembre, et dès les premières heures de la matinée on se rassemble.

Tout à coup le canon, puis le tocsin, puis les tambours. On ferme les barrières. On affiche, on lit une proclamation de la Commune :

« Citoyens, l’ennemi est aux portes de Paris ; Verdun qui l’arrête ne peut tenir que huit jours… Qu’une armée de soixante mille hommes se forme sans délai. »

Vers cinq heures, des gardes municipaux à cheval portant un drapeau parcourent les rues en criant : « Aux armes ! »

« L’ennemi approche, disent-ils. Vous êtes tous perdus. La ville sera livrée aux flammes et au pillage. Enrôlez-vous. N’ayez rien à craindre des traîtres et des conspirateurs que vous laissez derrière vous. Ils sont sous la main des patriotes et la justice nationale avant votre départ va les frapper de sa foudre. »

Les tuer ?


On dit que la Commune et son Comité de surveillance ont libéré la nuit les prisonniers coupables de petits larcins, vols ou tricherie, et qu’il ne reste plus dans les prisons que la lie du crime, et les ennemis des patriotes, les prêtres réfractaires, les traîtres !

Il faut que la justice passe.

Et qui peut compter sur ce Tribunal criminel extraordinaire créé par les « gangrenés » de l’Assemblée et qui n’a prononcé que trois condamnations depuis le 17 août ?


On répète les paroles de Danton, ministre de la Justice, âme de la Commune.

Il a, avec sa « voix de stentor, ses gestes d’athlète, ses menaces », montré sa résolution :

« Le tocsin qu’on sonne n’est point un signal d’alarme, c’est la charge sur les ennemis de la patrie… Pour les vaincre, que faut-il ? De l’audace, et encore de l’audace et toujours de l’audace. »

« J’ai fait venir ma mère qui a soixante et dix ans, j’ai fait venir mes deux enfants. Ils sont arrivés hier soir. Avant que les Prussiens entrent dans Paris je veux que ma famille périsse avec moi… »

Danton lève ses deux poings à hauteur de son visage.

« C’est dans Paris qu’il faut se maintenir, par tous les moyens. Les républicains sont une minorité infime et pour combattre nous ne pouvons compter que sur eux. Le reste de la France est attaché à la royauté, il faut faire peur aux royalistes. »

On l’acclame, on lève les piques.

« Oui, nous sommes de la canaille, nous sortons du ruisseau. »

Mais la Bastille est tombée, elle est rasée.

Mais les Tuileries ont été emportées et Capet et sa famille sont prisonniers au Temple.

« On veut nous replonger dans le ruisseau ! »

Danton secoue ses poings.

« Nous ne pouvons gouverner qu’en faisant peur… Les Parisiens sont des jean-foutre ; il faut mettre une rivière de sang entre eux et les émigrés. »


On commence à se rassembler devant les prisons, aux Carmes, à l’Abbaye. On invoque l’autorité de la Commune, on cite Marat, on dit qu’on veut juger séance tenante les prisonniers. Les sans-culottes, sabres et piques brandis, forcent les portes. On bouscule les gardiens.

On tire les prisonniers hors de la prison, on les tue, à coups de pique et de sabre.

Danton qui siège au Conseil exécutif est averti de ces premiers assassinats.

« Je me fous bien des prisonniers, hurle-t-il, qu’ils deviennent ce qu’ils pourront. »


Le soir du 2 septembre, devant les Jacobins, alors que le massacre a commencé Maximilien Robespierre lance :

« Personne n’ose donc nommer les traîtres, eh bien moi, pour le salut du peuple, je les nomme. Je dénonce le liberticide Brissot, la faction de la Gironde… Je les dénonce pour avoir vendu la France à Brunswick et pour avoir reçu d’avance le prix de leur trahison. »

Et plus tard, lorsqu’il prend la parole devant la Commune, il évoque :

« Un parti puissant qui veut porter au trône des Français le duc de Brunswick. »

Et chacun sait qu’en ces heures de chasse aux traîtres, il vise les Girondins.

Pour qu’on les tue ?

Il n’oublie pas que vont s’ouvrir les assemblées électorales, et ces accusations, dans le climat de peur qui s’installe heure après heure dans Paris, rendront impossible l’élection d’un Girondin, d’un modéré, à Paris, surtout si les sans-culottes présents lors du vote exigent des électeurs qu’ils annoncent leur choix.


Le 3 septembre, on apprend que Verdun est tombé, que plus rien, aucune place forte ne défend Paris. Que le commandant de la garnison de Verdun, Beaurepaire, qui refusait de capituler, aurait été mis en minorité par la municipalité hostile à toute résistance. Certains affirment que Beaurepaire s’est suicidé comme un héros antique, puis on assure qu’il a été assassiné, par des traîtres.

Mort aux traîtres !


« Il faut purger quatre années de trahison », murmure Manon Roland, en apprenant les massacres, et son mari le ministre de l’intérieur dit qu’il faut « laisser un voile sur ces événements. Je sais que le peuple terrible dans sa vengeance y porte encore une sorte de justice. »

En effet, dans le vestibule des prisons, Maillard, un ancien soldat qui fut de toutes les journées révolutionnaires, depuis le 14 juillet 1789 jusqu’au 10 août 1792, s’est installé derrière une table, et procède, en quelques minutes, à l’interrogatoire des prisonniers. Le verdict tombe, « Vive la nation ! », et le prisonnier sortant un chapeau sur la tête est épargné par les massacreurs qui ont du sang sur les avant-bras et jusqu’aux épaules.


Si Maillard lance le nom d’une prison, alors le prisonnier est poussé dehors tête nue, voué à la mort.

On tue à coups de pique et à coups de sabre, et peu à peu, les « bourreaux » prennent le temps de faire souffrir, jouissant de voir ces hommes et ces femmes qui se traînent, ensanglantés, frappés d’abord du plat du sabre avant d’être percés.

Et parfois on enfonce son poing dans la poitrine du cadavre et on en retire le cœur qu’on porte à ses lèvres, dans un simulacre de dévoration cannibale.

Et les prostituées sont violées avant d’être tuées.


« Le peuple s’est levé, la fureur martiale qui a saisi tous les Parisiens est un prodige, écrit à son mari, député de la Drôme, Madame Julien. Je jette un voile sur les crimes qu’on a forcé le peuple à commettre par tous ceux dont il est depuis deux ans la triste victime… Quand on veut la fin il faut vouloir les moyens. Point d’humanité barbare ! »


Mais ce « peuple » qui tue, dont on dit qu’il rend la justice, n’est composé que de quelques centaines d’hommes – peut-être moins de deux cents – qui vont de prison en prison, des Carmes à l’Abbaye, de Bicêtre à la Grande Force.

Ils sont déterminés, et le vin comme le sang versé les rend ivres.

« Triple nom de Dieu, s’écrie un fédéré marseillais, je ne suis pas venu de cent quatre-vingts lieues pour ne pas foutre cent quatre-vingts têtes au bout de ma pique. »

Les députés que l’Assemblée envoie sur les lieux des massacres pour tenter de les arrêter sont terrorisés, entourés d’hommes qui tuent comme on élague, et disent d’un prisonnier qu’ils vont « l’élargir ».

Ils s’approchent d’un député :

« Si tu viens pour arrêter la justice du peuple, je dois te dire que tu ferais de vains efforts. »

Et la délégation de l’Assemblée se retire, préfère ne pas savoir.

« Les ténèbres ne nous ont pas permis de voir ce qui se passait. »

« Nulle puissance n’aurait pu les arrêter », dit Danton.


Et les assassins continuent. Ils terrorisent, favorisent les Montagnards, les Cordeliers.

« Nous sommes sous le couteau de Robespierre et de Danton », dit Manon Roland.

Brissot et Pétion, qui veulent être élus à la Convention, sont contraints de quitter Paris, de se présenter en province.

Louvet, un écrivain lié aux Girondins, qui a pris la parole pour discuter la candidature de Marat à la Convention, est entouré à la sortie de la salle d’« hommes à gros bâtons et à sabre, les gardes du corps de Robespierre. Ils menacèrent. Ils me dirent en propres termes : “Avant peu tu y passeras.” Ainsi l’on était libre dans cette assemblée où sous les poignards on votait à haute voix ! ».


Il faut approuver si l’on veut rester en vie.

Billaud-Varenne, avocat, membre de la Commune insurrectionnelle, substitut du procureur Manuel, fait le tour des prisons, assiste aux massacres, et déclare : « Peuple tu immoles tes ennemis. Tu fais ton devoir. »

Et il attribue vingt-quatre livres aux tueurs, aux « tape-dur » qui exécutent les verdicts de Maillard.

Le maire Pétion détourne la tête.

« Le peuple de Paris administre lui-même la justice, dit-il, je suis son prisonnier. »


« Le peuple, dit Couthon, le député Montagnard, continue à exercer sa souveraine justice dans les différentes prisons de Paris. »

Et Marat s’en félicite.

Son programme d’exécutions qu’il répète depuis des mois – et presque chaque jour depuis le 10 août – est enfin mis en œuvre.

Un homme comme Fournier – « l’Américain » – s’y emploie.

Il a vécu à Saint-Domingue. De retour à Paris, il a été un « enragé du Palais-Royal ». Il a participé à la prise de la Bastille et aux autres journées révolutionnaires, devenant une figure notoire des Cordeliers.

Il organise le massacre des cinquante-trois prisonniers qu’il doit transférer d’Orléans à Paris, les livre aux tueurs à Versailles. Mais avant, il les a dépouillés de tous leurs objets de valeur.


Car on ne se contente pas de tuer. On vole. On pille. Qui osera s’opposer à ces hommes armés, aux mains rouges de sang ?

Ils exigent qu’on leur donne montres et colliers, bijoux. Il faut faire vite sinon ils arrachent le lobe de l’oreille avec sa boucle.

Ils s’introduisent dans le Garde-Meuble qui contient les fortunes royales et y volent pour trente millions de diamants.

Paris est ainsi livré pendant près d’une semaine à quelques centaines de massacreurs et de voleurs.


« Les circonstances rendaient les exécutions pour ainsi dire excusables », écrit un fédéré brestois, qui ajoute quelques jours plus tard : « Elles étaient nécessaires. »

Les sans-culottes, dit-on, ont empêché « les scélérats de souiller la terre du sang du peuple ».


On tue donc sans hésitation, gaiement.

Autour des cadavres on danse, on chante La Carmagnole :

Ah ! ça ira ! ça ira ! ça ira !

Les aristocrates à la lanterne

Ah ! ça ira ! ça ira ! ça ira !

Les aristocrates on les pendra.

On les sabre, on les pique, on les dépèce, on arrache leurs entrailles, on tranche leur sexe.

On dispose des bancs pour les habitants du quartier qu’on réveille afin qu’ils puissent assister au spectacle « purificateur ».

Et qui oserait refuser quoi que ce soit à ces hommes armés ?

Ils posent des lampions sur chaque cadavre.

Et pour que l’ennui de tuer ne vienne pas tuer l’ardeur, on s’excite, on jouit de faire souffrir. On met les condamnés à nu, on entaille leur corps.


Voici la princesse de Lamballe, amie de la reine.

« C’est une petite femme vêtue de blanc, raconte un témoin, que les bourreaux armés de toutes sortes d’armes assommèrent. »

On lui coupe la tête, on traîne son corps. On le fend, on arrache le cœur. La rumeur se répand qu’on l’a fait griller et qu’un homme l’a mangé.

On promène la tête et les parties génitales – dit un témoin – jusqu’au Temple.

On interpelle Marie-Antoinette. On veut qu’elle voie « comment le peuple se venge de ses tyrans. Je vous conseille de paraître, si vous ne voulez pas que le peuple monte ici », ajoute un sans-culotte.

Marie-Antoinette s’évanouit, cependant qu’on promène la tête de la « ci-devant princesse de Lamballe » devant les fenêtres du Temple. Et le corps nu et mutilé gît au pied du mur, entouré d’une bande de quelques dizaines d’assassins et de profanateurs, que par calcul, lâcheté ou fanatisme, les membres de la Commune insurrectionnelle appellent « le peuple souverain ».


Et les « massacres » sont justifiés par la plupart des journaux – à l’exception du Patriote français, dans lequel écrit le Girondin Brissot qui sait bien que ces égorgeurs, et ceux qui les laissent faire, ont aussi pour objectif de s’imposer dans la nouvelle Assemblée, la Convention. Il leur faut pour cela écarter les Girondins, et réduire à un silence apeuré les électeurs et demain les députés.

Mais dans L’Ami du peuple, ou dans Les Révolues de Paris, on comprend, on justifie les massacres et même « les indignités faites au cadavre de Lamballe ». « La Lamballe citée au tribunal du peuple y a comparu avec cet air insolent qu’avaient jadis les dames de la Cour mais qui sied mal à une criminelle au pied de son juge. Et l’on voudrait que le peuple ne perdît point patience ? »

Et dans le Compte rendu au peuple souverain, qui est patronné par Danton, on prend la défense des massacreurs :

« Ce n’est point une barbarie de purger une forêt de brigands qui infestent les routes et attentent à la vie du voyageur. Mais c’en est une atroce de vouloir que le peuple laisse en paix ces mêmes brigands comploter et exécuter des vols et des assassinats… C’est là véritablement, dans l’aristocratie propriétaire, qu’existent l’effrayante barbarie, la froideur criminelle, la haine des lois et la fureur de l’intrigue… »

Mais derrière le « peuple », on sait que les ordonnateurs de ces assassinats siègent à la Commune du

10 août. Ce sont Danton, Marat et consorts. Et le peuple est paralysé par l’horreur.

Le libraire Ruault est révulsé de ce qu’il voit.

« J’ai passé, les pieds dans le sang humain, à travers les tueurs, les assommeurs. »

Il veut faire libérer un prisonnier. Il s’adresse au « juge » Maillard, qui l’écoute, lui demande des preuves de la bonne volonté patriotique du prisonnier. Alors que Ruault s’éloigne, Maillard crie d’une voix forte :

« Monsieur, Monsieur, mettez votre chapeau en sortant ! »

On immole ceux qui sortent nu-tête !

« En sortant, continue Ruault, les haches, les sabres levés se baissent ; je vis expirer à mes pieds, sur le pavé, un vieux et vénérable prêtre à cheveux blancs en habit violet qui venait de tomber transpercé de coups de sabre et qui criait encore “Ah, mon Dieu !” » Ruault a vu aussi « deux hommes nus, en chemise, les bras retroussés jusqu’aux épaules, qui étaient chargés de pousser dehors les condamnés à mourir, qu’on appelait élargis ».


Il est toujours membre des Jacobins, mais « tout se salit, tout s’enlaidit, tout se gâte de plus en plus chaque jour ». Il constate les rivalités, entre Montagnards et Girondins, entre Paris et la province. C’est par la terreur qu’inspirent les massacres qu’une faction montagnarde veut imposer sa loi.

Ruault, bon patriote, note :

« Les discours que l’on tient aux Jacobins sont d’une extravagance digne des temps où nous vivons. J’y suis resté parce qu’il y a danger à en sortir. Ceux qui ne renouvellent pas leur carte depuis le 10 août sont regardés comme des traîtres, des peureux, des modérés : on les arrête sous un prétexte quelconque. Je resterai donc avec eux jusqu’à la fin de cette tragédie sans me mêler, autrement que pour les écouter, de ce qu’ils font, de ce qu’ils disent. On y reçoit depuis un mois tant de gens mal famés, extravagants, exaspérés, tant de fous, tant d’enragés, que cette société des Jacobins est toute dégénérée de ce qu’elle était en 1790-1791 et au commencement de cette année. Les anciens membres ne la reconnaissent plus. »


Comme Ruault, ils se taisent. Et le peuple détourne les yeux, pour ne pas assister à ces assassinats que perpètre une poignée de tueurs.

On murmure que « Danton conduit tout, Robespierre est son mannequin, Marat tient sa torche et son poignard ».

En fait Danton laisse faire, justifie, et Robespierre comme lui utilise la peur créée – ce commencement de la terreur – à des fins politiques : tenir la Convention qui se réunira dans quelques semaines.

Marat approuve. Et certains comme Collot d’Herbois, ancien acteur devenu membre de la Commune insurrectionnelle, vont jusqu’à dire : « Le 2 septembre – début des massacres – est le grand article du Credo de notre liberté. » Et treize cents victimes, qu’est-ce au regard de ce qu’il faudrait purger ? Trois centaines de mille ! Et ce n’est pas la moitié des victimes de « l’infâme » catholicisme qui fit trois mille morts à la Saint-Barthélemy.

Et l’on a tué beaucoup de prêtres en cette première semaine du mois de septembre 1792, comme si on rêvait d’« écraser l’infâme », car on se souvient de cette formule de Voltaire.


Aux Jacobins, on fait l’éloge de Marat.

Il veut être à Paris candidat à la Convention.

Quelques voix s’élèvent pour demander que les Jacobins ne le soutiennent pas.

Mais l’ancien Capucin Chabot, l’un des premiers à avoir rejeté sa soutane, devenu un sans-culotte à la tenue débraillée, aux mœurs dissolues, se lève.

« Je dis que c’est précisément parce que Marat est un incendiaire qu’il faut le nommer… Il est clair que lorsque Marat demande que l’on tue un pour éviter qu’on ne tue quatre-vingt-dix-neuf il n’est pas non plus sanguinaire… Je dis donc que les chauds patriotes doivent porter Marat à la Convention. »


« Je vous demande, mon cher ami, écrit Ruault après le discours de Chabot, si dans la Révolution vous avez jamais rien entendu, rien lu de plus fou, de plus atroce, que cette apologie d’un homme exécré de tout ce qui a l’âme honnête et sensible… »

Seule consolation, Ruault constate :

« … L’admirable tenue des citoyens qui partent pour les frontières, qui volent à la défense de la patrie.

« J’en ai vu défiler deux mille lundi 10 et mardi 11 septembre dans l’Assemblée nationale, tous bien armés, bien équipés, pleins d’ardeur et fureur.

« Ils s’écriaient en passant à travers l’Assemblée : “Nous les vaincrons ! À l’arme blanche ! À l’arme blanche !” »

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