première partie


(1271-1285)

« J’ai entendu dire qu’un saint homme savait que le Roi était coupable du péché contre nature… et que s’il ne se repentait pas, un de ses enfants mourrait dans les six mois. »

Le légat

au roi Philippe III le Hardi, en 1278.


66.

Moi, Hugues Villeneuve de Thorenc, j’écris cette chronique en l’an de grâce 1322.

Mon père, Denis Villeneuve de Thorenc, est mort il y a cinquante et une années, le 8 septembre 1271.

J’étais alors un écuyer d’à peine quinze ans.

J’avais le coeur percé d’une douleur si brûlante que je souhaitais que la mort m’entraîne.

Elle avait emporté deux hommes que je révérais : mon père et Louis IX, roi de France, mort en terre infidèle le 25 août 1270.

Mon père avait accompagné les reliques du roi, de Tunis jusqu’à l’abbaye de Saint-Denis où avaient eu lieu les funérailles, le 22 mai 1271.

Il me semblait qu’il était impossible de survivre à mon géniteur et au roi de France qui n’était pas encore reconnu, selon les canons de l’Église, comme Saint Louis. Mais, après avoir écouté le récit de sa vie tel que mon père me l’avait conté jusqu’à son dernier souffle, je ne doutais pas que Louis IX, homme juste et pieux, prendrait sa place auprès de Notre Seigneur, parmi les saints.

Pourquoi aurais-je voulu continuer à vivre alors que le monde me semblait vide ?

J’ai prié pour que Dieu m’appelle à Lui.


Puis j’ai appris qu’un moine de l’abbaye de Saint-Denis, le frère Primat, avait reçu mission de Saint Louis d’écrire l’histoire de la lignée capétienne.

Primat avait voulu me rencontrer afin que je lui répète les paroles de mon père.

Il avait lu et étudié les chroniques écrites par les abbés de Saint-Denis, ainsi celle de Suger qui avait composé une Vie de Louis VI, mort en 1137. Un moine de l’abbaye, Rigord, avait écrit une Vie de Philippe Auguste, le Conquérant. Quant à frère Primat, il voulait rédiger la chronique de Louis VIII et Louis IX. Le témoignage de mon père lui paraissait précieux. Il intitulerait son oeuvre Le Roman des Rois.

« Ne meurent et ne vont en enfer que ceux dont on ne se souvient plus. L’oubli est la ruse du Diable », me dit-il.


Ces mots ont germé en moi.

J’avais devoir de rassembler ce que mes aïeux, depuis qu’ils servaient les rois capétiens, en avaient écrit.

J’étais honteux d’avoir oublié ce devoir que mon père m’avait confié.

Et j’ai fait repentance, implorant le Seigneur de me pardonner d’avoir été tenté par la mort.


Je devais vivre et un jour viendrait où, moi aussi, j’écrirais Le Roman des Rois.

Si Dieu me prêtait vie, je prendrais la suite de mes aïeux, de mon père.


Ce moment est venu. Dieu s’est montré généreux envers moi. Je suis vieux de soixante-six années.

J’ai été enfant et jeune écuyer durant le règne de Saint Louis.

J’ai été adoubé chevalier par son fils, Philippe III le Hardi, qui, ayant connu mon père durant la croisade, m’a gardé auprès de lui.

Quand Philippe III le Hardi est mort, le 5 octobre 1285, son fils Philippe IV le Bel, que j’ai nommé l’Énigmatique, m’a choisi pour être l’un de ses conseillers.

Lorsqu’il est mort à son tour, le 29 janvier 1314, j’avais déjà vécu cinquante-huit années.


J’ai vu régner les trois fils de Philippe le Bel : Louis X le Hutin, Philippe V le Long, Charles IV le Bel.

Ce dernier est roi de France depuis le 3 janvier 1322, jour de la mort de Philippe V le Long, son frère.

Mais je m’étais alors déjà retiré dans mon fief. Je vis seul dans le château des Villeneuve de Thorenc construit par mon aïeul, Martin de Thorenc.

Je suis un vieil homme qui sait que la mort le guette et ce sont les mots que je trace qui, comme une herse abaissée, la tiennent à distance.


Je ne la lèverai pas tant que je n’aurai pas écrit la vie de celui qui fut le fils de Philippe III le Hardi, qui avait pour grand-père Saint Louis et pour arrière-grand-père Philippe Auguste.

Ces trois grands rois capétiens – Philippe Auguste, Saint Louis, Philippe IV le Bel –, je les vois comme les arcs-boutants de cette cathédrale qu’est le royaume de France.


67.

Ce royaume, j’ai prêté serment de le défendre.

J’étais agenouillé devant mon suzerain, Philippe III le Hardi, fils de Louis IX qui serait, un jour de 1297, enfin, proclamé Saint Louis.

J’avais baissé la tête quand il avait posé la lame de son glaive sur mes épaules et avait dit :

« Hugues, fils de Denis Villeneuve de Thorenc, te voilà chevalier par la grâce de Dieu et la main de ton roi ! »

C’était un mois jour pour jour après la mort de mon père, le 8 octobre de l’an 1271.

Cet adoubement me liait pour toujours à Philippe III le Hardi. J’étais uni à lui corps et âme.

Et il m’a donné l’accolade lorsque je me suis redressé :

– Va, Hugues Villeneuve de Thorenc, m’a-t-il dit, chevauche et combat comme un chevalier vassal de Notre Seigneur Jésus-Christ et du roi de France qu’Il a sacré. Va, pour notre plus grande gloire !


Je n’ai plus quitté le roi.


C’était un homme vigoureux, capable de terrasser un sanglier blessé, de chasser de l’aube à la nuit dans les forêts d’Île-de-France, avec l’allant de l’homme jeune qu’il était. En 1270, au moment où, dans la chaleur moite de Carthage, ce 25 août, il succéda à Louis IX, il avait à peine vingt-cinq ans.

Il n’avait pas été élevé pour être roi et ce n’est qu’à la mort, en 1260, de son frère aîné, Louis, qu’il était devenu l’héritier du trône et que son père lui avait enseigné ce que peut et doit être et faire un roi de France.

Mais la mort de Louis IX le laissait démuni, écrasé par la charge, soumis à l’autorité de son oncle, Charles d’Anjou, roi de Sicile, de sa mère, Marguerite de Provence, et, un temps bref, de son épouse, Isabelle d’Aragon, morte durant la chevauchée funèbre qui ramenait en France les reliques de Louis IX et de son fils Jean-Tristan.


La mort avait ainsi frôlé le jeune roi de sa grande aile noire et l’avait griffé de la pointe de sa faux.

Et à observer Philippe III le Hardi, je sus que cet homme jeune, au visage massif, imberbe, était un homme que la vie effrayait.

Et alors qu’il était mon aîné de dix ans, je me sentais, quand j’étais agenouillé près de lui, lors des trois messes qu’il suivait chaque jour, plus serein et plus déterminé que lui.

Il était pieux, suivant en cela l’exemple de son père, mais c’était davantage par effroi que par volonté de servir Notre Seigneur.

Manière aussi pour lui de fuir la solitude, car son veuvage lui pesait, et je ne fus pas surpris quand, en août 1274, il épousa Marie de Brabant.


La jeune reine aimait les voiles de tulle, les dentelles, la soie, l’or et l’argent. Elle était si belle qu’on rougissait rien qu’à la regarder.


J’étais convié aux fêtes qu’elle donnait, où se pressaient les grands seigneurs du royaume et ceux qui venaient du Brabant et des terres d’Empire.

Il y avait là Robert II d’Artois, le fils de feu le comte d’Artois, frère de Saint Louis. Charles d’Anjou, roi de Sicile, y faisait sa cour à la jeune reine et prodiguait d’une voix forte ses conseils à Philippe III le Hardi, son neveu. Il avait l’autorité d’être le seul frère survivant de Saint Louis. Les comtes de Dreux, de Soissons, de Saint-Pol, seigneurs français, affrontaient en tournoi de chevalerie les ducs de Brabant, de Bourgogne, de Gueldre, de Hollande, de Luxembourg, pour le plus grand plaisir de la reine Marie de Brabant.

Parfois passait, hautaine, distante, méprisante même, la reine mère Marguerite de Provence, qui détestait Charles d’Anjou, entendait garder son influence sur le roi et s’opposait ainsi à la reine Marie et à ses Brabançons.

Quant au roi, il hésitait, cédant à l’une et à l’autre reine, laissant l’abbé de Saint-Denis, Matthieu de Vendôme, qui avait été serviteur de Saint Louis, régler une partie des « besognes du royaume », mais en abandonnant le plus grand nombre à un favori, Pierre de la Broce, chirurgien de Saint Louis, que le défunt roi avait élevé à la dignité de chambellan.

Ce Pierre de la Broce, ce Tourangeau avide, s’empara de l’esprit du roi et obtint de lui donations, faveurs et privilèges.


Naguère, j’avais, jeune écuyer, été souvent conduit par mon père dans le palais royal de Saint Louis.


Je ne reconnaissais plus la cour du roi de France dans ce grouillement d’intrigues et de coteries qui se nouaient autour de Philippe III le Hardi.

Il avait trois fils de son premier lit, partagé avec Isabelle d’Aragon : Louis, Philippe et Charles de Valois, et bientôt il eut trois enfants de la reine Marie de Brabant : Louis d’Évreux, Marguerite et Blanche.

Ce fut la guerre entre ces deux coteries, ces deux familles. Lorsque, en 1276, l’aîné des fils du roi, Louis, mourut, la rumeur se répandit que la reine Marie de Brabant avait fait empoisonner l’héritier de Philippe III.

C’est l’évêque de Bayeux, Pierre de Benais, frère de Pierre de la Broce, qui rapporta au roi l’accusation et dit :

« Sire, le bruit court que Madame la reine la jeune, et les femmes de sa maison, qu’elle amena de son pays le Brabant, ont empoisonné Monseigneur Louis. On craint qu’elles en fassent autant aux autres enfants que le roi a de sa première femme. Le peuple de Paris est si ému contre la reine et ses femmes qu’elles n’oseraient aller du Louvre à Notre-Dame de peur d’être lapidées ! »

Le bruit courait aussi que le roi Philippe III était « entaché du péché contre nature ».

Et le comte Robert d’Artois, envoyé à la cour de Castille, rapporta qu’un traître y faisait connaître les « secrets du roi de France ».


Je restais fidèle vassal du roi, mais je souffrais de cette puanteur d’eau croupie qui se répandait dans les palais de Philippe III le Hardi.

On m’apprit qu’un moine avait apporté au roi, qui était à Melun, une boîte contenant des lettres scellées du sceau de Pierre de la Broce.


Je ne sais ce que ces lettres révélaient. Mais le roi et ses barons quittèrent en hâte Melun, se rendirent à Paris, puis à Vincennes. On y arrêta Pierre de la Broce. On l’enferma dans l’une des tours du château et, sans qu’il lui fût accordé de se défendre, les ducs de Bourgogne et de Brabant, le comte d’Artois et bien d’autres le conduisirent au gibet de Montfaucon.

J’étais de cette troupe, regardant les visages creusés par la haine.

Il suffit de quelques gestes pour que Pierre de la Broce, favori du roi, fût, en ce mois de juin 1278, pendu haut et court.

J’ai longuement fixé ce corps accroché au gibet de Montfaucon et que les oiseaux commençaient à lacérer dans un grand battement d’ailes.

J’ai tremblé non d’effroi, mais de surprise et d’accablement. J’écoutais les complaintes qui se chantaient au coin des rues, certaines accusant Pierre de la Broce d’avoir trahi son roi, empoisonné l’héritier du trône, Louis, et accusé de ce crime la reine Marie de Brabant.

Mais d’autres jugeaient que la pendaison s’était faite contre la volonté du roi.

Et d’autres encore disaient prudemment :

« La raison pour quoi Pierre de la Broce fut pris, lui si puissant, devenu pâture pour oiseaux de charogne, je l’ignore, et il ne m’appartient pas d’en parler. »


Moi aussi je me suis tu.

Mais j’ai appris, au pied du gibet de Montfaucon, que prêter serment d’allégeance à un roi qui n’était pas un saint homme, comme l’avait été Louis IX, c’était aussi se condamner au silence et à la cécité.

J’avais la langue et les yeux morts.


68.

Heureusement, je m’éloignai du gibet de Montfaucon.

Je reprenais vie en chevauchant aux côtés du roi Philippe III le Hardi, oubliant les intrigues et les haines qui déchiraient son entourage.

Je n’avais pour toute ambition que de servir mon suzerain, le heaume visière baissée, le glaive levé.


Nous avons gagné le Languedoc, mis le siège devant le château de Foix où le comte Roger Bernard s’était réfugié après avoir guerroyé contre les vassaux du roi de France. Philippe III le Hardi voulait montrer à tous les seigneurs du royaume qu’il protégeait les siens et empêchait les « guerres privées ».

Quand le comte de Foix se rendit, le 5 juin 1272, je fus de ceux qui l’accompagnèrent jusqu’à son cachot.

Mon âme était sans remords, car Philippe III se plaçait dans les pas de son père Louis IX, faisant exécuter les clauses des traités, ne reprenant dans les héritages que ce qui lui était dû.


Lorsque l’oncle de Philippe III, Alphonse de Poitiers, et son épouse moururent, le Poitou entra ainsi dans le domaine royal, mais le roi remit au pape Avignon et le Comtat Venaissin que Louis IX avait promis au souverain pontife.

C’était loyauté et c’était l’intérêt du roi de France que d’être le Très Chrétien roi d’Occident, celui qui accueillit le pape Grégoire X à Lyon, ville impériale, où Philippe III envoya une garnison.


J’étais de ces chevaliers français qui protégèrent le concile réuni autour de Grégoire X. Il y avait là cinq cents évêques, soixante abbés mitrés, et plus de mille autres prélats, rassemblés en présence des ambassadeurs de tous les rois d’Europe.

Je restai à Lyon de mai à juillet 1274. Les envoyés des chrétiens grecs y abjurèrent le schisme d’Orient, et je crus que l’unité du monde chrétien était ainsi reconstituée.

Le concile unanime proclama que la croisade générale était décidée.


Je n’étais qu’un jeune chevalier de dix-huit ans qui ignorait que des mots aux actes il y a bien des rivières à franchir. Je ne cherchais pas à comprendre pourquoi il fallait longer les berges de celles-ci, traverser à gué celles-là.

J’appris que, le 31 mars 1282, les Siciliens s’étaient révoltés contre les Français. Après ces « Vêpres siciliennes », Charles d’Anjou, roi de Sicile, oncle de Philippe III le Hardi, fut chassé de l’île au bénéfice de Pierre III d’Aragon.


Mais le pape refusait de reconnaître le roi d’Aragon comme souverain de Sicile et offrit la couronne d’Aragon à l’un des fils de Philippe III, à charge pour lui d’aller conquérir ce royaume d’outre-Pyrénées.

Cette conquête serait une « croisade » bénéficiant de l’aide du souverain pontife et des indulgences distribuées à ceux qui y participeraient.


J’ai constaté les hésitations du roi à accepter cette couronne d’Aragon et la guerre qu’il lui faudrait conduire.

Le nouveau pape, Martin IV, qui avait été chancelier de Saint Louis sous le nom de Simon de Brie, s’indigna de ne point recevoir une réponse rapide du roi de France.

Et il est vrai qu’à Bourges, où le roi avait réuni barons et prélats, on délibérait lentement des propositions du pape.

J’entendis les arguments des uns et des autres pour essayer d’arracher au souverain pontife de nouveaux avantages.

Était-ce ainsi qu’on suivait la route tracée par Dieu et le successeur de l’apôtre Pierre ?

« Eh quoi, écrivait le pape au roi de France, voici que tout recommence ! Certes, nous n’accusons pas ta dévotion, nous accusons plutôt ceux qui, autour de toi, cherchent à empêcher en dessous, par des artifices coupables, une entreprise qu’ils désapprouvent. Si tu renonçais à tes projets, quelle joie pour tes rivaux ! Quelle honte pour la France ! Les prélats et les barons du royaume s’abstiendraient de pareils conseils, s’ils réfléchissaient davantage ! »


Ce furent et semaines et mois de tensions, comme lorsque l’on retient, avant de s’élancer au galop, le cheval harnaché qui piaffe, et l’on n’a pas encore abaissé sa lance, et l’on n’a pas encore labouré le flanc de sa monture à coups d’éperons.

En février 1284, l’assemblée enfin se prononça selon les voeux du pape et j’entendis Philippe III le Hardi déclarer :

« Vous nous avez donné un bon et fidèle conseil. Pour l’honneur de Dieu et de la Sainte Mère l’Église, nous nous chargeons de cette affaire aux conditions indiquées : nous acceptons ! »

Le lendemain, il annonça qu’il remettrait la couronne d’Aragon à son fils puîné, Charles de Valois.

Des messagers partirent pour Rome.

« Le royaume d’Aragon a été accepté de l’avis des barons et des prélats. La croisade sera prêchée. Le sang va couler. »


J’assistai, le 15 août 1284, à l’adoubement comme chevalier de l’héritier du roi de France, Philippe, qui, une fois sur le trône, deviendrait Philippe IV le Bel.

Il ne m’était pas apparu, sous le soleil éclatant d’août, comme une nature sombre et énigmatique, mais comme un vigoureux chevalier à la force rayonnante.

Le lendemain, 16 août, il épousa en grande liesse Jeanne, héritière du comté de Champagne et de la royauté de Navarre. Cette frêle enfant de douze ans, déclarée majeure, apportait ces deux joyaux au domaine royal.

Si la croisade qui se préparait permettait de placer sur le trône d’Aragon le dernier fils du roi, Charles de Valois, jamais la dynastie capétienne n’aurait été aussi puissante.


On refusa de voir les signes hostiles qui se multipliaient : Charles d’Anjou et le pape Martin IV moururent au début de l’an 1285.

Au contraire, on rassembla davantage d’hommes, chevaliers et sergents.

Je n’avais jamais vu pareille armée et l’on disait qu’elle était la plus forte qu’un roi de France eût commandée.

J’ai chevauché à sa tête, la joie au coeur, et le roi était tout aussi allègre qu’un petit matin de chasse.

Je ne vis qu’un seul chevalier, soucieux et morose, dire que les Aragonais combattraient pour chaque pierre de leurs villages et de leurs cités.

Ce jeune chevalier si réservé n’était autre que Philippe le Bel, fils de Philippe III et de la reine Isabelle d’Aragon.

On ne l’écouta pas.

Les barons assuraient que « si le roi Pierre d’Aragon était vaincu au premier choc, la campagne était finie ».


On entra en Roussillon, qui appartenait au roi de Majorque, notre allié.

Mais le peuple nous lançait pierres et insultes, égorgeant chevaliers et sergents, piétons isolés. On mit à sac la ville d’Elne, et j’ai détourné les yeux devant ces femmes éventrées, ces chiens errants flairant les cadavres.

C’était en mai de l’an 1285.


Le 26 juin, on mit le siège devant la ville fortifiée de Gérone qui protégeait Barcelone.

Puis ce fut un long calvaire : les Aragonais nous harcelaient, les maladies nous minaient, la ville résistait et nous pourrissions dans l’âpre chaleur.

Quand nos navires qui apportaient provisions et renforts furent coulés par la flotte aragonaise de l’amiral Roger de Loría, le 4 septembre 1285, je vis le roi chanceler.

Il sombra dans la maladie et je l’ai alors souvent entendu murmurer qu’il connaîtrait la même mort que celle de son père Saint Louis, décédé en terre infidèle.

On ordonna la retraite à la fin du mois de septembre 1285.


Nous nous dirigeâmes vers Perpignan. Mais, dans la traversée des Pyrénées, nous fûmes attaqués par des bandes d’almogavares, des archers sarrasins au service du roi d’Aragon.

Plusieurs flèches se brisèrent sur mon armure.

Dieu me laissa en vie, mais de nombreux chevaliers furent tués. Et le 5 octobre 1285, Philippe III le Hardi mourut à Perpignan.

Ses chairs furent inhumées dans la cathédrale de Narbonne.

Son fils Philippe devint roi.

Il fut sacré à Reims le 6 janvier 1286.

Philippe IV le Bel, que j’appellerai l’Énigmatique, entrait alors dans sa dix-huitième année.

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