XI

J’ai toujours redouté les couteaux. Ils constituent à mes yeux la plus hideuse des armes. Trancher la chair, quelle horreur ! Cette pauvre chair compacte, ferme, magistralement irriguée qu’on sectionne, qu’on taille et entaille… Brrr ! J’en ai les cellules qui se ratatinent d’appréhension. À la vue de ces sabres dardés, je ressens une vache panique. Je crois déjà les héberger dans ma viande, leur servir de fourreau pour un instant.

D’autant que les trois gardes du corps du corps de garde ont des mines qui, sans être positivement patibulaires, ne poussent pas aux projets d’avenir. J’aime pas leurs regards fixes, noirs et froids. J’y lis des représailles cruelles.

L’un d’eux fait un signe de tête.

Il a l’éloquence du geste. Son hochement de tronche veut dire : « suivez-nous et soyez sage, sinon vos physionomies rouleront sur les tapis. »

Alors nous les suivons, que voulez-vous ! Dociles épées de Damoclès.

On refait le chemin en sens inverse. Le cadavre du larbin est déballé. Il gît sur son tapis percé, dans une flaque de sang déjà noir.

Le chef des gardes (car il y en a un ; à partir de trois personnes faut toujours un commandant) indique au cortège de stopper.

Il s’approche d’un énorme samovar de cuivre et appuie sur le bec de l’instrument. Le samovar s’ouvre en deux, démasquant un appareil téléphonique. L’homme décroche.

— Alli ! il fait, car au Moyen-Orient on ne dit pas « allô », mais « alli ».

— Alli, Baba ? poursuit le redoutable personnage.

Suit alors un grand discours dont vous pouvez observer la traduction littérale contre l’envoi de quarante francs, payables à votre convenance. Je pressens, à la mine et au laconisme de notre mentor tourmenteur, que ça se gâte pour nous. À trois reprises (plus un tombé) il répète :

— Zigoû-Yéh ? Thé-sürh ?

Ce qui, d’après mon dictionnaire franco-farci, farci-franco (de port et d’emballage) signifie : « Tu es certain que nous devons les mettre à mort ? » Car j’ai la marotte des dictionnaires, depuis qu’on a porté à ma connaissance ces vers de notre regretté confrère du Beau, du Bon, du Bellay : « De mon petit Littré me plaît la toile fine… » Un dico, c’est la plate-forme du savoir.

Notre marche agonique continue. Je vous épargne la description de l’enfilade de pièces vu que celles-ci se ressemblent toutes. Sachez seulement qu’on finit par atterrir dans une serre située derrière le palais. L’endroit sent l’humus et le chibretock indien. À perte d’ovule on voit des orchidées ; depuis l’orchidus vobiscum d’Europe, jusqu’à l’orchite double des régions testiculaires arctiques. Il me revient alors en mémoire un reportage sur la fameuse collection d’orchidées du prince Anârchi. Je me disais aussi : « ce nom me rappelle quéque chose ». C’est lui qui a remporté « The flower of nave performance » ainsi que la grande médaille d’or à l’exposition de Bois d’Arcy, l’an passé.

Nonobstant la gravité de l’instant, je trouverais féerique ce foisonnement d’orchidacées, encore que je préfère la rose pompon ou la pâquerette à l’orchidée, cette zibeline des fleurs. On marche dans une étroite vallée où les espèces les plus rares s’étagent en gradins. La serre mesure cent vingt mètres de long. Elle est éclairée au néon, chauffée à l’infrarouge et pavée de bonnes intentions.

Tout au bout de cette voie étroite mais magistrale, existe un renfoncement. C’est à cet endroit que les jardiniers du prince préparent l’espèce de terre de bruyère sans laquelle vous pouvez vous l’arrondir au compas pour ce qui est de cultiver l’orchidée. Paraîtrait même, selon Rustica, que la nature du terreau est capitale. Pire que pour le champignon de Paname ! Rien de plus vicelard que l’orchidée à faire venir. Si elle trouve pas pile son taf d’ingrédients, t’as le bonjour.

Nos sabreurs s’immobilisent. Le chef nous désigne deux tridents plantés dans la terre de bruyère. Puis il décrit dans l’espace un volume dont la géométrie me glace. Il veut que nous creusions notre tombe, c’t’endoffé. Je ne suis pas bon pour le terrassement prémortem, moi. Je secoue la tête farouchement. Pour lors, le méchant me file la pointe de son ya sur la joue. Du raisin me dégouline aussitôt. M’est avis qu’on aura droit à une décollation bien nette, mes mignonnes.

— Commençons à creuser, murmure Béru.

— Ça nous avancera à quoi ?

— T’as pas remarqué que ces tridents sont plus longs que leurs pelles à gâteau, hé, peau de fesse !

Fallait vraiment que j’eusse l’esprit accaparé par la perspective de mon imminent trépas.

Comme soudain résigné, j’empoigne le manche de l’outil et on se met à fouiller la molle terre gonflée de toutes les nourritures orchidieuses. À peine en avons-nous remué une vingtaine de centimètres que les pointes de mon instrument se plantent dans quelque chose de dur avec un bruit creux.

Je manque dégobiller en découvrant qu’il s’agit d’une tête d’homme. Des cheveux adhèrent encore à la boîte crânienne.

Une nuée ardente m’enveloppe, je défaille.

— Ben et moi donc ! ronchonne Bérurier qui a aperçu ma macabre trouvaille.

Lui brandit au bout de sa fourche une paire de testicules un peu becquetés aux charançons.

Je comprends maintenant pourquoi elles sont aussi belles, les orchidées du prince Anârchi. On les cultive à l’aide d’un engrais pas banal !

Je considère les trois gardes. Un vague sourire tord leurs lèvres minces. Ils semblent trouver plaisant mon dégoût. Puis, d’un signe impérieux du sabre, leur chef nous enjoint de poursuivre les fouilles.

Y a pas loin du cimeterre au cimetière !

— Dans quèques instants on charge, murmure le Gros, sinon ils vont nous enlever les amygdales. Occupe-toi du grand méchant, je biche les deux autres.

Et surtout, pas d’attendrissage, Mec. On les plante dans le baquet. Ce qui faut, c’est agir de conserve, comme dit mon épicier.

— Banco, réponds-je, tout en pelletant à travers des détritus infâmes. On compte jusqu’à dix, lentement…

Je poursuis ma besogne d’autofossoyage avec la hâte morbide de l’homme qui, se sachant perdu, a hâte d’en finir. Mentalement j’égrène des secondes. Le Mastar agit de même.

— Et dix ! beugle-t-il comme un forcené en fonçant sur le groupe de sabreurs.

Ça fait un bruit de vessie crevée. Plouffffffsssss…

M’a fallu une suprême exhortation pour me faire décarrer. Je m’ai lancé un solennel avertissement. Me suis crié un ordre intérieur ! Enfin, avec une légère fraction de seconde de retard, j’hallebarde le vilain qui m’est désigné au partage. Il avait déjà le coupe-cigare levé, cette vache ! Les trois dents de mon outil lui traversent la poitrine d’un seul coup. On a beau dire, mais l’instinct de conservation est une belle chose. Il crie merde à la conscience. J’avais beau répulsionner, j’ai mis la gomme.

À preuve. L’autre gigote tel un scarabée renversé. Le manche de ma fourche tangue comme le mât d’un barlu par gros temps.

Voyons Bérurier, maintenant. Je me tourne. Misère ! Le Gros a bloqué le sabre du second guignol au travers du corps. La lame lui ressort dans le dos. Pourtant elle n’est pas rougie de son sang. Pourtant Alexandre-Benoît reste debout. Son antagoniste tire sur le manche de son arme, soucieux de la récupérer. En vain. Je pige alors que la lame n’a fait que pourfendre les fringues du Dodu. Elle a glissé sous son bras et il s’efforce de la maintenir sous son aisselle pour que son adversaire ne puisse la dégager.

J’interviens prestement. Une manchette à la nuque rend le gars tout chose. Il titube, recule… Ses talons heurtent le corps d’un de ses copains et il choit en arrière.

— Rrran ! gronde l’ouragan Béruréen.

Il a planté le sabre dans le bide du mec.

— Y a pas de raison, halète mon aminche en essuyant son front ruisselant. Comme les copains !

J’ai pas le temps de lui débiter des principes moraux. On vient ! Parce que faut vous avouer que ce zinzin du diable a fait du pétard. Y a eu de la clameur et du verre brisé.

Une escouade d’archers déferlent dans la serre. Il doit entretenir une armée de métier sur le pied de guerre, le prince Anârchi, se payer des mercenaires belliqueux. Seulement son tort, c’est de les équiper d’armes blanches. Vous aurez beau me bonnir tout ce que vous voudrez sur la meurtrière guerre de cent piges, vous m’arracherez jamais de l’idée qu’elle aurait duré beaucoup moins si les bidasses de l’époque avaient possédé des mitraillettes. Évidemment, le prince vit dans une nation pratiquement civilisée et les combats qu’il y livre se doivent de rester silencieux. Tout de même… Remarquez qu’on y trouve notre taf, avec le Gros.

L’endroit où nous sommes n’a pas de seconde lourde. Une seule voie s’offre à nous : celle des arrivants. Conscient de ce qui nous attend, je ramasse un sabre. À la d’Artagnan qu’il va vous quitter, votre cher San-A., mes douces jouvencelles. Il va clamser en bretteur, comme dans les romans de cape et d’épée. À la fin de l’envoi je touche !

Seulement un ouragan me bouscule, me bondit devant[7], me met sur la touche. Béru ? Évidemment, mes drôlets ! Le Gros, toujours ; infatigable ; constant. Il a empoigné le haut de l’échafaudage supportant les délicats pots d’orchidées, et rrrraôum ! Il fait basculer tout le côté droit sur au moins vingt mètres ! Ah ! si la pauvre miss Blandish était là, c’est pour le coup qu’elle en aurait, des orchidées. Ce fracassage ! Ce malaxage ! Ce méli, ce mélo, ce ragoût d’orchidées ! Y en a pour des millions de ryals, voire de dollars. On fait les foins, mes jolies ! On fauche l’orchidée ! On la broie, on l’engerbe, on l’enjambe !

Les gougnafiers du prince, ils sont tellement entretenus dans le respect de cette plante que la chose leur apparaît cataclysmique, tout brusquement. Qu’ils s’en arrêtent, pétrifiés, n’osant aggraver le sacrilège en foulant les fleurs hécatombales. Au grand jamais qu’ils marcheraient sur une orchidée. Fût-elle à terre, fût-elle meurtrie, dépétalée, fanée, rompue, perdue. Ah ! mais que non ! Des orchidées princières, que dis-je : princiales ! Vous imaginez le forfait ? Un crime de lèse-orchidée ! Une profanation !

Les v’là qui regardent le désastre comme des sémites découvrant la photo d’Hitler dans leur synagogue.

Ils palabrent ! Faut qu’ils réfèrent de la situation à des qui-de-droits susceptibles de la dénouer. Une estafette part en mission. Les autres gus nous criblent d’invectives soignées, pour passer le temps. Ils nous promettent des supplices ingénieux, je me doute ! Des trucs rigoureusement neufs, jamais déballés jusqu’à ce jour. Des machins pas finis d’inventer, horribles, suaves à force d’effroyablage. Des choses qu’on peut pas s’en douter ; qu’on en mourrait pile de les envisager. Que la peau nous en tomberait de dessus comme un vieux pyjama sans boutons. Que nos yeux fondraient dans nos orbites comme des cachets d’aspirine dans de l’eau tiède.

Je recule dans l’espace large. Ma curiosité est vive de voir Béru s’armer d’un sabre en le tenant par la lame. Il s’apprête à le lancer tel un couteau en visant je ne sais quoi au plafond.

Le sabre part en tournoyant dans un bruit qui n’est pas sans rappeler le vol du toucan, si vous voyez ce que je veux dire ?

Et soudain, plus de lumière. Les néons sectionnés se sont éteints en clapotant.

Là ne s’arrêtent point les exploits tarzanesques du sieur Béru.

— Aide-moi ! halète l’Ivanhoé du pauvre.

— À quoi fiche ?

— À soulever le cadavre du grand type.

— Pourquoi fiche ?

— On se le virgule dans la verrière, aussi fort qu’on pouvra. J’espère que ça fera une brèche dont à travers laquelle…

— Vu.

À la la une, à la la deux…

Bratzfatbounklafssschzzzz !

Il en pleut deux mètres carrés.

— Allons-y, cours-moi après je t’attrape ! lance le Mahousse en s’élançant dans la trouée.

Il est de la race des guerriers de Verdun, Alexandre-Benoît. De ceux qui escaladaient les tranchées, face à la mitraille, pour aller regarder la mort dans le blanc des yeux.

À l’époque, quand on vous disait : « donne ta vie », on répondait pas « tiens, fume ! » mais « tiens, prends ! ». Les bons cons font les bonzes amis. Il a collecté les derniers lambeaux de verre, le bel A.-B. Il m’a porc-épiqué le passage. C’est un baliseur-né. Je le suis. On déboule sur les roses, c’est le cas de le chanter. On trace sans en déguster les subtiles senteurs. L’impotent, c’est pas la rose, croyez-moi. On contourne la taule pleine de lumières et de cris. On envisage le portail ferforgeux. On y accède, on s’y succède. Ouf ! ce qu’il fait bon dehors…

La galopade arrière nous serre de près. Fatalement : ils bouffent beaucoup de laitages tournés, les Iraniens, alors pour ce qui est de la courante, tu parles ! Imbattables, ils sont ! Ils auraient emporté leur putain de yaourt à Mexico, t’aurais vu cette hécatombe de médailles dans la discipline coudaucorps. Ils ont péché par imprévoyance.

Mon intention serait de nous diriger vers la ville, seulement je me dis qu’ils vont sortir des tomobiles pour nous court-circuiter et que, de ce fait, on serait perdant.

Étant plus véloce que le Gros, je prends l’initiative de la rivière. Ses berges nous hébergent. Y a des ajoncs, des petites cahutes, et surtout les ponts que je vous ai parlé précédemment, où l’on jouit d’arches protectrices, de tabliers, d’arcs-boutants et du reste.

On bombe le long de la rivière Machin (je me rappelle plus son blaze). Des ombres nous gesticulent au prose. Géniale, mon idée d’avoir cloqué le fumant réchaud de Mirza aux molosses du prince. J’aimerais pas m’effacer la meute en supplément de programme.

Brusquement, la berge se creuse. Un sentier suit le talus abrupt et domine la flotte bouillonnante à cet endroit, because le bridge qui forme un peu barrage.

Je cesse de percevoir le galop du Gros, derrière moi. Affolé, je me retourne. Aurait-il morflé une lame dans les endosses ? Je le distingue tout juste. Il est accroupi sur le sentier. Il continue d’avancer, mais par saut de puces.

— T’es blessé ? haleté-je.

— N’t’occupe, file !

Je parviens dans l’ombre protectrice du gros pont ventru. Étourdi par l’intensité de l’effort produit, je m’adosse aux pierres râpeuses et, me comprimant la poitrine à deux pognes, je mate les arrières.

Il s’y déroule des péripéties captivantes. La horde des poursuivants a vachement ralenti l’allure. Certains poussent des cris et culbutent dans l’eau. Les autres avancent prudemment.

La masse sombre du Gros se dresse tout près de moi.

— Grimpe sur l’arche, hé, Noé ! me jette-t-il. Attends, je te fais la courte !

J’escalade l’arc de pierre dans sa partie la plus basse. Puis j’aide le Gros à m’y rejoindre en le tirant par la main.

On reste immobiles, collés à la pierre tiède. Nos poursuivants se sont repêchés, puis regroupés, et les voici qui radinent. Ils cherchent sous la voûte sonore, armés de torches électriques. Leurs faisceaux dansants arrachent brusquement de l’ombre un très curieux spectacle que je distingue imparfaitement, hélas ! Un petit groupe de traîne-patins est en train de s’embourber une nana sur la plate-forme supportant la pile suivante. La scène est si grandiose que nos tourmenteurs en oublient la poursuite infernale. Là-bas, y a au moins dix julots pour la grognace. Quatre ont déjà consommé et fument, assis en tailleur, en attendant leurs copains. L’un d’eux besogne la fumelle agenouillée dont le fignedé semble vouloir rivaliser de volume avec la pleine lune. Les cinq autres attendent à la queue leu leu, c’est positivement le cas de le dire, le panoche dégagé, paré pour la manœuvre. Voyant la chose, les zigs qui nous courtisaient sautent à qui veut mieux le bras d’eau qui les sépare de la pile et vont prendre la file (je n’écris pas la queue pour éviter toute fâcheuse confusion).

M’est avis, mes braves, que la donzelle en délire vient, sans s’en gaffer, de nous tirer une grosse épine du pied. C’est vous, M’sieur, qui disiez que les sens mènent le monde ? Non ? J’ai cru. En tout cas vous auriez eu raison. L’homme, sous toutes les latitudes, à toutes les altitudes, et dans toutes les attitudes, son seul vrai souci, sa seule joie réelle, c’est le radada. Un postère, dont il n’a même pas eu le loisir de visionner la propriétaire, lui fait tout oublier : ses préoccupations, son devoir, sa patrie, sa matrie, le petit Jésus, sa collection de timbres et le temps qu’il a fait mardi dernier. Il veut bavouiller à tout prix, jamais louper une occase de se faire mariner la tétoche.

Son panais avant tout ! Il le porte devant lui comme un étendard (qui ne serait pas sans gland).

On poireaute sur notre perchoir, bien patiemment. On se doute qu’après cette tournée générale de tringlette, nos poursuivants regagneront leurs pénates.

C’est un peu longuet, mais y en faut pour tout le monde. Per fas et nefas ! Par le grand et l’étroit ! Ce ne sont pas les voies du seigneur, les miches de la houri en rut, aussi sont-elles pénétrables.

Lentement, les participants se retirent, non seulement du corps du délice, mais du lieu de leurs exploits.

Bientôt le pont reste désert, si l’on excepte la dame, toujours figée dans sa position d’accueil. Je suppose qu’elle attend la suite. C’est une maîtresse femme, quoi !

— J’ai idée d’aller lui ajuster le bouquet final, me chuchote le Gros. On peut pas résister à des spectacs aussi corsés.

Il dégringole de son perchoir et va souscrire aux bonds du trésor (de la personne).

Plein de tact, je vais l’attendre à l’orée du clair de lune. L’eau coule dans un grand frisson pathétique.

Ce qu’elles peuvent être ensorceleuses, les nuits d’Ispahan !


— C’t’immonde autant que dégueulasse ! clame le Mastar en revenant, flanqué d’une personne en laquelle j’ai la plus vive stupeur de reconnaître Mrs Bitalaviock.

Elle marche avec harassement, Caroline. Faut dire qu’elle a passablement fatigué des noix, ces dernières heures. Toujours rester dans la même position, à effacer des assauts de garnements en délire, ça finit par briser les reins de la plus solide jument.

— T’as vu qui que c’était, la radasse du pont, Mec ? La môme Caca ! Tu juges de mon étonnement quand, après y avoir cigogné la tartine et voulant prendre congé poliment, je la contourne et la reconnais. Mords un peu la bouille de cette chérie. Elle est dans un état second, et je pense même troisième, à voir son air glandu. Après que je l’eus quittée, elle est tombée sur une bande de malfrats qui lui z’ont proposé Téhéran baille nite pour une pincée de clopinettes.

Elle a eu le malheur d’accepter, la pauvrette. Ces carnes l’ont alors fait fumer du hachis qu’était pas Parmentier et la v’là partie dans les brumailles. Pour lors ils l’ont drivée jusqu’ici, comme si qu’ils auraient pas pu y offrir au moins une chambre, avec tout l’article qu’il y ont sucré ; parce que naturliche ils ont gambadé dans son sac à main. Reusement qu’elle avait laissé ses chèques tavelés à l’hôtel, biquette !

Le Gros hoche la tête.

— Je vais te faire un naveu, gars : ce magistral c…, ça me disait quéque chose. Pendant que je la tourbillonnais je me pensais : « J’ai déjà vu ce visage-là y a pas longtemps. »

Il flatte la croupe incriminée.

— Sacrée Caca, dit-il, plein d’une nouvelle recharge de belle humeur, en v’là une qui s’en rappellera de son voyage, pas vrai, ma petite gorette ? Ah ! grande bougresse de merde, tant que tu trimbaleras un dargeot pareil, ça fera la queue à ta porte de service, ma salope ! Tu les entendras tambouriner, les matous en chasse ! Et faudra pas demander avec quoi qu’y frappent !

Il fait pirouetter l’honorable Britannique dans la clarté lunaire, comme s’il voulait faire honte à « l’astre des nuits » comme on l’appelait avant la profanation d’Armstrong.

— Qu’est-ce tu veux, me prend-à-témoin-t-il, quand tu vois un tambour pareil, t’as envie de battre la charge !

Il rit d’un beau rire gras comme une palette de peintre.

— Et maintenant, commissaire de mes pauvres chères deux, watt hisse de pogrome ? comme on dit chez cette jolie Médème.

— La police, Gros. Force nous est de faire appel à la loi. On doit déballer le pot aux roses sur les agissements du prince Anârchi dont la serre est truffée de restes humains et sur ses projets relatifs aux joyaux de la couronne. Par la même occasion, Mistress Bourmiche, ici présente, déposera une plainte pour viol.

— Banco, approuve le Gros. Note que ce qui la chiffonne, surtout, c’est l’histoire de son sac à main.

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